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Dans les diagonales du temps
25 septembre 2020

L'homme en rouge de Julian Barnes

 

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Il y a des livres qui paraissent à un moment idéal pour un lecteur. C'est le cas de "L'homme en rouge" de Julian Barnes en ce qui me concerne, car je viens de terminer la lecture de l'admirable biographie de Marcel Proust par Jean-Yves Tadié et dans le livre de Barnes ce sont toutes les figures (mais pas seulement celles là) qui ont inspiré les personnages de "La recherche" qui passent.

Au centre de L'homme en rouge de Barnes se trouve le Dr Samuel Pozzi, sujet d'un célèbre portrait de John Singer Sargent, tableau qui donne le titre au livre. Ce n'est cependant pas la biographie typique d'un individu. C'est l'histoire d'un lieu, d'un temps et d'une société.

Le point de départ du réciy est un voyage de 1885 à Londres effectué par trois Français pour ce qu'ils appelaient faire du «shopping intellectuel» (ce qu'un dandy ferait). L'un des membres de ce trio était le Dr Pozzi. Les deux autres étaient le  prince Edmond de Polignac et le comte Robert de Montesquiou-Fezensac. Curieux trio composés de deux homosexuels, qui sont aussi deux membre du "gratin" et d'un médecin d'obscure extraction et on ne peut plus hétérisexuel.

Mais comme l'écrit l'auteur cela aurait pu commencer autrement, le déclancheur de la narration, est le portrait de ce déjà célèbre médecin qui fut comme les deux autres un des modèles de Proust pour une de ses créatures mais cela aurait pu être celui d'un portrait d'un de ses deux compagnons d'escapade londonienne ou celui d'une autre des célébrités que l'on va croiser: Maupassant, Conan Doyle, Catulle Mendes, Colette, Jean Lorrain, Gustave Moreau, Degat...

L'ouvrage peut se voir comme la transcription d'une brillante causerie sur la vie intellectuelle et artistique dans le Paris de "la Belle Epoque" que ferait un écrivain anglais, en l'occurence Barnes, le livre est écrit à la première personne du singulier, à des amis français dans un club élégant, le discoureur serait non loin d'une cheminée dans laquelle un feu crépite, alors que chacun de ses auditeurs serait armé d'un verre de brandy à la main. 

La forme du livre n'est que digressions, une suite de tiroirs ouverts, pas toujours refermés, de considérations sur aujourd'hui ou hier, alors que notre élégant conteur, aussi élégant dans l'expression que son trio l'était dans la vêture, est censé nous parler de  la société de la Belle Epoque à Paris. C'est l'Histoire de la belle époque et la comparaison entre la France et l'Angleterre dans cette période qui sert de fondement à l'histoire que Barnes veut nous raconter. Et soudain au détour d'une phrase Barnes parle de lui même et glisse des noms de  contemporain comme ceux de Jacques Brel ou de de Gaulle avant de reprendre sa relation des jalousies mesquines, des duels et des affaires judiciaires dans le Paris d'avant 1914. Parfois nous tombons sur des rapprochement audacieux comme celui entre la mort de la tortue de des Esseinte et la James Bond girl dans Goldfinger. Le fil rouge de la vie de Pozzi permet de coudre ensemble un patchwork de minis essais traitant de sujets aussi différents que l'hygiène dans les hopitaux avant la guerre de 14 et une reflexion sur les limites littéraires de la biographie. L'ouvrage peut même se transformer fugitivement en traité de morale avec des passage qui sont très pertinent de nos jours, comme celle-ci: << Qu'y a-t-il dans le présent qui le rende si impatient de juger le passé? Il y a toujours une tendance à la névrose dans le présent, qui se croit supérieur au passé mais ne peut pas tout à fait surmonter une anxiété persistante à l'idée qu'il pourrait ne pas l'être.>>.

Un casting de personnages comprend de nombreux individus moins connus, mais certains grands noms jouent un rôle dans le monde que le médecin, le prince et le comte habitent. C'est d'ailleurs aussi une réabilitation du comte de Montesquion qui était plus qu'un dandy superficiel.

 

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De grandes figures littéraires telles qu'Oscar Wilde et Joris-Karl Huysmans (auteur de A Rebours ) apparaissent, ce qui donne lieu à un court et fascinant essais sur l'esthétisme et le dandysme qui peu se muer en un avis non denué de pertinence sur la supériorité artistique d'Odilon Redon sur Gustave Maureau. Le procès de Wilde est discuté dans le contexte des systèmes judiciaires français en opposition le britannique. On trouve dans le livre une présence constente de l'homosexualité, est cité par exemple la célèbre affaires du scandale des messes noires qui impliquait le baron Fersen. Jacques d'Adelsward-Fersen a été accusé d'incitation à la débauche de mineurs est brièvement mentionné ainsi bien sûr que la question politique polarisante à cette époque qu'était l'affaire Dreyfus, un exemple flagrant de l'antisémitisme de l'époque. C'est définitivement un Who's Who des artistes (Sargent, évidemment), des actrices (Sarah Bernhardt), des auteurs et des personnalités de la société de ce tournant du XIX ème siècle.

Le livre est illustré de nombreuse images représentant la plupart des hommes et des femmes qui traverse la vie de Pozzi, qui comme le fait remarquer Julian Barnes était partout. Il y a bien sur le portrait de Pozzi par John Singer Sargent qui donne le titre au livre mais aussi de nombreuses petites vignettes d'hommes célèbres de l'époque et relation de Pozzi que l'on trouvait alors dans les plaque de chocolat  Félix Potin!

Dans le contexte de toute ces contreverses littéraires et politiquses, il y avait des progrès extraordinaires en médecine et le Dr Pozzi en était l'un des pôles. Ses relations avec des médecins tels que le chirurgien écossais Joseph Lister a aidé Pozzi à améliorer les services chirurgicaux en France et en particulier dans le domaine de la gynécologie, sa spécialité. C'est une période fascinante de croissance rapide dans la compréhension de la théorie des germes et des moyens de prévenir l'infection.

Dans "Les notes de l'auteur", en fin du volume, après que ce fils de deux professeurs de français déplore le vote des anglais pour le brexit, il dresse un rapide portrait de Pozzi, où l'on sent toute son empathie pour son personnage principal: << Pozzi était rationnel, scientifique, progressiste, international et s'intéressait constamment à tout; il accueillait chaque jour avec enthousiasme et curiosité; il emplissait son existence de médecine, d'art, de livres, de voyages, d'amis et connaissances, de politique et d'autant de sexe que possible (de cela on ne peut tout savoir). Il était heureusement pas sans défauts. Mais je le présenterais volontiers, néanmoins comme une sorte de héros.>>.

Tout cela en fait une histoire sociale fascinante de la Belle Epoque Paris qui est aussi passionnante que n'importe quelle œuvre de fiction, il est préférable tout de même que le lecteur s'intéresse à la vie culturelle parisienne de la Belle Epoque et qu'il est lu préalablement si possible "La recherche" et "A rebours" de Huysmans .

 

 

 

Du coté de chez Proust sur le blog:

 

 

 

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Commentaires
M
On a beaucoup parlé de Barnes lorsqu'est paru " Le perroquet de Flaubert" en 1984. Si je me souviens bien Barnes était passé à Apostrophe. Le livre a eu un gros succès. Je l'avais lu à ce moment là, depuis j'avais perdu Barnes de vue.<br /> <br /> L'homme en rouge est un livre inclassable c'est à la fois un essais, un roman, une biographie, un livre d'Histoire... La période décrite dans le livre est postérieure d'une trentaine d'année à celle à laquelle se déroule les deux livres que vous citez. <br /> <br /> Pozzi est le grand réformateur des hôpitaux parisiens pour l'hygiène mais en fait il s'inspire des méthodes américaines. Il est allé plusieurs fois aux Etats-Unis.<br /> <br /> Barnes ne magnifie pas la Belle époque qui n'était pas plus belle qu'une autre mais pas pire non plus. Il dénonce en particulier cette appétence d'alors pour les duels même si beaucoup étaient plus ou moins arrangés, il reste que certain des duellistes ont perdu la vie. L'époque était très violente en partie à cause de la facilité pour se procurer des armes de poing (une nouveauté à l'époque) un peu comme aujourd'hui aux Etats-Unis. C'est vers 1920 en France que l'on durcira la loi pour ce genre d'acquisition. On apprend beaucoup de chose dans ce livre qui souffre tout de même de quelques redites et à l'inverse de quelques "trous".
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I
Je ne connaissais pas ce beau tableau de Sargent, ni son modèle le Dr Pozzi, ni même Julian Barnes . Vous me donnez très envie de lire ce livre - de retrouver dans son texte toute cette époque passionnante avec ces personnages qui semblent des proches, quand on a fréquenté leurs œuvres et qu’on sait un peu de leurs amitiés et de leurs inimitiés. Mais on aimerait toujours en savoir davantage ... De plus je viens de terminer " Les Soirées de Médan " et " Les Contes du Lundi ", écrits à chaud sur la guerre de 70. Ce serait donc la suite parfaite. Curieusement la France se relève, curieusement cette époque est belle au regard de sa brillante vie artistique et intellectuelle. Dans " Les soirées de Médan ", il y a un court texte plein d’ironie de Huysmans, que j’ai particulièrement aimé : " Sac au dos " qui raconte les tribulations d’un conscrit atteint de dysenterie, au milieu d’une pagaille totale dénuée de tout héroïsme. L’hygiène dans les hôpitaux y est exactement décrite , avec un personnel médical aussi lamentable que le personnel militaire : édifiant en effet ! C’est drôle de penser que Huysmans va abandonner cette veine naturaliste, pour écrire à peine plus tard "À rebours". Jean Lorrain, le dernier texte que j’ai lu de lui s’appelait " Villa Mauresque " ( découvert par hasard grâce à votre billet sur Somerset Maugham – Floc’h et Rivière ) Ce roman de Lorrain n’est pas un chef-d’oeuvre mais il est amusant. J’en parle ici parce qu’il met en scène - d’une manière fort perverse - sa rivalité avec Maupassant, rivalité ou "jalousie mesquine" que j’ignorais. J’en étais restée au fameux duel avec Proust, qui est sans doute dans le texte de Barnes puisque vous évoquez "des duels"...
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