RUBEN short film LHBT onderwijs project - winnaar Young Positive Media Award 2013
Presque rien, un film de Sébastien Lifshitz
Presque rien” pourrait parfaitement définir ce que l’on voit sur l’écran qui n’est que l’histoire d’amour et de désamour de deux jeunes hommes d’une vingtaine d’années, Cédric et Mathieu. Mais l’on ressent vite que ce presque rien pour le cinéaste est tout.
Mathieu (Jérémie Elkaim) est un joli garçon en vacances dans la maison familiale à Pornichet. Il s’ennuie bourgeoisement, comme chaque année, entre baignades et bronzettes sur la plage. On le devine garçon sage, vaguement en attente, mais il ne sait pas de quoi. Il remarque vite qu’un garçon de la plage, qui a environ son âge, le mate ostensiblement, puis le suit à distance pour repérer où il habite. Le soir, il rode autour de la villa (il y a une scène similaire dans “Les terres froides”). Un soir, après le dîner, Mathieu décide d’aller retrouver son voyeur. Il fait ainsi connaissance avec Cédric (Stéphane Rideau), un garçon du cru qui vivote de petits boulots, alors que Mathieu est étudiant en architecture à Paris. Curieusement, et contrairement à ses films précédents, Lifshitz ne s’ appesantit pas sur la différence de classe de ses protagonistes, bien au contraire il semble même s’ingénier à vouloir la gommer. Dés ce premier soir, où ils s’embrassent, nait un grand amour d’été entre les deux garçons aux familles en déshérence, pour Cédric une mère absente depuis la petite enfance et un père peu attentif que l’on devinera faible; pour Mathieu, un père, que l’on ne verra pas, plus préoccupé par son travail que par sa famille et une mère dépressive, Dominique Reymond, parfaite en femme ballottée. Dès les premières scènes, nous avons fait connaissance avec la maisonnée en villégiature. Son pivot est la mère, que pourtant l’on voit peu, femme évanescente, elle ne se remet pas de la disparition en bas âge de son dernier enfant, prétexte scénaristique assez peu plausible, ou du moins pas évident en regard à sa physionomie et à son âge et celui de ses enfants, car Mathieu est flanqué d’une sœur hargneuse en proie aux frustrations de l’adolescence. Lifshitz ne semble pas vraiment savoir que faire de ce personnage.
Ce petit monde est régit par l’amie de la mère, Annick (Marie Matherou), la quarantaine aussi énergique que vulgaire. Cette vulgarité crée le premier hiatus du film, hiatus social, tant on est surpris de voir cette nature prolétarienne régenter cette maisonnée bourgeoise nichée dans une villa cossue. D’autant que ce personnage, qui semble là, comme quelques autres scènes pour gonfler en long métrage l'excellent moyen métrage qu’aurait pu être “Presque rien”. Cette extension artificielle est la cause de petites incohérences scénaristiques, puisque le dialogue, toujours justes tout le long du film, nous apprend qu’à la fois Anick vient chaque année maisnéanmoins elle ne sait pas où acheter des provisions! Dans une trame aussi ténue, la moindre petite aspérité se remarque...
Les deux garçons se plaisent immédiatement et si la force de Lifshitz, bien que nous ne réussissions jamais pendant tout le film à être en totale empathie avec les deux tourtereaux, est de présenter cet amour comme une évidence, une banalité, presque comme si l’attirance physique de deux garçons serait la norme et non l’hétérosexualité. La gène, l’incrédulité du spectateur devant cette romance vient du coté classique (trop?) surannée même, de la démarche amoureuse de Cédric, c’est lui l’élément moteur du couple, envers Mathieu. Rien ne manque: baisers volés, complicité, bourrades, gaufres, autos tamponneuses, bal, feux d’artifice. A lire cette énumération, on a un peu de peine à croire que cette histoire d’amour se déroule aujourd’hui et non pas hier ou avant hier. On notera par exemple que Lifshitz ne fait pas intervenir des objets emblématiques de la jeunesse actuelle, comme les consoles de jeux ou les téléphones portables. Mais je reviendrai sur un autre hiatus, cette fois temporel. L’amitié entre les deux garçons se développe. Cédric est présenté à la maisonnée de Mathieu. Il rencontre d’ emblée l’hostilité de la soeur de son ami alors qu’Annick n’est pas insensible à la virilité du jeune homme. Ces deux pistes scénaristiques ne seront absolument pas développées et resteront des cul de sac où butte l’imaginaire du spectateur. Cette construction n’est pas une maladresse du réalisateur, car on comprend vite que Lifshitz s’il veut donner des jalons au spectateurs, veut aussi préserver le mystère de ses personnages réussissant à faire vivre le film dans la mémoire des spectateurs bien après sa vision. Même à l'acmé de la relation amoureuse entre Mathieu et Cédric, on sent bien que le réalisateur répugne à toute psychologie. On constate tout de même que la nature de l’amour qu’éprouve Mathieu pour Cédric est différent de celui de Cédric pour Mathieu. Cette dernière étant purement sexuelle, auquel le physique, un peu bestial de Rideau, est parfaitement adapté.
Lifshitz s'attaque de front et avec un grand talent, à la représentation de l’acte sexuel à l’écran. Vu leur perfection on peut regretter qu’il n’y ait que deux scènes de jouissance physique dans “Presque rien”. La première se situe au début, Mathieu se masturbe. Cette scène est magnifique de calme, de réalisme, de sensualité, mais aussi de ludisme, à mille lieues des masturbations que l’on peut voir dans les films pornographiques dans lesquels le sexe mâle est ramené à un piston qui monte et descend frénétiquement. L’autre, au milieu du film, est une joyeuse scène de sodomie dans les dunes sous le soleil. Cette belle scène crue, malheureusement trop fugitive est mise en exergue par la façon dont elle est éclairée, à la manière de certains spots publicitaires, sans ombre, d’une lumière égale et forte. Cette belle image soignée et lumineuse contraste avec l’image du reste du film qui est souvent nocturne et assez “sale”. D’autre part, les séquences de plage, avec leurs fréquents contre-jour, ressemblent volontairement, à celles des films familiaux de vacances.
Avec dans ces séquences des trouées lumineuses insolites, comme ce plan des bustes des deux amoureux tête contre épaule se faisant bronzer sur le sable. La photo, c’est un plan fixe, est prise en lumière rasante par derrière. On voit ainsi sur l’écran les têtes à l’envers comme dans un tableau de Baselitz. On retrouvera encore une fois ce type d’image que l’on ressent plus peinte que filmée avec son versant nocturne, Cédric et Mathieu, sur leur lit, enlacés nus, sexes alanguis et déployés. On passe de Baselitz à Montegna... Dans la frénétique scène de sodomie Lifshitz surprend faisant de Mathieu que l’on percevait comme l’élément dominé du couple, l’actif dans le rapport sexuel, une double inversion en quelque sorte. Il avait déjà dérangé les codes gay, en faisant du beur, héros des “Corps ouverts”, un homo passif... Mais l’été se termine et Mathieu doit rentrer à Paris pour reprendre ses cours. Cédric en est désespéré. Mathieu mesure alors l’attachement de son ami pour lui et il décide de poursuivre ses études d’architecture à Nantes. Sa mère finit par accepter sa décision tout en ne l’approuvant pas. L’automne venu les deux garçons vivent ensemble (à Nantes?). Mathieu ne veut plus avoir de rapport sexuel avec Cédric. Il tente de se suicider, probablement en ingérant des médicaments puisque l’on nous inflige un plan de lavage d’estomac. Après que Cédric l’eut conduit à l'hôpital où il demeure quelques temps, il est suivi par une psychiatre qui ne s’oppose ni à son départ de l'hôpital, ni à sa fuite pour Pornichet, en cachette de toutes ses connaissances, à condition qu’il tienne un journal. On retrouve dans le plan chronologiquement suivant, mais la chronologie de l’action n’est pas la chronologie du film, Mathieu dans la rue qui mène du boulevard Montparnasse à la gare du même nom, puis sur le quai montant dans le TGV et enfin dans le train commençant son journal au magnétophone. Mathieu part donc de Paris, l'hôpital où l’a amené Cédric qui est sensé être à Nantes est donc à Paris. Cette grosse bévue scénaristique qui n’est que le fruit de la négligence aurait été évité si Lifshitz avait pris soin de faire un bout à bout chronologique de l’aventure amoureuse de Mathieu. Cela lui aurait surtout montré que les temps forts filmiques ne recoupent pas les temps forts scénaristiques. On peut surtout penser que l’escamotage complet de la vie commune des deux garçons est plus une incapacité à traiter cette situation qu’une élégante ellipse...
Mathieu retrouve en hiver un Pornichet gris et froid, bien différent de celui qu’il connaissait l'été. Il rentre par effraction dans la villa familiale dans laquelle il n’y a ni électricité, ni chauffage. Il recueille un chat dont il se fait un ami. Cédric réapparaît. Il se doute que Mathieu est cloîtré dans la villa. Cédric frappe violemment aux volets clos. Son ami, tapi dans le noir dans la maison, ne lui répond pas. Le bruit fait par Cédric ameute une voisine qui le fait fuir. On ne reverra plus chronologiquement le garçon après cette scène parfaitement inutile. Mathieu s’installe dans une vie de robinson dans la villa. Pour survivre, il se trouve un petit boulot de plongeur dans un café typique du cru. Il décide de rentrer en contact avec un des anciens amants de Cédric, un jeune maçon de son âge. Un commencement d’ idylle semble s’ébaucher entre Mathieu et ce garçon... Il est très pénible de reconstituer la suite chronologique la passion amoureuse entre Mathieu et Cédric, tant Lifshitz et son alter ego de co-scénariste, s’est ingénié à déconstruire son récit. On ne peut s'empêcher de penser que cette déconstruction est à la fois un manque de confiance en la limpidité de son intrigue et un excès de pudeur pour cette histoire que l’on pourrait imaginer autobiographique ou plus probablement que ses auteurs auraient aimé qu’elle soit autobiographique. La première demi-heure du film par son atmosphère, par le lieu ou il se déroule et son thème évoque le beau roman de Chambers, “La danse du coucou (éditions point-seuil) dont la construction n’est pas non plus linéaire. Jacques Duron a travaillé sur une adaptation cinématographique de ce livre, sans pouvoir faire malheureusement aboutir son projet.
Si l’on reconstruit l’intrigue de « Presque rien » chronologiquement on s’aperçoit que le film et son cadre ressemble beaucoup à un autre film gay, “Le bon fils” d’Irène Jouannet. Il y a pourtant deux grandes différences entre ces deux longs métrages. Premièrement la construction du “bon fils” est linéaire, alors que celle de “Presque rien” est déconstruite, comme celle de tous les films de Lifshitz. Deuxièmement, il n’y a pas dans le film de Jouannet des scènes de sexe explicites, sans doute la diffusion en prime time, même sur Arte oblige (sur Canal+ “Presque rien” n’est pas passé en début de soirée), mais ce n’est pas la seule raison, car le seul doute, la seule ouverture dans le trop fermé “Bon fils” est cette interrogation, la seule du film, les deux garçons ont ils fait l’amour entre eux? Si “le bon fils” est un film beaucoup moins ambitieux cinématographiquement que l’opus de Lifshitz, il est plus réussi formellement dans les limites de sa modestie. Jouannet réussit beaucoup mieux que son confrère à imbriquer l’aventure amoureuse de ses deux jeunes héros dans un tissu social. D’autre part tout en étant plus réaliste, la cinéaste a su insuffler plus de romanesque dans “Le bon fils” qu’il y en a dans “Presque rien”. Mais malgré ses qualités “Le bon fils” ne donne pas à ses deux héros la même pérennité dans nos mémoires que ceux de “Presque rien”. Ce qui démontre la supériorité d’une structure ouverte et volontairement lacunaire sur une narration sagement linéaire et close. Cependant à force d’ellipses, comme je l’ai déjà signalé, Lifshitz a créé plusieurs hiatus dans son scénario. Le plus important est celui d’ordre géographique. Sans doute faute d’avoir obtenu l’autorisation de tournage sur la commune de La Baule, suite aux protestations d’un conseiller général des Pays de Loire. Ce qui a contraint le cinéaste, tout en citant nommément Pornichet, à unir trois lieux qui ne forment pas un seul tenant géographique, la plage de La Turballe pour toutes les scènes de plage, les rue de Pornichet pour les alentours de la villa, mais aussi la promenade du Pouliguen pour le stand où Cédric vend de la confiserie. On sait que le Pouliguen est séparé de la commune de Pornichet par celle de La Baule. Jamais Lifshitz ne parvient a faire croire à une continuité géographique des lieux. Cet échec prive le film de la chaleur, de l’humanité que par exemple Dinar donne à cet autre film de plage qu’est « Conte d’été » de Rohmer. Ce qui ne pourrait être qu’un détail, cette incapacité à restituer un lieu, à enraciner son film est très dommageable car à cause de cela Lifshitz ne parvient pas à faire passer le lien privilégié que Mathieu entretient avec le lieu de ses vacances. Ainsi on comprend mal pourquoi Mathieu va s’y réfugier après sa dépression. Ce morcellement est encore aggravé par le parti pris de tournage nocturne, comme dans les autres films du cinéaste.
Si presque rien n'est pas le film le plus réussit de Lifshitz, je place le méconnu Terre froide bien au dessus en ce qui concerne la fiction car le cinéaste est aussi un grand documentariste, il est sans contexte le plus ambitieux. Malgré ses nombreuses imperfections, Presque rien est de ces films qui cheminent longtemps dans notre mémoire.
Presque Rien (2000) Trailer | Sébastien Lifshitz
Ta critique exhaustive de "Presque rien" est une excellent illustration à ton billet sur la critique cinématographique. Que nous reste il à dire?
Tu balaies le film presque sous toutes les coutures... Sur "Presque rien" tu dis presque tout!
Je suis d'accord sur la permanence dans ma mémoire de ce film alors que j'ai du mal à me souvenir du "Bon fils". Certainement que les scènes solaires de sexe y font beaucoup. Et Stéphane Rideau donne une consistance, un physique d'un jeune gay bien sympathique.
Je me souviens également des décalages ("déconstruction") de l'histoire , en revanche la critique géographique la Baule, Pornichet ne sera retenue que par les connaisseurs de cette région.
Le manque du téléphone mobile et autre jeux vidéos est a replacé à l'époque du tournage. L'explosion de l'usage du portable n'est pas si vieux!
Ce qui m'avait gêné venait du "hiatus" entre l'aspect psychologique (on nous montre la dépression de la mère et celle de Mathieu) et cette histoire presque banale de relation amoureuse. Quel rapport entre les deux ?
Le Dvd de ce film est assez facile à trouver et souvent bon marché.
réponse à psykokwak
Tu as tout a fait raison le portable n'est pas si vieux mais ce que je voulais dire par là c'était l'intemporalité de l'intrigue et un refus de la part du réalisateur de l'ancrer dans la vie d'aujourd'hui. La mère qui quasiment se meurt de langueur fait très fin XIX ème, encore un film où également l'argent n'existe pas... Quant à la question géographique je ne crois pas que ce soit si annexe que ça. Si un réalisateur situe géographiquement son intrigue (Lifshitz n'était pas obligé de situer les lieux avec précision) il doit se soumettre à la contrainte qu'il s'est imposée. Linch dans "Mulholland drive" le fait parfaitement pour le Los Angeles qu'il présente, idem pour "sunset boulevard" et bien sûr Woody Allen pour New York ou Agnes Varda dans Cléo... Je pourrais prendre de nombreux autres exemples... Et je dois dire que dans le dernier Mike Leigh la non situation des lieux dans le grand Londres me gène. Il faut dire que je suis un grand arpenteur de villes et de plages...
A la lecture de votre papier -- très exhaustif, en effet -- on a un peu l'impression que vous "aimeriez aimer" ce film, dont vous mettez principalement en évidence les lacunes. Je ne suis pas un grand spécialiste du cinéma "estampillé gay", mais j'ai vu "Presque rien", un peu par désœuvrement, parce qu'il se trouvait sur les étagères de la vidéothèque de mon ami, et parce que ledit ami était, ce soir-là... à Pornic ! (Vous saurez tout...)
J'en suis sorti, non pas déçu, mais tel que j'y suis entré : sans frisson particulier, et avec la triste impression d'un cinéma qui (je ne cherche pas à faire de vilain jeu de mots) se mord la queue. Cinéma de gay, qui voudrait sans doute ne pas toucher QUE ce public, mais échoue à sortir de ses idiosyncrasies, par absence de regard autre que connoté, et par manque d'empathie. J'adresserai un peu à ce film la même critique que celle que vous destiniez à "la critique", justement. Sauf de posséder un tempérament artistique exceptionnel -- j'entends, capable de sublimation --, mieux vaut ne pas tabler sur un scénario aux résonances trop intimes, et garder une part suffisante de distance avec son sujet.
Pour vous paraphraser en partie, je dirai que Lifshitz "ne sait que faire d'AUCUN de ses personnages" (pas seulement celui de la mère), non plus que de son ébauche d'intrigue. D'où le recours à la déconstruction -- tellement en vogue actuellement, et tellement pratique pour excuser / masquer une incapacité totale à construire quoi que ce soit de sensible, ou de simplement cohérent.
Je suis d'accord avec vous sur le fait que la question géographique n'est pas annexe, et nécessite une certaine contrainte (à laquelle, de toute évidence, Lifshitz a renoncé -- quelle qu'en soit la raison : économique, pratique, ou administrative...) Reste que son film reflète néanmoins le climat de morosité, de puanteur petite-bourgeoise, d'insurmontable ennui et de sableuse grisaille propre à la Loire-Atlantique -- une région que je connais bien, et trouve fascinante pour sa déliquescente prétention à paraître ce qu'elle n'est pas : un havre de splendeur. Mais, là-dessus, je vous renvoie aux écrits du père Léautaud dans son Journal -- je dois dire que j'adhère férocement à son point de vue...
Pardonnez ce long commentaire, mais c'est bien le moins que l'on puisse faire pour répondre à votre critique très approfondie...
Amitiés.
réponse à BBJane
Je ne suis pas d'accord avec Léautaud que par ailleurs j'aime bien (je suis un grand amoureux des chats aussi), mais à petites doses, sur la Loire Atlantique que j'aime particulièrement, La Baule, bien sûr mais aussi Nantes... Je trouve que Lifshitz a assez bien rendu l'athmosphère du lieu (où j'ai tourné mon propre film) malgrè son incapacité à créer des parcours crédibles pour ses personnages.D'autre part amoureux des plages et parlant de la bourgeoisie (petite) à défaut de voir arriver un Coriolan...j'aime particulièrement cette ambiance qui règne en ces lieux... et je suis très content de ta critique.