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Dans les diagonales du temps
11 mars 2020

Lucrèce Borgia à la Comédie Française

Lucrèce Borgia à la Comédie Française

Je balance régulièrement une boutade, usée à force d'être proférée, à propos des castings improbables qui sévissent de plus en plus au cinéma comme au théâtre, qu'on fera jouer prochainement Jeanne d'Arc par Gérard Depardieu! Et bien avec cette Lucrèce Borgia de Victor Hugo à la Comédie Française mis en scène par Denis Podalydes on y est presque. Non à cause de l'interprétation magistrale de Guillaume Galienne en Lucrèce Borgia car au bout de trois minutes on oublie que c'est un homme qui joue cette impitoyable manipulatrice pour ne voir qu'une belle femme mure éprise de son fils, mais de l'erreur de casting évidente qu'ait d'avoir distribué le rôle de Gennaro, le fils caché et adoré de Lucrèce, à une femme, en l'occurrence Suliane Brahim. On ne croit pas un seul instant que le mari de Lucrèce, le jaloux Don Alphonse d'Este, puisse penser que sa femme fricote avec ce malingre Peter pan. De mon deuxième balcon, ayant oublié mes jumelles de théâtre et l'âge m'ayant fait la vue basse, je ne voyais s'agiter et criailler sur scène qu'un famélique adolescent de quatorze ans à la place du vigoureux capitaine de vingt ans qui aurait du s'y trouver. C'est grand dommage que cette malheureuse fantaisie de distribution plombe une pièce qui, sans être un chef d'oeuvre, est du bon sous Shakespeare avec cette femme de pouvoir dans les affres du remord, ne pouvant révéler à son fils qu'elle est sa mère alors que le jeune homme abhorre tout ce qu'elle représente et que son roi de mari pense que le garçon est non le fils de sa femme, ce qu'il ignore, mais son amant. C'est du bon mélo XIX ème en somme, monté avec beaucoup de moyens. Si l'on excepte la désastreuse Suliane Brahim, la mise en scène de Podalydes est convaincante, utilisation judicieuse du plateau, fluidité des déplacements des acteurs... Je ne sais à propos s'il faut attribuer cette réussite à Podalydes ou à Eric Ruf qui apparaît dans le programme comme scénariste... (j'aimeras qu'au béotien que je suis que l'on explique ce qu'est un scénariste et quel est le partage du travail entre lui et le metteur en scène)

L'affrontement entre Lucrèce Borgia et son mari, tout en séduction fourbe, permet à Eric Ruf, épatant en cauteleux père noble, et Guillaume Gallienne de nous offrir un grand moment de théâtre. La prestation de Gallienne m'a évoqué, celle de Jacqueline Maillant dans « Retour au désert » de Koltes qui fut, je crois, la seule incursion de cette grande comédienne, dans le registre tragique. Puisque j'en suis aux réminiscences le premier décors qui est particulièrement réussi et montre une vue de la lagune de Venise avec au premier plan une gondole où dort Gennaro m'a immédiatement rappelé un décor du Casanova de Venise. Autre clin d'oeil l'utilisation cinématographique (et à bon escient) de la musique. Curieusement celle-ci n'est pas mentionnée sur le programme. Mais je crois que ce que l'on entend est du Verdi... 

Mais la plus grande surprise étant le surgissement en plein mélo hugolien de ineffable Bouzin échappé de Feydeau essayer de cloquer une de ses goualante salace à la mère Lucrèce. Ce Bouzin à Ferrare est la véritable surprise de la soirée. J'attend avec impatience la suite de ses aventures. Je proposerais pour égayer Antigone, Bouzin à Thèbes, pour rendre hilarant le Malatesta de Montherlant, Bouzin à Rimini, pour que l'on se tienne les côtes à Tchekov, Bouzin en Russie... Récemment on s'était déjà poilé à Hamlet mais je n'ose imaginer quelle rigolade cela aurait été avec Bouzin à Elseneur. Grâce à Christian Hecque à une époque où le rire est obligatoire, la Comédie Française va pouvoir revisiter tout son répertoire. On va s'esbaudir salle Richelieu...       

 

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