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Dans les diagonales du temps
10 décembre 2021

Jacques Martin, Le voyageur du temps de Patrick Gaumer

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Je tiens à l'écrire en préambule "Jacques Martin Le voyageur du temps" de Patrick Gaumer est un livre indispensable à tous ceux qui s'intéressent à l'oeuvre de Jacques Martin et plus largement à tous ceux curieux de la bande-dessinée franco-belge de 1945 à aujourd'hui.

 

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J'ajouterais "hélas", car pour le prix de 49€, on a entre les mains un ouvrage sous la forma d'un "beau livre" dont l'iconographie extraordinaire tant par la qualité de la reproduction que par son choix, il y a de nombreux inédits, est bien supérieure au texte.

 

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Ce gros volume est un bel objet, plus à l'intérieur qu'à l'extérieur. Pourquoi en avoir laissé le dos nu sans, comme il est d'habitude, de mention du titre et de l'auteur. Cet étrange vide donne un petit coté amateur, fait à la maison à ce gros livre. Mais dès qu'on l'ouvre on est admiratif par la qualité des reproductions et la clarté de la mise en page.

 

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Contrairement à l'antienne qui veut que les biographies concoctées par des universitaires soient ennuyeuses, je pense tout le contraire. J'aime les travaux universitaires par leur rigueur ce dont manque cruellement "Jacques Martin, Le voyageur du temps" qui, par sa construction s'apparente à une biographie puisque l'on suit chronologiquement la vie et l'oeuvre du sujet.

 

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Les premières pages détaillent les premières années du jeune Martin et c'est bien fait, cela commence à se gâter sur le plan strictement biographique lorsque le jeune homme commence à vouloir être dessinateur professionnel puis petit à petit la vie personnelle de Jacques Martin est totalement éclipsée par sa vie professionnelle. En refermant ce pavé son lecteur saura tout sur la carrière du dessinateur-scénariste, du moins jusqu'à 1985 et bien peu de chose sur l'homme. Par exemple si on s'en tient strictement au cadre familiale on ne connait ni la date de la disparition de sa femme ni celle de sa mère dont on apprend au détour d'une phrase qu'elle lui préférait son frère, frère dont après les années de lycée on n'entendra plus parler. Jacques Martin a eu deux enfants, une fille et un garçon. Ils sont presque absent de ce livre. La date de leur naissance n'est même pas mentionnée! Pourtant ses deux personnes sont bien sûr importante dans la vie privée de Jacques Martin mais aussi pour son oeuvre puisqu'elles font partie du "Comité Martin" qui préside depuis la disparition du maitre à la pérennité de l'oeuvre. Il faut par exemple l'accord de ce comité pour qu'un auteur puisse travailler sur un personnage créé par Jacques Martin.

 

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Jacques Martin vu par Gaumer c'est un peu Proust vu par Céleste Albaret ceux qui ont lu les confidences de la gouvernante du divin Marcel me comprendront.

 

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Le plus gênant est que la dernière partie a été baclée sans doute parce que l'éditeur avait l'idée de le publier absolument en 2021 pour coincider avec le centenaire de la naissance de Jacques Martin (1921-2010). Ce mercantilisme à courte vue abime un ouvrage qui par ailleurs a bien des mérite même si mon admiration est loin d'être sans réserve.

 

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La plus grosse réserve est que nous sommes face à un livre bien sage, bien tempéré, comme ne l'était pas du tout Jacques Martin. Je peux en parler un peu puisque je l'ai connu au début des années 70. Dans ce livre je n'ai pas reconnu l'homme que j'ai rencontré qui était aussi rugueux que généreux, aussi passionné qu'excessif avec un appétit de vivre gargantuesque. Je crois, même s'il en jouait, qu'il s'identifiait un peu à un empereur romain, plus Hadrien que Marc-Aurèle...

 

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On voit que les quasi seules sources de l'auteur sont les interviews de Martin, qui s'il était un bon client dans le domaine, je peux en témoigner, j'en ai réalisé deux, mais qui dans celles-ci disait sa vérité qui était peut être pas toute la vérité. Par exemple sur l'importance de ses collaborateur dans la réalisation d'un album. Par exemple Roger Leloup, qui fut son assistant dans une récente interview contredit sur ce point le maitre; mais visiblement Gaumer ne l'a pas rencontré pas plus qu'il a rencontré Olivier Morales ou Christophe Simon  deux des dessinateurs qui ont repris le dessin d'Alix après que Marin ait du abandonner le dessin en raison de la maladie des yeux dont il souffrait. Il semble que l'auteur ait rencontré presque aucun des collaborateur du maitre. Il nous livre un travail de compilation mais pas un travail de recherche. La moindre des choses dans ce genre d'ouvrage est de croiser les sources ce que Gaumer n'a pas fait.

 

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S'il y a donc bien des lacunes sur le plan artistique et biographique, il y en a aussi sur le plan économique. Si pour certains tirages de luxe les chiffres sont cités en revanche il n'y en a aucun pour les éditions courantes. On en sait plus sur ce sujet sur l'article que je reproduis ci-dessous que dans "Le voyageur dans le temps". On apprend rien non plus ce que rapportait  pécuniairement au maitre, qui n'était pas du genre à négliger ce détail, chaque album de sa production. 

 

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Comme on le voit si "Le voyageur dans le temps" honorera votre bibliothèque cela sera plus pour les belles et souvent rares images qu'il contient que pour le texte qu'il faudrait grandement compléter.

 

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dessin ci-dessus paru en 1979 dans l'hebdomadaire Spirou

 

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3 décembre 2021

ALIX SENATOR, LES AIGLES DE SANG, DESSIN THIÉRRY DÉMAREZ, SCÉNARIO VALÉRIE MANGIN

 

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D'emblée je dois dire que je suis très réservé sur l'idée de créer une nouvelle série sur Alix, le héros de Jacques Martin, d'autant que le voilà vieilli d'une trentaine d'années. Ma réserve principale vient qu'ayant connu Jacques Martin, je doute fort qu'il ait approuvé cette idée de projeter son personnage à un autre âge.

Je rappellerais que souhaitant que ses héros vivent après sa mort, survenue le 21 janvier 2010, Jacques Martin avait mis en place en 2005 un comité de surveillance, aujourd'hui composé de ses deux enfants et de deux représentants de son éditeur, Casterman qui sont Simon Casterman et Jymmy Van den Hautte directeur de la collection, pour veiller sur son univers, mais il n'était question que de poursuivre les séries déjà existantes.

Ensuite il me semble que la seule véritable raison de la mise en oeuvre de cette série soit de faire de l'argent. Il me semblait que l'oeuvre de Jacques Martin en générait déjà suffisamment, il faut croire que non... On peut penser aussi que les ayant-droits du maitre avaient peur que la célébrité d'Alix s'étiole d'où cette idée de lui faire vivre d'autres aventures sous Auguste.

Autre but avoué de cette série dérivée, faire connaitre Alix à un nouveau public, je me demande si sur ce point les éditeurs ne se bercent pas d'illusions. Lors de la création de la série mère, en 1948, une grande partie des collégiens et des lycéens faisaient du grec et du latin. En sixième le cours d'histoire était entièrement dévolu à l'antiquité autant de choses qui ne sont plus d'actualité et qui jadis donnaient à notre belle jeunesse (de moins en moins belle car de plus en plus crépue et bouffie) une appétence pour les récits se déroulant pendant l'antiquité. Le contexte actuel est beaucoup moins favorable à ce type de livre. Je crois plutôt qu'Alix senator touchera d'abord, et je le crains presque exclusivement, les fans du jeune gallo-romain blond.

Dans ces « Aigles de sang » Alix âgé d'une cinquantaine d'année, sénateur ( l’ascension d’Alix comme notable lui donne une plus grande crédibilité pour ses enquêtes dans les arcanes du pouvoir) et pourvu d'un fils nommé Titus (mais où est sa femme?), en outre il s'occupe du fils de son ami Enak qui serait décédé. Le centre de l'intrigue est un complot contre l'empereur, thème récurrent dans les aventures d'Alix et aussi dans l'histoire de l'empire romain.

Venons en maintenant à l'album en détail. La première chose qui apparaît lorsqu'on ouvre un album de bande-dessinée c'est le dessin. Celui de Thierry Démarez, que je découvre avec cet album, est en rupture avec celui de Jacques Martin et de ses continuateurs pour les aventures d'Alix. Il s'inspire visiblement de celui de Delaby qui dessine Murena qui est le modèle plus ou moins avoué d'Alix senator. Si le dessin de Thierry Démarez qui fait aussi ses couleurs, c'est un auteur complet, n'est pas sans qualité, mais on ne sent pas encore chez lui la maitrise complète de son art en particulier pour le dessin des personnages; les visages sont parfois empâtés par un encrage trop gras. Le crayonné doit mieux mettre en évidence le talent du dessinateur qui en revanche se révèle un excellent coloriste jouant avec les camaïeux de couleurs subtilement éteintes. Démarez utilise classiquement peinture acrylique et crayons de couleur. Le vieillissement du visage d'Alix est crédible et son fils a une charmante frimousse. A propos de la physionomie du héros, le dessinateur confesse que cela n'a pas été facile: <<il suffit d' un rien pour qu' il  devienne méconnaissable . Vous lui enlevez  quelques cheveux et ce n' est plus lui . Je ne pense pas avoir dessiné  une seule fois Alix sans avoir un  album de Jacques Martin sous les yeux  ; je n' ai jamais cherché à le travailler de mémoire , mon style aurait  repris le dessus et je me serais  éloigné davantage de l'original . Il  a une forme de visage assez particulière  et difficile à traiter , il y a  des codes à respecter , comme le rapport entre la bouche  le nez et le menton, tout cela ne peut s' inventer;>>. En outre les perspectives de certains bâtiments ont quelque fois du « vague à l'âme ». Néanmoins la reconstitution de la Rome sous Auguste est très réussi. C'est un mélange de la reconstitution qu'en a fait Gilles Chaillet dans son magnifique « Dans la Rome des Césars » (aux éditions Glénat) et de celle que l'on peut voir dans la série télévisée « Rome ». J'ai pourtant scruté les dessins des vues panoramiques de la ville sans y déceler des anachronismes. Mais le plus réussi graphiquement sont les intérieurs remarquable d'exactitude et de réalisme. La formation de décorateur de théâtre de Démarchez ne doit ps être pour rien dans ses prouesses. Ma principale réserve en ce qui concerne le graphysme est le manque de sensualité dans le regard de Démarez, irremplaçable Jacques Martin. 

 

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La Rome de Jacques Martin (Les légions perdues)

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La Rome de Gilles Chaillet

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La Rome de Thierry Demarez

 

Mais une bande dessinée, c'est aussi une histoire et c'est souvent par ce biais que l'on s'attache à une série. En ce qui concerne la partie historique on peut penser qu'Alix n'est pas tombé en de trop mauvaises mains puisque Valérie Mangin esthistorienne de formation. Après un prix au Concours général en version latine, elle est entrée en classe préparatoire littéraire à Henri IV puis a intégré l’Ecole des Chartes où elle a soutenu sa thèse en 1998. Ce n'est pas non plus une débutante en B.D, elle a déjà travaillé  avec Thierry Démarez. Ils ont fait ensemble « Le Dernier Troyen », une adaptation de l’Enéide et de l’Odyssée en space opera. « Les Aigles de sang » est leur septième album commun.

 

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La chance qu'a la scénariste est que le règne d'Auguste, en particulier dans sa deuxième moitié est une période très riche de l'Histoire romaine où le concept d'empereur doit s'affirmer. C'est durant cette période qu'Auguste bâtit les fondement administratif d'un gouvernement qui durera plusieurs siècles.

Valérie Mangin à la pieuse et bonne idée de mettre ce premier tome d'Alix senator dans la continuité à 30 ans d'écart d'un des albums de Jacques Martin. Dans "Le tombeau étrusque", un aigle (représentation symbolique de Jupiter célèbre entre autres par l'enlèvement de Ganymède) laisse un présage favorable en rendant son morceau de pain à Octave, le futur Auguste, en présence d'Alix et Enak en cela le majestueux volatile désignait le garçon comme le futur maitre du monde. Trente ans après la prophétie s'est réalisée mais l'aigle, qui a une place majeur dans "Les aigles de sang" ne sera plus l'animal bénéfique. C'est Alix qui sera chargé de savoir, qui se cache dérière le symbole divin...

Le scénario met avec justesse en son centre les supertitions qui obscurcissaient la raison chez les anciens romains. Gilles Chaillet fait de même dans la série Les boucliers de Mars . 

 

 

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Jacques Martin avait l'habileté de faire intervenir dans ses histoires les personnages historiques seulement à dose homéopathique. On y a vu plusieurs fois Jules César mais fugitivement, s'il est souvent cité, on le voit peu, et aperçu Crassus, Pompée et quelques autres mais jamais au premier plan. La scénariste Valérie Mangin n'a pas des pudeurs de cette sorte, ce qui est un gros risque et surtout une grosse contrainte scénaristique, puisque l'on voit dans « Les aigles de sang » mourir d'une façon spectaculaire Lépide et Agrippa.

 

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Selon diverses source ces deux grands de la Rome impériale ont trépassé d'une façon plus prosaïque: << Agrippameurt enCampanieentre le 19 et le 24 mars de l'année 12 av. J.-C. (à la même date que dans l'album)à l'âge de 50 ans. Selon Pline l'Ancien, Agrippa souffre depuis des années de violentes crises de goutte ainsi que de rhumatismes, comme en témoignent les nombreuses dédicaces à laSantélors de son séjour en Gaule. Agrippa, affaibli, n'aurait pas résisté à la rigueur de l’hiver dans les montagnes pannoniennes ou aurait été emporté par une épidémie touchant l'Italie dans les premiers mois de l’année 12 av. J.-C., à l'instar de Lépide, selon les historiens modernes.

 

 

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Très habilement Valérie Mangin fait passer la version de la mort par maladie des deux notables pour la version officielle qu'impose Auguste et la vérité l'horrible trépas mystérieux des deux hommes. Le scénario de cet épisode est brillant, meilleur que les scénarios des aventures du jeune Alix. Il laisse le lecteur en plein suspense puisque cette histoire semble prévue en deux tomes. Il y aurait peut être un troisième. Le second est déjà annoncé et aura pour titre « Le dernier des pharaon ». Surtout « Les aigles de sang » est fidèle à l'esprit des récits de Jacques Martin avec cette de dose de fantastique et d'irrationnel dont les anciens romains étaient friands. Ce n'est pas un hasard si l'album préféré de Jacques Martin que préfère Valérie Mangin est « Le dieu sauvage », cela se sent dans « Les aigles de sang ».

Un album qui par ses belles et savantes reconstitutions de l'antiquité romaine et son scénario passionnant a su vaincre mes réticences de départ.

 

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Couverture du tirage de tête

 

2 décembre 2021

case en exergue, la piscine Molitor vue par Christian CAILLEAUX

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29 novembre 2021

Mezek de Juillard & Yann

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Depuis quelques temps la bande-dessinée devient un merveilleux moyen d'apprendre l'Histoire, en particulier l'Histoire récente, même si ce n'est pas complètement nouveau, qu'on se souvienne des « belles histoires de l'oncle Paul » dans le journal de Spirou dont il y a encore peu de temps il était de bon ton de se gausser. Pour ceux que la problématique de l'Histoire et la bande dessinée intéressent je leur conseille d'écouter le premier vendredi du mois l'émission de France-Culture « La fabrique de l'histoire » qui est dévolue à l'Histoire dans les fictions; on y parle au moins d'une bande dessinée à chaque fois*.

  

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Le chef d'oeuvre de Juillard (à ce jour), le mot n'est pas trop fort, nous entraine dans un palpitant récit en 1948, en Israel, lors de la première guerre de l'état juif contre les arabes dite guerre de l'indépendance. Et là première incise, à mes yeux obligatoires, mais que les éditions du Lombard n'ont pas jugé utile de faire, c'est peut être le seul défaut de ce magnifique album, un petit point sur la situation d'Israel en juin 1948 date qui apparaît à la première case du livre (une telle préface aurait eu aussi l'avantage d'éviter de nombreuses bulles explicatives):

  

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Le 29 novembre 1947, l'Assemblée générale des Nations uniesadopte la résolution 181qui prévoit le partage de la Palestine en un État juif et un État arabe. Le nouveau Yichouvet les communautés juives sionistes accueillent favorablement ce vote mais les Arabes palestiniens et l'ensemble des pays arabes qui militaient pour la constitution d'un État palestinien rejettent la résolution. Le lendemain du vote, la guerre civile éclate entre les communautés juive et arabe palestiniennes. Le 30 novembre 1947, la guerre voit s'affronter les communautés juive et arabe. En janvier, des volontaires arabes entrent en Palestine pour seconder les arabes palestiniens. En avril, les forces juives passent à l'offensive. Les forces et la société palestiniennes s'effondrent. Le 14 mai, dernier jour du mandat britannique, l'indépendance de l'État d'Israëlest proclamée en tant « qu'État juif dans le pays d'Israël ». Le lendemain 15 mai, les États arabes voisins, la Syrie, la Jordanie (La Jordanie a respecté son accord de ne pas envahir des régions assignées à l'Etat juif, contrairement à la Syrie et à l'Egypte.) et l'Egypte,opposés au partage, interviennent. En théorie alliés, ceux-ci ambitionnent des objectifs différents et combattront leur adversaire de manière désorganisée et désunie. À la suite d'une série d'opérations entrecoupées de trêves, les forces israéliennes vainquent militairement sur tous les fronts. La ligne d'armistice partage Jérusalem, laissant la vieille villedu côté arabe. La guerre coûta la vie à plus de 6 000 Israéliens (près de un pour cent de la population juive du pays à l'époque).A son issue l’Etat juif a augmenté d’un tiers le territoire qui lui était alloué et en a expulsé les quatre cinquièmes des habitants arabes. Quant à l’Etat palestinien, mort-né, la Jordanie et l’Egypte s’en sont réparti les dépouilles…

  

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Dans Mezek nous arrivons au début de cette guerre, les Egyptiens, soutenus par des tanks, de l'artillerie, des avions sont parvenu à isoler tout le Néguev et à occuper des régions qui avaient été assignées à l'Etat juif. Mezek commence par une scène dramatique le bombardement de Tel Aviv par l'aviation égyptienne. La grande carence alors de l'armée israélienne est son aviation quasi inexistante. C'est justement dans cet embryon d'aviation que Yann à campé son histoire dont le héros est Bjorn un mercenaire suédois qui pilote un des très rares avion de chasse que possède l'armée israélienne. Cet avion est un Mezek (ce qui signifie mule en tchèque), d'où le titre mystérieux de l'ouvrage. C'est un chasseur forgé sur une base d'une carcasse de Messerschmitt que l'on a équipée de moteurs de bombardier Junker trop lourd et trop volumineux (un bossage a été fait sur le capot d'origine pour qu'il y loge) ce qui rend son pilotage dangereux en particulier à l'atterrissage. Il a été vendu à Israel par la Tchécoslovaquie seul état qui n'a pas respecté l'embargo qui interdisait de vendre des armes à Israel. Encore un petit rappel en 1948 l'Est était beaucoup plus favorable à Israel que que l'Ouest. Cela changera assez rapidement. Ces véritables cercueils volants sont pilotés par des mercenaires internationaux et de jeunes volontaires juifs. Inexpérimentés et qui vont se former sur le tas. Irônie de l'Histoire, ce sont des avions de fabrication allemande durant la période nazie qui ont sauvé Israël.

  

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Le scénario a pour toile de fond cette guerre plusieurs éléments historiques (la lutte fratricide entre l’Irgoun de Menachem Begin (qui sera bien des années plus tard premier ministre d'Israel), un mouvement proche de l’extrême droite et la Hagannah deBen Gourion affichant ses attaches communistes pour mieux arracher la reconnaissance du jeune état à l’Union soviétique,les astuces qu’utilisèrent les Israéliens pour s’armer) agrémente le récit, mais ce que Yann met au premier plan ce sont les relations qu'entretient Bjorn et les autres pilotes mercenaires avec leurs camarades israéliens. Les goys volants n’ont pas les faveurs d’une partie des militaires juifs qui les accusent de cupidité (les arabes utilisaient également des pilotes mercenaires comme on le voit d'ailleurs dans l'album) alors qu'eux ne se battent pas pour de l'argent mais pour sauver leur pays. En outre beaucoup de ses soldats n'ont échappé à la shoah que par miracle. On se doute que la cohabitation entre ces hommes ne va pas être facile. Ainsi si Bjorn est le meilleur pilote de l'escadrille cela n'empêche pas certain de ses camarades de combat de nourrir une haine inextinguible en vers lui... etune série de sabotages rend les missions encore plus mortelles.En outre la jeune armée israélienne est mixte et plusieurs vaillantes combattantes ne seront pas sans témoigner beaucoup d'intérêts pour le beau Bjorn que ronge un terrible secret...

  

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Yann qui aura mis plus de 20 ans à accoucher de ce projet, au terme de moult remaniements scénaristiques, s'est basé pour écrire cette incroyable histoire, génératrice de beaucoup d'émotions, mais que je ne veux pas déflorer pour ne pas amoindrir votre plaisir de lecture, sur la biographie du colonel B. Kagan (dont la fille est une des héroïnes de son scénario), « Combat secret pour Israel » qui racontait le recrutement de pilotes mercenaires goys internationaux et le service qu'ils rendirent à Israel.

  

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Je crois que Mezek est le seul album de bande dessinée qui traite de l'indépendance d'Israel. Il n'y a qu'Hergé avec Tintin au pays de l'or noire qui a oser se frotter à ce sujet (et encore seulement dans la première version de l'album qui fut victime d'un lifting pour le rendre politiquement correct).

Juillard est aussi habile pour dessiner les avions et autres engins militaires que les corps masculins et féminins lors des repos des guerriers. On remarquera la constance dans l'esthétique des femmes que croque Juillard. Sa ligne claire et les couleurs à la fois pastelles et lumineuses aident à faire passer cette histoire noire où l'amour côtoie sans cesse la trahison et la mort. Le repreneur de Blake et Mortimer (on aperçoit les créatures créées par Jacobs à l'arrière plan dans une case!) est ici au sommet de son art.

  

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Le découpage est une leçon de lisibilité et de clarté. Chaque planche est divisée en trois strips eux même scindés en trois ou quatre cases. Chaque case a ainsi une surface suffisante pour que le dessin de Juillard puisse se déployer.

Si les combats aériens peuvent faire penser à un hommage à ceux que dessinait Victor Hubinon dans Buck Danny, les scènes intimes évoquent « Valse avec Bachir ».

  

  

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* Hélas cette émission a été supprimée mais elle reste écoutable sur le site de France-Culture.


 

 

28 novembre 2021

Eurêka! d'Hitoshi Iwaaki

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Certains auteurs ont le merveilleux pouvoir de rendre l'Histoire passionnante. C'est le cas d'Hitoshi Iwaaki dont je n'avais rien lu auparavant (ce n'est pas pour cela que je ne me suis pas informé sur ce monsieur, voir en fin de billet). Or donc, Eurêka nous raconte, en 213 AVJC, le siège de Syracuse, allié des carthaginois, par les romains conduit par le général Marcus Claudius Marcellus. Les remparts de Syracuse bénéficient pour les défendre des inventions ébouriffantes en matière d'engins de guerre du plus célèbre enfant de la cité Archimède (d'où le titre). Cet épisode mythique de la guerre punique est vu par les yeux de Claudia une jeune aristocrate né à Syracuse mais romaine, la ville était auparavant allié de Rome et de son non moins jeune ami, Damppos, un spartiate qui trouvant sa ville natale trop instable s'est installé à Syracuse subjugué par la beauté et l'opulence de cette cité et... sa tranquillité. C'était sans compter sur le brusque changement d'alliance de la Syracuse passant brusquement d'une alliance avec Rome à une allégeance à Carthage.

Claudia citoyenne romaine est désormais en danger dans sa ville. Damppos s'instaure son ange gardien. Les deux jeunes gens vont se réfugier chez Archimède un ami de la famille de Claudia. Les inventions du savant éblouissent Damppos...

  

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Je suis toujours épaté par ces mangakas japonais qui choisissent les thèmes les plus improbables pour leurs mangas et qui parviennent à nous passionner avec. J'ai un peu de mal à me mettre à la place du dessinateur qui, en se levant et rangeant son futon dans un appartement de Tokyo, se dit: Et si ce matin je commençais une histoire sur le siège de Syracuse lors de la seconde guerre punique... Respect comme on dit aujourd'hui.

  

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L'intérêt que l'on porte à cette histoire vient d'emblée par la profonde empathie que l'on éprouve pour Claudia et Damppos, ces deux innocents, bien mignons, jetés dans les tourments de la guerre.

Hitoshi Iwaaki n'est pas le plus grand dessinateur de manga. La physionomie de ses personnages ont peu d'expressions et dans l'action, ils manquent de dynamisme; mais ses cases claires s'enchainent bien et son dessin est très efficace. Hitoshi Iwaaki est d'abord un raconteur d'histoire. Il expose avec clarté et concision des faits qui ne sont pas particulièrement simples. Son rendu des architectures et ses panoramiques de villes et de batailles sont d'une grande nettetés. Les explications des stratégies des différentes armées sont lumineuses.

  

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Il arrive avec l'Archimède dans ce manga, ce qui est arrivé à Léonard de Vinci. On crédite le savant grec de machines dont à la rigueur, il a peut être eu l'idée, mais guère plus très probablement. Historiquement, on attribue à Archimède l'invention de sa fameuse vis, mais surtout celui du principe du levier et de la roue dentée. Cette dernière invention est essentielle pour transmettre les mouvements et démultiplier l'effort. Donc les machines que nous voyons dans le manga ne sont pas, en théorie absurdes. Il reste que la technologie de l' époque rend très improbable la réalisation des pièces constituant ces machines. Mon scepticisme est d'autant plus grand que les dessins d'Hitoshi Iwaaki de ces faramineux engins de guerre ne sont pas toujours convaincants. J'aurais aimé qu'il nous en donne des plans succints pour qu'on en comprenne bien le fonctionnement. Et surtout, pour leur crédibilité, il aurait fallu que les éléments formant ces engins de mort soient représentés d'une façon moins moderne, moins lisse. Par exemple les catapultes défendant Syracuse coté mer ressemblent à des extra-terrestres! On a parfois ainsi le sentiment de lire de la science-fiction antique! Ce qui n'est pas, loin de là désagréable, mais je ne suis pas sûr que se soit le but du mangaka qui par ailleurs s'est solidement documenté aussi bien historiquement que géographiquement.   

  

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En dépit de la richesse scénaristique, on regrette qu’il s’agisse d’un one-shot ; Trois ou quatre tome auraient été les bienvenue. Ils aurait permis de développer plus les relations entre les personnages et ainsi amener davantage son lot d’émotions. Félicitons la belle édition de cet ouvrage de 250 pages dont 4 pages en couleur pour son introduction.

Eureka a l'avantage en plus d'être palpitant de vous entrainer dans des recherches enrichissantes sur la toile et dans votre bibliothèque. Un manga qui correspond bien à la vieille formule, malheureusement pas assez mise à l'honneur: instruire en distrayant.

  

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Hitoshi Iwaaki est né en 1960 à Tokyo. Il est l'ancien assistant de Kazuo Kamimura (La plaine du Kantô). Il a voué sa carrière au manga pour adulte (seinen). Il est tout d'abord remarqué grâce à Gomi no umi publié en 1985 par Kodansha. Mais c'est sa série Fuko no iru Mise dans le célèbre magazine Morning (Cesare, Billy Bat, Vagabond...) qui le propulse tout de suite après dans le milieu professionnel. Le grand succès arrivera seulement en 1989 avec Parasite, sortie en 1989 au Japon et en France  entre 2002 et 2004 (seule oeuvre du mangaka avec Eureka à être traduite en français). Parasite a beaucoup influencé par exemple Hajime Isayama (L’attaque des Titans). Reconnu au Japon pour la grande qualité de ses œuvres, le mangaka a également travaillé sur deux séries célèbres qui lui tiennent à cœur : Devilman et Black Jack. Mais ce sera Eureka! qui marquera un tournant dans sa carrière. Grâce à ce titre présentant le mythique siège de la ville de Syracuse défendu par les inventions d’Archimède, le mangaka se concentrera sur une de ses passions : l’Histoire. Pour sa dernière série en date, Historiē, il reste d’ailleurs dans le même registre et traite de la même période historique : l’Antiquité. Publiée dans le prestigieux magazine Afternoon (Vinland Saga,IkkyuL’habitant de l’infiniBlame !Eden…), sa série Historiē se passe avant Eurêka ! et retrace le parcours d’Eumène de Cardia,  chancelier d’Alexandre le Grand (que font les éditeurs français!).Hitoshi Iwaaki est né le 28 juillet 1960 à Tōkyō et va sur ses 30 ans de carrière. Passionné depuis toujours par le travail.

 

  

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Un de mes défauts est d'avoir tendance, dans le domaine de l'Histoire, à vérifier ce qu'un auteur me raconte. Visiblement Hitoshi Iwaaki connait bien l'histoire des guerres puniques. Mais il est tout aussi évident qu'il a beaucoup fantasmé sur les inventions guerrières d'Archimède. Son imagination a été particulièrement fertile en ce qui concerne l'aménagement des remparts de Syracuse.

  

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Voici quelques exemples des résultats de mes recherches:    

sur Wikipedia:

  

Le consul Marcus Claudius Marcellus ne parvient pas à rétablir l'alliance avec Syracuse par la négociation, et au printemps 213 commence le siège de Syracuse. Dans le même temps, une armée carthaginoise de 25 000 hommes et 3 000 cavaliers débarque en Sicile, commandée par Himilcon. Il occupe Agrigente, mais ne peut faire lever le siège de Syracuse. Une épidémie décime ensuite son armée. La flotte carthaginoise ravitaille plusieurs fois Syracuse, mais retourne à chaque fois vers Carthage, redoutant un combat naval avec la flotte de guerre romaine.

En 212, Marcellus finit, après un long siège et de nombreuses péripéties par reprendre Syracusela plus belle et la plus illustre des villes grecques, qu'il livre partiellement au pillage. Le grand savant Archimède est, selon une légende rapportée par Tite-Live, tué pendant le sac par un soldat qui ne le connaissait pas alors qu'il était en train de contempler des figures géométriques dans le sable. Toutes les œuvres d’art de la ville, publiques ou appartenant à des particuliers, sont transférées à Rome.

Lors de l'attaque de Syracuse, alors colonie grecque, par la flotte romaine, la légende veut qu'il ait mis au point des miroirs géants pour réfléchir et concentrer les rayons du soleil dans les voiles des navires romains et ainsi les enflammer. Cela semble scientifiquement peu probable car des miroirs suffisamment grands étaient techniquement inconcevables, le miroir argentique n'existant pas encore. Seuls des miroirs en bronze poli pouvaient être utilisés.

sur Hérodote:

La ville résiste pendant trois ans grâce aux machines conçues par le plus génial de ses habitants, le savant Archimède en personne. Celui-ci trouve la mort pendant la mise à sac de la ville par les Romains en 212

  

 

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sur d'autres site:

Historiquement, il n’est fait mention de l’utilisation de miroirs lors du siège de Syracuse que 800 ans après les faits, ce qui rend l’anecdote assez douteuse . Plusieurs auteurs plus anciens relatant cet épisode ne mentionnent ni les miroirs, ni même l’incendie des navires romains. L'historien Tite-Live (XXIV-34) décrit le rôle important d'Archimède comme ingénieur dans la défense de sa ville (aménagement des remparts, construction de meurtrières, construction de petits scorpions et différentes machines de guerre), mais il ne dit pas un mot de ces fameux miroirs. De même, il raconte la prise de Syracuse, organisée pendant la nuit non par crainte du soleil, mais pour profiter du relâchement général lors de trois jours de festivités (généreusement arrosées) en l'honneur de la déesse Diane.

 

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27 novembre 2021

Dent d'ours, tome 2, Hanna de Yann & Henriet

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Je vous ai déjà dit tout le bien qu'il fallait penser du premier tome de "Dent d'ours" quelques chose comme un mélange de Buck Danny (dont Yann était un lecteur assidu) et de Pierre Joubert. Le deuxième tome n'est pas inférieur au premier. Il y en aura un troisième. Chaque album est centré plus sur un des trois héros de l'histoire. Dans celui-ci nous voyons surtout Hanna même si Max est encore très présent. En revanche Werner en est presque absent.

  

  

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Le premier album, sous-titré Max, racontait essentiellement l'amitié entre trois enfants au début des années 30 en Basse-Silésie. Ce deuxième volet est principalement axé sur la guerre, même si nous y découvrons l'épisode fondateur de toute cette histoire, datant de 1934, qui en donne son titre. La trame de ce deuxième volet est particulièrement dramatique. Max, Pilote d'exception engagé dans l'US Air Force pour combattre les nazis, Max dit « le Polak » a pour mission d'abattre Hanna Reitsch, pilote d'élite de la Luftwaffe. Une mission à hauts risques, qui implique pour Max d'infiltrer l'armée ennemie et d'affronter son propre passé. Car avant de devenir une cible, Hanna était son amie d'enfance... 

  

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L'album met en lumière deux chapitres assez peu connus de la seconde guerre mondiale, tout du moins en France. D'une part, l'existence d'une très active résistance polonaise, "L'Armia Krajowa" bien plus efficiente que la Résistance française. Par exemple un de ses grands faits d'arme fut de récupérer un V2 qui était tombé sans exploser peu loin de sa rampe de lancement, de le cacher dans les marais avant de la faire voyager jusqu'à Londres. Ainsi les alliés purent l'étudier. 

Et surtout d'autre part "Dent d'ours, Hanna" nous fait visualiser deux de ces armes secrètes, le V4 et  le Triebflügel, concoctées par les nazis pour renverser la situation militaire en 1944 et 45 qui alimentèrent la propagande de Goebbels et laissèrent croire à l'opinion étrangère et allemande, que l'Allemagne pouvait encore retourner le sort de la guerre.

  

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une image de Mario Merino qui a sans doute beaucoup inspiré Henriet

 

Ce qui est bluffant dans cette série c'est la qualité (et la rareté) de la documentation des auteurs. Même s'ils ont pris, volontairement ou non des libertés avec la réalité historique. La principale est de mettre en scène l'avion Triebflügel.

  

  

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Sur un projet du professeur Otto von Holst, l’ingénieur Otto von Pabst et le constructeur aéronautique von Halem conçurent un chasseur ADAV appelé Triebflügel. L’utilisation, en l’extrémité de pale, de statoréacteurs de type Lorin (c’est-à-dire dépourvus de pièces mobiles) de 840 kp de poussée chacun, aurait permis d’annuler le couple induit et donc de s’affranchir du deuxième rotor. L’aile-rotor tripale (Triebflügel) devait tourner sur des roulements autour d’un tube placé au niveau du centre de gravité du fuselage de l’appareil. Les moteurs Lorin ne fournissant une poussée qu’à partir d'une vitesse minimum de 300 km/h, des moteurs-fusées de type Walter montés en supplément devaient donner au rotor la vitesse de rotation initiale nécessaire. Le régime devait atteindre 220 tr/min et la vitesse maximale 1000 km/h. Yann les a dessinés prenant part à un dantesque combat aérien, alors que cet avion n'a existé qu'à l'état de maquette. Ce qui donne un léger parfum d'uchronie à l'album.

  

  

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Deux photos de V4 

  

En revanche le V4 a bel et bien existé À partir du printemps 1944, une version pilotée du V1 appelé V-4 est projetée et des exemplaires modifiés conçus et testés, notamment par Hanna Reitsch qui est un des trois personnages principals de la série. Répondant au nom de code Reichenberg, aucun de ces prototypes ne fut utilisé pour le combat. Dans cette version, le pilote doit amener le V1 sur l'objectif et sauter en parachute à environ 1000 m de l'impact. En raison du peu de temps pour effectuer l'éjection, qui est entièrement manuelle à l'époque, ce type de mission s'apparente à un suicide. C'est à partir des V4 que les Allemands ont fournis aux Japonais des données leur permettant commencer à développer un projet d'avion suicide, le Kawanishi Baika. Une version biplace du V4 a même été prévue pour l'entraînement des pilotes. L'atterrissage était prévu avec un ski placé sous le fuselage. C'est ce que nous voyons à la fin de l'album. Anna parvient à poser non sans mal un de ces prototypes.

 

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un Kawanishi Baika photographié par mes soins au très intéressant et émouvant musée du sanctuaire Yasukuni

  

L'un des personnage pricipaux de "Dent d'ours", Hanna Reitsch a existé et a été une célébrité en son temps. Mais la Hanna des albums n'est pas complètement la Hanna de l'Histoire, comme le Dartagnan de Dumas s'éloigne du véritable personnage historique. Il est a noter qu'il n'est pas banal de prendre pour héroine d'une série de bande dessinée une icône du nazisme!

  

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Adolf Galland et Hanna

 

Mais comme le déclare Yann, il ne raconte pas la véritable vie d'Hanna Reitsch: << Inutile d'ouvrir une encyclopédie pour connaitre la fin de l'histoire! Ce qui m'intéressait le plus c'est la jeunesse d'Anna. Une jeunesse dont on sait très peu de chose. Et où je peux donc lui faire vivre avec Max et Werner toutes les aventures qui me plaisent.>>.

  

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Outre Hanna Reitsch, apparait dans "Dent d'ours Hanna" Adolf Galland, le plus célèbre pilote de chasse allemand. Le général galland fut limogé de tous ses commandements en janvier 1945 par Goring. Je vous conseille son livre "Jusqu'au bout sur nos Messerschmitt (tout un programme). C'est un peu le pendant allemand au "Grand cirque" de Clostermann. Le livre est paru aux éditions "J'ai lu", dans la célèbre série "Leur aventure", ( n° A3) avec leur belle couverture sur fond bleu roi. Dans ce livre on apprend que les nazis avait envisagé de confier une version réduite du Messerschmitt 262 à << des gamins de dix sept ans, qui sans aucune instruction digne de ce nom, allaient se lancer à l'assaut des phalanges ennemies. Grâce à dieu, on nous épargna ce massacre.>> (page 374). C'est à peu près ce qui est dessiné par Henriet. henriet réussit à faire passer les sentiments de Galland qui n'était pas contrairement à la véritable Hanna Reitsch un jusqu'auboutiste. Yann dessine un Galland très ressemblant aux photographies d'époque qu'on connait de lui. Galland comme il est fortement suggéré dans l'album aurait eu des vues fort peu militaire sur Hanna Reitsch qui n'aurait pas cédé!  

  

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Il ne reste plus qu'a attendre le troisième tome (et probablement le dernier) de cette série qui est une des plus belles réussites de la bande dessinée franco-belge de ce début de XXi ème siècle.  

 

26 novembre 2021

L'unique bande dessinée de Michel Gourlier

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L'unique bande dessinée de Michel Gourlier

 

26 novembre 2021

Dent d'ours, Max de Yann & Henriet

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Ce n'est pas facile de repérer un chef d'oeuvre dans la pléthorique production de la bande-dessinée, tout de même un indice pouvait nous alerter que « Dent d'ours » était à ranger dans cette catégorie, le nom de son scénariste, Yann déjà l'auteur de Mezek  dont je vous ai parlé récemment, avec laquelle cet album n'est pas sans points communs puisque l'aviation y tient un rôle central.

  

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Avec « Dent d'ours » nous sommes en Silésie (Pologne) en 1930. Une région autrefois indépendante, avant d’être annexée par la Pologne, puis par l’Allemagne nazie. Hitler n'a pas encore envahi cette province que se partage l'Allemagne et la Pologne mais le nazisme y est déjà présent. Trois amis inséparables d'une dizaine d'années, une fille Hanna et deux garçons, Max et Werner, n'ont qu'une passion l'aviation. Bientôt faire voler des maquettes de planeurs en bois ne leurs suffit plus. Il veulent voler pour de vrai; mais pour cela il faut s'inscrire à l'école de pilotage de leur contrée. Elle est tenue par des nazis allemands et la condition pour espérer piloter est de s'inscrire aux Jeunesses Hitlériennes mais Max est juif...

1944, sur un porte-avion américain Max est pilote. Avec sa famille il a émigré aux Etats-Unis en 1935. Il est désormais un as de l'aéro-naval américaine avec plusieurs avions ennemis abattus à son actif mais soudain à cause d'une photo sur un vieux magazine allemand les autorités américaines le soupçonne d'être un espions allemand.

J'ai triché en remettant l'intrigue, que je ne dévoile que partiellement, dans l'ordre chronologique car elle ne nous apparaît pas ainsi dans le livre qui commence par une époustouflante scène d'attaque de Kamikazes en octobre 1944 ayant pour cible le porte avion sur lequel est embarqué Max, la dent d'ours est le porte bonheur du jeune homme. Max dans les pages suivantes se remémore son enfance en Silésie dans les rares moments de quiétude que lui laisse sa vie agitée...

Le scénario est passionnant, la fin de l'album laisse le lecteur en plein suspense; un deuxième tome qui devrait clore l'aventure est annoncé. L'alternance entre le présent de l'aventure, fin 1944, et les épisodes de l'enfance du héros sert le récit et ne paraît jamais un artifice scénaristique.

  

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Yann s'est inspiré plus ou moins de personnages réels << Pour Max, je ne suis pas inspiré d’un personnage historique précis. Mais il représente tous ces pilotes polonais qui, pour fuir les persécutions nazies, étaient partis en Angleterre ou en Amérique afin de s’engager dans l’armée de l’air. Max se retrouvera ainsi aux commandes d’un Corsair plutôt que d’un Messerschmitt ! Dent d’ours racontera toutefois comment sa nationalité polonaise lui vaudra bien des ennuis auprès de ses collègues américains (…) Pour écrire Dent d’ours je me suis donc totalement immergé dans les années quarante. J’ai voulu tout savoir : comment les gens s’habillaient, ce qu’ils lisaient, mangeaient, de quoi ils riaient ou s’indignaient. J’ai également veillé à faire parler Max ou Hanna avec des expressions de leur époque, et pas celles d’aujourd’hui. Pour réaliser ce gros travail, je me suis plongé dans ma bibliothèque, picorant un peu partout dans les centaines de bouquins consacrés à la Seconde Guerre mondiale que je possède. >>. En ce qui concerne Hanna, les dernières pages de l'album font penser qu'elle a bien des ressemblances avec Hanna Reich qui en1942 vola à Augsbourg sur le premier avion fusée au monde, le Messerschmitt Me 163 Komet. Ce qui lui valut d'être décorée de la croix de fer de première classe...

Si le scénario, à la fois dense et limpide, est digne de tous les éloges, le dessin de Henriet est quant à lui une merveille. Il faut ajouter pour que la réussite soit complète le talent de la coloriste, Usagi, qui parvient en cassant légèrement les couleurs dans les séquences se déroulant en 1930, retrouvant d'ailleurs dans celles-ci les couleurs des illustrés de ces années là, a nous suggérer que nous ne sommes pas en 1944. Henriet également change subtilement son trait pour les épisodes du passé de Max, il dessine un peu ses garçons comme les croquait le Joubert d'avant guerre. La mise en page de chaque planche est étudiée et bien adaptée à l'action qui s'y déroule, des petites cases pour les passages dialogués et de beaucoup plus grandes, parfois à fond perdu pour les épisode de batailles aériennes dans lesquelles Henriet montre qu'il est aussi à l'aise pour dessiner les machines volantes que les frimousse de ses chenapans…

  

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Tout comme Mezek, je ne voudrais pas que « Dent d'ours » vous apparaissent comme un album d'aviation (genre qui connait un surprenant revival) de plus. C'est beaucoup plus que cela, Une histoire de guerre certes mais qui parle aussi de jeunesse, thème récurent chez Yann, d’amitié, d’amour et d’espionnage,même si en observant bien chaque appareil qu'Henriet a dessiné ont est estomaqué par la qualité et l'exactitude du dessin. Il reconnaît sans barguigner qu'il a pris conseil auprès de spécialistes de l'armement. En étudiant les documents qui lui ont été utile pour réaliser telle ou telle case, Henriet est arrivée à cette intéressante observation: << En explorant la documentation de l’époque, on s’aperçoit à quel point les engins étaient beaux. Les objets également. Il y a une forme d’esthétisme dans beaucoup de choses de l’époque. Selon moi, les années trente à cinquante sont esthétiquement très belles. Je trouve d’ailleurs personnellement que le Corsair et le Liberator B-24 présents dans ce premier tome sont très jolis. >>. Remarque à laquelle j'adhère complètement.

Enfin il faut saluer la qualité de l'impression sur un beau papier avec un format un peu plus grand que celui dans lequel on avait pu découvrir cette histoire dans les pages de l'hebdomadaire Spirou. Dupuis a fait un beau travail d'édition en ajoutant aux planches une interview de Yann illustrée de quelques dessins préparatoire 

  

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A relire quelquefois mes billets, notamment ceux sur la B.D. Par exemple je m'aperçois que je m'y montre souvent enthousiaste; je ne voudrais que vous croyez que je pèche par excès de laxisme, c'est tout simplement que je préfère écrire sur ce que j'aime plutôt que sur ce que je déteste ou qui me laisse indifférent. L'espoir de faire partager mes heureuses découvertes est le moteur principal de ce blog. Alors dans le cas présent n'hésitez pas à vous envolez avec Max si vous aimez la bande dessinée, l'Histoire ou le dessin.

  

  

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25 novembre 2021

Case en exergue, Macherot

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24 novembre 2021

Le dernier Espadon par Jean van Hamme, Peu Berserik et Peter van Dongen

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Avec la régularité des sorties d'un coucou suisse, chaque année, entre Halloween et Noël paraît un nouvel album de Blake et Mortimer. Si lors du rachat, l’éditeur disait que le but n’était pas de faire un album tous les ans parce que s'était matériellement impossible, il a vite trouvé la parade en faisant travailler 2 puis 3 équipes en parallèle. Cette année c'est le dernier Espadon". Au scénario, il y a Jean Van Hamme qui a eu le courage avec Ted Benoit de relancer, avec "L'affaire Blake", la série avec talent. Au dessin, il y a le duo néerlandais Peter Van Dongen et Teun Berserik qui ont déjà œuvré sur le diptyque « La vallée des immortels ».

 

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Je ne m'étendrais pas sur le dessin car dans le genre il est presque parfait et est le meilleur des successeurs de Jacobs. De surcroit il bénéficie d'une mise en couleur avec des tons sourds très élégante; bravo à Peter van Dongen, l'un des deux dessinateurs; comme quoi on est jamais aussi bien servi que par soit même.

En revanche si le scénario offre une lecture où j'ai retrouvé l'impatience que j'avait à tourner les pages des albums de Jacobs lorsque j'étais adolescent, il offre quelques angles à la critique. 

Dans cet album, le capitaine Blake doit déjouer un complot de l’IRA associé à des Allemands nazis revanchards pendant que le professeur Mortimer va chercher au Makran les 5 Espadons rescapés pour les ramener en Angleterre. Les deux héros ne vont pas se côtoyer beaucoup au fil des pages. 

Mais peut être est-il nécessaire avant toute chose de revenir aux sources de l'Espadon. En 1946, Edgar P. Jacobs, alors 39 ans aux prunes, imagine dans cette immédiate après guerre une uchronie où les Anglais sauvent le monde grâce à deux de leurs intrépides citoyens : le Gallois Blake, Captain au MI5, le contre-espionnage britannique, et l’Écossais Mortimer, un savant hyperdoué qui invente L’Espadon, un avion submersible (préfiguration de celui que l’on voit dans un récent James Bond) capable d’envoyer des missiles nucléaires au besoin.

 

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Bizarre d’ailleurs ce monde libre sans les Américains* mais avec ce colonel Olrik, homme-lige des « Jaunes », qui porte sur sa coiffe militaire une étoile de David rouge que certains ont vu comme le symbole du judéo-bolchévisme! Ce symbole serait-il de la part de Jacobs une réminiscence de la lecture d'une BD "Vers les Mondes inconnus" de Liquois parue quelques années auparavant dans un illustré de l’Occupation Le Téméraire ? Le Téméraire surnommé par l’historien Pascal Ory « Le petit nazi illustré »! S'il y a réminiscence d'une ancienne lecture chez Jacobs cela ne fait en rien de lui un néonazi comme le suggérait stupidement avec malignité Emmanuel Todd, rendant compte du livre de Pascal Ory en 1980 dans "Le monde". Il diffamait ainsi Jacobs et pour faire bonne mesure lui adjoignait Jacques Martin. Ce dernier obtiendra un droit de  réponse dans "La Monde"!

Alors que Jacobs avec "Le rayon  U" a fait un à la manière de. On peut presque parler de "pillage" de Liquois dans son  "Vers les mondes inconnus" qui reprend à l’identique des décors et images de Flash Gordon.

 

 

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Petit apparté sur le dessinateur d'Auguste Liquois (1902-1969): En 1936, il adhère au Part communiste et participe à la fondation du Syndicat des dessinateurs de journaux (SDJ), créé par Jacques Lechantre, Pierre Farinole, Jean Bellus. Le SDJ œuvrait pour que les dessinateurs de presse bénéficient de la loi de mars 1935 sur le statut des journalistes, qui leur procurait un certain nombre d'avantages. Auguste Liquois y était responsable des journaux d’enfants. Pendant l'occupation, il collabore aux journaux les Cahiers d'Ulysse, Le téméraire et Le Mérinos. Il publie dans ce dernier périodique, sous le pseudonyme de Robert Ducte, un récit où l'héroïne, est victime des maquisards. Inquiété à la Libération comme tous les autres collaborateurs du journal Le Téméraire, il bénéficie au procès d'un non-lieu. En 1945 il ressuscite la SDJ qui devient SDJE qui regroupe la plupart des dessinateurs de presse enfantine. Il en démissionne en 1947. Toujours en 1945, il rejoint l'hebdomadaire communiste Vaillant  et y dessine Fifi, gars du maquis. La même année, il illustre La Vie du colonel Fabien. Edifiante cette trajectoire...Mais il faut bien reconnaitre que ce champion du virage à 180° était loin d'être dénué de talent.

 

 

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Vers les mondes inconnus de Liquois

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couverture du Téméraire due à Liquois

 

 

Dans "Le secret de l'Espadon", dont la lecture est conseillée mais non indispensable avant d'attaquer celle du dernier opus jacobsien, on trouvera la même étoile de David rouge que porte Olrik   les tanks et les fusées de l’envahisseur jaune... Trait antisémite ? Sans doute pas, mais un amalgame de tous les ennemis qui menacent alors l’empire britannique : les Sionistes de Ben Gourion en Israël, les Chinois face à Hong Kong, et les Communistes de Staline au Moyen-Orient ou dans le sous-continent indien.

 

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Avec "Le dernier Espadon" Nous sommes dans ce nouvel épisode en 1948, d'après Jean van Hamme, le scénariste de l'album. Nos deux comparses se remettent au service de sa majesté pour déjouer un complot fomenté par… des membres de l’IRA contre la couronne britannique, lesquels ont fait appel à un ancien nazi pour mener l’opération. Concernant cette alliance étrange, un astérisque pourrait renvoyer à une note en bas de page indiquant qu’elle est « authentique ». Durant la Seconde Guerre, les agents allemands Henry Obed, Herbert, Tributhet et Otto Dietergaertner ont effectivement mené un tel projet visant Buckingham Palace. Il faut se souvenir que la République irlandaise, pays neutre durant toute la guerre, même lorsque les USA entrèrent en guerre en 1941, autorisait le survol de son territoire par les avions militaires allemands et que les navires de guerre et les sous-marins allemands ont pu croiser dans les eaux irlandaises durant tout le deuxième conflit mondial. Dublin était un nid d’espions de l’Abwher. Fondée en 1937, l’Irlande fut le seul « Dominion » du Commonwealth britannique à ne pas approuver la déclaration de guerre à l’Allemagne et le dernier pays du monde à rompre ses relations diplomatiques avec le gouvernement nazi, envoyant même des condoléances au pays à la mort d’Adolf Hitler! Il ne faudrait pas oublier non plus que si l'IRA pactisait avec les nazi, 70 000 volontaires irlandais se sont battus aux cotés des alliés...

 

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 Jacobs fait une apparition à la Hitchcock' sous le crayon de Teun Berserik dans l'album

 

Revenons à la problématique chronologie des aventures de Blake et Mortimer et à mon sens à l'erreur de vouloir en faire un continuum  cohérent et surtout de vouloir les insérer dans l'Histoire réelle et non considérer que tout cela se déroule dans un temps parallèle, soit une achronie. La guerre avec l'Empire jaune ayant selon Sente démarré en septembre 1946 (voir "Le bâton de Plutarque" page 63) celle-ci vient de se terminer et, au lieu de poursuivre la construction en série d'une arme qui vient de permettre de vaincre Basam-Damdu et donne à l'Angleterre et ses alliés une suprématie militaire absolue, on en garde seulement cinq exemplaires (pour des musées ?) entreposés dans une base secrète située au.... Pakistan!. Car pendant que se déroulait la 3ème guerre mondiale, ou aussitôt après, l'Inde est parvenue à l'indépendance et la partition en deux pays distincts (et antagonistes) a bien eu lieu et l'Angleterre choisit de maintenir l'espadon sur le territoire de la plus instable des deux ,au Pakistan, dans une "base secrète" !! Au fait, la première guerre entre le Pakistan et l'Inde (1947-1948) a-t-elle bien eu lieu dans ce contexte historique qui nage en pleine fiction ?

 

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Les conséquences pour les aventures de Blake et Mortimer d'un contexte historique auquel on s'efforcerait d'intégrer celles de l'histoire contée dans Le Secret de l'Espadon sont innombrables et c'est bien pour çà que Jacobs s'en était affranchi en y renonçant purement et simplement, ayant eu la grande sagesse, à partir de La Marque Jaune, de faire comme-ci Le Secret de l'Espadon n'avait jamais existé et n'avait été qu'une pure et simple et exceptionnelle achronie. Vous me rétorquerez que ces extravagances historiques ne prive pas le lecteur de prendre beaucoup de plaisir à cette histoire toute à la gloire de la monarchie anglaise. 

 

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Le début de l’histoire est prenant, avec des clins d’œil en pagaille à l’histoire prépubliée dans le journal Tintin 75 ans plus tôt, histoire de se faire une légitimité, et de bien comprendre que c’est une suite. Le scénario offre d'habiles prétextes pour effectuer un pèlerinage sur les lieux et les personnages jacobsiens du Secret de l'Espadon. Nasir obtient un premier rôle dans cette aventure. L’apparition des Espadons sur des chariots au début de l’histoire, nous rappelle que c’est un engin amphibie. Il y a aussi quelques allusions pour dire que l’histoire se déroule après « La vallée des Immortels ». Le lecteur est prévenu, dans l’ordre de lecture des albums, il y a « Le secret de l’Espadon », « La vallée des immortels » et « Le dernier Espadon », avant « Le mystère de la grande pyramide ». La seule chose qui m'a véritablement gêné dans cette aventure c'est la complaisance à la violence violence comme les balles qui traversent les corps avec un jet sanglant. Il y a un nombre de morts complètement inédit dans la saga Blake et Mortimer. Sans doute pour contrebalancer cette dureté du récit van Hamme y insuffle un peu d'humour assez bien intégré à l'histoire.

En exemple ce savoureux dialogue

- Votre dîner est servi, Gentlemen.
- Merci, James, nous arrivons. Je parie que c’est le jour du roastbeef trop cuit. Avec le kidney pie et l’agneau à la menthe, c’est la seule chose qu’ils savent faire ici. Vous ne pensez pas que vous devriez changer de club, Francis ?
- Tous les clubs de Londres ont le même menu, Philip.
- C’est le conservatisme anglais. Une chose que le demi-Écossais que vous êtes devrait comprendre à moitié.
- Parce que vous, le Gallois pur jus, le comprenez à cent pour cent ? (p. 9)

 

J'insiste sur savoureux car le belge van Hamme est assez mal placé pour se gausser de la cuisine anglaise . Il est beaucoup plus facile de bien manger (mais certes plus cher) à Londres qu'à Bruxelles et le kidney pie peut être excellent.

 

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Le scénario ose une allusion à une éventuelle homosexualité des deux héros parfois évoquée par ceux qui voient des pédés partout. Autre audace celle de donner un rôle non négligeable (et un peu libertin) à une femme forte... 

Van Hamme réussit aussi à faire le lien avec d'autres albums de la série ainsi on comprend pourquoi Nasir de valeureux combattant se retrouve butler chez Mortimer. On assiste aussi aux débuts de Honeychurch en tant que stagiaire...

Damned, encore une fois raté à se hisser à la hauteur de Jacobs, surtout à cause du final trop enfantin, mais à l'impossible nul n'est tenu, et ce dernier Espadon est tout de même un bon moment de lecture. Il reste qu'à attendre le prochain Halloween...

 

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Nota:

* On retrouve cette étrange configuration géopolitique dans la B.D. britannique: ROYAL SPACE FORCE DE WARREN ELLIS ET CHRIS WESTON

 

Pour retrouver Blake et Mortimer sur le blog:

 

 

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