20 000 lieues sous les mers au théâtre du vieux colombier
C'est un beau tour de force, d'autant qu'il est parfaitement réussi, d'avoir transmuté le long et un peu sentencieux bien que merveilleux roman qu'est le 20 000 lieues sous les mers" de Jules Verne (je ne peux plus lire Jules Verne aujourd'hui sans penser à Raymond Roussel) en une farce trépidante. Cette formidable adaptation est due à Christian Hecq et Valérie Lesort qui font également la mise en scène. Entre deux émerveillements causés par les ballets des créatures marines que l'on admire par le hublot du Nautilus, on rit beaucoup. Rappelons l'argument du roman, le professeur Aronnax (Nicolas Lormeau) et son fidèle serviteur, Conseil (Benjamin Lavernhe) ont embarqué sur un navire qui est mandater pour tuer un monstre responsable du naufrage de plusieurs navire mais la créature coule le bateau sur lequel se trouve le professeur. Lorsque la pièce commence, dans la plus complète obscurité, le professeur se réveille dans un lieu inconnu. Il s'aperçoit vite que Conseil est avec lui ainsi que Ned Land (Christian Gonon) le harponneur qui était chargé de tuer la bête. Si au début les trois hommes s'imaginent être de nouveaux Jonas, ils s'aperçoivent qu'ils sont en fait dans un sous-marin. Nous sommes donc environ au tiers du roman. Le trio fait la connaissance du maitre des lieux, le misanthrope capitaine Némo (Christian Hecq) qui leur signifie que la bête naufrageuse est en fait le sous-marin et qu'ils y sont prisonnier pour toujours... Et c'est parti pour une heure vingt pendant lesquels on en prend plein les yeux dans cette navigation accélérée du Nautilus. La suave voix off de Cécil Brune nous narrant le parcours du démoniaque engin entre les scènes... Je n'en dirais pas plus pour ceux qui ne connaitraient pas le roman où qui l'ont un peu oublié étant une lecture lointaine. Les pré-adolescents lisent-ils encore Jules Verne? J'en doute car la pauvreté de leur vocabulaire doit être un obstacle rédhibitoire à cette lecture.
Si Nicolas Lormeau, Benjamin Lavernhe et Christian Gonon campent avec beaucoup de talent des personnages typiquement verniens, Christian Hecq qui pour une fois fait oublier Bousin, livre une composition complètement décalée et pourtant savoureuse d'un capitaine Némo entre Eric von Stroheim et Piéral! L'équipage du Némo est réduit au second du capitaine, Flippos (Noam Morgensztern). Némo et Flippos s'entretiennent entre eux en une langue inventée hilarante. En la matière Noam Morgensztern égale la prestation du regretté Jacques Villeret dans "La soupe au chou". La distribution est complétée par Thomas Guerry qui interprète un sauvage convaincant plus issu d'un roman de Jean de La Hire (je vous recommande chaudement le très maritime également "Trésor dans l'abime") que d'un de Jules Verne.
Sur le modeste plateau du vieux colombier il ne sont que six pour nous faire vivre cette épopée. Chacun des acteurs, instruits par Christian Hecq, dont c'est le premier métier, et conseillés par Sami Adjali, se font également manipulateur des merveilleuses marionnettes dues à Carole Allemand et Valérie Lesort qui nous évoquent si bien les abysses sous marins (ah l'oeil de Kraken sans oublier ses redoutables tentacules!).
Lorsque j'ai assisté la semaine dernière à la représentation un quart de la salle était composé de jeunes spectateurs d'une douzaine d'années qui visiblement prenaient beaucoup de plaisir à ce qu'ils voyaient. Ce 20 000 lieues sous les mers me parait un parfait premier spectacle théâtrale.