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Dans les diagonales du temps
12 avril 2020

"Le Jeune Modele Posant Dans L'Atelier" du peintre français Jules-Alexis Muenier (1863-1942)

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12 avril 2020

Kafka sur le rivage d'Haruki Murakami

 

 

Il me paraît indispensable de commencer par une esquisse de résumé de "Kafka sur le rivage (paru au Japon en 2003 et en 2006 en France), sans spollier pour autant, tout en sachant que tenter de résumer un livre aussi riche et passionnant est dérisoire. Durant plus de six cents pages nous suivons le parcours de deux héros en parallèle. Tout d'abord un adolescent de quinze ans, Kafka Tamura, jeune fugueur en quête de lui-même, affublé d’un double dénommé Corbeau (Kafka veut dire corbeau en tchèque), le Kafka du titre, qui décide de fuguer du domicile à Tokyo, qu'il partage avec son père, un célèbre sculpteur, qui a proféré à son endroit une prophétie ressemblant à une malédiction oedipienne. Kafka part pour le Shikoku, une île située au sud-ouest d'Osaka ce qui le mènera jusqu'à une ville éloignée et un emploi dans une bibliothèque bien particulière (le rêve pour ce gros lecteur). L'autre protagoniste principal de l'aventure est un vieil homme, Nakata, amnésique depuis l'enfance, suite à un événement traumatisant qui lui a littéralement vidé la mémoire, lui l'empêchant par la suite presque tout apprentissage; il ne sait ni lire ni écrire. Nakata prend aussi la route, suite à un crime qui ne serait pas sans rapport avec le jeune Tamura. Nakatase considère lui-même comme quelqu'un de stupide et de limité. Mais il a l'étrange capacité de parler aux chats (propriété que j'envie beaucoup, je suis sans cesse à me demander ce que pense mon chat), ce qui fait que les habitants de son quartier font souvent appel à lui lorsque leur chat disparaît. Si je recommande chaudement le livre, entre autres aux amoureux des chats, je leur conseille de sauter le chapitre 16 qui risque de leur être fort pénible; leur compréhension du roman n'en souffriront pas. L'auteur n'est pas avare en répétition pour les actions principales, un peu comme dans les roman feuilletons... Nakata et l'adolescent, bien qu'habitant à proximité, (l'arrondissement de Nagano, à Tokyo) ne se connaissent pas mais semble reliés par un fil invisible: << L'existence de chaque humain est vouée à une stricte solitude, mais nous sommes reliés les aux autres par des archétypes immémoriaux (…) La responsabilité commence dans les rêves >>.

Murakami n'omet aucun détail des agissements de ses personnages, si bien que lorsque Kafka se brosse les dents, ce que l'auteur n'oublie jamais de mentionner, on est surpris de ne pas connaître la marque du dentifrice qu'il utilise! Cette accumulation de détails triviaux pourrait rendre la lecture du roman fastidieuse et pourtant il n'en est rien. C'est même sans doute ce qui nous fait entrer si facilement en empathie avec les différents protagonistes qui nous deviennent vite sympathiques. Dans cet extrême naturalisme l'écrivain instille habilement des doses de fantastique au moment où la lassitude pourrait gagner le lecteur, relançant ainsi l'intérêt du lecteur pour l'histoire qu'il raconte.

Le style d'écriture d'Haruki Murakami est fluide. Il est composé de phrases courtes composant de courts chapitres voués alternativement à chacun des deux héros.

L'originalité du livre vient aussi de la cohabitation dans un même chapitre de scènes surréaliste avec des dialogues bien ancrés dans la réalité et l’actualité que nous connaissons avec des références à Schwarzenegger, Johnny Walker nommé Walken par dérision ou au colonel Sanders des Kentucky Fried, le tout avec beaucoup d’humour. Si on ajoute que dans les deux récits parallèles la frontière entre le rêve et la réalité devient de plus en plus floue au fur et à mesure que l'on avance dans le livre, voilà qui pourrait désarçonner bien des lecteur, alors que si on s'abandonne au désir, qui est grand de connaître de la suite du devenir du séduisant Tamura la lecture devient des plus facile. Il faut également accepter de ne pas se frustrer des pistes narratives abandonnés par l'auteur. Une fois l'ouvrage refermé, il restera de nombreux mystères qui ne seront pas élucidés.

Seul obstacle à la fluidité de la lecture est qu'elle est parfois polluée par la répétition très rapprochée de mots peu usuels, comme duralumin, au début du récit. Ne lisant pas le japonais, je ne sais si ces scories sont dues à l'auteur ou à sa traductrice, Corinne Atlan. Autre défaut qui me semble du à un manque de rigueur de l'auteur, on ne travaille jamais assez un manuscrit, certaines descriptions sont à la fois répétitives, superflues et écrite bien platement. On trouve aussi des rappels superflus de ce qui s'est passé précédemment par exemple, lorsque kafka recontacte la jeune Nakura, il expose longuement tout ce qui s'est passé depuis leur dernière entrevue et l'appel telephonique actuel : début du chapitre 29, deux pages (366-367) qui ne sont que des redites pour le lecteur. Je ne sais si c'est une maladresse ou un procédé pour rafraichir la mémoire du lecteur, cette habitude est fréquente dans les romans japonais qui sont encore aujourd'hui très largement pré publiés par tranches dans les revues littéraires qui également font figurer des nouvelles à leur sommaire. Ce qui explique que beaucoup d'écrivains japonais aient commencé leur carrière par un recueil de nouvelles.

Sans préjuger, si c'est le fait que la narration est faite à la première personne du singulier, surtout pour ceux qui racontent les péripéties de Tamura, dans ceux dédiés à Nakata le « je » est partagé entre le vieil homme et un compagnon de voyage, mais nous entrons rapidement en empathie, aussi bien avec le vieux Nakata qu'avec le jeune Tamura.

  

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On voit rapidement que l'auteur n'est pas de culture judéo chrétienne, alors que ses références, sur lesquelles je reviendrais, sont majoritairement occidentales, par exemple par les considérations factuelles sur la beauté des personnes quelles qu'en soient le sexe et l'âge. Propos un peu surprenants, mais comme sa maturité en générale, dans la bouche d'un garçon de quinze ans. En aparté je confesse que j'aurais beaucoup aimé (il me semble qu'il est un peu tard aujourd'hui pour cela) rencontrer dans ma vie un adolescent aussi fin et perspicace que Tamura, non que je n'ai connu que des nigauds de cet age, mais mes connaissances n'eurent malheureusement jamais l'intelligence de ce jeune japonais, si bien que je me demande si une telle clairvoyance est possible, donc crédible, fin de l'incise. Le fait le plus évident, qui montre que notre auteur n'a pas fait ses humanités du coté de Princeton ou de la Sorbonne, est qu'il présente la relation sexuelle entre un adolescent de quinze et une femme de cinquante ans avec beaucoup de naturel et sans fausse pudeur. A ce propos, les critiques japonais qui reprochent son américanisme à Murakami ne doivent pas être très au fait du puritanisme de leurs anciens occupants...

  

J'écrivais préalablement que la majorité des références culturelles de Murakami dans le roman sont occidentales: Sophocle (ce qui n'est pas surprenant Murakami à étudié le théâtre grec à l'université), Shakespeare, Dostoïevski,aux philosophes, Hegel, Bergson, à la psychanalyse..., il cite tout de même le dit du Genji, Tanizaki et Soseki... A ces citations qui sont faites avec beaucoup de légèreté, les personnages parlent volontiers entre eux de littérature, de musique, de philosophie... A cela il faut ajouter les influences et les inspiration, mais je n'en ai décrypté que quelques unes, comme par exemple celle d'Homère, à la fin, on pense à Ulysse qui va retrouver le fantôme de sa mère morte; le personnage du compagnon de route de Nakata m'a évoqué irrésistiblement le Candide de Voltaire, les scènes érotiques m'ont rappelé par leur climat celles des « Mille et une nuit (que lit Tamura dans la bibliothèque refuge). On peut aussi citer le Boulgakov du « Maitre de Marguerite » pour les animaux qui parlent.

A la place d'occidentale, j'aurais du écrire européenne car les allusions à la culture américaine se circonscrivent au domaine musical, jazz et pop (mais on trouvera aussi mention de la musique Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert), ce qui est tout de même curieux lorsque l'on sait que Murakami est le traducteur en japonais de Carvers et de Scott Fitzgerald, entre autres. Sur « l'américanisme » de Murakami, que pour ma part je ne perçoit pas dans « Kafka sur le rivage », il faut lire le passionnant article de Reiichi Miura sur Murakami dans le hors série de la revue « Books » consacré aux best-sellers. Miura y écrit: << Murakami est un auteur japonais qui écrit des romans américain (…) Il trouve aux Etats-Unis, non des pères, mais des frères, alors même qu'il ne trouve ni les uns ni les autres au Japon.>>. En ce qui me concerne, il me semble pourtant que la proximité littéraire d' Haruki Murakami avec son homonyme Ryû Murakami est indéniable en particulier lorsque l'on compare « Kafka sur le rivage » avec « Les bébés de la consigne automatique de Ryu Murakami. On trouve dans les deux romans le dérapage du naturalisme vers un fantastique tantôt noir, tantôt goguenard. La curiosité culturelle des personnages de « Kafka sur le rivage », qui semble aller de paire avec un nomadisme géographique me semble entrer en écho avec le livre d'Asada Akira, »Le discours de la fuite (1984) qui encourage ses lecteurs a adopter une attitude ouverte et transversale vis à vis des différentes cultures.

Je ne crois pas contrairement à ce qu'écrit Miura que Murakami ait trouvé véritablement de frère dans la littérature américaine, tant son originalité est grande, mais il a fait un émule dans les lettres anglaises en la personne de David Mitchell qui a résidé plusieurs années au Japon. Chez l'anglais on retrouve le même talent pour enchâsser dans l'histoire principale de multiples récits annexes, la même cohabitation du réalisme le plus terre à terre avec un fantastique qui surgit du quotidien...

Une des particularités principales de Murakami dans le monde littéraire japonais est que les traductions de ses romans, très nombreuses et dans de nombreux pays (voir à ce sujet le numéro 13 de « Zoom Japon » daté de septembre 2011) sont plus lues que leur version originale, même s'il connait un immense succès dans son pays.

D'autre part, il est loin de faire l'unanimité critique dans son pays. Il faut tout d'abord dire que le monde littéraire japonais est encore plus formel que le notre. La production de livres y est très clivée. Elle se scinde en deux groupes, la jun-bungaku, la littérature pure, qui connait le plus souvent que des tirages modestes mais qui a droit de citer à l'université, et taishu-bungaku, la littérature de divertissement, romans sentimentaux, policiers, de science-fiction chez qui se recrutent les best-sellers. Je pense que la méfiance et l'hostilité à l'égard de Murakami des milieux universitaires japonais vient qu'il transcende largement ce clivage, mêlant dans ses romans considérations philosophiques à une trame policière où s'invite le surnaturel. C'est le mélange d'extrême naturalisme et de fantastique débridé qui en effet peut décontenancer. Il instaure le brouillage des genres comme règle.

De grands spécialistes de la littérature japonaise, comme Massao Miyoshi tiennent Murakami comme un entrepreneur cynique qui n'a jamais écrit une ligne par inspiration ou sous l'emprise de l'émotion. Kenzaburo Oê (Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants) quand à lui voit Murakami comme antinationaliste culturel, ce qui n'est pas forcément un compliment venant de lui (on remarquera qu'avec Oê, au Japon, le nationalisme ne se situe pas qu'à la droite de l'échiquier politique). On rappellera que le thème qui coure dans toute l'oeuvre de Oê est le ressentiment causé par la défaite. Oê reproche l'absence de ce thème dans les romans de Murakami; ce qui pourrait simplement s'expliquer du fait que ce dernier est plus jeune d'une génération que Oê... Une autre grande voix de la critique japonaise, Yôichi Komori accuse Murakami d'avoir, avec « Kafka sur le rivage » << rédigé un récit exécuteur qui apporte un soulagement malsain à ses lecteurs traumatisés par la violence du monde d'après 11 septembre 2001.>>.

En ce qui me concerne, je ne comprend guère ce que Yôichi Komori veut dire par là, même si les derniers chapitres avec leur fumet new-age peuvent être vus comme un baume à notre peur de la mort, l'insatiable curiosité intellectuelle et l'ouverture d'esprit des personnages du roman, ne peuvent qu'inciter les lecteur à prendre des risques, à s'ouvrir aux autres et à ne pas se replier sur eux mêmes. Kafka sur le rivage est surtout un roman optimiste et volontariste montrant que l'on peut faire surgir l'étincelle de vie chez l'autre qui sommeillait...

Plus qu'un auteur en rupture avec la grande littérature de son pays, je verrais au contraire en Murakami un écrivain dont certaines des pages me paraissent en continuité avec le Tanizaki d' « Eloge de l'ombre », paru en 1933, et sa conception de la beauté qui montrait que la spécificité de la civilisation nipponne n'est pas fondée sur la transparence ni sur la clarté des choses mais, au contraire, sur le clair-obscur qui les enveloppe constamment de mystère : un art du flou, un frémissement crépusculaire dont Tanizaki décrypte les codes secrets dans le galbe délavé d'une pierre de jade ou la pénombre tamisée d'un temple. Les songes de Kafka Tamura dans la forêt de son refuge et les mystères de la pierre de Nakata, sans oublier les crayons du bel Oshima, mentor de l'adolescent ne sont pas éloignés des considérations de Tanizaki comme le démontre cet extrait: " Confortablement installé sur le canapé, j’observe les alentours et me rends compte que ce salon est exactement l’endroit que je cherchais depuis longtemps. Un endroit secret, tapi dans un creux du monde, exactement comme celui-ci. Mais jusqu’ici ce lieu n’existait que dans le secret de mon imagination. Je n’arrive pas encore à croire tout à fait qu’il existe réellement. Je ferme les yeux, inspire profondément, et il s’installe doucement en moi, comme un doux nuage. C’est une sensation agréable. ". L'amours impossibles de Tamura pour l'apparition de la jeune Saeki quand à lui m'a fait penser aux rapports qu'ont les vieillard avec « Les belles endormies » de Kawabata. La profonde humanité qu'émane de Nakata est semblable avec celle que l'on ressent en côtoyant les handicapés d'Oê. On peut aussi rapprocher l'absurde de Murakami (qui a du lire beaucoup Beckett) avec celui de Yoko Ogawa... Les points communs avec son homonyme Ryu Murakami sont nombreux. Il est amusant de noter qu' Haruki ne cite jamais le nom de Ryu Murakami pourtant il lui a sinon empreinté tout du moins il partage avec Ryu, son talent pour passer avec fluidité du naturalisme au fantastique, certes celui d'Haruki est moins noir que celui de Ryu.

Sur le vide et le plein de la vie est une interrogation que l'on retrouve dans tout l'ouvrage: << … le jeune homme laissa son esprit errer parmi ses souvenirs d’enfance. Il se rappela l’époque où il allait tous les jours à la rivière, près de chez lui, pêcher des loches. « c’était une époque sans soucis. Je prenais chaque jour comme il venait, j’étais quelqu’un. Ca se faisait tout naturellement. Mais un beau jour tout s’est arrêté. Et la vie m’a réduit à n’être personne. Drôle d’histoire. L’homme naît pour vivre, non ? Pourtant, plus le temps passait, plus je perdis ce qui constituait mon noyau intérieur, jusqu’à avoir l’impression d’être devenu totalement vide. Et peut-être que désormais, plus je vivrai, plus je deviendrai vide, moins j’aurai de valeur. Il y a eu une erreur quelque part. Jamais entendu une histoire si bizarre. Est-ce que je peux faire quelque chose pour changer la direction du courant ?>>

Kafka sur le rivage est un roman initiatique, ou plutôt de formation,où les deux “héros” vont progresser dans la recherche d'un but, d'un sens à leur vie respective, cheminement rythmé par des rencontres fortuites de personnages extravagants à la psychologie pourtant toujours juste, presque chaque nouveau venu porte une grande attention et font preuve d'une grande écoute pour nos deux vagabonds.

Par son roman Haruki Murakami nous met face à nous même, nous invite à trouver notre propre chemin (bien que d'une teneur très positive tous les personnages ne trouvent pas leur voie); il nous transporte dans un monde inquiétant, déstabilisant, où pourtant le lecteur se retrouve seul face à lui-même, à sa vie et à son destin dans un « ailleurs » qui paradoxalement est aussi son univers.

On peut rapprocher la technique romanesque de Murakami dans ce roman avec celle de David Lynch dans son film Mulholland drive. Deux oeuvres ouvertes, fondées sur différentes manières d' interpréter ce que l'on lit ou ce que l'on voit, ce qui fournit au lecteur la sensation d’être intelligent. Ce qui n'est pas désagréable. Le lecteur de Murakami est entretenu ainsi tout au long du livre dans l’espoir de parvenir à découvrir le détail qui confirmera que son interprétation initiale était juste. Et même si cet élément n’existe évidemment pas, il a connu un grand plaisir à pratiquer une lecture active... Si je cite Linch, je rappellerais que le seul cinéaste qui soit cité dans le livre est François Truffaut, mais c'est à un autre grand réalisateur à qui me songer l'univers de Murakami, il s'agit de Raul Ruiz qui écrivait à propos de ses "Mytères de Lisbonne", autre oeuvre qui ne délivre pas tous ses secrets: << L'époque du drame moderne, où chaque personnage sait ce qu'il veut et pourquoi il le veut, n'est plus. Ce genre est devenu obsolète, hors d'usage, irreel. La logique des effets et des causes à tout prix propre au drame moderne a fait place aux turbulences paranoiaque du monde de la mondialisation>>. Il disait également que l'un de ses mythes personnels le conduisait à concevoir la vie humaine comme un voyage vers le passé, le présent étant constitué des turbulences qui accompagnent ce parcours. Comment en lisant ces propos ne pas penser à la posture de Mlle Saeki face au temps. 

A travers des péripéties les plus incongrues, il faut se laisser embarquer dans cette quête, ce qui n'est pas difficile, tant Murakami possède la science du suspense, et ne pas renâcler devant une pluie de sangsues ou une pierre qui parle et accepter avec évidence comme le font les personnages les fantômes ou un esprit qui peut s'incarner dans une icône de la société de consommation Si les situations cocasses ne manquent pas, ni les tristes, parfois cruels, parfois humoristiques, elles sont toujours émouvantes.

  

Comme à mon avis pour tout grand livre, le vrai sujet de Kafka sur le rivage est le temps, je l'ai déjà écrit ici et là ou plus exactement sa perception donc peu ou prou la mémoire, c'est en cela que paradoxalement on peut le qualifier de proustien (les japonais sont grands lecteurs du divin Marcel). Dans le magazine littéraire 517 de mars 2012 Michel de Boissieu en tire une conclusion périlleuse mais séduisante: << Kafka Tamura est incapable de donner un sens à son expérience en se la rappelant... Il ne peut trouver les mots pour critiquer ou se révolter et cette paralysie de la pensée s'étend du narrateur au lecteur. Dans ces conditions « Kafka sur le rivage » devient un récit assassin de la mémoire qui reproduit la machine à exécuter d' « A la colonie pénitentiaire » (cité dans le roman) de Kafka.>>.

Le roman contient cette phrase: << Ce que l'on nomme surnaturel n'est autre que les ténèbres de notre propre esprit. >>, que l'on pourrait mettre en exergue de l'oeuvre de Murakami.

Au fil des page de son roman que l'on peut qualifier de déraisonnable,, Murakami, par petites touches suggère qu'il y a plusieurs mondes parallèles qui parfois communiquent et que tout est en relation, les hommes, la nature, le cosmos l'univers des rêves...

  

Nota:

-1 On lira avec profit la critique d'Argoul à cette adresse: http://argoul.com/2011/12/14/haruki-murakami-kafka-sur-le-rivage/

-2 Robert Sandoz a adapté le roman pour le théâtre (si quelqu'un connait une captation de cette pièce, je serais très intéressé de la voir) a communiqué quelques notes de lecture qui relève d'une interprétation originale auxquelles j'adhère globalement: << Quelle violence et quelle douceur entremêlées. Rendre cette impression d’optimisme et de pessimisme conjugués. », « Il n’y a ni jugement ni thèse psychologique. Il y a lutte pour ou contre son destin. Freud est à bannir de cet OEdipe .», « Il n’y a pas de frontière entre réel et imaginaire, tout est perméable. Il faudra recréer ce monde pour le spectateur, un monde où tout arrive, car les forces, dieux, esprits, ou ce que l’on veut, nous entourent et nous parlent en prenant l’apparence d’un logo, ou d’un arbre ». « Murakami nous fait oublier la frontière entre le bien et le mal. Ce qui arrive arrive. ». Pour en savoir plus sur cette adaptation: http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Kafka-sur-le-rivage/

12 avril 2020

J’AI PAS SOMMEIL, un film de Claire Denis

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France, de Claire Denis, 115 mn, 1993

  

Réalisation: Claire Denis

  

avec: Line Renaud, Béatrice Dalle, Katerina Golubeva, Richard Coucet, Vincent Dupont, Alex Descas, Sophie Simon, Irina Grejbina, Vincent Dupont, Patrick Grandperret, Tolsty, Laurent Grevill, Ira Mandella-Paul

  

  

Résumé

  

Un mystérieux tueur de vieilles dames sévit dans le 18 éme arrondissement de Paris et terrorise le quartier. Une jeune femme, Daiga (Katerina Golubeva) arrive de Vilnius au volant de sa vieille voiture. Elle retrouve une lointaine parente, Mina qui l’installe dans le modeste hôtel dans le 18 éme arrondissement de son amie Ninon (Line Renaud) qui anime un club de self-défense pour dame du troisième age. Daiga veut joindre Abel, un metteur en scène qu’elle a connu à Vilnius et qui avait alors promis de l’aider. Par ailleurs, un antillais, Théo (Alex Descas), vivant seul avec son enfant, travaille comme menuisier, faute de pouvoir vivre de sa musique. Il rêve de rentrer dans son pays, mais Mona (Béatrice Dalle) sa femme, refuse de le suivre et veut reprendre son fils. Théo a un frère, Camille (Richard Coucet) dont il ignore la vie privée. Camille est homosexuel et vit avec son amant, Raphael, dans l'hôtel de Ninon. Il fait un numéro de travesti dans une boite gay et se prostitue à l’occasion. Mais surtout le tueur c’est Camille! Parfois il va chercher du réconfort auprès de son frère, comme le jour où il apprend qu’il est atteint du sida. Ninon se prend de sympathie pour la jeune lithuanienne et l’emploie dans l'hôtel. Daiga, qui ne parle pas français, regarde et comprend que Camille est le tueur en série. Tandis que Daiga l’observe, la police resserre son étau autour de lui. Quand il se laisse arrêter en douceur, Daiga se rend dans sa chambre et prend tout ce qu’elle trouve. Elle repart aussitôt en Lituanie, emportant l’argent volé lors des meurtres.

  

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L'avis critique

 

  

Claire Denis a transposé un fait divers réel: l’affaire Paulin; un homo antillais, travesti de cabaret, prostitué occasionnel qui assassina pour les dépouiller une vingtaine de vieilles dames entre 1984 et 1987. Il fut arrêté et inculpé avec son complice qui était aussi son amant. Il mourut en prison du sida, avant d’être jugé.

 

Claire Denis a composé son film comme une suite de patchwork avec comme fil rouge, qui semble bien artificiel, les déambulations de la jeune lithuanienne. De nombreuses scènes pour réussies soient-elles, semblent extérieures au film, comme celle où Ninon, Line Renaud remarquable de pétulance, professe un cours de self-défense. Il semble que la réalisatrice constamment fuit, par peur de l’affronter, quoi qu’elle en dise, le vrai sujet de son film: le portrait de ce tueur (Richard Coucet, un acteur non professionnel qui crève l’écran) à la fois beau, charmeur et complètement amoral. La réalisatrice déclare pourtant: << La prise de corps c’est vraiment la seule chose qui m’intéresse. C’est assez intimidant, surtout quand c’est le corps de l’homme. Je ne peux pas dire que j’avais peur du sujet de J’ai pas sommeil mais du début à la fin, je me suis posée des questions sur le regard qu’on pouvait porter sur un projet comme celui-là. Le corps du délit, le corps de Camille, a été évidemment un objet d’observation, un mystère>>.

On sent que le film veut réinventer le film noir très urbain, L’histoire d’un sérial killer croisant d’autres personnages au hasard des tracés du destin et des rues parisiennes. Tissé de faits divers, d’ambiances contrastées, et de moments de vie, quotidienne ou criminelle, le film réinvente le paysage de la fiction dans le cinéma français. J’ai pas sommeil marque l’affirmation d’un regard intense et personnel...Le climat est absolument anti dramatique et la mise en scène ne propose jamais au spectateur la moindre possibilité, ni d’identification, ni de rejet violent, encore moins de libération par une quelconque catharsis.

 

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J’ai pas sommeil propose une vision troublante d'un état du monde actuel, un monde assoupi, anesthésié, cacochyme, composé de victimes et de petits bastions mesquins repliés sur eux mêmes, leur argent ou leur culture, leurs mensonges et leurs clichés. Seule une représentante du passé (très réjouissante Line Renaud) incarne la mémoire d’un rapport au monde plus actif, plus en prise sur les choses: elle pourrait remplir la fonction de mentor, si seulement il y avait quelqu’un à qui transmettre cette mémoire. Les personnages du film, car il y en a, viennent de l’extérieur (des pays de l’Est et des anciennes colonies françaises). Ce sont des guerriers, ils ont avec eux la vie et la mort, la danse et la faim, l’art et le travail, la famille et la beauté, et d’infinies figures d’ambiguité. J’ai pas sommeil montre clairement ces personnages (une sauvageonne balte, un ouvrier et un assassin noir) comme des entités rebelles, déstabilisatrices, entrées dans la ville épuisée à l’ombre du clocher qui célébra l’écrasement de la Commune, le Sacré-Coeur, pour y semer le désordre et se repaître d’un trop vieux monde. Totalement dépourvu d’effet de manche, d’une implacable violence sous les apparences d’une grande douceur, un film aussi dérangeant ne pouvait que susciter un rejet massif. Ce qui n’a pas manqué.>>

Alors que tout est filmé d’une manière froide,le film n’existe vraiment que dans une sublime séquence érotique dans laquelle Camille, le tueur, fait son numéro dans une boite gay, le corps luisant, à demi-nu, séquence qui n’est pas sans rappeler celle où Isaac de Bankolé dans le premier film de Claire Denis: Chocolat soulève brutalement sa patronne blanche. On peut s’interroger sur le fait que le cinéma français n’ai pas su ensuite réutiliser une nature de la force et de la singularité de Richard Coucet. Est ce seulement un manque de clairvoyance et d’intelligence? Même s’il faut bien admettre que J’ai pas sommeil n’est pas complétement réussi, il possède une telle audace dans le choix du sujet et une telle ambition dans son traitement, qu’il est évident qu’il est un des films important du cinéma français des années 90.

Claire Denis excelle dans ce film comme dans Beau travail, mais dans ce dernier ce sont des corps blancs, a faire ressentir toute la violence animale contenue dans un corps mâle et l’on ne peut que penser à une autre femme cinéaste pour avoir aussi bien sublimé le corps masculin, c’est Leni Riefenstahl.

Sébastien Lifshitz en 1995, juste avant le tournage de Nenette et Boni (avec l'excellent et sensuel Grégoire Colin), a réalisé un très bon documentaire sur Claire Denis: Claire Denis, la vagabonde .

 

12 avril 2020

Michel Gourlier, Dessins pour Quand les feux bruleront de Poul Knudsen ( collection Spirales, 1962)

 

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

la source de ces scans de Gourlier est: www.erosinarcadia.blogspot.fr 

12 avril 2020

Apollo et Marsyas, 18 ème siècle, copie d'après Raphael, Giuseppe Cades

 

Apollo et Marsyas, 18 ème siècle,  copie d'après Raphael, Giuseppe Cades.
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12 avril 2020

Guglielmo Bianchi, Seated male figure, 1931

 

Guglielmo Bianchi, Seated male figure, 1931
12 avril 2020

Le rôle sain et profond de la sexualité dans le processus créateur

 

dessin de Mac Avoy

dessin de Mac Avoy

 

Le rôle sain et profond de la sexualité dans le processus créateur, la sexualité non pas source de dépense, mais source d'énergie retenue, est un concept shivaite qui m'a beaucoup apporté et singulièrement dans le dessin, qui est la passion maitrisée.

Edouard Mac Avoy, Le plus clair de mon temps 1926-1987

12 avril 2020

Pekka Halonen (Finlande, 1865-1933), Kesäurheilua (Summer sports), 1922.

 

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12 avril 2020

Jeune Athlète de Jean Larrivé (1875-1928)

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12 avril 2020

Corey Turner

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