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Dans les diagonales du temps
22 septembre 2020

Marcel Proust par Jean-Yves Tadié

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 Taormine, septembre 2020

 

 

La biographie de Marcel Proust par Jean-Yves Tadié est exemplaire tant par le fond que par la forme. Par le fond d’abord, Tadié ne considère que les faits de la vie quotidienne de Marcel Proust. Il ne romance jamais cette vie. Il ne mentionne les dits fait que dans la mesure où ceux-ci ont influencé  l’oeuvre. Tadié se référera sans cesse à celle-ci truffant sa biographie de textes de Proust issus bien sur de « La recherche » mais aussi de sa correspondance et de ses autres écrits publiés ou non; en particulier il s’intéresse à Jean Santeuil, l’ouvrage le plus autobiographique de Proust. Il n’avance une affirmation que s’il a croisé ses sources et fait fi des ragots et des suppositions. Toute cette biographie va à l’encontre de l’idée reçue, malgré les volumes publiés entre autres dans la Pléiade, que Proust n’avait rien écrit avant « La recherche » alors que Tadié montre que « Jean Santeuil » et « Contre Sainte-Beuve » étaient des préparations, certes inconscientes, à ce qui sera son grand oeuvre. On retrouve d’ailleurs des passages presque inchangés dans « La recherche » de ces deux galops d’essai. Autre point bien mis en valeur, le fait que l’état actuel de « La recherche » est du à la mort prématurée de son auteur et que celui-ci, s’il avait vécu, aurait encore peaufiné son ours. Il n’aurait certainement pas, par exemple, laissé X pour le nom de certains personnages secondaires, personnages qu’il aurait peut-être développés. Jean Cocteau dans une très intelligente analyse de « La recherche » dans « Le passé défini, tome I », en 1952, n’écrit pas autre chose: <<… Proust s’embrouillait et aurait sans aucun doute corrigé les fautes de français qu’il laissait dans un texte où il en incriminait ses personnages (…) Proust attachait la plus grande importance à l’exactitude du style et je suppose que si la mort ne lui était pas venue par surprise, il n’eût pas manqué d’entreprendre ce travail.>>. Par surprise, hélas pas tout à fait, Proust se savait condamné et avait prévu les modalités pour que son oeuvre soit publié dans l’état où il la laisserait. Mais il l’a fait évoluer quasiment jusqu’à son dernier jour. Cependant il ne faudrait pas voir « La recherche » comme inachevé. Le mot Fin et la dernière phrases de l’oeuvre étaient écrits plusieures semaines avant la disparition de l’écrivain mais il est certain que ce dernier aurait fait des ajouts à son texte qui en aurait augmenté la profondeur mais pas changé la structure.

 

 

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 Paris, octobre 2019

 

 

Jean-Yves Tadié sans l’avouer et sans doute sans se l’avouer, à conscience d’écrire la biographie définitive de Marcel Proust. Il n’est pas tendre pour ses prédécesseurs qu’il a lu attentivement comme le montre plusieurs citations de certaines des biographies qui sont parues avant la sienne, en particulier celle de Ghislain de Diesbach et de Painter. Il faut rappeler néanmoins que la biographie de Painter a eu le mérite d’être la première biographie sérieuse de Proust mais qu’elle est aujourd’hui obsolète puisque Painter ne connaissait pas, lorsqu’il a écrit sa somme, l’existence de « Jean Santeuil » qui n’était pas alors encore paru. Quant à celle signée de Diesbach, Tadié reproche, entre les lignes, à son auteur de n’avoir pas assez vérifié ses sources, d’avoir tendance à trop romancer la vie de son modèle et de mettre en avant plus le « mondain », que Tadié néanmoins n’ignore pas, que l’écrivain. Si ces critiques sur le Proust de Diesbach me paraissent très justes, il reste que c’est un livre très agréable à lire et qu’il fait un intéressant travelling sur la haute société du début du XX ème siècle. Tadié épingle également quelques erreurs de datation de Kolb, « le bénédictin » de la correspondance dans son édition de l’énorme et je dois dire assez fastidieuse (je n’en ai lu qu’une infime partie) correspondance proustienne. On remarquera la quasi absence, il n’est cité que deux fois, et encore seulement dans des notes, de Bernard de Fallois, « l’inventeur » de « Jean Santeuil » et de « Contre Sainte-Beuve ».

Ce qui est peut être le plus intéressant pour un lecteur de Proust c’est lorsque l’auteur examine la genèse de l’écriture de « La recherche ». On apprend (du moins partiellement en ce qui me concerne) que Proust n’écrivait pas chronologiquement mais par scènes qu’il montait ensuite son roman comme le ferait un cinéaste pour un film. Ainsi en 1914, « Le temps retrouvé » était déjà écrit. « La recherche » serait paru s’il n’y avait pas eu la guerre probablement en 1915. Bien sûr cela aurait été une oeuvre très différente de celle que nous connaissons puisque elle aurait été sans Albertine et sans plusieurs autres personnages secondaires, que Charlus aurait été moins développé et surtout que l’arrière fond de la guerre de 14 aurait été absent, guerre qui bouleversera la destiné de certains personnages en particulier celle de Saint Loup…

 

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Tadié insiste avec raison sur ce qui fait l’unicité de l’oeuvre et de son élaboration: son écriture par couche successive qui à chaque ajout donne plus d’épaisseur au récit comme il en donne matériellement au manuscrit.

Cette étude sur la genèse et les structures de l’oeuvre a sans doute rendu particulièrement vigilant, Tadié à l’agencement de sa biographie, ainsi il fait souvent alterner un chapitre uniquement consacré à l’écriture de Proust avec un qui a trait à la vie quotidienne de son modèle. Cela peut être pour ne pas lasser le lecteur mais surtout pour bien mettre en évidence les interférences entre le quotidien de l’écrivain et son oeuvre.

Très soucieux de l’exactitude de ce qu’il avance, Tadié cite toujours ses sources, dans des denses notes de bas de pages, et s’efforce de les croiser? Il nous fait part également de quelques points de vues d’autres spécialistes de l’écrivain (dont Bardèche) qu’ils soit divergents ou convergents avec ses propres options lorsqu’il y a incertitude sur un sujet.

 

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Sur la sexualité de son modèle Jean-Yves Tadié pourrait faire siennes les remarque éditées par Julian Barnes dans « L’homme en rouge »: << On ne peut savoir. Modérément employée, c’est une des plus fortes phrases dans le langage du biographe: elle nous rappelle que la suave histoire d’une vie qu’on lit, malgré tous ses détails, sa longueur et ses notes en bas de page, malgré toute ses certitudes factuelles et ses solides hypothèses, ne peut être qu’une version publique d’une vie publique et une version subjective d’une vie privée. La biographie est une série de lacunes reliées par de la ficelle, et cela nulle part autant que dans la vie sexuelle et amoureuse.>> 

La lecture de cette somme est fluide. Parfois, est-ce par imprégnation ou clin d’oeil au lecteur, la phrase de Tadié se fait proustienne…

Comme toute bonne biographie d’écrivain celle-ci donne envie de lire et de relire Proust que dorénavant on verra à la fois avec plus de perspicacité et de bienveillance car au delà de l’oeuvre qui est la raison de cette biographie, le lecteur découvre un homme fondamentalement bon. Ce n’était cette pas un saint, il avait ses vices mais Tadié détruit la légende noire qui entourait pernicieusement l’ écrivain, il était au quotidien extrêmement pénible à vivre, jaloux et susceptible mais il pouvait se dépenser sans compter pour obtenir une place, un avantage, de l’argent pour quelqu’un qu’il connaissait à peine et qui le plus souvent ne lui en sera même pas reconnaissant. Ce qui ne surprendra d’ailleurs pas Proust, si fin connaisseur de la nature humaine. Cette empathie, ce dévouement pour autrui est étonnant pour le lecteur de « La Recherche » qui ne contient qu’un seul personnage vraiment positif en la personne de la grand mère du narrateur.   

 

 

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Lucien Daudet vers 1910

 

La forme de cette biographie est un modèle que tout biographe devrait suivre. Si l’on sent chez l’auteur une immense admiration pour son sujet, on perçoit également un grand respect pour son lecteur. Le seul but de Jean-Yves Tadié est de faire aimer l’oeuvre de Proust en donnant aux lecteurs de l’oeuvre un guide pour s’y mouvoir. Chacun des deux volumes contient à la fin un index, récapitulant un maximum d’entrées. La bonne idée est d’avoir mis à la fin du premier tome également les entrées du second. Ce qui facilite la recherche sur un évènement ou un personnage. Autre commodité à la fois pour la lecture de cette biographie et les recherche dans celle-ci, son découpages  d’abord en sections qui elles mêmes sont divisées en courts chapitres de trois à quatre pages pour la plupart. Chacun de ces chapitres porte un titre, un nom d’un personnage, d’un lieu, ou de l’état de « La recherche » à une date précise ce qui permet de voir l’évolution du grand oeuvre de Marcel. Il faut encore ajouter que chaque volume en son centre offre quelques pages de photos.

La biographie de Marcel Proust par Jean-Yves Tadié est un superbe monument à visiter et à revisiter*.

 

Nota

 

* Je voudrais faire une requête à Jean-Yves Tadié qu’il fasse une légère relecture et ajoute, ne serait-ce qu’en notes ce que les études prussiennes et les quelques minimes inédits ont apporté depuis 1996 qui est la date de parution de son chef d’oeuvre.

 

 

Du coté de chez Proust sur le blog:

 

 

 

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Commentaires
I
Très belle photo de Taormine en bleu et rouge ; on remarque jusqu’au détail du marque page ... et billet fort intéressant, qui donne envie de lire ce Tadié-Proust ! Cette savante biographie compléterait utilement et agréablement la lecture du Dictionnaire amoureux de Marcel Proust, des Enthoven père et fils, que j’avais bien apprécié. <br /> <br /> Le rapprochement me rappelle que j’avais vu justement Jean-Yves Tadié et Raphaël Enthoven réunis en mai 2013, dans une émission de La Grande Librairie consacrée à Proust. C’était bien sûr à l’occasion du centenaire de la parution de Du Coté de chez Swann. Étaient invités également deux autres grands "spécialistes"  : Antoine Compagnon et Evelyne Bloch-Dano. Je me souviens que Tadié que je ne connaissais pas, m’avait impressionnée par la qualité de ses interventions ( et aussi un peu avec sa tête de Méphistophélès )
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M
Painter a publié les deux tomes de sa biographie de Proust en 1959 et 1965. Et c'est en 1952 que Fallois a publié "Jean Santeuil" chez Gallimard.
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