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Dans les diagonales du temps
24 novembre 2021

Le dernier Espadon par Jean van Hamme, Peu Berserik et Peter van Dongen

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Avec la régularité des sorties d'un coucou suisse, chaque année, entre Halloween et Noël paraît un nouvel album de Blake et Mortimer. Si lors du rachat, l’éditeur disait que le but n’était pas de faire un album tous les ans parce que s'était matériellement impossible, il a vite trouvé la parade en faisant travailler 2 puis 3 équipes en parallèle. Cette année c'est le dernier Espadon". Au scénario, il y a Jean Van Hamme qui a eu le courage avec Ted Benoit de relancer, avec "L'affaire Blake", la série avec talent. Au dessin, il y a le duo néerlandais Peter Van Dongen et Teun Berserik qui ont déjà œuvré sur le diptyque « La vallée des immortels ».

 

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Je ne m'étendrais pas sur le dessin car dans le genre il est presque parfait et est le meilleur des successeurs de Jacobs. De surcroit il bénéficie d'une mise en couleur avec des tons sourds très élégante; bravo à Peter van Dongen, l'un des deux dessinateurs; comme quoi on est jamais aussi bien servi que par soit même.

En revanche si le scénario offre une lecture où j'ai retrouvé l'impatience que j'avait à tourner les pages des albums de Jacobs lorsque j'étais adolescent, il offre quelques angles à la critique. 

Dans cet album, le capitaine Blake doit déjouer un complot de l’IRA associé à des Allemands nazis revanchards pendant que le professeur Mortimer va chercher au Makran les 5 Espadons rescapés pour les ramener en Angleterre. Les deux héros ne vont pas se côtoyer beaucoup au fil des pages. 

Mais peut être est-il nécessaire avant toute chose de revenir aux sources de l'Espadon. En 1946, Edgar P. Jacobs, alors 39 ans aux prunes, imagine dans cette immédiate après guerre une uchronie où les Anglais sauvent le monde grâce à deux de leurs intrépides citoyens : le Gallois Blake, Captain au MI5, le contre-espionnage britannique, et l’Écossais Mortimer, un savant hyperdoué qui invente L’Espadon, un avion submersible (préfiguration de celui que l’on voit dans un récent James Bond) capable d’envoyer des missiles nucléaires au besoin.

 

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Bizarre d’ailleurs ce monde libre sans les Américains* mais avec ce colonel Olrik, homme-lige des « Jaunes », qui porte sur sa coiffe militaire une étoile de David rouge que certains ont vu comme le symbole du judéo-bolchévisme! Ce symbole serait-il de la part de Jacobs une réminiscence de la lecture d'une BD "Vers les Mondes inconnus" de Liquois parue quelques années auparavant dans un illustré de l’Occupation Le Téméraire ? Le Téméraire surnommé par l’historien Pascal Ory « Le petit nazi illustré »! S'il y a réminiscence d'une ancienne lecture chez Jacobs cela ne fait en rien de lui un néonazi comme le suggérait stupidement avec malignité Emmanuel Todd, rendant compte du livre de Pascal Ory en 1980 dans "Le monde". Il diffamait ainsi Jacobs et pour faire bonne mesure lui adjoignait Jacques Martin. Ce dernier obtiendra un droit de  réponse dans "La Monde"!

Alors que Jacobs avec "Le rayon  U" a fait un à la manière de. On peut presque parler de "pillage" de Liquois dans son  "Vers les mondes inconnus" qui reprend à l’identique des décors et images de Flash Gordon.

 

 

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Petit apparté sur le dessinateur d'Auguste Liquois (1902-1969): En 1936, il adhère au Part communiste et participe à la fondation du Syndicat des dessinateurs de journaux (SDJ), créé par Jacques Lechantre, Pierre Farinole, Jean Bellus. Le SDJ œuvrait pour que les dessinateurs de presse bénéficient de la loi de mars 1935 sur le statut des journalistes, qui leur procurait un certain nombre d'avantages. Auguste Liquois y était responsable des journaux d’enfants. Pendant l'occupation, il collabore aux journaux les Cahiers d'Ulysse, Le téméraire et Le Mérinos. Il publie dans ce dernier périodique, sous le pseudonyme de Robert Ducte, un récit où l'héroïne, est victime des maquisards. Inquiété à la Libération comme tous les autres collaborateurs du journal Le Téméraire, il bénéficie au procès d'un non-lieu. En 1945 il ressuscite la SDJ qui devient SDJE qui regroupe la plupart des dessinateurs de presse enfantine. Il en démissionne en 1947. Toujours en 1945, il rejoint l'hebdomadaire communiste Vaillant  et y dessine Fifi, gars du maquis. La même année, il illustre La Vie du colonel Fabien. Edifiante cette trajectoire...Mais il faut bien reconnaitre que ce champion du virage à 180° était loin d'être dénué de talent.

 

 

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Vers les mondes inconnus de Liquois

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couverture du Téméraire due à Liquois

 

 

Dans "Le secret de l'Espadon", dont la lecture est conseillée mais non indispensable avant d'attaquer celle du dernier opus jacobsien, on trouvera la même étoile de David rouge que porte Olrik   les tanks et les fusées de l’envahisseur jaune... Trait antisémite ? Sans doute pas, mais un amalgame de tous les ennemis qui menacent alors l’empire britannique : les Sionistes de Ben Gourion en Israël, les Chinois face à Hong Kong, et les Communistes de Staline au Moyen-Orient ou dans le sous-continent indien.

 

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Avec "Le dernier Espadon" Nous sommes dans ce nouvel épisode en 1948, d'après Jean van Hamme, le scénariste de l'album. Nos deux comparses se remettent au service de sa majesté pour déjouer un complot fomenté par… des membres de l’IRA contre la couronne britannique, lesquels ont fait appel à un ancien nazi pour mener l’opération. Concernant cette alliance étrange, un astérisque pourrait renvoyer à une note en bas de page indiquant qu’elle est « authentique ». Durant la Seconde Guerre, les agents allemands Henry Obed, Herbert, Tributhet et Otto Dietergaertner ont effectivement mené un tel projet visant Buckingham Palace. Il faut se souvenir que la République irlandaise, pays neutre durant toute la guerre, même lorsque les USA entrèrent en guerre en 1941, autorisait le survol de son territoire par les avions militaires allemands et que les navires de guerre et les sous-marins allemands ont pu croiser dans les eaux irlandaises durant tout le deuxième conflit mondial. Dublin était un nid d’espions de l’Abwher. Fondée en 1937, l’Irlande fut le seul « Dominion » du Commonwealth britannique à ne pas approuver la déclaration de guerre à l’Allemagne et le dernier pays du monde à rompre ses relations diplomatiques avec le gouvernement nazi, envoyant même des condoléances au pays à la mort d’Adolf Hitler! Il ne faudrait pas oublier non plus que si l'IRA pactisait avec les nazi, 70 000 volontaires irlandais se sont battus aux cotés des alliés...

 

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 Jacobs fait une apparition à la Hitchcock' sous le crayon de Teun Berserik dans l'album

 

Revenons à la problématique chronologie des aventures de Blake et Mortimer et à mon sens à l'erreur de vouloir en faire un continuum  cohérent et surtout de vouloir les insérer dans l'Histoire réelle et non considérer que tout cela se déroule dans un temps parallèle, soit une achronie. La guerre avec l'Empire jaune ayant selon Sente démarré en septembre 1946 (voir "Le bâton de Plutarque" page 63) celle-ci vient de se terminer et, au lieu de poursuivre la construction en série d'une arme qui vient de permettre de vaincre Basam-Damdu et donne à l'Angleterre et ses alliés une suprématie militaire absolue, on en garde seulement cinq exemplaires (pour des musées ?) entreposés dans une base secrète située au.... Pakistan!. Car pendant que se déroulait la 3ème guerre mondiale, ou aussitôt après, l'Inde est parvenue à l'indépendance et la partition en deux pays distincts (et antagonistes) a bien eu lieu et l'Angleterre choisit de maintenir l'espadon sur le territoire de la plus instable des deux ,au Pakistan, dans une "base secrète" !! Au fait, la première guerre entre le Pakistan et l'Inde (1947-1948) a-t-elle bien eu lieu dans ce contexte historique qui nage en pleine fiction ?

 

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Les conséquences pour les aventures de Blake et Mortimer d'un contexte historique auquel on s'efforcerait d'intégrer celles de l'histoire contée dans Le Secret de l'Espadon sont innombrables et c'est bien pour çà que Jacobs s'en était affranchi en y renonçant purement et simplement, ayant eu la grande sagesse, à partir de La Marque Jaune, de faire comme-ci Le Secret de l'Espadon n'avait jamais existé et n'avait été qu'une pure et simple et exceptionnelle achronie. Vous me rétorquerez que ces extravagances historiques ne prive pas le lecteur de prendre beaucoup de plaisir à cette histoire toute à la gloire de la monarchie anglaise. 

 

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Le début de l’histoire est prenant, avec des clins d’œil en pagaille à l’histoire prépubliée dans le journal Tintin 75 ans plus tôt, histoire de se faire une légitimité, et de bien comprendre que c’est une suite. Le scénario offre d'habiles prétextes pour effectuer un pèlerinage sur les lieux et les personnages jacobsiens du Secret de l'Espadon. Nasir obtient un premier rôle dans cette aventure. L’apparition des Espadons sur des chariots au début de l’histoire, nous rappelle que c’est un engin amphibie. Il y a aussi quelques allusions pour dire que l’histoire se déroule après « La vallée des Immortels ». Le lecteur est prévenu, dans l’ordre de lecture des albums, il y a « Le secret de l’Espadon », « La vallée des immortels » et « Le dernier Espadon », avant « Le mystère de la grande pyramide ». La seule chose qui m'a véritablement gêné dans cette aventure c'est la complaisance à la violence violence comme les balles qui traversent les corps avec un jet sanglant. Il y a un nombre de morts complètement inédit dans la saga Blake et Mortimer. Sans doute pour contrebalancer cette dureté du récit van Hamme y insuffle un peu d'humour assez bien intégré à l'histoire.

En exemple ce savoureux dialogue

- Votre dîner est servi, Gentlemen.
- Merci, James, nous arrivons. Je parie que c’est le jour du roastbeef trop cuit. Avec le kidney pie et l’agneau à la menthe, c’est la seule chose qu’ils savent faire ici. Vous ne pensez pas que vous devriez changer de club, Francis ?
- Tous les clubs de Londres ont le même menu, Philip.
- C’est le conservatisme anglais. Une chose que le demi-Écossais que vous êtes devrait comprendre à moitié.
- Parce que vous, le Gallois pur jus, le comprenez à cent pour cent ? (p. 9)

 

J'insiste sur savoureux car le belge van Hamme est assez mal placé pour se gausser de la cuisine anglaise . Il est beaucoup plus facile de bien manger (mais certes plus cher) à Londres qu'à Bruxelles et le kidney pie peut être excellent.

 

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Le scénario ose une allusion à une éventuelle homosexualité des deux héros parfois évoquée par ceux qui voient des pédés partout. Autre audace celle de donner un rôle non négligeable (et un peu libertin) à une femme forte... 

Van Hamme réussit aussi à faire le lien avec d'autres albums de la série ainsi on comprend pourquoi Nasir de valeureux combattant se retrouve butler chez Mortimer. On assiste aussi aux débuts de Honeychurch en tant que stagiaire...

Damned, encore une fois raté à se hisser à la hauteur de Jacobs, surtout à cause du final trop enfantin, mais à l'impossible nul n'est tenu, et ce dernier Espadon est tout de même un bon moment de lecture. Il reste qu'à attendre le prochain Halloween...

 

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Nota:

* On retrouve cette étrange configuration géopolitique dans la B.D. britannique: ROYAL SPACE FORCE DE WARREN ELLIS ET CHRIS WESTON

 

Pour retrouver Blake et Mortimer sur le blog:

 

 

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