Le coté de Guermantes, mise en scène de Christophe Honoré d’après Marcel Proust
J’ai toujours déploré du fait que l’on ne parle presque jamais des cotés comiques de « La recherche ». Voilà bien quelque chose que l’on ne pourra pas reprocher à Christophe Honoré qui a tiré « Le coté de Guermantes » du coté de Feydeau pour les scène de « salon » et même du coté de « La cage aux folles » pour le morceau de bravoure dans lequel Charlus fait une scène au narrateur qui n’a pas compris la fine allusion contenu dans le ruban qui entourait le livre qu’il lui avait envoyé.
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Cette scène désopilante jouée par les deux comédiens qui dominent la distribution, distribution néanmoins presque toute excellente, je veux parler de Stéphane Varupenne, le narrateur et de Serge Bagdassarian, Charlus. Le personnage de Charlus vu par Honoré montre les limites de son exercice. On sent constamment que Christophe Honoré connait la suite de l’histoire. Je rappelle que du coté de Guermantes est le troisième tome de « La recherche » qui voit Marcel, le narrateur, basculer d'un monde à l'autre lorsque sa famille, ayant déménager dans une aile de l'hôtel particulier des Guermantes, il parvient à s’introduire, par le biais de son ami Saint Loup, dans le très fermé salon d'Oriane de Guermantes (magistrale Elsa Lepoivre). Marcel est fou amoureux de cette duchesse dont l'univers mondain est mâtiné d'antisémitisme en ces temps d'affaire Dreyfus. Mais ses yeux finissent par se dessiller. Voyant que ces aristocrates sont des pantins muent par leurs préjugés. La guerre va bientôt anéantir ce monde et son mode de vie devenu obsolète.
Faire de Charlus une vieille folle serait recevable à la fin de « Sodome et Gomorrhe>> mais au début du « Coté de Guermantes » c’est un contre sens, puisque Charlus cache son inversion à ce moment là. Une des grande force de « La recherche » est de rendre le travail du temps sur les personnage et par la même leur évolution. De même lorsque Marcel rend visite à son ami Saint Loup dans son cantonnement et que ce dernier lui parle des cours de stratégie militaire qu’il reçoit, il n’est pas difficile de subodorer que Saint-Loup va mourrir à la guerre. Ce que le lecteur arrivé à ce stade de la lecture de « La recherche » ne peut prévoir puisque nous sommes alors aux alentours de 1900 et même Marcel Proust, lui même ignorait qu’il allait faire mourrir son personnage sur le champ de bataille puisque ce passage a été écrit vers 1912! Ces deux exemples montrent la difficulté de faire entrer les spectateurs au milieu d’un livre. On a droit en quelques sorte à un instantané de « La recherche ». Il me parait que la représentation pour quelqu’un qui n’aurait pas lu « La recherche » sera certes plaisantes mais que ce type de spectateur sera loin d’avoir toutes les clés pour appréhender les tenants et les aboutissants de la pièce. Pour une fois je ne suis pas d’accord avec Jean-Yves Tadié quand il écrit que << L’un des mystères de Proust, c’est que l’on peut tout isoler même une phrase. A partir de là, on peut aussi isoler une section de l’oeuvre.>>. Si je suis d’accord avec lui pour une phrase, je le suis beaucoup moins pour une section.
Proust a écrit « La recherche » comme on tourne un film, écrivant les différentes scènes de son roman non dans l’ordre que le lecteur découvrira mais selon son inspiration, son vécu, ou sa documentation, puis les ordonnant ensuite comme on le fait pour un film lors du montage. Honoré a donc fragmenté la pièce en séquences, étant en cela parfaitement fidèle à Proust. On trouve ainsi différentes scènes de salon (chez madame de Villeparisis, puis chez les Guermantes), la visite de Marcel à Saint-Loup, la violente dispute entre Saint-Loup et Rachel, la mort de la grand-mère et des apartés du narrateur qui sont des réminiscences de son passé et nous font entrer plus dans le personnage et surtout nous fait entendre la langue de Proust. A l’exception de deux scènes c’est assez réussi. Celles qui font problème est d’abord la mort de la grand mère dont on voit la très pénible l’agonie sur un écran, mort qui aurait pu rester hors champ sans dommage pour la narration, et ensuite la dispute entre Rachel et Saint-Loup où l’on a le sentiment d’être tombé dans une mauvaise version de « La mégère apprivoisée » ou « De qui a peur de Virginia Woolf »!
Christophe Honoré n’est pas avare en audaces dans sa mise en scène et celles qui en premier abord pourraient paraitre les plus incongrues ne sont pas les plus déplacées comme celle de faire commencer et terminer la représentation par My lady d'Arbanville de Cat Stevens très bien interprété par Stéphane Varupenne ou de faire chanter très bien également par Sébastien Pouderoux en Saint-Loup dans son algarade avec Rachel « Ton style c’est ton cul de Léo Ferré. Ces deux chansons s’intégrant très bien dans le récit proustien idem pour une courte reprise d'une chorégraphie de Pina Bausch. C’est moins vrai pour le rock des Zombies ou de « Tout ce que j'ai dit » d'Yves Simon, morceaux que l’on entend par le truchement d’un électrophone.
Christophe Honoré a eu de la chance que la Comédie Française ait momentanément migré au Théâtre Marigny; ce qui permet d’ouvrir le fond de scène sur les jardins du bas des Champs-Elysées ou se déroulent certaines scènes de « La recherche »
Le principal souci en ce qui me concerne dans cette mise en scène concerne le son; alors que les acteurs disent clairement leur texte, à l’exception de Julie Sicard, en Françoise, qui boule ses répliques qui deviennent presque toutes inaudibles, Christophe Honoré a choisi de rendre la prise de son visible sur scène avec d’une part les valets transformés en perchmans et d’autre part des micros à l’ancienne avec fils et sur des pieds. Avec les perchmans le metteur en scène a concocté d’amusants jeux de scènes en particulier dans celle entre Charlus et Marcel mais surtout ils permettent d’entendre la conversation entre Charlus et Marcel une fois que passant la porte au fond du plateau il s’éloignent dans les jardins des Champs Elysées. Pour les micro on oublie bien vite leurs présence dans la quasi absence de décor néanmoins assez moche par ailleurs, c'est censé être principalement le hall de l'hôtel des Guermantes. L’ennui avec ce procédé, le plateau n’étant pas visiblement sonorisé, c’est que dès qu’un acteur s’éloigne d’un amplificateur de son ce dernier baisse significativement même si l’on entend encore suffisamment ces amplitudes fluctuantes de la parole sont gênantes.
Le fait d’assister à une pièce qui prenait en compte qu’une des parties de « La recherche », mais il était impossible qu’il en soit autrement, m’a conduit à quelques réflexions. Ce parti pris change la perception que l’on a de l’oeuvre, mais il en serait de même pour une lecture partielle. Des personnages comme je l’ai déjà noté change de statut puisque on les découvre presque dans un instantané ce qui fait presque oublier le thème de La recherche, le travail du temps sur les êtres. De nombreux personnages importants de la somme proustienne d’apparaissent pas dans ce coté de Guermantes. C’est le cas de madame de Verdurin, d’Albertine, d’Elstir, de Vinteuil, de Morel… Ce qui entraine que des sujets importants du livre comme l’homosexualité féminine, la masculine n’est qu’en sous-texte (certes appuyée), la jalousie, la guerre, seulement évoquée comme possibilité, le bouleversement des classes sociales… A contrario se focaliser que sur une section du livre c’est forcément privilégier, en raison de la place qu’ils prennent dans une pagination alors réduite par rapport à celle de l’oeuvre complète, d’autres sujets comme ici l’antisémitisme via l’affaire Dreyfus et aussi mettre en lumière des personnages qui n’ont pas cette importance si l’on considère « La recherche » dans son ensemble. C’est le cas par exemple du duc de Guermantes dans lequel Laurent Laffite est truculent en fat obtus.
L’actuelle troupe de la comédie française est une des plus grande que j’ai vu dans cette maison depuis près de soixante ans que je la fréquente. Elle est l’égale à celle de l’époque où dans une même distribution on aurait pu voir Michel Duchaussoy, Jacques Charon, Robert Hirsch, Jean-Paul Rousillon, Denise Gense, Louis Seigner, Jean Piat… et j’en oublie d’excellents. Il reste que je tique souvent à l’attribution d’un rôle à un comédien que je ne trouve pas adéquat pour cet emploi. Et puis on a forcément des préjugés lorsque l’on va voir une pièce inspirée par une oeuvre que l’on a longtemps fréquentée. En lisant « La recherche » je me suis fait une image de chacun des protagonistes et l’on est gêné, du moins au début de la représentation, lorsque l’acteur incarnant un personnage ne ressemble pas à ce que vous aviez imaginé. Si toutes les incarnations sont possibles pour le narrateur qui n’est jamais décrit par Proust et que l’on a trop tendance à assimiler en tous points à l’auteur, d’où la proposition recevable de le faire interprété par Stéphane Varupenne, il n'en est pas de même pour d'autres. Si j’ai reconnu immédiatement Charlus et le duc et la duchesse de Guermantes et si j’ai accepté sans sourciller Dominique Blanc en marquise de Villeparisis; il n’en a pas été de même, pour Loic Corbery en Charles Swann et Sébastien Pouderoux en Saint Loup, bien qu’ils ne déméritent en rien je trouve qu’ils n’ont pas l’élégance nécessaire pour interpréter leur personnage.
Mais j’ai peut-être eu cette impression à cause des costumes, au demeurant pas mal, qu’Honoré dans leur diversité a voulu intemporels, mais le choix de l'intemporaléité achoppe sur le fait que cette section de « La recherche » est très précisément datée, ce qui n’est pas le cas d’autres, en raison de l’affaire Dreyfus.
Revenons au cas Swan, Loic Corbery n'as pas l'âge du rôle mais il est très émouvant dans la scène dans laquelle Swan annonce à la futile duchesse de Guermantes que la médecine l'a condamné. C'est très intelligent de clore la représentation par cette révélation tragique qui termine la pièce sur le même ton que Proust a terminé "La recherche" par le temps retrouvé.
Au théâtre comme ailleurs, à l’impossible nul n’est tenu, avec sa relecture de ce « Coté de Guermantes, Christophe Honoré a tutoyé l’impossible…
Nota: Les photo de la pièce sont de Jean-Louis Fernandez sauf celle avec * que j'ai prise moi même dans l'après midi du 17 octobre 2020
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