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Dans les diagonales du temps
30 mai 2020

Lumière pâle sur les collines de Kasuo Ishiguro

 

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Je pense qu’il est préférable de prendre connaissance de ce billet seulement après avoir lu ce livre que je vous recommande chaudement. 

De même qu’il est souhaitable de lire « Lumière pâle sur les collines » avant de lire « Un artiste du monde flottant », à mon avis le chef d’oeuvre d’Ishiguro car ce dernier roman reprend certaine thèmes de « Lumière pâle sur les collines » en leurs donnant plus d’ampleur.

L’intrigue du roman se déroule en deux pays, le Japon et plus précisément à Nagasaki et quelque part dans la campagne anglaise et aussi en deux temporalités pour la partie japonaise quelques années après la fin de la guerre et de l’explosion nucléaire qui détruisit en partie Nagasaki et pour le volet anglais environ vingt cinq ans après.

Nagasaki est la ville natale de l’auteur; mais qu’il quitta à l’âge de cinq ans. Nagasaki est un personnage à part entière du roman. Alors que l’on reconnait parfaitement la ville, il est probable que l’auteur ne l’a pas reconstitué l à partir de ses propres souvenirs mais en transcrivant ce que lui avait raconté ses parents à propos de sa cité natale. 

« Lumière pâle sur les collines » est le premier roman d’kazuo Ishiguro. Il est paru en Grande-Bretagne en 1982.

Après le suicide de Keiko, sa fille ainée, Etsuko, une japonaise installée en Angleterre, se souvient du Nagasaki d’après la bombe, de Keiko sa fille né d’un premier mariage au Japon. Elle l’a emmené en Angleterre pour suivre l’homme qui deviendra son second mari. Lorsque le roman commence il vient de mourir. Keiko ne s’est jamais acclimaté à l’Angleterre et n’a pas accepté le remariage de sa mère, considérant son beau-père comme un parfait étranger. Etsuko se sent responsable du suicide de Keiko. Ses remémorations sont activées par la visite de sa seconde fille Niki qui vit une vie de bohème à Londres et qu’Etsuko ne comprend pas.

Etsuko met en parallèle sa vie avec celle de Sashiko une de ses voisines à Nagasaki. elle l’a connu alors qu’elle était enceinte de Keiko. Sashiko, jeune veuve, élevait seule sa fille Mariko, une enfant perturbées à laquelle plus tard Keiko, qui ne l’a jamais connu, ressemblera…

Plusieurs thèmes se croisent dans ce roman dans lequel les personnages sont essentiellement des femmes. Le principal sujet est les rapports compliqués entre mères et filles; ni ceux de Etsuko avec Keiko et Niki, ni ceux de Sashiko avec Mariko sont harmonieux. Toute la partie japonaise nous parle du traumatisme que fut la guerre pour au moins deux générations de japonais et le déclassement qu’elle entraina pour nombre d’entre eux. L’occupation américaine d’où découla la nouvelle constitution du pays entraina un profond changement de société ce qui eu une incidence directe sur le quotidien de chaque japonais. Il y a tout cela en filigrane dans « Lumière pâle sur les collines ».

Contrairement à bien des romans qui tiennent à tout nous expliquer des motivations et du devenir de chaque personnage, la particularité de celui-ci est qu’il laisse une large part à l’imagination de ses lecteurs. Beaucoup de points restent dans l’ombre et c’est au lecteur de supputer ce qui s’est passé. Par exemple on ne saura presque rien du mari anglais d’Etsuko ni ce qui a décidé cette dernière à suivre cet homme et de quitter son pays auquel pourtant elle semblait très attaché. On ne connaitra aussi que des bribes de la jeunesse d’Etsuko. On comprend que ses parents ont été tués à la guerre et qu’elle a été recueillie par un ami de la famille, un notable de la ville et deviendra un père de substitution pour la jeune fille. Cet homme est le seul personnage masculin saillant du roman. On peut supputer qu’elle a épousé ensuite son fils alors que l’homme qu’elle aimait c’était plus son bienfaiteur que son rejeton qui est un peu trop une caricature du macho japonais, c’est il me semble le seul point faible du livre. Que penser de Sashiko qui dit ne penser qu’au bonheur de Mariko alors qu’en réalité elle agit sans véritablement se soucier de sa fille. On ne saura pas non plus pourquoi Sashiko a une telle emprise sur Etsuko. Bien d’autres questions restent pendantes et c’est au lecteur de proposer des réponses.

Lumière pâle sur les collines est un roman dont à chaque page la lecture est stimulante.

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26 mai 2020

L'incognito d'Hervé Guibert

 

 

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Avec "L'incognito" Hervé Guibert raconte son séjour à la villa Médicis, renommée dans le livre l'académie espagnole, par le truchement d'Hector Lenoir, un double qui lui ressemble beaucoup et qui s'est fixé comme but d'écrire "l'histoire de sa vie", sur les quinze dernières années. Hector qui peine à accoucher de son grand oeuvre nous détaille, en courts paragraphes les menus tracas et les fantasmes que cette résidence fait naitre en lui. Hector se vit plus en exilé qu'en pensionnaire. La tonalité du récit est sombre et pourtant on rigolera souvent en le lisant. Les lieux sont décatis, les personnes qui dirigent cette institution sont des escrocs à la petite semaine et les collègues des parangons de mesquinerie. Guibert a découpé son livre en paragraphes de longueurs diverses. Selon les morceaux c'est indigent, brillant, hilarant, fastidieux, poétique, horrifique, surréaliste, mais presque toujours méchant. Comme sa vie a du lui être odieuse à cet homme qui semble plus ou moins mépriser tout ses semblables et parait ne voir que la laideur. Tout compte fait mourir jeune n'a fait qu'abréger cette souffrance qu'était pour lui la vie où rien ne trouvait grâce à ses yeux. Mais comme à l'habitude l'auteur mêle réalité et fiction. Faut-il le croire au malheur d'Hector puisque dans plusieurs interview Hervé a déclaré que son séjour romain a été deux années de bonheur.

 

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Eugène Savitzkaya (Matou dans "L'incognito") photographié par Hervé Guibert

 


Certain paragraphe sont de merveilleuses petites nouvelles dans lesquelles le ridicule est bousculé par l'émotion comme celle que l'on pourrait titrer "Le barbier de qualité". Alors que d'autre sont proches d'un sketch d'un excellent humoriste comme cette description d'un salon de coiffure romain que l'on dirait filmé par Fellini. On pense souvent au cinéaste italien en lisant ce livre. Autre morceau d'anthologie la description d'une boite de striptease également très fellinienne. Dans un autre registre le déjeuner d'Hector avec Doria (Balthus) est un grand moment de littérature humoristique. Si l'on croise le portrait de vieillesse de Balthus qu'en dresse Guibert avec celui de jeunesse que l'on découvre dans la correspondance Gide-Marc Allègret, on se dit que le grand peintre était un sacré phénomène...
Parfois certains paragraphe ne s'imbriquent pas vraiment logiquement dans ce puzzle qu'est "L'incognito"; on voit bien que Guibert y est allé un peu au chausse-pied pour les faire entrer dans son histoire, mais on ne s'en plaindra pas car ce sont souvent les plus drôles. 

Malheureusement le livre déraille à partir de la 180 ème page (le livre en comporte 227), page à laquelle Guibert introduit une histoire de meurtre abracabrantesque, puis, ensuite, une autre histoire qui se déroule à l'ile d'Elbe autour d'un Gigolo, un récit qui occupe les 20 dernières pages. Hervé Guibert est accoutumé du fait, il ne parvient jamais à terminer un livre d'une façon satisfaisante. Dans le cas présent on se demande bien pourquoi il n'a pas arrêté "L'incognito" à la page 180...    

Il demeure que ses clabaudages sur ses collègues de villa et sur bien d'autres sont fort distrayants, Guibert n'a pas son pareil pour débusquer la laideur morale ou physique. Peut-être par peur des représailles juridiques ou physiques Hervé Guibert affuble toutes les personnes dont il parle de pseudonymes souvent assez ridicules ou convenus. Ce qui est agaçant d'autant qu'il y a foule de personnages et l'on s'y perd parfois, car si les lecteurs férus du petit monde guibertien reconnaitrons nombre de protagonistes sous leurs masques d'autres noms sont restés pour moi énigmatiques...* Mais H.G a du se fâcher avec certains de ses éphémères voisins et l'institution qui dorénavant sera peut être moins encline à inviter des écrivains, si elle suit le conseil de Michel Braudeau: « On devrait toujours faire très attention avant d’inviter un écrivain à sa table. S’il ne part pas avec l’argenterie, il emportera bien plus précieux, bien pire, le souvenir de vos petites manies, de vos travers et le droit de déclarer que la cuisine est infecte. C’est peut-être ce qu’on pense à l’Académie de France à Rome, autrement dit la Villa Médicis, en lisant L’Incognito, d’Hervé Guibert.
Si le surnom de l'aigle pour Bernard Faucon est plutôt flatteur d'autre le sont beaucoup moins par exemple Quickly pour Renaud Camus l'est beaucoup moins. Guibert pour trouver ce pseudonyme c'est inspiré du "Journal romain" dans lequel Camus se décrit en éjaculateur précoce, comme quoi Guibert à lu attentivement le journal de son prédécesseur à la villa Médicis... Dans son journal de 1989 (Fendre l'air, P.O.L, 1991) Renaud Camus ne comprend pas l'allusion relatif à son surnom: << Pourquoi Guibert m'appelle-t-il Quickly? Est-ce à cause de mes Tricks, et de leur nettes ressemblance avec autant de quikies? Je n'en ai pas la moindre idée.>> (page 291). Mais comme moi Renaud camus a bien ri avec ce livre: << De vrais fous rires m'ont pris hier , à feuilleter le nouveau livre de Guibert.>>.
Hervé Guibert résidera à Rome de 1987 à 1989 et publiera ce livre, écrit "à chaud" en 1989 dans lequel de nombreuses scènes ridiculise le quotidien à l'académie espagnole par exemple dans la scène de la table d’hôte. 
Mais il serait naïf de réduire "L'incognito" à un récit, même à clés, du séjour romain de l'écrivain. Si la plupart du temps on reste dans rationnelle, Guibert insuffle dés le début du livre de la fiction en faisant d'un des permanents de la villa, un affidé maffieux des néo-nazis. C'est ensuite à la page 180 une embardée vers le roman noir, tentation récurrente de l'auteur mais qui prouve une fois de plus que Guibert n'est pas un romancier mais bien plus un chroniqueur de lui-même, virtuose du mentir-vrai. Sur cette intrusion de la fiction policière, je partage l'avis de Renaud Camus dans son journal de 1989: << Une vague intrigue policière, qui survient très tardivement dans le cours du livre, trop tardivement pour qu'on s'y intéresse bien fort, ne lui ajoute pas grand chose et paraît remplir des fonctions de remplissage.>> (page 301). 
Le titre reprend le nom d'une boite où dans le livre, les gigolos romains se retrouvent après le travail... Très bizarrement "L'incognito" est sorti, presque en même temps que "Fou de vincent". L'un chez Gallimard, l'autre aux éditions de Minuit, deux livres que l'on pourrait croire écrits par des auteurs différents.
Dans « Je disparaîtrai et je n’aurais rien caché », entretien avec François Jonquet paru dans la revue "Globe" en février 1992, Hervé Guibert déclarait: « C’est une blague "L’Incognito", un jeu de massacre, quelque chose de systématique dans sa méchanceté. Cela dit, ça relate plutôt mon arrivée, qui fut effectivement un cauchemar total. Il y a un témoignage exact de ce qu’était la villa Médicis. Elle s’est transformée depuis, heureusement pour les pensionnaires ! L’Incognito, je l’ai écrit aussi à cause des livres de Mathieu Lindon, pour lui, pour me glisser dans ses pas, pour jouer avec certaines de ses formules d’esprit, d’humour. Mais ça n’a pas marché : il n’a pas du tout aimé. Mathieu Lindon est depuis longtemps mon grand lecteur, la seule personne en qui j’ai vraiment confiance. [...] L’Incognito a été un dérapage, je ne l’ai pas tout a fait contrôlé, c’est le seul de mes livres pour lequel je n’ai pas d’affection.». Mais il faut se méfier de la sincérité des propos des écrivains sur leurs livres. Peut-être que H.G. avait des remords pour la façon dont il avait portraituré certaines personnes en particulier celles qui le considéraient comme un ami.    

Il y a parfois des choses curieuses ou plus exactement des éléments que je n'ai pas compris. "Incognito", comme tout les livre s de Guibert est partiellement crypté; par exemple H.G. écrit: << J'ai beaucoup lu Maurice Leblanc et Gaston Leroux pendant mon adolescence, je suis fier d'avoir un nom qui fait penser à eux.>>. Moi itou adolescent j'ai lu ces deux auteurs, surtout Maurice Leblanc et je ne vois pas en quoi le nom de Guibert ou Hervé puissent faire penser à ces deux écrivains. Mais peut être qu'un lecteur lettré pourra éclairer ma lanterne!
Dans son journal de 1989, Renaud Camus, pointe bien l'ambiguité de ce type d'écrit à propos de "L'incognito": << Le genre dans sa bâtardise est toutefois un peu spécieux: tout est vrai, peut dire l'auteur, c'est un journal; mais si certains détails sont faux, rien que de très normal: il s'agit d'un roman...>>. 
Je crois que j'ai enfin compris pourquoi Guibert m'avait été instinctivement antipathique: Il n'aimait pas les chats. Est-ce possible un écrivain n'aimant pas les chats?
Mais il faut faire taire ses préjugés contre les félinophobes et oublier que Guibert ne passait pas forcément pour un joyeux drille et, à ce prix, si vous êtes d'humeur caustique, vous rirez bien... "Incognito".

 

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le chat, villa Médicis, photo d'Hervé Guibert




Nota
* Heureusement Ismau grand guibertienne devant l'éternel, pour ma gouverne, en a arraché quelques uns: Angelo serait Hector Bianchiotti, Bibi: Thierry Jouno, Christinou: Christine la compagne de Thierry, Bisserier: Jean-Paul Goux, Clarinette: Claire Devarrieux, Doria: Balthus, Gustave: Hans Georg Berger, Isabelle: Isabelle Adjani, Jérôme Lafnac: Jérôme Lindon, Krupp: Jean-Marie Drot, Laigle: Bernard Faucon, Le Baron: Claude Lévêque, Marcovitch: Mathieu Lindon, Matou: Eugène Savitzkaya, Parkinson: Alain Lombard (ou Bousquet selon Renaud Camus), Pierre Cerisy - Pierrot-la fille Cerisy: Pierre Alfery-Derrida, Quickly: Renaud Camus, Roland Tarbe: Roland Barthes, le grand écrivain invité: Jacques Chessex, pour Palaiseau et Linsert. Il y a 4 options possibles lorsque l' on regarde la liste des pensionnaires peintres durant la période où Guibert était pensionnaire à la villa Médicis : Philippe Hurteau, Philippe Mazuy, Denis Laget, Pierre Faucher. Deux des quatre doivent être Palaiseau et Linsert

 

21 mai 2020

Carnet d’adresse de quelques personnages fictifs de la littérature de Didier Blonde

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Depuis qu’adolescent Didier Blonde a découvert qu’il était à Neuilly voisin d’Arsène Lupin, il s’est effectué dans son esprit une curieuse confusion entre les personnages de fiction et personne réelles. Depuis dès qu’il lit un roman ou une pièce de théâtre, il note scrupuleusement l’adresse des protagonistes. Il semble s’être limité à Paris et sa proche banlieue. Ensuite il va à l’adresse indiquée dans l’espérance peut être d’apercevoir cet être de papier souvent plus présent pour lui que les gens qu’il croise au quotidien. Parfois la rue n’existe plus, avalée par les travaux Hausmaniens, ou elle n’a jamais existé, comme celle de l’immeuble de « La vie mode d’emploie » d’autres fois l’adresse , pourtant doté un numéro de téléphone possède un numéro surnuméraire ou un bis intempestif. Mais il arrive néanmoins souvent que Didier Blonde puisse repérer la fenêtre de Madame Arnoux, celle de Maigret ou de bien d’autres personnages, guettant leur fugitive silhouette se mouvant derrière des rideaux ou se découpant en ombre chinoise à la lumière électrique.

Dans ses pérégrinations parisiennes Didier Blonde s’aperçoit ainsi que l’adresse de Jean Decker de « Quartier perdu » de Patrick Modiano est la même que celle de Marcel Proust de 1900 à 1906 ou que Chevillard personnage de Labiche a été le voisin de Jean Valjean.

L’auteur nous donne ainsi une curieuse géographie de Paris dans lequel certains arrondissements sont très fréquentés comme les V ème, Vi ème ou le IX ème, alors que d’autres sont presque désertés ainsi les III ème, XI ème et XIX ème n’ont guère inspiré les écrivains.

Cette promenade dans Paris est aussi une promenade dans les lectures de Didier Blonde ce qui n’est pas sans réserver des surprises si le XIX ème siècle est bien représenté nous avons en particulier toutes les adresses des protagonistes de « La comédie humaine » de Balzac de même le roman populaire est bien visité avec bien sûr Maurice Leblanc, Gaston Leroux mais plus inattendu Maurice Renard, la seconde moitié du XX ème siècle et le début du XXI ème siècle est moins classique. Modiano s’y taille la meilleure part mais il est en compagnie d’auteur que je n’attendais pas comme A.D.G, Enrique Vila-Matas ou totalement inconnu de moi tel Jacques Reda, J.L. Dubut de Laforest ou encore Hubert Haddad.

Le livre se divise en deux grandes parties, la première dans laquelle l’auteur nous raconte comment est arrivée cette obsession des domiciles notés dans les romans. Elle reprend la première édition de « Carnet d’adresses » parue il y a une dizaine d’années. C’est souvent émouvant en particulier lorsque Didier Blonde évoque l’appartement où on vécu toute leur vie ses parents. La deuxième partie est un dictionnaire par ordre alphabétique des personnages de roman avec leur adresses que Didier Blonde a croisé lors de ses lecture.

Carnet d’adresse est une invitation à une promenade littéraire dans Paris mais chaque bibliothèque peut en proposer une différente.

20 mai 2020

4321 de Paul Auster

 

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Ce billet n'est pas à proprement parler une critique, mais plutôt un journal de lecture. A l'exception du préambule en italique, Il a été élaboré au fil de celle-ci et commencé dés les premières pages du roman. Le billet se divise en deux parties. D'abord un texte lui même scindé en deux morceaux, on trouvera d'abord un récit factuel et condensé des évènements de la vie des différents Ferguson, puis une série de réflexions sur 4321. La deuxième partie est la liste de la plupart des personnages plus ou moins par ordre de leur entrée en scène.

Si vous n'avez pas encore lu l'ouvrage et si vous pensez le lire, je vous déconseille de lire ce billet ou je déflore une partie de l'intrigue. Si je pense qu'il n'est pas indispensable d'établir la nomenclature des personnages, en revanche je vous conseille vivement, lorsque vous lirez 4321, de faire comme moi, de lister les événements de la vie des quatre Ferguson pour ne pas les mélanger.

 

Avec cet énorme pavé de 1000 pages Paul Auster écrit un roman de la jeunesse. Nous sommes devant un roman d'apprentissage. On suit page à page les métamorphoses d'un esprit, de l'enfance à l'âge adulte. C'est du moins ce que semble s'être fixé comme objectif l'écrivain. En même temps il réhabilite le hasard qui avait un peu disparu du paysage romanesque comme moteur d'une intrigue depuis les brillantes variations sur le sujet d'un autre Paul, je veux parler de Paul Guimard. Nous suivons quatre fois la destiné d'un même personnage Archibald Fergusson ou plutôt de quatre être génétiquement semblables. Les quatre vies seront différentes en partant des mêmes parents, du même milieu, de la même époque. Mais nous n'avons pas à faire à des clones, plutôt à des frères aux caractéristiques un peu différentes comme le serait des quadruplés. Nous sommes en quelque sorte dans des uchronies individuelles; mais alors que dans une uchronie historique le point de divergence avec l'Histoire que nous connaissons est clairement identifiable, dans ces uchronies personnelles, la situation du point divergence d'une trajectoire (mais par rapport à laquelle puisque toutes sont possibles et imaginaires) est beaucoup plus floue à déterminer. J'avancerais tout de même que je situe le point de divergence ou plutôt la cause de ceux-ci, car en fait le carrefour entre les réalités ne se situe pas tous au même endroit de la vie des Ferguson, dans les différentes malversations des deux frères du père des Ferguson, soit les oncles du garçon.

En définitive, nous avons plus à faire à quatre versions d'un roman qu'avec quatre variations d'une vie. Car si c'était ce dernier cas, pourtant revendiqué par l'auteur, comment expliquer les différences dans la trajectoire de certains personnages alors que Ferguson ne peut avoir aucune incidence sur les dites trajectoires? Par exemple dans Ferguson 1 sa tante Mildred professe à Los Angeles, dans Ferguson 2 c'est à Chicago qu'elle remplit ces mêmes fonctions!

Quelques spécificités du roman étonnent aujourd'hui par exemple pour les Ferguson gravement francophiles, dans les années 60, Paris est le centre du monde pour les arts, en particulier pour le cinéma. Autre coutume qui nous étonne aujourd'hui, dans ces mêmes années 60, le tabagisme effréné de nombreux personnages.  

 

Constantes et différences

Les Ferguson sont des archétypes de la jeunesse américaine qui verra le rêve américain brisé par deux événements historiques, d'abord par l'assassinat du président Kennedy puis par la guerre du Viet-Nam. 

Les Ferguson vont tous à l'université du moins ceux qui parviennent à l'âge auquel on y entre. L'un à Princeton, l'autre à Colombia et le troisième en une sorte d'université privée sise à... Paris. Tous trois sont concernés par les manifestations contre la guerre du Viet-Nam. Tous trois néanmoins se tiennent à l'écart de l'engagement politique pour se consacrer à l'écriture. L'un écrit une fiction, l'autre un roman autobiographique, le troisième se voue au journalisme.  

 

Ferguson 1

Ferguson 1 est un enfant sage. A l'age de 6 ans Cassie, sa nounou lui inocule la passion du base-ball. A douze ans il est précocement travaillé par le sexe et fantasme sur une nymphette qui décore une étiquette de soda... Il aime lire, écouter de la musique et faire du sport et il s'intéresse aux Kennedy. La famille doit se restreindre après le vol dans le magasin d'électro-ménager du père, Stanley 1 qui est  contraint de vendre sa boutique. Il achète une petite échoppe dans laquelle il répare des appareils électriques. Mildred 1, sa tante qui est professeur en Californie gâte son neveux en lui offrant des livres et des disques. Il fait l'amour avec une fille, Amy, pour la première fois à 16 ans le lendemain de la mort de Kennedy. Quelques semaines plus tard, en week-end de ski il a avec sa cousine Francie un accident de voiture. Il y perd deux doigts. Il doit abandonner la pratique du baseball qu'il aimait tant. Amy lui reste fidèle. Ses parents font des sacrifices pour lui offrir une voiture; avec elle, l'été 64 devient l'été de la liberté. Mais dès qu'Amy entre à l'université (Columbia) la relation qu'elle entretient avec Ferguson 1 se délite. Ce dernier obtient par hasard un poste de pigiste pour chroniquer les matchs de basket dans un journal local. Les magasins respectifs de Rose et de Stanley périclitent. Ils les ferment. Stanley est embauché comme vendeur dans un magasin de sport et Rose devient photographe de presse. Ferguson 1 entre à l'université (Columbia). Ferguson 1 et Amy renouent. Durant l'été 1965, ils partent tous les deux en vacances un mois en France, essentiellement à Paris*. Ferguson 1 se plait beaucoup à Columbia. Il vit une relation fusionnelle avec Amy. Dès sa deuxième année à Columbia il cohabite avec Amy. Au printemps 1967 le grand père (Benjie) meurt dans les bras de sa maitresse. Amy trouve un travail d'été comme assistante de recherche à Berkeley tandis que Ferguson 1 trouve un travail semblable à Columbia. Ferguson 1 assiste aux émeute de New Wark. Ses parents quittent le cartier ravagé pour aller s'installer en Floride. Au printemps 1968, la contestation étudiante fait rage à Columbia. Des divergences politiques minent la relation entre Ferguson 1 et Amy. Ils rompent. Ferguson part un mois chez ses parents en Floride et Amy va poursuivre ses études à Berkeley. 1969 est la dernière année d'université pour Ferguson 1. Il ne désire pas poursuivre ses études. Il est engagé comme journaliste pour le quotidien de Rochester (une ville de 300 000 habitants au nord de l'état de New-York)...

    

Ferguson 2 

Ferguson 2 est plus turbulent et plus maladroit que Ferguson 1. A 6 ans sa grand mère Emma Adler lui apprend à lire et à écrire lors de sa convalescence suite à une fracture de la jambe. Dès qu'il sait lire, Ferguson 2 attrape le virus du journalisme. A 11 ans il crée un petit journal qu'il vend à ses camarades de classe... Son père après l'incendie de son magasin d'électro-ménager change d'orientation professionnel et monte un centre sportif de tennis... Ferguson 2 part en camp de vacances d'été...

 

Ferguson 3

Ferguson 3 est plus proche de sa mère que ses trois autres avatars. Il perd son père alors qu'il n'a que sept ans. Sa mère et lui vont habiter Manhattan. La mort de son père perturbe gravement l'enfant qui se pose la question de l'existence de dieu. Ferguson 3 provoque volontairement son échec scolaire pour tester Dieu. Après le deuil qui l'a traumatisé le garçon devient plus ombrageux et plus égocentrique. Mais il n'est pas imperméable à l'humour puisqu'il développe une passion pour Laurel et Hardy. Il va souvent avec sa mère au cinéma. Cette dernière (Rose 3) devient reporter photographe se spécialisant dans les portraits d'artistes. Sa mère se remarie avec un critique musical. A l'âge de douze ans, son beau père lui fait découvrir la musique classique, lui qui jusque là n'aimait que le rock. A 14 ans Ferguson 3 tombe amoureux de sa cousine Amy 3, mais l'idylle ne dure pas. Amy ne le trouve pas assez mature, trop centré sur lui même et ne s'intéressant pas assez à la politique. A partir de 15 ans il se passionne pour le cinéma. Lors d'une séance de cinéma, il rencontre un garçon de 18 ans avec lequel il a sa première expérience homosexuelle. L'été de ses 15 ans sa tante Mildren l'invite a venir passer une semaine en Californie où elle habite. Ferguson apprend alors que sa tante partage sa vie avec une autre femme. Après cette semaine en Californie, le garçon part en vacances en France avec sa mère et son beau père. Au cours de l'année scolaire suivante, il sent qu'il éprouve de plus en plus de désir pour les garçons mais il perd sa virginité hétérosexuelle avec Sally une jeune prostituée noire. Toujours fou de cinéma il publie sa première critique de film dans le journal du lycée. Il voudrait être critique de cinéma. Durant l'année de ses 16 ans il va voir souvent Sally. Pour payer la passe il commet quelques larcins dans les librairie. D'autre part il a une certaine addiction à l'alcool... La veille de ses examens d'entrée à l'université, il est arrêté pour vol de livres. Il décide de ne pas aller à l'université. Au conseil de révision de l'armée pour le Viet-Nam, il se déclare bisexuel. L'armée le refuse. Il décide d'aller vivre à Paris.Il habite dans le VII ème arrondissement, la chambre de bonne de l'appartement de Vivian Schreiber. Il y écrit un livre sur son enfance et sa mère. Le roman est édité à Londres. Ferguson 3 se rend à Londres pour la sortie de son livre...

   

Ferguson 4

Ferguson 4 Lorsque Ferguson 4 prend la parole ses oncles Lew et Arnold ont déménagés pour la Californie et ne seront donc pas la cause des catastrophes qui accablent Stanley (dans les autres avatars de Ferguson). Pour cette raison (?) le foyer de Ferguson 4 est plus riche que les trois autres. Petit à petit Ferguson 4 supporte de plus en plus mal les us et coutumes de nouveau riche de ses parents. Rose a fermé son studio de photo et se consacre dorénavant... au bridge! Le nombre de magasins que possède son père s'est encore accru. Stanley s'apprête à voter Nixon (les familles des autres Ferguson sont des pro-Kennedy).  Ferguson 4 aime toujours le sport mais il se demande à 13 ans pourquoi il n'existe pas une loi qui permettraient aux enfants de divorcer de leurs parents. La mort brutale d'un ami qu'il s'était fait au camp de vacances alors qu'il a 13 ans le marque durablement. Ce choc l'incite a écrire une nouvelle qui ne reçoit que des louanges. A partir de ce moment il ne veut plus être que romancier. A 15 ans en compagnie d'Amy Schneiderman il découvre la peinture. Cette même année ses parents se séparent. En 1963 Rose épouse Dan Schneiderman. Ferguson et Amy deviennent frère et soeur par alliance. Les nouveaux époux habitent une nouvelle maison. Ferguson a une petite amie régulière. Il continue à être un élève brillant. L'écriture est toujours sa passion. Grâce à deux de ses nouvelles il obtient une bourse pour l'université de Princeton. Il se lie d'amitié avec l'étudiant qui partage sa chambre à l'université. Parallèlement à ses études il écrit une sorte de roman philosophique qu'il termine au bout d'un an. Il tombe amoureux et devient l'amant d'Evie son ancienne professeur d'anglais du lycée. Elle désire un enfant mais une visite médicale lui révèle que Ferguson 4 est stérile. Cette nouvelle précipite sa rupture avec Evie qui voulait un enfant de lui. Le premier livre de Ferguson 4 est publié en édition ronéotypée. Ayant la clé de l'appartement de son grand père il tombe inopinément sur le tournage d'un film porno produit par son aïeul! Pour acheter son silence vis a vis de ses filles, son grand père lui donne une grosse somme. Avec ce pécule il loue un appartement à New-York. Il y écrit son deuxième livre qui est bientôt publié, comme le premier en édition ronéotypée. A l'automne 1966, il commence une liaison amoureuse avec Celia. A l'été 1967 une rixe dans un café cause la suppression de la bourse de Ferguson pour Princeton... 

 

Petits et grands étonnements à la lecture

La première surprise à la lecture c'est que l'on comprend assez vite au fil des pages lu et au rythme de l'avancement de la vie des héros que les mille pages du roman seront insuffisantes pour mener les quatre protagonistes principaux jusqu'à un âge avancé. Le livre s'achève lorsque le dernier Ferguson a environ 23 ans. Pourquoi Auster abandonne si jeune son héros? Pour la pirouette finale? Cela me semble un peu court comme explication.

La vie de chaque Ferguson est découpée en chapitres ainsi on a 4 chapitre 1, quatre chapitre 2 ect... Le livre est ainsi découpé en 7 époques chacune devant comporter 4 chapitre, un pour chaque Ferguson, mais même les Ferguson ne sont pas éternels...  

Dans les chapitres 1, on a un peu de mal à croire que l'on entend la voix d'un enfant de 6 ans, âge auquel chaque Ferguson prend la parole, même surdoué. Il est patent que Paul Auster n'arrive pas à se remettre dans la tête de l'enfant qu'il fut et de voir les événements à cette aune. Ce décalage entre les raisonnements des Ferguson et leur âge, bien que moins flagrant que dans les chapitres 1, subsiste dans les chapitres 2. Car même si, pris d'une bouffée de philosémitisme incontrôlable on admet que les petits juifs sont plus précoces, plus costauds et surtout plus intelligents que leurs semblables goys, il est peu probable que les Ferguson se révèlent des supermen absolus comme ils nous sont présentés. En particulier il est difficile d'avaler que la formidable nouvelle  Frère en lacets qui pourrait être un fleuron du New-yorker puisse être écrite par un garçon de 14 ans, en l'occurrence Ferguson 4. 

Dans la première époque les Ferguson on entre 6 et environ 9 ans. Quand commence la deuxième époque, ils sont âgés d'une douzaine d'année. La troisième se termine lorsqu'ils ont quinze, seize ans. La quatrième époque va jusqu'à leur  18 ans et la fin du lycée. A la cinquième, ils sont à l'université.  

Les grands et petits événements de l'Histoire contemporaine de l'Amérique infusent plus ou moins chez les Ferguson mais ils sont toujours présents, parfois au premier plan, souvent en filigrane. Dans le chapitre 2 de Ferguson 1 la concomitance du dépucelage du héros avec la mort de Kennedy est too much...

Le roman égraine également, via les passions et les activités des différents personnages, les évènements culturels, en particulier cinématographiques qui jalonnent les 20 ans qu'embrassent le livre. Le lecteur européen sera sans doute moins sensible que l'américain aux références sportives qui ont trait surtout au basket et au baseball. Mais la partie la plus instructive de cette pérégrination dans l'actualité américaine est le compte-rendu parfois fastidieux des révoltes étudiantes du pays. Ces passages montrent au lecteur français combien leur mai 68 était de la petite bière par rapport aux violences estudiantines qui secouèrent sporadiquement les universités américaines durant plus de 3 ans. 

Auster n'évite pas quelques poncif en particulier de faire bisexuel le seul des Ferguson orphelin de père...

Il y a beaucoup de choses dans ce livre, ce qui est bien normal puisqu'il compte 1000 pages! On y trouve par exemple une belle défense de la normalité de l'homosexualité, une proclamation de francophilie, des réflexions sur l'écriture, un livre dans le livre...

La grande différence de 4321, titre dont on ne comprend le sens que dans les toutes dernières page, par rapport aux premiers romans de Paul Auster c'est la disparition des éléments poético-fantastiques qui faisaient un des attraits des livres du romancier américain. Ici nous sommes en face d'un roman psychologique écrit d'une plume naturaliste.

 

Parfois, l'Amérique n'est pas si loin de l'Europe

Moi aussi à 7 ans j'ai adoré les films de Laurel et Hardy comme Ferguson 3; à 11 ans, comme Ferguson 1 j'ai lu la totalité des aventures de Sherlock Holmes écrites par Conan Doyle et toujours à 11 ans comme Ferguson 2, le comte de Monte Christo. De même que Ferguson 4, à 12 ans j'ai été bouleversé par « Citadelle » de Cronin. J'ai attendu d'avoir 13 ans pour attaquer 1984 d'Orwell, tout comme Ferguson1. La patience que j'ai eu pour me repaitre des ouvrages de Baldwin à 18 ans, tout comme Ferguson 3, n'a pas été vaine. Mais pourquoi donc ne suis je  pas devenu génial comme eux, sans doute parce que je ne suis pas juif...

A ce sujet 4321 m'a appris que New-York était peuplé exclusivement de juifs... Si mes comptes sont bons, il faut atteindre la page 465 pour rencontrer un personnage explicitement non juif!

 

Conclusion ou épilogue

Paul Auster dans 4321 fait curieusement une erreur de romancier débutant. Il prend trop de surplomb par rapport à ses personnages; annonçant parfois en deus ex machina des événements avant qu'ils arrivent à ses héros, ruinant ainsi l'attente du lecteur alors que souvent, heureusement, il instaure une sorte de suspense. Certes tout romancier est le démiurge de ses personnages mais depuis un peu plus d'un siècle, la règle tacite chez les littérateurs est de ne pas trop montrer cette fonction démiurgique. En outre, à l'instar de Jéhovah, auquel Paul Auster ne semble pas croire (le roman est peuplé presque exclusivement de juifs athées), le romancier est un dieu cruel et de surcroit un peu maladroit en faisant disparaître prématurément ses deux personnages principaux les plus intéressants. A ce propos je crois que je n'ai jamais lu de passages plus poignants sur le scandale qu'est la disparition brutale d'un jeune être plein de vie et de projets.

Autre constat curieux que l'on peut faire après la lecture de ce gros pavé, la croyance en un déterminisme du destin, destin qui semble inéluctable et qu'il serait vain de tenter de modifier, les contingences de la vie ne le faisant modifier qu'à la marge. Cet aquoibonisme, sans doute non conscient, chez le romancier est dangereux étant gros d'un fatalisme menant à la passivité de l'individu.      

Il reste que l'écriture extrêmement fluide et l'empathie que l'on éprouve pour les Ferguson, je n'oublierai pas Ferguson 3, font que les mille pages de 4321 sont extrêmement addictives...

 

Nota

* Paul Auster a été trompé par ses souvenirs. Le Paris qu'il décrit brièvement est parfois celui d'une carte postale envoyée par un touriste américain et surtout il se trompe sur quelques situations géographique en particulier celles des librairies Gallimard et Maspéro en revanche il a bien situé le Wimpy, en haut du boulevard Saint Michel ainsi que les différents cinéma du quartier latin.

 

 

 

 

 

Liste de la quasi totalité des personnages par ordre approximatif d'entrée en scène

 

  • Ichabod Ferguson, le fondateur, venu de Minsk de la dynastie, né en 1881 mort en 1923
  • Fanny Ferguson (né Grossman) femme d'Ichabod et mère de Lew, Arnold et Stanley (Sonny)
  • Stanley, le père du héros est né en 1914. Il épouse Rose à 30 ans
  • Lew frère de Stanley (Lew 1,1910-1956)
  • Arnold frère de Stanley
  • Rose Adler né en 1922, elle épouse Stanley en 1944. Elle est la mère du héros
  • Millie l'épouse de Lew, né en 1910
  • Benjie Adler, le père de Rose, Benjie 3 meurt en 1960
  • Emma Adler né Bromowitz, mère de Rose, Emma 3 meurt en 1961
  • Mildred Adler née en 1920, soeur de Rose, professeur d'université
  • Nancy Fein l'amie d'enfance de Rose
  • Archie Adler l'oncle musicien de Rose (1896-1945)
  • Joan épouse d'Arnold, né en 1912
  • Francie, fille de Joan et d'Arnold, né en 1936
  • Archibald Ferguson 1 né le 2 mars 1947
  • Archibald Ferguson 2 enfant plus intrépide que Ferguson1
  • Schneiderman, le patron de Rose qui lui apprend la photographie 
  • Henry Ross mari de Mildred professeur d'université dans Ferguson1
  • Cassie Burton la domestique afro-américaine de Stanley et Rose (Ferguson1)
  • Chukie Brower ami d'enfance de Ferguson 2
  • Ferguson 3, plus proche de sa mère que Ferguson 1 et Ferguson 2 
  • Stanley 3 père de Ferguson 3, (1914-1954)
  • Ferguson 4, est, enfant, le plus sportif des Ferguson
  • Sam Brownstein l'ami d'enfance de Stanley 4 et son partenaire de tennis
  • Don Marx mari de Mildren dans Ferguson 4 et journaliste. Le couple divorce en 1956
  • Noah Marx, fils d'un premier lit de Don Marx et ami de Ferguson 4, né en 1947
  • Bobby George, du même âge que Ferguson 1, ils sont amis et voisins
  • Anne-Marie Dumartin premier amour de Ferguson 1 lorsqu'il est en seconde, originaire de Belgique
  • Amy Schneiderman 1, deuxième amour de Ferguson 1
  • Timmermann, ami et brillant élève de la classe de Ferguson 2, lorsqu'ils ont onze ans
  • Gary le mari de Francie dans Ferguson 2
  • Howard Small ami et brillant élève de la classe de Ferguson 2 lorsqu'ils ont douze ans.
  • Paul Sandler mari de Mildred 3 et éditeur. Ils divorcent en 1958
  • Gilbert Schneiderman 3 Il épouse Rose 3 en 1959, il est le fils ainé de l'ancien patron de Rose. Il est né en 1914. Il est chroniqueur musical au New York Herald tribune.
  • Dan  Schneiderman 3 frère cadet de Gilbert Schneiderman. Il est né en 1918. Il est dessinateur.
  • Jin  Schneiderman 3, fils de Dan  Schneiderman 3 devient l'ami de Ferguson 3, car comme lui passionné de basket 
  • Amy Schneiderman 3, fille de Dan  Schneiderman 3, amie de Ferguson 3
  • Art Federman, ami de camp de vacances de Ferguson 4
  • Ralph Federman, pharmacien, père de Art et de Celia
  • Shirley Federman, bibliothécaire, mère de Art et de Celia
  • Andy Cohen, né en 1944, ami cinéphile de Ferguson 3  avec qui ce dernier à sa première expérience homosexuelle
  • Dan Scheiderman 4, amant de Rose 4 à partir de 1960, puis son mari en 1963
  • Ethel Blumenthal, maitresse de Stanley 4 à partir de 1960
  • Sydney Millbanks, institutrice, née en 1935, la compagne de Mildred 3
  • Vivian Schreiber, né en 1922 grande amie de Gilbert Schneiderman 3 et qui fait une grosse impression à Ferguson3 lors de leur 1 ère rencontre à Paris en 1962. Elle deviendra l'amie et la logeuse de Ferguson 3 lorsque ce dernier habitera Paris.
  • Julie, la jeune prostituée noire avec laquelle Ferguson 3 perd sa virginité et dont il devient un client habitué
  • Dana Rosenbloom, petite amie de lycée de Ferguson 4 lorsqu'il a 16 ans
  • Celia Federman soeur d'Art Federman
  • Lisa Bergman, amie de coeur de Vivian Schreiber 
  • Howard Small, le camarade de chambre à Princeton de Ferguson 4
  • Evie Monroe, professeur de lycée de Ferguson 4 âgée de 13 ans de plus que lui. Elle sa première relation sexuelle avec Ferguson 4 quand celui-ci a 18 ans.
  • Aubrey Hull, L'éditeur londonien du livre de Ferguson 3 avec lequel il a une relation sexuelle heureuse.
  • Albert Dufresne, ami canadien, rencontré à Paris, de Ferguson 3. Ils tombent amoureux l'un de l'autre.
  • Billy Best, éditeur en édition ronéotypée du premier livre de Ferguson 4
  • Luther Bond, petit ami noir d'Amy 4
19 mai 2020

Le soleil des dortoirs de Roger Rabiniaux

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Il faut parfois suivre l’éblouissement causé par un titre. Tel fut le cas avec « Le soleil des dortoir mentionné brièvement par Claude Michel Cluny dans son journal. Le diariste accompagnait la mention d’un avis assez favorable et évoquait à son propos du livre Roger Peyrefitte. Emoustillé par le rapprochement de l’auteur des « Amitiés particulières » avec un titre où figure dortoirs, je commandais aussitôt via la toile ce livre oublié d’un auteur inconnu de moi.

Je voudrais détromper immédiatement le lecteur qui s’imaginerait retrouver des émois comparables à ceux que peuvaient provoquer (jadis) le livre de Peyrefitte ou « Les garçons » d’Henry de Montherlant pourtant il est bien question de passions dans un pensionnat que font naitre de jeunes garçons dans le coeur du héros, Cécial à peine plus âgé qu’eux mais ce n’est qu’un pan de l’ouvrage.

Le beau titre n’évoque pas un jeune garçon qui se glisserait subrepticement dans le lit d’un autre dans la pénombre d’un dortoir, quoique, mais les pensées qui visitent l’adolescent juste avant l’endormissement; ce sont les images certes du visage du préféré mais aussi celui de la jeune fille convoitée lors des dernières vacances ou encore celles de la maison familiale, de la rue de cette petite patrie que l’on a hâte de retrouver.

Première incise, le personnage est rarement appelé par son prénom Pierre ,mais par son nom Cécial. Je ne sais pas s’il en est toujours ainsi, il faudrait que je me renseigne, mais entre camarades, sauf très grande et rare intimité, on ne s’appelait pas par nos prénoms mais par nos noms de famille. Il en était de même pour nos professeurs. Je me souviens de l’étonnement lorsqu’en 5 ème, à la rentrée de 1962, notre professeur de français, qui n’était pas un jeune homme, nous avait annoncé qu’il nous nommerait par nos prénoms. 

Si le college novels est un type de romans qui foisonne dans la littérature anglaise, et encore plus dans le manga, il est fort rare de ce coté ci de la Manche. Il faut bien dire que nos lycées, imitations de casernes pour les plus anciens ou de H.L.M. pour les plus récents n’incitent guère à la nostalgie. Le soleil des dortoirs est une belle exception même si tout le roman ne se déroule pas dans l’internat. Roman est d’ailleurs un terme abusif pour ce livre. On devrait plutôt parler de récit, tant visiblement il s’agit de souvenir de l’auteur. Pierre Cécial est un petit garçon de Levallois, issu de la toute petite bourgeoisie. Lorsque le récit commence, nous sommes en 1930 et Cécial à 13 ans. Rabiniaux fait pénétrer son lecteur du XXI ème siècle dans le quotidien, parfois le plus trivial, d’un monde qui lui est aussi étranger que celui du haut moyen-âge…

Ce pensionnat des années 30 est situé à Sainte-Olympe, derrière ce nom se cache Fontainebleau, mais Fontainebleau en 1930, c’est déjà la province… L’établissement n’est pas pour une fois tenu par des curés donc on échappe aux soutanes, aux messes et aux regards concupiscents des prêtres sur leurs élèves captifs. C’est bien agréable, car à lire toute une littérature on pourrait croire que l’instruction de la jeunesse était avant-guerre entièrement dans les mains de l’église. La raison à cela, est simple; les littérateurs étaient dans leur très grande majorité des bourgeois et la bourgeoisie confiait l’éducation de ses jeunes mâles à l’église, en particulier en province. Rabiniaux lui vient des classes populaires et son double Cécial est probablement le premier à faire des études secondaires. 

L’institut Amédée Rivière est un pensionnat de seconde zone. Les professeurs sont tous plus ou moins des ratés; les élèves viennent de la petite bourgeoisie. Il n’est bien sûr pas mixte mais ce n’est pas pour cela que les filles sont absentes des pensées des garçons. Ce qui fait une différence fondamentale avec « Les amitiés particulières » roman, dans lequel on pourrait penser que les femmes n’existent pas, pas plus que les parents et guère les études. Le sexe et l’amour ne sont pas les seules préoccupations des garçons de L’institut. Rabiniaux contrairement à Peyrefitte n’est pas un obsédé sexuel. Je n’aime pas les obsédés, sexuels ou autres, non pour des raisons morales mais parce qu’une obsession quelle qu’elle soit met des oeillères à l’obsédé et donc appauvrissent son propos. Rabiniaux ayant l’esprit libre fait que « Le soleil des dortoir » laissent entrevoir toute une sociétés aux gouts et espoirs divers.

Pour Cérial et la plupart de ses camarades l’amour des garçons est transitoire, c’est un substitut des filles mais en même temps pas un pis aller: << D’un coup ton enthousiasme tombe. Dans ce visage t’émeut ce qui n’est d’aucun sexe. Faute de connaitre assez de filles, tu aimes un androgyne qui porte le masque de l’amour. Le plaisir que tu lui donnes et qui le rapproche de toi t’éloigne de lui.>>, << Bientôt s’achève le temps des baisers sous les marronniers, des garçons pris pour des princesses d’un jeu où les pampres grecs se mêlaient à la guirlande de Julie. Gilles et toi, vous aurez découvert, grâce au Cythère de Sainte-Olympe, le raffinement des sentiments et un certain art des caresses. La fréquentation des Amis vous aura révélé, à défaut de la mécanique des femmes, une dialectique de l’amour.>>  ; c’est un véhicule de l’amour plus que tu sexe mais ces pratiques sont acceptées, presque revendiquées. Il n’y pas de machisme ni d’homophobie dans cette micro société de mâles (il n’y a pas non plus de femme professeur). Il me vient à penser que c’est peut être paradoxalement la mixité qui a fait entrer dans les sociétés d’adolescents ces deux maux…

Il y a l’amour dont ces garçons ont du mal à en fixer l’objet mais il y a aussi la découverte pour Cécial de la littérature celle étudiée dans les cours de français mais aussi celle lue clandestinement dans les ouvrages de Gide, Pierre Louys ou Colette. Cécial est travaillé par l’ambition littéraire. Il écrit une fresque inspirée d’Alfred Jarry en collaboration avec quelques camarades. 

On voit aussi ces garçons sortir progressivement de l’enfance et mettre longtemps à renoncer à certains jeux comme celui du tour de France avec des billes et des petits coureurs. J’ai moi-même joué à ce jeux , sur la plage, au début des années 60, il me semble qu’il a beaucoup moins de distance entre un enfant de 1965 avec un enfant de 1930 que celle qui existe entre un garçon de  1965  et un garçon de 2020.

 

Unknown

 

Rabiniaux ne dépeint pas que le quotidien d’une pensions. Entre les années scolaires, il y a les grandes vacances pendant lesquelles la famille Cécial quitte Levallois pour s’aérer, une fois à la campagne non loin de la capitale, l’année suivante à Noirmoutier, c’est alors une véritable expédition. Dans l’ile Cécial connaitra son premier véritable émoi devant la femme. Et enfin ce qui sera pour le garçon ses dernières vacances en famille, un petit hôtel dans la campagne normande. Mine de rien ce livre casse un des mythes du front populaire qui voudrait que les travailleurs en 36 aient tous découverts les vacances et la mer. Les Cécial sont des gens très modestes et pourtant ils partent en vacances; le père de Pierre est mécano et la mère couturière à domicile, ce qui nous vaut de sa part un beau couplet antisémite à propos de ses patrons… 

L’institut et Sainte Olympe sont évoqués par Cécial en 1965 soit une trentaine d’années après les années d’internat du héros. Ces années sont classiquement vues comme un paradis perdu. Tout le livre baigne dans la nostalgie. Ce regard venant du passé nuit à la fraicheur des réactions, propos et attitudes de Cécial et de ses camarades sur lesquels est portés un jugement rétrospectif. Cette manière de voir après coup est d’autant plus dommage que j’ai lu peu d’auteurs qui comme Rabiniaux ait le talent de restituer avec justesse les pensée d’un adolescent.

 La construction du livre est bancale car son début, d’un volontarisme poétique trop appuyé ne parvient pas a imposer le partage des temps entre le présent de la narration, 1965, et ce qui nous est raconté qui se déroule dans les années 30. Ces maladresses d’organisation du récit sont heureusement compensées par de constants bonheurs d’écritures faits souvent de fécondes et inattendues juxtapositions de mots. L’écriture de Rabiniaux avec son attention aux paysages tant urbains que bucoliques la place entre Emmanuel Bove et Marcel Aymé. 

Ce ne sont pas toujours les chefs d’oeuvre, « Le soleil des dortoirs » n’en est pas un, mais c’est un livre très estimable que je place au dessus de la pléthorique production romanesque française des dernières années, qui vous questionne le plus. Par exemple pourquoi un tel livre et son auteur sont tombés dans l’oubli? « Le soleil des dortoirs » ne me parait pas plus poussiéreux, au contraire, que par exemple les romans de Joseph Kessel ne sont pas négligeable pour autant, mais qui viennent d’accéder à la prestigieuse Pléiade. Je pense que plusieurs facteurs font que Rabiniaux soit oublié. Tout d’abord ce n’était pas « un personnage » alors que Kessel à l’évidence en était un, comme ses contemporains Malraux, Romain Gary ou Henry de Monfreid… A l’instar aujourd’hui d’un Michel Houellebecq dont la reconnaissance littéraire doit autant à son physique décavé qu’à son oeuvre… Qui peut prévoir la pérennité d’une oeuvre? Pourtant Rabiniaux n’était pas mal parti puisqu’il avait été remarqué par Queneau, mais alors pourquoi n’a t-il pas publié chez Gallimard. Rebondissons, au sujet de la notoriété sur ces deux derniers noms: Queneau et Gallimard. La postérité de Queneau doit tout à un seul livre: « Zazie dans le métro » et à une seule chanson: « Si tu t’imagines » et encore quelle serait la célébrité du premier sans le film, et celle de la seconde sans son interprète, Juliette Gréco… Gallimard maintenant, il est probable que les titres de Rabiniaux serait réédités s’ils avaient parus chez Gallimard plutôt que chez Buchet-Chastel… Kessel serait-il entré dans La Pléiade si son éditeur n’avait pas été Gallimard à la fin de sa carrière?

Autre questionnement ou plutôt constatation un tel livre a acquis à son insu un statut de documentaire. Il en dit beaucoup des us et coutumes de la petite classe moyenne dans les années d’avant guerre. Le lecteur ne pourra que constater quel gouffre sépare leur quotidien d’alors de celui d’aujourd’hui. Et s’il n’a pas la funeste manie de s’habiller de jaune combien il est préférable pour toutes les petites choses des jours de vivre en 2020 plutôt qu’en 1930.

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12 mai 2020

Cahiers-décharge de Pascal Françaix

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Le plus gros défaut, il n’en a guère qu’un autre, du roman de Pascal Françaix est son impossibilité de le lire dans les transports en commun et tous lieux publics, à moins d’être doté d’un flegme estonien, tant vos voisins pourraient être alarmés de vous voir pouffer et pleurer de rire toutes les minutes. Pour ma part, pour dévorer le volume, j’ai choisi mon carré d’herbes et la seule compagnie de mes chats. Ébaudissements que provoquent à la fois les péripéties et le style de l’ouvrage.

Commençons par son argument… même si dans le cas présent la manière prend le pas sur l’action ce qui ne veut pas dire que celle-ci ne vous tiendra pas en haleine jusqu’à la fin. LesCahiers-Décharge sont ceux dans lesquels Philippe, au milieu de la trentaine alcoolisée, nous narre, à la première personne, pour se soulager des avanies qui l’accablent et elles ne seront pas minces durant les 380 pages du récit.

Même avant l’avalanche de calamités qui s’abattent sur sa tête, la situation du héros n’était déjà guère enviable. Pour subsister Philippe écrit des romans pornographiques qu’il doit livrer à raison d’un par mois, à son éditeur, un dénommé Morbac, aussi crampon que son nom le laisse supposer. Cette activité lui permet de travailler à son domicile, ce qui semble indispensable puisqu’il doit s’occuper de sa mère grabataire et muette depuis cinq ans, date de l’accident qui a tué son mari et l’a transformé en légume. Les deux seules distractions de notre narrateur sont de s’imbiber dans son bistrot préféré et de martyriser sa mère pour la punir de lui avoir fait vivre une enfance trop heureuse, ce qui ne l’a pas suffisamment endurci pour pouvoir vivre sa chienne de vie. Cette morne vie va tout à coup s’accélérer lorsque, par le plus grand des hasards, Philippe va faire la connaissance de Rachid, un jeune beur en délicatesse avec un gang de néo-nazis locaux. Le jeune homme va immédiatement tomber amoureux de Philippe, pourtant raciste et homophobe : « Comment j’avais pas pu deviner. Peut-être à cause qu’il est arabe ? Être en même temps crouye et tapette, raton et castor à la fois, ça me paraissait trop poussé – trop malchanceux pour être vrai... »

Mise ainsi à plat, on mesure la performance de Pascal Françaix d’avoir rendu cette histoire hilarante dont le héros n’est pas sympathique.

Et cela grâce à un style qui m’a totalement surpris par le décalage qui existe entre celui-ci et le ton des proses blogueuses de l’auteur (sous le pseudonyme de BBJane Huson). Ce ton, cette manière ont ravivé dans ma cervelle oublieuse toute une bibliothèque. Au premier abord, j’eus l’impression de continuer ma visite chez les pasticheurs, puisque je lisais en parallèle de ceCahiers-DéchargeLes Morot-Chandonneur de Philippe Jullian et Bernard Minoret, qui feront l’objet d’un prochain billet et qui eux-mêmes m’auront fait revisiter des maîtres dans le domaine que sont Reboux et Muller, sans oublier Jean-Louis Curtis. J’eus donc le sentiment avec le début de Cahiers-Décharge de lire un pastiche de Céline et plus particulièrement de Mort à crédit et des Beaux draps. Je m’en réjouissais d’autant que les vaillants auteurs précités n’étaient pas aller voir du côté de l’ermite de Meudon, mais aussi, je dois dire que la longueur de l’exercice m’inquiétait quelque peu, le pastiche étant généralement une nouvelle et pas un gros roman de plus de trois cents pages...

Heureusement, très vite, à la voix de Céline s’ajoute celle de Jean-Pierre Martinet dont le Jérôme par son alcoolisme et ses relations avec sa mère est un cousin de notre Philippe. Ce personnage n’est pas pour rien dans l’esclaffage continu que provoque ce roman, pessimiste misanthrope à faire paraître comme de joyeux rousseauistes le Ferdinand de Mort à crédit et l’Ignatius de La Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole… que l’on en juge : « J’ai jamais rien su intégrer – aucun groupe d’aucune race. On est tout seul sa propre race, la seule, l’unique qui vaille ! Tout autrui est rascaille ! Au bûcher nos prochains ! Au fagot ! À la destripade ! Moi je ne me suis jamais reconnu de semblables ! “Les miens” me sont pas moins étrangers que les autres – On n’a pas de frères en ce monde, on est tous fils et filles uniques, bâtards orphelins dans la merde... » Si le Philippe déteste les arabes, les gros bras d’extrême droite, les homos, les belges, sa famille, et les gens du peuple de son rade favori, c’est uniquement parce qu’il les croise. Il rencontrerait des juifs, des aristocrates, ou des italiens ce serait tout pareil. C’est l’humanité toute entière qu’il vomit. Cette haine du bipède n’est pas comme chez un Léautaud compensée par un amour des animaux, curieusement aucune bestiole dans l’univers deCahiers-Décharge.

L’alcoolisme est une constante du livre, ce qui nous vaut quelques portraits savoureux de piliers de bistrots : « Yvres, lui c’est l’aimable tututeur, ennemi des tintouins. Un biberonneur flegmatique, toujours tiré à quatre épingles. Un mister Beam neurasthénique au regard en trou de pine. Il a rien contre les basanés – rien contre personne, pour tout dire, depuis qu’il a plus rien pour lui. Il sirote en indifférent à son coin de comptoir, un pied sur la rampe en laiton pour affermir son équilibre, tel un funambule hydropathe en arrêt sur son fil, perdu dans sa berlure, trois cents mètres au-dessus du commun des rampants. »

La misanthropie affichée de Philippe, énorme, laisse entrevoir par quelques interstices, le portrait d’un rebelle sensible, généreux et blessé, qui en définitive s’aime peu.

Le récit nous étant conté à la première personne, naïvement dans cette configuration romanesque, on a toujours la tentation, même si l’on s’en défend, de faire un amalgame entre l’auteur et son personnage disant « je ». Il reste à espérer pour l’écrivain, dont je n’ai lu aucun autre ouvrage, qu’il soit le plus éloigné possible de Philippe. À ce sujet on ne peut qu’en rester aux supputations, Françaix n’ayant pas décrit physiquement son héros, ce qui me parait être une rare faiblesse de Cahiers-Décharge, il n’y a même aucune allusion ni à son aspect pas plus qu’à sa vêture, ce que je trouve dommage, le psychomorphisme n’étant pas que légende. On peut me rétorquer que Céline n’a pas non plus dépeint son Bardamu, mais depuis le génial Tardi s’est chargé de lui donner des traits... À cette démarche je préfère celle d’Alphonse Boudard, autre parentèle de Françaix, avec Simonin, A.D.G., Apruz, Paraz... qui me parait évidente, qui a tracé la silhouette de son Alphonse, il est vrai que c’était la sienne...

Philippe est comme Ignatus resté au fond un grand enfant, mais presque tous les personnages de ce livre semblent immatures. Philippe, aux goûts cinématographiques exclusifs et récessifs pour les films de série Z, en a d’ailleurs conscience et il essaye de combattre cet état, par exemple en refusant une chasse au snark, jeu qu’il partageait lorsqu’il était collégien avec son meilleur copain Gautier. À ce propos, on peut regretter que les relations entre les deux hommes n’aient pas été plus fouillées. Les pages qui leur sont consacrées sont les plus émouvantes et poétiques. Comme si, dans celles-ci, libéré de son extraordinaire faconde volubile, Philippe s’évadait de la prison qu’est son langage argotique, qui parfois par son systématisme étouffe son être profond, pour laisser parler enfin son cœur.

Le récit dans sa forme est, comme chez Céline, un combat constant entre le naturalisme et le délirant.

Le plaisir principal que le lecteur retire de Cahiers-Décharge est nourri par une invention langagière constante qui d’ellipses en néologismes donne, chez Françaix, comme chez Céline, une profondeur au texte due à l’équivoque, au flou, à l’imagé, au double sens (à commencer par celui du titre). Pourtant jamais les tournures inusitées obscurcissent la lecture.

Mais le roman est bien autre chose encore, comme le portrait sans fard et sans illusion d’une France d’en bas provinciale, en l’occurrence celle de Cambrai, où se mêlent beurs minables trafiquants des cités, bas du front piétaille d’un borgne, et alcooliques de père en fils (ce ne sont plus les chtis roses bonbon!)...

Philippe n’est pas un imprécateur comme le Bardamu célinien ou un anarchiste de droite comme le double d’Alphonse Boudard. Il n’en appelle pas non plus au ciel et aux hommes, comme le fait parfois Paraz, pour être témoin de sa mouise. Non, c’est un fataliste, un passif, qui ne va pas vers les coups dans des engagements ou des aventures risquées mais qui les reçoit parce qu’il est au mauvais endroit au mauvais moment. S’il déteste les arabes, il exècre tout autant leurs persécuteurs : « Les FF,... le sens des initiales... Pas les Faibles Félouzes... ni les Fignons Farcis... les Frileux Fribourgeois ? peut-être les Foireux Frangins ?... Fous furieux ?... Fières Fripouilles ?... les Fachos Frappadingues ?... On brûle !... – Force de Frappe ! C’est ça le sens du sigle ! Un sombre groupuscule de malfreux malabars, haineux, toccards, agités du caisson (...) des crânes-derges ! Milichiens de garde ! Svastiké à la mord mein-kampf ! (...) un tas de tronches plates, d’abrutis pochtronneux zonards atrophiés du bulbe et schmectant du goulot... »

C’est aussi un recueil de morceaux de bravoure comme cette description du rayon gadgets d’un sex-shop : « ... Des sortes de joujoux pataphysiques. Qu’on s’interroge duraille s’y sont fait pour servir, et comment ? et à quoi ? – pour donner quels frissons ? apaiser quelle fièvre ?... Ou si c’est pas des fois des éléments décoratifs – bibelots bizarroïdes ?... On peut pas dire. Ça rend perplexe. On sait pas du tout quoi en penser. On doit pas être assez pervers. Doit falloir une tournure d’esprit tout à fait tortueuse pour résoudre l’énigme de ces schmilblicks. Sûrement qu’on est trop niais... » ou encore la description d’un gogo boy : « Quand l’autre tombe le string, c’est le nirvana des délires. La frénésie des vocalises. À faire péter tous les cristals à dix kilomètres à la ronde... Faut, le petit pâtre, il est outillé colossal ! Pesamment burné et nanti d’un de ces chibraques ! Déjà rien qu’au repos, c’était racornissant à voir ! Fallait pas songer en action ! Aux heures de pointe son siffredi devait lui faire hausser le menton ! »

On trouve aussi quelques sentences définitives qui ne sont peut-être pas de mauvais viatiques tel : « Ça compte un peu la première pipe ! Quand on s’est fait bouffer l’aspic, on n’avale plus de couleuvres. Les lèvres des amantes désamorcent l’amour des mères. »

Le souci du style est constant chez Françaix. Avec les extraits qui parsèment cet article, le célinien aura reconnu sans mal les recettes savoureuses du maître, phrases en apposition, souvent sans verbe, prolifération des trois points et des points d’exclamation, répétitions, pratique constante de néologismes accolés presque toujours avec des termes argotiques souvent désuets ou des termes savants et techniques, interpellations du lecteur... Françaix nous informe lui-même sur sa cuisine (même si dans les lignes qui suivent il décrit la pratique romanesque de son héros qui n’est pas la même que celle de son géniteur. Il fait même l’inverse) : « Mes lecteurs (...) ne lisent pas seulement d’une main : aussi que d’un œil ! ils vont vite ! ils tracent ! ils ont hâte ! ils se ruent au passage croustillant ! il leur faut du limpide, clair net et précis ! Du style coulant qu’on glisse à la surface... Si tu les paumes en tarabiscotages, c’est terminé : ils banderont plus. Ils ont beau tous être tordus, pervers déviés jusqu’à la moelle : ils sont rigides en orthographe, pudibonds en grammaire. Ils tiennent au bon ordre des phrases. Sujet-verbe-complément. Pipe-enfilage-orgasme. C’est leur structure de base, faut pas en décarrer. Si t’inaugures dans les tournures, si tu leur déplaces une virgule, ils vont paniquer complètement, s’emmêler les pédales. Ils sauront plus différencier un joufflu d’une cramouille. »

Deux choses curieuses à propos des livres et de l’orthographe, si le héros est écrivain, un scribe particulier certes, nulle trace dans son paysage de livres et pas plus d’allusions littéraires mise à part celle à Lewis Carroll et pourquoi orthographier maman, mamman avec deux m ?

Ce qui empêche Cahiers-Décharge d’accéder au rang des chefs-d’œuvre est sa fin dans laquelle le précaire équilibre que Françaix avait réussi à maintenir jusque là, entre le naturalisme et le délirant, est rompu au profit malheureusement de ce dernier. Le final a, à la fois, un côté Sade chez les Bidochon et petit malin post moderne avec sa pirouette du texte dans le texte. Cette extravagance précieuse gâche un peu l’excellente impression qu’avait donné jusque là l’ouvrage. Il me semble que Cahiers-Décharge est, malgré, ou à cause, du talent de son auteur, encore un de ces livres non édités au sens anglo-saxon du terme. Cette vacance des éditeurs est l’un des maux principaux dont souffrent les lettres françaises. Peut-être faudrait-il se mettre aux pratiques anglo-saxonnes avec leurs agents littéraires pour remédier à ces carences. Je ne ferais pas non plus de compliments aux éditions Baleine, chez qui on doit pouvoir commander cet indispensable ouvrage, pour leur maquette particulièrement laide.

Il n’en reste pas moins que la lecture de Cahiers-Décharge est à recommander à tous les amoureux de la langue. Il est en plus un médicament insurpassable contre la morosité.

6 mai 2020

Le coeur en exil de Rodney Garland

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mai, 2020 

 

La période est propice aux rangements de bibliothèques. En y manipulant les volumes, on s’aperçoit que certains ont mystérieusement disparu, sans doute dévorés par les bibliothèques livrophages alors que d’autres s’y trouvent dont on ignorait tout et sans que l’on sache comment ils sont arrivés là. C’est le cas de ce « Coeur en exil » dont je vais vous entretenir.  

Londres, 1950, Julian un avoué d’une trentaine d’années est retrouvé suicidé chez lui. Il était fiancé à une riche héritière. Cette dernière trouve dans le sous main du bureau du jeune homme une enveloppe vide sur laquelle est écrit un nom et une adresse, celle du docteur Tony Page. Elle se rend à celle-ci et rencontre le praticien, un psychiatre de l’âge de Julian. Les deux hommes ont été amants lorsqu’ils avaient 20 ans. Ce fut même le seul amour de Tony. Ann ne sait rien de la bisexualité de son ancien fiancé et Tony Page se garde bien de l’informer de cette particularité. Elle a aussi trouvé une lettre tendre adressé à Julian qu’elle croit signée d’une femme. Considérablement troublée, elle propose au docteur Page d’entrer en thérapie avec lui ce qu’il accepte. Par ce biais et des recherches tout azimut Tony va enquêter sur les raisons du suicide de son ancien ami.

Le docteur Page est le narrateur de ce roman, écrit à la première personne du singulier; on a ainsi le sentiment de lire une confession.

Le roman comporte trois voie que l’auteur va développer en parallèle: premièrement l’enquête de Tony sur le suicide de son ami qui est l’ossature principale du livre ce qui l’apparente à un roman policier par sa construction et induit un suspense narratif, deuxièmement un documentaire sur la vie gay londonienne au début des années cinquante et troisièmement un plaidoyer pour la dépénalisation de l’homosexualité en Angleterre. Rodney Garland parviens assez bien à mêler les trois. 

L’enquête de Tony est le prétexte pour nous faire découvrir le Londres gay (pardon homophile puisque fidèle à la terminologie de feu Arcady, c’est ainsi que sont désigné les homosexuels dans le livre.). Un milieu bien particulier contraint à une quasi clandestinité car alors, contrairement à la France par exemple, les relations homosexuelles même entre adultes consentants sont passibles des tribunaux. Mais malgré tout une vie gay existe néanmoins avec ses lieux, ses codes, ses personnalités, ses gigolos, ses truqueurs, ses entremetteurs… Dans un chapitre, Garland décrit longuement le subtil manège de la drague dans un pub. C’est un morceau d’anthologie! 

Pour les besoins de son enquêtes Tony rencontre plusieurs spécimens de cette faune. Ainsi un député regrettant que la condition de l’ouvrier se soit améliorée, rendant sa chasse plus difficile et le gibier plus exigeant, un beau numéro de cynisme dont j’ai déjà entendu l’équivalent sous nos cieux… Autre type celui du militaire nostalgique de la promiscuité fraternelle, et parfois plus que cela, à la guerre. Au passage on voit combien le retour à la vie civile pour certains est difficile et combien toute la société britannique a été traumatisé par la guerre. Cependant  durant cette période a régné une permissivité sexuelle inédite sur les bord de la tamise. Autre cas un patient que le docteur Page soigne, Dighton, un jeune ouvrier gay qui voudrait guérir de son homosexualité. Là encore ce voyage dans le temps nous rappelle que l’homosexualité était considérée et vécue par certains comme une maladie.

Si la promenade dans le monde homophile londonien de 1950 est sociologique, il est aussi géographique, avec ses bars particuliers, ses clubs et ses salles de sport dans lesquelles on vient se muscler mais aussi faire des rencontres.

Outre l’aspect documentaire sur un milieu en un lieu et une époque ce qui fait également la valeur de ce roman c’est la qualité du rendu de la psychologie des personnages à commencer par Tony Page à la personnalité complexe qui oscille entre l’acceptation de sa sexualité et la honte qu’il éprouve à être homosexuel. En outre sa qualité de médecin psychiatre a tendance à le faire regarder les autres en surplomb avec le regard froid du scientifique qui se méfie de ses affectes. Ce qui l’amène parfois à proférer des généralités sur l’homosexualité qui peuvent paraitre aujourd’hui absurde ou peut être paraitre absurde parce que la franchise du docteur Page envers les autres et surtout lui même est dérangeante, comme ce qui suit: << L’homophile, ou du moins certains types d’hémophile, possède parfois une plasticité féminine qui le rend capable de gravir l’échelle sociale, d’assimiler la culture d’un milieu supérieur, sous toutes ses formes, morale comprise. Dighton était de ceux là.>>. Ce qui est très déconcertant et même déstabilisant pour le lecteur dans « Le coeur en exil s’est le mélange indissociable sur l’homosexualité dans les propos de Tony, évidemment le porte-parole de l’auteur de finesses psychologiques et de clichés.

Ce qui pourra choquer aujourd’hui se sont les nombreuses généralités sur la classe ouvrière qui parsèment le roman dans presque tout les chapitre. Encore une fois en lisant un roman anglais on s’aperçoit de la prégnance de la hiérarchie sociale dans la société anglaise, une société de classes presque étanche. Ces généralités pour être dérangeantes ne sont cependant pas toutes erronées.

Le livre donne une explication convaincante sur les raison de l’attrait qu’exercent les jeunes hommes des classes populaires (qui sont dénommés les durs par le traducteur!) sur les bourgeois homosexuels anglais. Cette appétence sexuel des homosexuels intellectuels, artistes et personnes de la gentry anglaise pour des personnes de condition et de culture inférieure à eux m’a toujours étonné. Forster, Bacon, Auden, Isherwood en sont de bons exemples, certes Benjamin Britten est un contre exemple. Rodney Garland par l’entremise du froid docteur Page avance que c’est le surcroit de virilité que suppose le bourgeois aux garçons issus du peuple qui explique le gout des membres des classes supérieures pour eux. L’aristocratie cultivant cette vision romantique et sexuée du prolétaire qui serait la cause non seulement du désir charnel pour eux mais aussi, c’est évoqué en passant l’attrait pour le communisme des étudiants d’Oxford et de Cambridge… Un des personnages du roman quitte son jeune amant car celui-ci voulant ingénument ressembler à celui qu’il aime perd son accent (très important les accent chez les britanniques) s’habille comme son ami et prend des cours du soir pour s’élever socialement dès lors il ne correspond plus à l’objet érotique de son ami qui l’abandonne.

Il n’est pas utile d’avoir le texte original sous les yeux pour s’apercevoir que la traduction est en de nombreux points fautive. Donc si vous avez la maitrise de l’anglais procurez vous la version originale qui est d’ailleurs beaucoup plus facile à trouver que la traduction française car si le livre est passé inaperçu en France il a eu un gros succès dans son pays d’origine et est régulièrement réédité. Ceci dit vous vous priveriez de la préface de ce cher de Ricaumont qui est assez hallucinante, on y trouve des énormités, en général totalement en contradiction avec le roman comme celles-ci: << Nul n’ignore que la plupart des jeunes anglais se livrent à l’homosexualité dans les collèges et les universités avec la même ardeur qu’au base-ball et qu’à l’âge du golf nombre de colonel en retraite y cèdent de nouveau. Dans l’intervalle ils ont mis au service de leur pays les solides qualités de leur race, qui vont  de la loyauté à l’humour, et patriote jusque dans leur vie sexuelle, ils se sont mariés pour donner des fils à l’Angleterre. Bref ils pratiquent une homophilie saisonnière inséparable, comme la rougeole et les rhumatismes, de certaines périodes de l’existence…>> ou plus loin << Le véritable drame de l’homophonie lui échappe, qui n’est pas d’être bafoué, traqué, persécuté, mais de faillir à sa vocation surnaturelle. Car si la raison bronche devant le mystère du plan divin: la condamnation dès leur naissance d’un certain nombre de ses enfant à une sainteté à laquelle ses serviteurs eux mêmes ne sont qu’appelés, si la plupart trahissent cette mission dont les exigences, diraient les jansénistes, excèdent les grâces qui l’accompagnent, il n’est pas téméraire de penser que Dieu, puisqu’il les éprouve plus que les autres et leur demande plus qu’aux autres, avait pour eux une dilection particulière, qu’il les avait proprement élus.>>. Nous voilà rassuré ce cher compte de Ricaumont est aujourd’hui en bonne place à la droite du seigneur!

« Le coeur en exil » est, certes par certains cotés daté mais il n’est pas obsolète pour autant.

 

 

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Nota

Cet ouvrage, publié pour la première fois en 1953 à Londres a une petite histoire dans la vie des lettres anglaises son auteur est Adam de Hegedus, un hongrois né en 1906, qui, à la suite d’un séjour en Angleterre avec ses parents quand il était encore collégien, tombant amoureux du lieu avait décidé plus tard de s’y établir, ce qu’il fit devenant un journaliste assez connu. Peut être l’exemple d’Oscar Wilde qui l’incita pour la parution du « Coeur en exil » un des premiers romans anglais à traiter frontalement de l’homosexualité de prendre un pseudonyme. Il pris beaucoup de précautions afin que l’identité de Rodney Garland ne fut jamais trahis. Ce qui fut le cas jusqu’à sa mort en 1956. Auparavant la recherche du véritable nom de l’auteur avait beaucoup occupé le microcosme des lettres londoniennes. On avait ainsi attribué le livre tour à tour à Graham Green, Somerset Maugham ou Angus Wilson… 

 

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5 mai 2020

le métro, Castro et la littérature

 

Pour aller Porte d'Auteuil, comme ailleurs, je prends le métro dont les couloirs et les quais me mettent parfois face à une image obscène, comme cette publicité en faveur du tourisme à Cuba sur laquelle on voit une image idyllique de La Havane où une voiture américaine pimpante des années 50 transporte des cubains hilares, sur fond d'architecture coloniale comme neuve. Voilà l'illustration parfaite de notre ploutocratie mercantile, de la complicité criminelle de notre gauche alliée à la lâcheté non moins criminelle de notre droite, traduite par une espérance de profits immoraux, envers le sinistre barbu qui n'en finit pas de crever. La bonne conscience occidentale lui sait gré d'avoir nettoyé le bordel de l'Amérique qu'était devenu Cuba sous Battista. Pour ma part, je préférerai toujours un bordel à une prison... Mon esprit d'escalier, mais c'est un escalier à la Escher qui me ramène toujours au même étage après de pénibles circonvolutions, me fait me souvenir d'une expédition ludique vers Cuba d'un groupe d?écrivains français en 2002 dont le but était de se faire goberger par Fidel sous le fallacieux prétexte d'assister à la 11e Foire internationale du livre de La Havane. À leur retour, les repus n'encoururent pas les foudres de leurs pairs. Je ne peux m'empêcher de faire le parallèle avec l'escapade que firent quelques intellectuels français en Allemagne en octobre 1941, promenade connue sous le nom du Voyage d'automne pour s'y acoquiner avec le régime nazi et furent, en 1945, voués aux gémonies. Entre parenthèses, ce groupe comportait deux homosexuels notoires, Jouhandau qui s'illustrait alors par des propos antisémites ignobles et André Fraigneau dont je crois ce fut presque la seule compromission. Et que croyez-vous qu'il advint ? Le premier n'eut guère à souffrir de ces vacances vert-de-gris, quant à la carrière du second elle fut définitivement brisée. Qui a dit que les temps changeaient... Il est possible de réparer d'une façon minime mais délectable cette injustice, en découvrant de Fraigneau Le Songe de l'empereur : Julien l'Apostat (éditions du Rocher)encore un vaincu dont je ne me console pas de la défaite...

 

 


Il faut se souvenir que le régime castriste est aussi répressif envers les homosexuels que le fut celui d'Hitler. Il n'y a qu'à lire pour s'en convaincre les livres d'Arenas et de voir Avant la nuit(DVD chez Films sans frontières), la belle biopic que consacra à Arenas Julian Schnabel, sans parler de l'éclairant documentaire de Nestor Almendros, Mauvaise conduite, mais comment revoir ce chef-d'oeuvre introuvable ?

Il n'est pas mauvais de se souvenir de cela et ne pas oublier non plus comment le PCF traitait l'homosexualité juste après mai 68, comme l'illustre très bien l'excellente mini série Les Camarades qui vient de sortir en DVD chez France 2 éditions.

 

 

Malgré tout j'aime beaucoup le métro. C'est pour moi un endroit propice à la lecture et... au matage, activités qui souvent entrent en conflit lorsque une agréable créature entre dans mon champ de vision, elle retarde ma connaissance de la suite de mon roman qui souvent aussi m'empêche de me repaître d'un beau visage comme je le voudrais... Parfois au cours de la lecture d'un livre, une bouffée d'émotions me submerge. Alors je lève les yeux de mon livre pour me refroidir le coeur dans la contemplation de ces voyageurs absents qui semblent se laisser transporter comme des ballots et qui me paraissent bien moins vivants que les personnages que je viens de quitter. C'est ce qui m'est arrivé à la fin du très beau Mon frère et son frère (édition 10-18) qui me provoqua une sorte de collapse entre Ranelagh et Jasmin.

 

4 mai 2020

Bataille de chats d'Eduardo Mendoza

 

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J'aime que l'on me raconte des histoires. Pour cette raison je fréquente peu la littérature française contemporaine car elle est pauvre en imaginaire. Je préfère voir ailleurs.

C'est une joie lorsque je découvre, comme ici avec Eduardo Mendoza, un vrai conteur. Au delà du livre que je suis en train de lire, j'espère avoir trouvé une source de romans qui m'entraineront loin dans l'espace et le temps. Dans « Bataille de chats » c'est à Madrid en 1936 à la veille de la guerre civile que le lecteur est projeté. Le chaudron politique qu'est le Madrid d'alors est vu par Anthony Whitelands, un expert en peinture espagnole, trentenaire aux amours en déshérence et dont la carrière piétine. Il débarque dans la capitale espagnole pour expertiser la collection de la famille du duc de La Igualada. Il y débusque un Velasquez inconnu. Cette découverte peut être la chance de sa vie. Ce qu'il ne sait pas, c'est que l'on fait pression sur le duc pour vendre le tableau pour financer une insurrection de la Phalange. Le gouvernement Républicain qui a eu vent de l'affaire veut empêcher cette vente, de même que les rouges instrumentalisés par Moscou. Certains militaires dont Franco regroupés autour du général Mola voudrait que la vente leur profite et non à la phalange. Quand au gouvernement anglais il verrait bien le tableau à la National Gallery... Si Antony est un expert en peinture classique espagnole, il ne comprend à un peu près rien à la politique du pays ou deux camps s'opposent absolument mais ces deux partis adverses sont eux mêmes divisés en factions antagonistes... Notre amoureux de Velasquez l'est aussi des dames, ce qui va compliquer considérablement sa situation déjà fort inconfortable. Le bel Anthony s'amourache de la fille du duc qui elle, est amoureuse de Primo de Rivera, le fondateur de la Phalange. Elle profite du coeur d'artichaut d'Anthony pour le manipuler, mais pas forcement dans la même direction que celle de son père, de sa mère ou de son frère, un proche de Primo de Rivera ce dernier trouvant l'anglais sympathique... Pour se simplifier encore la vie Whiteland a des sympathies pour une très jeune prostituée. Cette dernière le colle avec pugnacité espérant que ce gentleman l'emmènera en Angleterre. On apprendra que la jeune fille est en contact avec un agent soviétique qui ne veut pas du bien à Anthony... Je ne voudrais pas tout dévoiler des avanies déboires et calamités qui fondent sur le naïf britannique pour ne pas gâcher votre plaisir de lecture. Au fur et à mesure du récit Antony devient un peu moins naïf . Excédé d'être le jouet des uns et des autres, il décide de passer à l'action...

La grande originalité du roman, outre qu'il est passionnant (Anthony va-t-il se sortir du guêpier dans lequel il s'est précipité?) est de présenter différents protagonistes de la futur guerre d'Espagne sous un jour nouveau et sans manichéisme. Mendoza, comme par exemple Philip Kerr, parvient à faire parler ces personnages historiques d'une manière crédible. Ainsi passe, José Primo de Rivera (le fondateur de la phalange), Azana, le président de la République espagnole, le général Franco, le général Mola (qui fut le véritable préparateur du soulèvement), le général Sanjurjo et quelques autres*. Tous ces gens qui sont présentés ici ou là comme des imbéciles ou des monstres sanguinaires sont montrés ici plutôt comme des hommes de bonne volonté et intelligents mais incapables de trouver une solution au délitement de leur pays. Ils semblent résigner à se précipiter dans l'abime, prenant les plus mauvaises décisions aux pires moments. Il ne faut pas oublier que d'une part l'effondrement de la République espagnole trouve sa première cause dans le désir d'émancipation de la Catalogne et non plus que c'est le général Mola qui lui portera le coup de grâce en refusant la main tendu d'Azana, qui lui proposait rien de moins que le ministère de la guerre. Ce refus jettera la République espagnole dans les bras de l'extrême gauche. Le lecteur d'aujourd'hui connait la suite, une guerre civile qui fera des milliers de morts et ruinera le pays pour des années. La plupart des protagonistes que l'on rencontre dans le roman trouveront la mort dans cette guerre sanglante*.

C'est avec beaucoup de pédagogie que Mendoza parvient à nous présenter l'inextricable situation de l'Espagne au début de l'année 1936 et cela sans jamais alourdir son roman qui est paradoxalement en regard des temps tragiques qu'il décrit parfois très drôle. Les scènes très réussies de vaudeville ne manquent pas.

Avec la même légèreté que Mendoza nous explique l'inextricable imbroglio politique ibère, il réussit à immiscé dans son récit un véritable exposé sur la vie et l'oeuvre de Vélasquez.

J'ai déjà écrit plusieurs fois que je divisais les romanciers en deux catégories: les historiens ou les géographes. Mendoza parvient à être les deux à la fois. Car si l'auteur nous brosse un tableau historique très convaincant, il nous promène également dans le Madrid des années 30 et l'on peut suivre aisément les pérégrination du héros sur carte de la ville. Le Madrid que nous décrit le romancier est une ville où il fait frisquet et ou il neige (il est vrai que la dernière fois que je suis allé à Madrid, c'était en février et il y faisait un froid de gueux. Les churros trempés dans le chocolat chaud chez san Gines étaient les bienvenus.). Peut être une pique malicieuse contre la capitale espagnole du barcelonais Mendoza...

Le mélange d'humour d'Histoire et d'espionnage ainsi que la naïveté du héros font penser à d'autres livres comme « Le tailleur de Panama » de John Le Carré, à « Notre agent à La Havane » de Graham Greene ou encore « L'innocent » de Ian Mc Ewan.

 

* José Primo de Rivera sera fusillé par les républicains, les généraux Mola et Sanjurjo mourront chacun en 1937 dans des accidents d'avion. Azana décédera en exil en France en 1940

 

Commentaires à la première parution de cet article

 

ismau28/03/2015 15:18

Juan Marsé m'a été vanté à de nombreuses reprises par une amie grande spécialiste de la littérature hispanique ( c'est elle également qui m'avait fait découvrir Mendoza ) . De Marsé, je ne connais que « Boulevard du Guinardo », qui se passe comme ses autres romans dans les bas-fonds de Barcelone où il a passé son enfance . On y retrouve également une évocation intéressante de la période franquiste, et des particularités politiques de la Catalogne … avec ce qu'il faut d'ironie - ex. dans cet autre livre : http://www.babelio.com/livres/Marse-Lamant-bilingue/54621
Marsé a eu plusieurs prix littéraires en Espagne .

lesdiagonalesdutemps28/03/2015 17:48

Merci voilà qui va augmenter ma liste de livres à me procurer.

ismau24/03/2015 18:42

Je ne connais pas Zafon, et bêtement de Maspero juste la petite bibliothèque … encore des lacunes que je me ferai un plaisir de combler si je trouve le temps, ou la capacité de lire plus vite !
Mais je connais un peu Juan Marsé - compatriote barcelonais de Mendoza - écrivain de grande valeur, également à découvrir .

lesdiagonalesdutemps24/03/2015 21:55

C'est à mon tour de confesser mon ignorance, le nom de Juan Marsé ne m'évoque rien pourriez vous m'en dire un peu plus.

ismau24/03/2015 16:20

J'ai lu de Mendoza un petit livre extrêmement drôle et très bien écrit «  Sans nouvelle de Gurb » paru en français en 94 . C'est histoire d'un extraterrestre parti sous diverses apparences aussi discrètes qu'inattendues, à la recherche de son coéquipier disparu dans Barcelone ( lui simplement dissimulé sous les traits de Madonna ) Il découvre notre monde et tient un journal de toutes ses observations, prétexte à une satire délirante – réjouissante ! - de notre modernité … Voilà qui m'avait donné envie de lire un autre Mendoza . Votre billet relance mon projet, d'autant que « Bataille de chats » semble avoir l'avantage supplémentaire d'apporter des connaissances historiques fort intéressantes .

lesdiagonalesdutemps24/03/2015 16:33

C'est en effet un livre fort intéressant et agréable à lire. J'ajouterais à mon billet que Mendoza d'après ce livre, j'ai envi d'en lire d'autres dont celui dont vous me parlez, a des points communs avec son compatriote Zafon même sens du suspense mais aussi les défaut d'avoir des personnages secondaire un peu stéréotypés et de brusquer la conclusion de son ouvrage en revanche comme zafon il bénéficie de la traduction de François Maspéro et ce n'est pas rien (avez vous lu Le sourire du chat de Maspero, où il n'y a pas plus de chats que chez Mendoza mais qui est une merveille).

2 mai 2020

Le cercle de Farthing de Jo Walton

 

Le cercle de Farthing de Jo Walton

 

Il y a plusieurs manières de mettre en place l'uchronie dans un récit. Une des plus importantes est le choix du narrateur qui donnera l'angle d'après lequel le lecteur découvrira l'univers parallèle que propose l'auteur. Comme Jo Walton, a choisi le biais du roman policier pour nous faire entrer dans un monde dans lequel d'ailleurs, on ne perçoit pas immédiatement que ce n'est pas le notre, ses narrateurs, ils sont deux, c'est une des originalités du récit, sont d'une part un inspecteur de police, Peter Antony Carmichael qui enquête sur un crime et d'autre part, Lucy Kahn, la fille du châtelain, en délicatesse avec sa famille pour avoir épousé un juif, David Kahn. Ainsi nous auront les points de vue de l'investigation et d'un suspect. C'est très habilement que l'auteur va mêler ces deux voix dont l'une ne sait pas ce que sait l'autre et vice et versa.

Dans les premières pages on croit lire un bon vieux roman d'Agatha Christie ou de Dorothy Sayers ou plutôt un pastiche un brin parodique des ouvrages de ces dames. On pense beaucoup aussi au beau film de Robert d'Altman, "Gosford Park", notamment pour les rapport entre les classes sociales.

Nous sommes en 1949 quelques années après la fin de la deuxième guerre mondiale. Lord Eversley, dans sa propriété, a réuni pour une garden-party des amis politiques, la veille d'un scrutin important. Ce sont les membres du Cercle de Farthing (2), un courant du parti conservateur. La nuit suivante un des invités est assassiné dans ce château situé dans la grasse campagne verdoyante du sud de L'Angleterre. La victime, Sir James Thirkie, est un homme politique de premier plan. Sur son cadavre a été laissée en évidence l'étoile jaune de David Kahn. Ce qui fait de ce dernier un coupable tout désigné. Lucy est convaincue de l'innocence de son mari...

Dès les premières pages le lecteur est surpris de l'antisémitisme de nombreux personnages et de la centralité de la question juive. On comprend alors que nous ne sommes pas dans notre Histoire. Mais c'est avec beaucoup de parcimonie que l'auteur nous délivre des informations sur cette autre Histoire. C'est vers la 80 ème page que l'on apprend qu'Hitler est toujours de ce monde et que les nazis sont toujours en guerre contre les soviétiques: Ils se disputent Irkoust qui change de main presque chaque jour... Par bribes on comprend que l'Angleterre a négocié une paix séparée avec l'Allemagne à l'occasion du voyage impromptu d'Herman Hess en Angleterre. Dans cette Histoire, les propositions du dauphin d'Hitler ont été prises au sérieux. Sir James Thirkie a été le principal négociateur de cette « paix dans l'honneur ». Ce n'est qu'à page 113 du roman, que nous auront des révélations sur cette fameuse paix...

Les deux personnages principaux, Lucie Kahn et l'inspecteur Carmichael, sont très différents. Ils donnent deux regards contrastés sur le crime et l'époque. Lucie Kahn née Eversley a défié sa famille en épousant un juif, David Kahn. Elle est l'une des invités du raout organisé par sa mère pour aider la carrière politique de son père. Elle a été surprise de cette invitation car elle est habituellement tenue à l'écart du fait de sa mésalliance. Au début de son récit, elle nous apparaît comme une sacrée gourdasse, puis peu à peu nous allons nous apercevoir que derrière la femme frivole se cache une révoltée très amoureuse de son mari. Cette évolution est assez surprenante. Elle peut être tenue pour un défaut du livre qui en raison du manque d'empathie que l'on a au début avec Lucie. Ce qui fait qu'on a de la peine a accrocher à cette histoire, mais heureusement cela ne dure pas.

Carmichael est tout le contraire de l'extravertie Lucie. Secret et introspectif, il vient d'un autre milieu que celui des gens sur lesquels il enquête. Il est aussi originaire d'une autre région, le nord de l'Angleterre, ce qui est plusieurs fois rappeler dans le cours du récit. Le lecteur français peut être surpris de cette insistance. Il semblerait à lire Walton que les gens du sud tiennent en piètre estime ceux du nord. Un autre détail à ce propos a attiré mon attention. Sur une page de garde, sous le titre, on peut lire: traduit de l'anglais (Pays de Galles) par Luc Carissimo. Y aurait-il un sous texte régionaliste chez Jo Walton? L'inspecteur Carmichael est aussi un ancien combattant. Il n'aimait pas particulièrement ceux qui penchaient pour une paix séparée avec l'Allemagne ni l'orgueilleuse gentry anglaise. Néanmoins il éprouve de la sympathie pour Lucie et son mari, peut être parce que lui aussi est secrètement un réprouvé...

Ce qui caractérise le genre uchronique est la mise en évidence d'un point de divergence avec notre Histoire, l'instant ou ce qui a été n'et pas advenu ou a eu lieu d'une façon différente, infléchissant l'Histoire. Le point de divergence est toujours précédé du si... Dans le cas présent c'est, si... les anglais avait pris en considération la tentative de rapprochement et de paix séparée entre l'Allemagne nazie et l'empire britannique que pouvait induire la visite, o combien inopinée, de Rudolf Hess (1). C'est un point de divergence intéressant mais en fait assez peu crédible pour plusieurs raisons. Tout d'abord Hess était encore plus piqué que ces petits camarades sectateurs de la croix gammée. En 1941 il était marginalisé dans l'organigramme nazi. Ensuite, si certes une petite partie de la classe politique anglaise était favorable à une paix avec l'Allemagne, il ne faut pas oublier qu'en 1941 l'Angleterre supportait à elle seule le poids de la guerre, cette petite frange de la population ne faisait que diminuer en raison du blitz qui avait soudé la population anglaise dans son hostilité à l'Allemagne. Et puis Churchill était farouchement opposé à tout accord, de même que l'influente épouse du roi... Dans « Le cercle de Farthing » Churchill est quasiment passé par pertes et profits... Autre problème quant à la crédibilité de cette négociation, le choix, du coté anglais d'un jeune diplomate de moins de quarante ans pour mener cette négociation capitale. Sans doute conscient de cela, Jo Walton précise que l'infortuné Thirkie fait plus que son age... Il reste que cette uchronie, voir les notas 1 et 2, est historiquement très solidement étayée.

Il reste que le tableau de cette Angleterre est très convaincant. Un pays qui après avoir vécu deux années de guerre et vu mourir nombre de maris, de fils et de frères (c'est le cas du frère de Lucie dont le chasseur a été abattu), se complait dans une paix égoïste, ignorant sans remords les atrocités commises sur le continent. On y voit que l'antisémitisme n'est pas un mal qui serait confiné aux pays conquis Hitler, mais qui ronge lentement les îles britanniques et son peuple. Ce livre, comme hier "Les iles du soleil" fait que je me pose cette question: Est-ce parce que l'Angleterre n'a pas connu la shoah sur son territoire, que l'antisémitisme semble y être un problème qui questionne plus que sur le continent la société?

Subrepticement l'auteur fait quelques allusions à la (vraie) politique anglaise des années 40, mais aussi 50 et 60, par exemple le nom de Philby est cité... Il y a aussi quelques références cryptées à la littérature, par exemple à propos d'Orwell et aussi de Daphné du Maurier. Il y en a d'autres, sans doute, mais en raison de ma méconnaissance de l'Histoire du Royaume uni, elles m'auront échappées. Daphné du Maurier dans sa correspondance quand elle veut parler de sexualité utilise des noms de lieux Le Caire pour l'hétérosexualité, Venise pour l'homosexualité, tout comme le fait Lucie pour laquelle les romains sont les hétérosexuels, les macédoniens les homosexuels et les athéniens les bisexuels...

Le choix stylistique de Walton est très intéressant. Il alterne deux points de vue d'une façon efficace. L'auteur a choisi deux temps d'écriture. Le récit de Lucie Kahn est à la première personne. On ne sait pas quand il a été rédigé, peut-être longtemps après les événement décrits dans ce premier tome. Le cercle de Farthing est le premier volume d'une trilogie; ce qui peut expliquer que certains personnages soient assez peu développés. Le récit de l'enquête que mène l'inspecteur Carmichael est lui narré à la troisième personne.

Comme je l'ai mentionné à l'entrée de ce billet, tout du moins dans les premier chapitre, on a le sentiment d'être dans un roman d'Agatha Christie pas seulement par le milieu décrit, la gentry anglaise, mais aussi par le style très conforme à celui d'un roman à énigme écrit dans les années 30. Dans ces romans, on lit des histoires de mort violente alors que le livre lui-même est toujours aimable, courtois. Ces romans sont écrits d’une manière qui est très apaisante dans un style que l'on nomme parfois cosy. Ainsi le lecteur ne s'aperçoit pas immédiatement de la noirceur, ici absolue , de ce qu'il est en train de lire: La montée du fascisme dans le pays où à priori, on pense que c'est le plus inimaginable. Jo Walton joue du contraste entre le ton et le fond.

Très habilement l'auteur dès les premières lignes pose les bases du récit et en donne le ton, au moins de la partie dévolue à Lucie.

Tout a commencé quand David est revenu du parc dans une fureur noire. Nous séjournions à Farthing à l’occasion d’un des épouvantables raouts politique de Mère. Si nous avions trouvé un moyen de nous y dérober, nous serions allés n’importe où ailleurs, mais Mère n’avait rien voulu entendre et nous étions donc là, lui en jaquette et moi en petite robe Channel beige, dans mon ancienne chambre de jeune fille à laquelle j’avais été si soulagée de dire adieu quand j’avais épousé David.

 

Bien que Le cercle de Farthing ne soit que la première partie d'un tout, le roman possède une véritable fin même si celle-ci est relativement ouverte et que l'on a très envie de connaître la suite de la vies des protagonistes de cette histoire.

L'amateur d'uchronie ne pourra s'empêcher de rapprocher « Le cercle de Farthing » avec deux autres romans du genre, d'abord avec « La séparation » (on peut aller voir le billet que j'ai écrit sur ce livre: http://www.lesdiagonalesdutemps.com/article-la-separation-de-christopher-priest-83287068.html) de Christopher Priest qui tourne également autour du voyage de Hess. La séparation propose, entre autres, une éventualité historique qui me paraît plus crédible que celle envisagée ici, celle que l'avion de Hess aurait été abattu par la Luftwaffe. Et surtout avec « Les iles du soleil » de Ian R. MacLeod que je tiens pour le chef d'oeuvre de l'uchronie (j'ai consacré un billet à ce roman: http://www.lesdiagonalesdutemps.com/article-les-iles-du-soleil-81807104.html). Dans le roman de MacLeod, dans lequel le point de divergence se situe lors de la Grande Guerre, ce qui est beaucoup plus original, comme dans celui de Walton, la judéité et aussi l'homosexualité sont au centre de l'intrigue. 

Le cercle de Farthing a été publié en Grande Bretagne en 2006. Il se lit avec beaucoup de plaisir. Le lecteur est aiguillonné par deux désirs, celui de connaître l'assassin de Sir James Thirkie et celui de découvrir cette Angleterre qui aurait pu être si...

Juste après la couverture, sur la première page du volume, on lit en introduction le petit texte ci-dessous qui replace ce roman dans notre actualité:

Ce roman est dédié à tous ceux qui se sont un jour penchés sur une monstruosité de l'Histoire avec la tranquille satisfaction d'être horrifiés tout en sachant exactement ce qui allait arriver, un peu comme ci après avoir examiné un dragon sur la table de dissection, il se retournaient pour découvrir dans leur dos ses descendant bien vivant et prêt à mordre.

Nota

 

1- En mai 1941, Rudolf Hess s'envole secrètement pour l'Écosse afin d'informer la Grande-Bretagne de la prochaine entrée en guerre contre URSS, et de proposer un traité de paix entre l'Allemagne et l'Angleterre. À son arrivée, il est arrêté et emprisonné jusqu'à la fin de la guerre par les autorités britanniques.

La motivation de Hess est la suivante : entamer un processus de paix, laissant à l'Allemagne sa politique d'expansion vers l’Est sur le continent européen, en échange de l'intégrité de l'Empire britannique. Selon Martin Allen, mais également dans le livre de l'historien Peter Padfield paru en 2013, Rudolf Hess serait parti à la demande d'Hitler (officiellement Hitler a toujours dit Hess avait agi de son propre chef) avec mission d'informer la Grande-Bretagne de la prochaine entrée en guerre avec l'Union soviétique et de proposer un traité de paix (pour ma part, je ne crois pas à cette version des faits pour les raisons que je donne dans le corps du billet).

Les services secrets avaient encouragé le Premier ministre britannique à accepter d'ouvrir des discussions avec des représentants de l'Allemagne nazie pour laisser penser qu'une paix était envisageable. Pour rendre crédible cette opération, la stratégie consistait à laisser croire qu'une fois que Winston Churchill serait mis en opposition à la Chambre des Lords, Lord Halifax – son successeur le plus crédible – accepterait de négocier un arrêt des hostilités. À cette époque, l'Empire britannique supportait seul l'effort de guerre et la politique de Churchill était mise en doute par une minorité. Une petite partie de la classe politique souhaitait l'arrêt des hostilités afin de préserver l'Empire. Les bombardements de Londres lors de l'automne 1940 avaient en réalité soudé le peuple britannique contre l'ennemi. Lors du procès de Nuremberg, il est condamné pour complot et crime contre la paix à l'emprisonnement à perpétuité, peine qu'il purge dans la prison de Spandau à Berlin-Ouest. En 1987, après quarante-six années de détention, il est retrouvé pendu dans le cabanon de jardin situé dans l'enceinte de la prison

2- Sous le nom de cercle de Farthing on peut reconnaître le Cliveden set qui était un groupe d’influence actif dans la politique britannique entre 1937 et 1939 (on parlerait aujourd'hui d'un think tank). Il était considéré comme proche de l’extrême droite. Il réunissait des personnalités politiques de premier plan dont Lord Halifax (dans « Le cercle de Farthing on peut considérer que Sir James Thirkie est le double de Lord Halifax), Geoffrey Dawson, rédacteur en chef du Times, Edward Frederick Lindley Wood, vice-roi des Indes, ministre de la Guerre et des Affaires étrangères... Le groupe se réunissait chez la vicomtesse Nancy Astor qui fut en 1919 la première femme à siéger au parlement britannique sous les couleurs du parti Conservateur. Lady Astor est aussi connue pour avoir dit un jour à Churchill : « Winston, si j'étais votre femme, je mettrais du poison dans votre verre! » Lequel lui a répondu : « Eh bien moi, Nancy, si j'étais votre époux, je le boirais ! Comme Lady Eversley, la mère de Lucie, Lady Astor était la propriétaire d'un fameux diamant, le Sancy aujourd'hui... au Louvre! Le nom de ce groupe provient de « Cliveden », le nom du château des Astor dans le Buckinghamshire, où avaient lieu les réunions. On voit que Walton, sur ce plan, n'a fait qu'une légère transposition de la réalité historique.

3- Ce billet sera forcément amendé si j'ai la chance de lire les deux autres volumes de la trilogie dont il est le premier volet.

4- Jo Walton est une dame, ce qui ne se perçoit pas dans ma critique car je me refuse aux termes barbare auteurE, écrivaiE et autre auteuresse. Jo Walton est un écrivain, et un bon...

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