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Dans les diagonales du temps
31 décembre 2022

Hommage à Michel Gourlier

 Jean Claude Feray étant malheureusement décédé récemment, de peur que ce bel hommage disparaisse, je me suis permis de le reproduire sur mon blog.

B.A

 

Michel Pierre Alfred Gourlier est né le 3 janvier 1925 à Grenoble, où son père, Julien Gourlier travaillait comme ingénieur au sein de l’entreprise Neyrpic – une entreprise historique, reprise par Alsthom, qui a fourni aux barrages hydro-électriques français leurs turbines. Julien Gourlier devint l’un des directeurs de Neyrpic.

Originaire de Liernolles, dans l’Allier, Julien Pierre Gourlier avait épousé à Grenoble le 7 avril 1921, à l’âge de 29 ans, Aimée Marie Françoise Fanny Tournier, native d’Orléans et alors âgée de 27 ans. Le couple a eu huit enfants, quatre filles et quatre garçons, Michel Gourlier, deuxième fils, occupant le troisième rang.

Grâce essentiellement à la profession paternelle, mais aussi à l’héritage du grand-père Etienne Gourlier, propriétaire meunier, la famille était aisée et possédait outre un moulin, deux fermes et des vignes.

Vers 1950, la famille s’est installée à Asnières, ce qui a permis à Michel d’effectuer des études aux Beaux-Arts, contrariant le souhait paternel qui aurait aimé voir ses fils se lancer dans des études d’ingénieur.

Nous aurons sans doute l’occasion de fournir d’autres détails biographiques ultérieurement, en revenant sur l’œuvre de Michel Gourlier. Le présent bulletin va essayer de tirer quelques données de ses illustrations : part importante de son œuvre d’artiste, le travail de Michel Gourlier comme illustrateur offre l’intérêt insigne de permettre de suivre l’évolution de son style avec une précision chronologique qui nous échapperait sans ces repères.

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Illustration pour Joâo de Tintubal, roman de Jacqueline Cervon (Magnard, 1974)

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« Autoportrait » de Michel Gourlier réalisé à partir d’une photo de lui à 12 ans (coll. part.)

 

Cet examen chronologique démontre combien le travail et la recherche stylistique sont nécessaires à la progression de certains grands artistes. Gourlier, en effet, ne se distingue guère, à ses débuts, de ses collègues illustrateurs « tout venants » : un étudiant des Beaux-Arts identifierait aisément, dans les couvertures de romans illustrés par Gourlier au cours de la première décennie de sa vie artistique (laquelle débute en 1954), quelques maladresses, amendées ultérieurement par le travail. Citons, à titre d’exemples pour cette « période débutante » : Port des Brumes (1955) ; Terre des ombres (1957), Les loups sortent en hiver (1957).

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Par ailleurs, la relative abondance des parutions durant cette décennie nous permettent d’y déceler des « tendances » dans l’ordre du style personnel. Pour être plus précis, il est possible de repérer les détails que l’artiste s’est appliqué à perfectionner.

Le regard des adolescents

Ainsi, on se rend compte que les yeux des garçons ont fait l’objet d’une attention et d’un soin particuliers. Michel Gourlier a cherché à donner au regard de ses adolescents une profondeur, un charme mystérieux, une sorte de langueur qui vont progresser et s’affirmer dans les visages en couverture de Didier, mon ami (1976) du Fils du planteur (1976) par exemple, pour culminer avec le Sorcier aux yeux bleus (1978) ou de La couronne de pierres (1980). Sur cette couverture ainsi que sur la dernière œuvre qu’il a illustrée [La Blanche (1982)] Gourlier a livré des commentaires qu’on pourra lire plus bas.

 

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1976
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1976
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1978
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1980

Des « étapes » ou des « paliers » de progression vers cette réussite dans la peinture des regards adolescents peuvent être décelés en examinant les couvertures de Norr, le Mystérieux (1958), de Giovanni et le bouvreuil (1963) ou du Naufragé du « Nelson » (1967) par exemple.

 

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1958
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1963
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1967

 

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En ce qui concerne la chevelure, le goûts de Michel Gourlier ont accompagné la mode que ses modèles ont eux-mêmes suivie. Ainsi, l’un des garçons de La Cité des nombres (1958) ou celui de La Fuite du commandeur (1960) sont représentés avec la « coiffure banane » mise en vogue par Elvis Presley.

 

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1958
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 1960

L’apparition, au cours des années 60, du port des cheveux longs pour les hommes (que l’on a qualifié, à l’époque, de « coiffure à la Beatles » en raison du rôle du groupe britannique dans le lancement de cette mode), a donné les plus beaux dessins de Michel Gourlier, ceux qui sont passés, en fin de compte, comme les plus caractéristiques de son style. C’est le cas non seulement pour ses illustrations, mais surtout pour les portraits qu’il a exécutés et qui sont aujourd’hui dans des collections privées. Le plus souvent, les cheveux non coiffés, voire ébouriffés (ex. : Les garçons sous la lande (1974) ; L’intrus (1973) ; Hier, la liberté (1976)], forment une sorte de casque ou d’auréole autour de la tête.

À noter que, sous les crayons de Gourlier, cette coiffure reste celle de personnages d’époques historiques révolues [Le Dieu du Nil (1976) ; Les douze corbeaux (1973)] ou appartenant à d’autres cultures [Les Baladins d’Anatolie (1971)] ou encore relevant à la fois d’une autre époque et d’une culture voisine comme la Rome antique [La dernière charge (1963)].

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« Vous devez vous poser la question – m’écrivait-il en septembre 2013 – pourquoi ont-ils tous les cheveux mi-longs balayant leur front et parfois leurs yeux insondables ? C’est très simple. À l’époque, un grand nombre d’entre eux étaient coiffés ainsi cachant souvent la profondeur secrète des yeux. »

Il est clair que « l’autoportrait » que Michel Gourlier a réalisé d’après une photo de lui à douze ans est retouché au moins au niveau de la coiffure. En 1937, année de ses 12 ans, et en général avant la Seconde Guerre mondiale, aucun adolescent français n’avait ce type de coiffure. Les établissements d’enseignement publics ou privés l’auraient-ils seulement accepté ?

On se doute que les garçons qui ont servi de modèle à l’artiste sont pour quelque chose dans sa prédilection pour ce type de coiffure. Les originaux qu’il a renoncé à brûler pour me les offrir portent quelquefois des indications sur le modèle, inscrits au dos de l’œuvre : « Wilfried. Fête costumée pour l’anniversaire de ses dix ans [signé « Michel Gourlier » au recto et au verso] » ; « Ortwin. Marienbad (Autriche) [information répétée sur une bande auto-adhésive blanche qui masque des mots rayés] » ; « Emmanuel à 12 ans. 1988 [suivis de 2 mots rayés] » ; l’un des originaux porte le nom complet d’un jeune Américain suivi de plusieurs chiffres dont l’un signale sans doute l’année 1970.

Il semble cependant que Gourlier ait eu un modèle préféré, Jory, élevé au-dessus de tous les autres. Il s’agit-là d’une confidence qu’il n’a confiée qu’à de très rares privilégiés.

Parcelles du jardin secret de Michel Gourlier

Voici ce qu’à l’âge de 88 ans, il écrivit à un ami très cher, quatre jours avant Noël 2013 :

« Alors que dans quelques jours un Autre Enfant va naître, je songe à la poésie mystérieuse de Jory, où tout rayonnait de beauté, dans les yeux, dans le visage, dans les gestes et les attitudes, dans la liberté végétale des cheveux qui parfois cachaient le regard [...] Il avait une âme, toute en intériorité, en pudeur, en pureté, une beauté sereine, qui est celle de la beauté intérieure, de la contemplation, de la prière aussi.

Mes dessins avaient pour point de départ le portrait de Jory, l’enfant sage, qui partage encore aujourd’hui son rayonnement intérieur, son innocence, le fond de son âme avec ceux qui regardent mes dessins. Par ces dessins il est si présent, si beau, si réel, on peut presque deviner sa voix et la manière dont il bouge et se déplace.

Cet enfant se repliait en soi, « là où ne vont pas les autres » : ce qui frappait chez lui c’était ses émotions et ses sentiments où se mêlaient douceur et une secrète douleur. Il ne se dépliait jamais et, presque toujours, il était impossible aux autres de forcer jamais son mystère. Quand on l’importunait, son regard à l’expression mystérieuse se perdait vers le lointain.

Cheveux en pluie sur le front, chandail vague et culotte courte, c’était ainsi que Jory jouait à longueur de journées. »

La Tour de Treflech’s (1961) dans la revue L’Intrépide et autres jalons de la décennie 1960

Si, ignorant, pour le moment, les données
précises concernant l’influence des modèles
et notamment de Jory (sur qui il se peut que
je me penche un jour) sur les dessins de
Gourlier, on tente de situer la rencontre
cruciale entre l’artiste et son « modèle-
éternel-adolescent» en se basant sur son
œuvre, la date de l’unique bande dessinée
réalisée par Gourlier n’est guère utile. Les héros de cette BD, très réussie sur le plan graphique, ont les cheveux courts, et c’est encore le cas de beaucoup des illustrations de couvertures de la décennie 1960.

Il est certain qu’un changement (une rencontre ou un autre événement) prit place avant 1969 car on peut supposer que Jory a servi de modèle (mais est-ce la première fois ?) pour la couverture de La maison du Batiou (1969).

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Peu d’artistes sont capables de dessiner d’aussi beaux visages de garçons de face, comme celui qui figure sur cette couverture. Le visage de Jory l’enfant sage, qu’il soit peu ou prou fantasmé, se retrouve – outre la couverture de ce roman –, un peu partout dans l’œuvre ultérieure de Michel Gourlier.

Les corps : une réminiscence des peintures du palais de Cnossos ?

En ce qui concerne les corps, il semble que Michel Gourlier, après avoir tenté une représentation somme toute conventionnelle [Au vent des Caraïbes (1972) ou, ci-dessus Le Dieu du Nil (1976)] a préféré adopter un style bien à lui.

On note ainsi une tendance vers l’élongation des bustes que les garçons soient dessinés vêtus [Engoulevent (1977)] ou partiellement dévêtus, auquel cas la représentation des côtes est peu accentuée et les pectoraux à peine esquissés [L’énigme du corbeau blanc (1972) ; Les fils de la cité (1978) ; La caverne aux épaves (1977)]. Cet allongement finit par donner un caractère presque abstrait à certains dessins de Michel Gourlier encore qu’ils puissent tout aussi bien jouer sur le caractère – innocemment – érotique de la représentation, comme le suggère La caverne aux épaves (1977).

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1977 1972 1978 1977

En dépit de l’allure très stylisée de certaines couvertures comme Sévero (1978) Gourlier n’a jamais été tenté par l’abstraction pure : il l’a été en revanche par la sobriété, le dépouillement, plus aptes, par le jeu des couleurs, à donner une atmosphère poétique et mélancolique à certaines couvertures : En attendant le jour (1971) par exemple, où dominent les couleurs automnales et surtout Où es-tu, Antonio ? (1970), couverture empreinte de mélancolie : celle de l’expectative, de l’attente d’un événement ou d’un ami.

1978 1971 1970

Les dessins « érotiques » (ou sensuels) ?

Les bustes allongés des garçons dévêtus de Gourlier se retrouvent dans ses dessins communément qualifiés d’érotiques, ceux notamment du portfolio publié par ses soins en 1977 et dont l’artiste a contesté, précisément, le caractère érotique. Il est difficile de comprendre le retrait d’allure misanthropique qui caractérise Gourlier à partir du milieu de la décennie 80, mais on devine que ces dessins-là y ont joué un rôle : comme artiste hypersensible, Gourlier a reçu plusieurs blessures ; et l’une d’elles venait des amateurs d’érotisme : semblant n’apprécier que ce versant particulier de son art, ces amateurs n’avaient aucune considération pour ses autres œuvres, ce qui revenait à nier son talent. Il importe de lire l’interprétation que Gourlier donnait lui-même au sujet de ce qu’il dénonçait comme une méprise sur son art. Dans une lettre manuscrite, il me confiait, après avoir reçu mon Achille Essebac, romancier du désir dont la couverture est illustrée par Gaston Goor :

« Vous parlez d’érotisme au sujet de mes dessins. Il y a méprise. En effet j’ai sous les yeux la couverture de votre livre. Là, il s’agit bien d’un dessin érotique. Vous n’avez jamais trouvé et vous ne trouverez jamais dans mon œuvre un dessin qui s’apparente à celui-là. Mon éthique se situe à l’opposé. Ceux, nombreux, qui aiment mes dessins, les admirent pour la « grande pureté des visages et des corps ». Qu’il y ait une certaine sensualité ou une sensualité certaine dans les expressions des visages et dans les attitudes, c’est évident, et je pense que c’est en grande partie pour cette sensualité sage, propre à ces âges, qu’ils sont aimés. Et peut-être parce que personne ne traduit de façon si intérieure la beauté, la pureté et la vérité de ceux que je dessine.

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Parlant d’un garçon ressemblant à mes portraits, – surtout à celui qui revient sans cesse dans mon œuvre – on disait « c’est un petit Gourlier ». C’était avant.

La sensualité exprimée par mes dessins est le propre de beaucoup de garçons aux âges où je les dessine. Cela n’a rien à voir avec l’érotisme. Que des obsédés soient troublés devant mes dessins, c’est une autre affaire.

Les personnes dont vous me parlez, possédant le genre de dessins de la couverture ne peuvent être intéressées par mon œuvre ou plutôt par ce qu’il en reste. Elles ne trouveraient pas ce qu’elles recherchent.

J’ai fermé toutes les portes donnant accès à mon univers. Je ne les rouvrirai pas. »

Deux autres blessures

L’incompréhension du public, en particulier des lecteurs des roman Signes de piste, a occasionné une autre blessure sur laquelle Gourlier s’est aussi exprimé. Il faut savoir que les romans Signes de piste avaient deux principaux illustrateurs : Pierre Joubert et Michel Gourlier. On peut dire du talent de ces deux artistes qu’ils étaient presque complémentaires, et en tout cas très différents. À leur maturité, il est très facile d’attribuer sans erreur une couverture à l’un ou à l’autre, sans même examiner la signature. Michel Gourlier savait avoir ses propres admirateurs. Il s’appliquait, lors des rares expositions auxquelles il a participé, à étudier son public, discrètement. Mais il n’a jamais oublié un « incident » sur lequel il s’est maintes fois confié au téléphone, comme il l’a fait ici, dans une lettre manuscrite en date du 17 mai 1999 à un ami :

« On a toujours éprouvé le besoin de comparer mes dessins à ceux de Joubert, alors qu’ils n’ont rien de commun. Joubert reconnaît lui-même qu’il serait incapable de faire mes portraits.

Pour vous montrer l’état d’esprit de certains, vis-à-vis de mon œuvre, voici ce que j’ai lu sur le livre d’or de l’exposition de 1977 (album ci-joint) : “Bravo, continuez. Dans vingt ans vous arriverez peut-être à la cheville de Joubert”.

Sans commentaire ! »

Il faut se garder d’interpréter comme un signe d’immodestie ce que rapporte Gourlier des propos de son collègue Joubert. Ceux-ci sont en effet corroborés par Christian Floquet, un témoin connaissant très bien tous les acteurs importants de l’aventure Signe de piste, pour être l’héritier de Georges Ferney (alias Emmanuel Bonfilhon de Règneiris – ou plutôt de Règne-Iris) : Il cite Pierre Joubert parlant de Gourlier : « Moi je suis un artisan du dessin, lui c’est un artiste1. »

Cet hommage de Joubert ne pouvait que conforter Gourlier dans le développement de son style personnel, mais cela ne le rendait pas moins sensible aux comparaisons ineptes entre son travail et celui de l’illustrateur phare de la collection Signe de Piste.

Une autre blessure est venue d’une différence dans l’attitude des éditeurs et des directeurs de collection vis-à-vis des deux illustrateurs. Alors qu’ils acceptaient tout de Joubert, les directeurs de collection « capricieux et hypocrites » ont fait part à Gourlier de « récriminations de lecteurs », et ont exprimé des réserves puis des réticences à publier ses dessins. Michel Gourlier jugea discriminatoire cette attitude, et il faut reconnaître qu’il avait de quoi justifier un tel jugement :

« [...] un petit nombre de personnes (mais on sait que ce sont les minorités qui sont agissantes) prétendaient que mes dessins pervertissaient la jeunesse ! Ces personnes étant, je suppose, malades, refoulées ou obsédées. À titre d’exemple la librairie « Au Signe de piste » qui se trouvait derrière St Sulpice à Paris, ne mettait pas en vitrine le livre de Serge Dalens « La couronne de Pierre » (Vie de St Tarcisius) sous prétexte que la couverture représentait le très beau visage de Tarcisius était mon œuvre ! [...]

Alors que je n’illustrais plus, j’avais accepté d’illustrer ce livre par amitié pour Yves de Verdilhac (Serge Dalens), et après qu’il eut insisté longtemps me disant que j’étais le seul à pouvoir le faire sans trahir son ouvrage. Ce fut la même chose pour « La Blanche » que j’ai refusé d’illustrer jusqu’au jour où, par lassitude, j’ai fini par céder. Ce fut ma dernière illustration d’un livre. »

1 Entretien accordé par Christian Floquet à Michel Bonvalet sur le site Signe de piste : http://www.signe-de-piste.com/PBCPPlayer.asp?ID=973375

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Des données viennent compléter ce commentaire amer de Michel Gourlier sur la réception de ses couvertures : « Les Éditions du Triomphe » qui ont réédité le roman de Serge Dalens, La couronne de Pierre, n’ont pas jugé bon de reprendre l’admirable couverture de Gourlier et l’ont remplacée par une accumulation sobre de quelques symboles. Ces mêmes éditions n’ont pas hésité à réaliser une affreuse régression artistique en substituant à la couverture poétique de Gourlier pour le roman de Claude Muñoz-Pons En attendant le jour, un dessin que l’on croirait exécuté par un enfant d’école primaire.

L’adolescent, thème privilégié de l’artiste

Personne ne contestera cette évidence : le garçon, l’adolescent sont au centre de l’œuvre entière de Michel Gourlier. Mais, tout comme Pierre Joubert, Gourlier a répondu aux exigences de son travail d’illustrateur, et la gent féminine n’est par conséquent pas absente de ses dessins. On peut trouver quelques couvertures où une jeune femme occupe le premier plan, avec un compagnon [les classiques de la collection Nelson : Adolphe de Benjamin Constant, Mauprat de Georges Sand, Le Chouans de Balzac ; chez Magnard, Le regard d’argent (1964), L’Innocente (1969)] ; et d’autres, où elle figure seule : La princesse endormie ; ce Mexique dont je rêvais (1966) ou La porte interdite (1966) et parmi les classiques de la collection Nelson : Ursule Mirouet et la Maison du chat qui pelote de Balzac ; La princesse de Clèves de Mme de La Fayette ; Le docteur mystérieux et La fille du marquis d’Alexandre Dumas.

Reste que le thème central, favori de l’artiste, est l’éternel garçonnier. Guy Hocquenghem ne s’y est pas trompé, dans la critique qu’il a rédigée pour les Nouvelles littéraires à l’occasion de l’exposition Gourlier de 1977 au 90, boulevard Raspail2.

La critique de Guy Hocqueghem parue dans les Nouvelles littéraires en 1977

Au crayon, aux encres diluées, en dosant, recouvrant, mélangeant les gris et le subtil délié de la plume, Michel Gourlier rêve en dessin d’une enfance fétiche, inaltérable de minceur lisse. L’ex- dessinateur de « Signes de piste », a enfin libéré son trait des conventions scoutes : d’abord, parce qu’il traite allègrement de la charge érotique de l’enfance, nous donnant enfin le fin mot du trouble causé par l’imagerie des culottes courtes. Mais aussi, comme dans ces deux dessins qui associent au corps juvénile une tête de taureau, en montrant que le plaisir pris au dessin d’adolescent n’est pas dû au dévoilement mais à un charme composé où l’animal, la parure, tiennent leur rôle. Et surtout peut- être avec ces deux grands portraits énigmatiques qui dominent d’un regard ironique l’exposition en rendant au visage enfantin tout son sérieux et toute son ambiguïté : un hasard complice ayant voulu que les deux gamins ainsi accrochés portent le nom fantastique de John et Christopher Cameron de Foe3.

Dessins de collectionneurs d’enfance, abolissant la loi du devenir, des études parsèment les murs, qui isolent une aisselle, un ventre, une silhouette cambrée, les combinant en planches où le fouillis des lignes et la précision du regard évoquent les délires anatomiques de Tiffauges, le garagiste rapteur d’enfants dans « Le roi des Aulnes » de Tournier.

Ailleurs, une gouache enlumine dans un moyen âge déguisé des gamins en pourpoints et hauts-de- chausses. Des portraits qui pourraient être ceux des jeunes héros d’Henry James ; des dessins de collectionneurs d’enfance, abolissant la loi du devenir poilu, une adolescence dépsychologisée, rendue à son esthétisme foncier, brûlante et froide à la fois, maniérisme et provocante.

Il importe de savoir que cette critique ne déplut pas à Michel Gourlier, car il la conserva et la communiqua à l’un de ses correspondants amis.

2 Organisée, selon Bernard Alapetite, dans la galerie du sculpteur Edmond Moirignot (1913-2002). B. Alapetite dit en avoir été à l’initiative, par l’intermédiaire du frère du sculpteur, Pierre Moirignot, qu’il connaissait.
3 Qui seraient des descendants de l’auteur de Robinson Crusoë, Daniel de Foe.

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Dix ans après le film super 8 long métrage Hier, la liberté, dont certaines photos illustrent le livre publié par les éditions Alsatia, Jean-François Pays (qui avait collaboré, en 1970, avec François Truffaut pour l’Enfant sauvage), a tourné un autre film, un court métrage de 35 mm dont le scénario avait pour point de départ l’œuvre de Michel Goulier : l’Enfant de papier. Le tableau ci-contre, signé Michel Gourlier, représente l’acteur principal. Celui-ci, dans le court métrage, s’anime et quitte le tableau pour entrer dans la vie de son créateur sans que l’on sache si cette vie est réelle ou si elle n’existe que dans l’imagination de l’artiste, qui finit par payer de la sienne cette incertitude et

gagner ainsi une sorte d’immortalité.
Le film a été tourné au château de Nantouillet (un

château du XVIe siècle en Seine-et-Marne) dont les murs de la grande salle, transformée en atelier d’artiste, étaient recouverts de différentes œuvres de Goulier.

Malheureusement, le court métrage qui avait reçu le label de qualité du Centre National de la Cinématographie, n’aura été projeté qu’une seule fois, pour sa première au Marignan Champs-Élysées. Il a en effet été saisi par une décision de justice qui a suivi la faillite du producteur, en rupture de contrat avec Antenne 2 pour le tournage d’un feuilleton. Le laboratoire qui était l’un des créanciers du

producteur, et qui détenait toutes les copies du film, a fini, vingt ans plus tard, par les détruire toutes. Ainsi finit une belle aventure. Il ne subsiste plus de ce film qu’une série de photos réalisées pendant le tournage et qui sont sous copyright : elles ne peuvent donc être reproduites qu’avec

l’autorisation de Jean-François Pays.

Gourlier, semi-légendes et postérité

En annonçant sur le site Quintes-feuilles la mort de Michel Gourlier, j’avais fait état d’un pillage de sa maison pendant son hospitalisation. En vérité, il ne s’agissait pas d’un acte de vandalisme, mais d’un « cambriolage classique » rendu possible par un ouverture au premier étage, et concernant des objets de valeur de moyennes dimensions et donc facilement transportables (vaisseliers, vases, etc.). Les meubles et les tableaux accrochés au mur n’ont pas été volés. Ils ont été vendus avec la maison, les acquéreurs ayant exprimé leur grand intérêt pour l’art et les meubles anciens.

Il faut nuancer le bruit que Gourlier avait lui-même fait courir, à savoir qu’il aurait détruit toute son œuvre subsistante. D’une part, il avait préféré faire de généreux cadeaux à quelques amis des dessins ou peintures qu’il avait encore gardés pour un éventuel ultime autodafé. D’autre part, la famille détient

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toujours quelques-unes de ses œuvres, ce qui contredit aussi partiellement l’idée d’un ostracisme familial généralisé.

Que Michel Gourlier se soit enfoncé dans la solitude est aussi à nuancer : en se retirant dans la banlieue de Toulouse, il s’était détaché des milieux qu’il avait fréquentés durant sa vie professionnelle, mais ne s’était pas coupé du monde. Une sœur aînée, Denyse, a acheté avec lui et partagé sa maison rue du Pic de la Sagette, à l’Union. Après le décès de Denyse, en mai 2003, une autre sœur, Marie-Thérèse, une cadette qui avait travaillé comme clerc de notaire et habitait à Toulouse, est venue cohabiter avec lui à l’Union. Ce n’est qu’après le décès de celle-ci le 22 décembre 2014, que Michel Gourlier s’est coupé aussi des quelques amis avec qui il correspondait pour goûter aux « tristesses infinies » et aux « joies sans nombre de la solitude » selon l’expression qui clôt Dédé d’Achille Essebac.

Gourlier a aujourd’hui de nombreux admirateurs dispersés dans le monde entier. Sa cote d’artiste, selon toute vraisemblance, ne fera que grandir. Souhaitons que son œuvre suscitera un jour une grande exposition posthume, et que les « collectionneurs d’enfance » de tous pays consentiront à y prêter leurs trésors.

 

Jean-Claude Féray

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31 décembre 2022

Joan Sasgar : Le sueno d'Icaro

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31 décembre 2022

En feuilletant la revue Peter, Tom & Dave

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31 décembre 2022

Ben Kimura

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30 décembre 2022

Oscar Béthencourt

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The Sleep of Innocence

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30 décembre 2022

Ehler Dahl - Jeune Dandy évaluant une sculpture nue, 1925

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30 décembre 2022

Charles Shannon et Charles Ricketts peint par Jacques-Emile Blanche

«Décrits par le peintre victorien Jacques-Emile Blanche comme« deux inséparables », les artistes Charles Shannon et Charles Ricketts étaient des partenaires de longue date, après s'être rencontrés en tant qu'étudiants à Londres en 1882. Bien que Shannon et Ricketts aient catégoriquement refusé de définir ...

Décrits par  Jacques-Emile Blanche comme« deux inséparables », les artistes Charles Shannon et Charles Ricketts étaient des partenaires de longue date, après s'être rencontrés en tant qu'étudiants à Londres en 1882. Bien que Shannon et Ricketts aient catégoriquement refusé de définir leur relation, à une époque où l'amour homosexuel était strictement interdit par la loi, pendant près de cinquante ans, cette inséparabilité se jouait à travers leur vie familiale, leur cercle d'amis, leurs activités culturelles partagées, personnelles écrits et, comme suggéré ci-dessus, cette paire de portraits.

 

Pour retrouver Jacques-Emile Blanche sur le blog:

 

30 décembre 2022

Two and a Bit de Vernon Stokes et Cynthia Harnett



Two and a Bit de Vernon Stokes et Cynthia Harnett. Un charmant livre de 1948 raconte l'histoire d'un frère et d'une sœur, qui s'entendent si bien qu'ils auraient aussi bien pu être jumeaux (comme tous les frères et sœurs dans les années 1940 bien sûr) et de leur petit chien, la "moitié" du titre. À en juger par les initiales, il semble que Vernon Stokes ait réalisé la majeure partie du dessin mais qu'ils aient collaboré à certains d'entre eux. 








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30 décembre 2022

Leonard Whiting dans le rôle de Roméo dans l'adaptation cinématographique de Zeffirelli

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"Quand il mourra, prenez-le et découpez-le en étoiles et il rendra la face du ciel si belle que tout le monde sera amoureux de la nuit et ne rendra aucun culte au soleil criard."…William Shakespeare, Roméo et Juliette (Leonard Whiting dans le rôle de Roméo dans l'adaptation cinématographique de Zeffirelli)

29 décembre 2022

John Koch (1909-1978) Nuit d'été , 1965

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