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Dans les diagonales du temps
19 mai 2020

Le soleil des dortoirs de Roger Rabiniaux

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Il faut parfois suivre l’éblouissement causé par un titre. Tel fut le cas avec « Le soleil des dortoir mentionné brièvement par Claude Michel Cluny dans son journal. Le diariste accompagnait la mention d’un avis assez favorable et évoquait à son propos du livre Roger Peyrefitte. Emoustillé par le rapprochement de l’auteur des « Amitiés particulières » avec un titre où figure dortoirs, je commandais aussitôt via la toile ce livre oublié d’un auteur inconnu de moi.

Je voudrais détromper immédiatement le lecteur qui s’imaginerait retrouver des émois comparables à ceux que peuvaient provoquer (jadis) le livre de Peyrefitte ou « Les garçons » d’Henry de Montherlant pourtant il est bien question de passions dans un pensionnat que font naitre de jeunes garçons dans le coeur du héros, Cécial à peine plus âgé qu’eux mais ce n’est qu’un pan de l’ouvrage.

Le beau titre n’évoque pas un jeune garçon qui se glisserait subrepticement dans le lit d’un autre dans la pénombre d’un dortoir, quoique, mais les pensées qui visitent l’adolescent juste avant l’endormissement; ce sont les images certes du visage du préféré mais aussi celui de la jeune fille convoitée lors des dernières vacances ou encore celles de la maison familiale, de la rue de cette petite patrie que l’on a hâte de retrouver.

Première incise, le personnage est rarement appelé par son prénom Pierre ,mais par son nom Cécial. Je ne sais pas s’il en est toujours ainsi, il faudrait que je me renseigne, mais entre camarades, sauf très grande et rare intimité, on ne s’appelait pas par nos prénoms mais par nos noms de famille. Il en était de même pour nos professeurs. Je me souviens de l’étonnement lorsqu’en 5 ème, à la rentrée de 1962, notre professeur de français, qui n’était pas un jeune homme, nous avait annoncé qu’il nous nommerait par nos prénoms. 

Si le college novels est un type de romans qui foisonne dans la littérature anglaise, et encore plus dans le manga, il est fort rare de ce coté ci de la Manche. Il faut bien dire que nos lycées, imitations de casernes pour les plus anciens ou de H.L.M. pour les plus récents n’incitent guère à la nostalgie. Le soleil des dortoirs est une belle exception même si tout le roman ne se déroule pas dans l’internat. Roman est d’ailleurs un terme abusif pour ce livre. On devrait plutôt parler de récit, tant visiblement il s’agit de souvenir de l’auteur. Pierre Cécial est un petit garçon de Levallois, issu de la toute petite bourgeoisie. Lorsque le récit commence, nous sommes en 1930 et Cécial à 13 ans. Rabiniaux fait pénétrer son lecteur du XXI ème siècle dans le quotidien, parfois le plus trivial, d’un monde qui lui est aussi étranger que celui du haut moyen-âge…

Ce pensionnat des années 30 est situé à Sainte-Olympe, derrière ce nom se cache Fontainebleau, mais Fontainebleau en 1930, c’est déjà la province… L’établissement n’est pas pour une fois tenu par des curés donc on échappe aux soutanes, aux messes et aux regards concupiscents des prêtres sur leurs élèves captifs. C’est bien agréable, car à lire toute une littérature on pourrait croire que l’instruction de la jeunesse était avant-guerre entièrement dans les mains de l’église. La raison à cela, est simple; les littérateurs étaient dans leur très grande majorité des bourgeois et la bourgeoisie confiait l’éducation de ses jeunes mâles à l’église, en particulier en province. Rabiniaux lui vient des classes populaires et son double Cécial est probablement le premier à faire des études secondaires. 

L’institut Amédée Rivière est un pensionnat de seconde zone. Les professeurs sont tous plus ou moins des ratés; les élèves viennent de la petite bourgeoisie. Il n’est bien sûr pas mixte mais ce n’est pas pour cela que les filles sont absentes des pensées des garçons. Ce qui fait une différence fondamentale avec « Les amitiés particulières » roman, dans lequel on pourrait penser que les femmes n’existent pas, pas plus que les parents et guère les études. Le sexe et l’amour ne sont pas les seules préoccupations des garçons de L’institut. Rabiniaux contrairement à Peyrefitte n’est pas un obsédé sexuel. Je n’aime pas les obsédés, sexuels ou autres, non pour des raisons morales mais parce qu’une obsession quelle qu’elle soit met des oeillères à l’obsédé et donc appauvrissent son propos. Rabiniaux ayant l’esprit libre fait que « Le soleil des dortoir » laissent entrevoir toute une sociétés aux gouts et espoirs divers.

Pour Cérial et la plupart de ses camarades l’amour des garçons est transitoire, c’est un substitut des filles mais en même temps pas un pis aller: << D’un coup ton enthousiasme tombe. Dans ce visage t’émeut ce qui n’est d’aucun sexe. Faute de connaitre assez de filles, tu aimes un androgyne qui porte le masque de l’amour. Le plaisir que tu lui donnes et qui le rapproche de toi t’éloigne de lui.>>, << Bientôt s’achève le temps des baisers sous les marronniers, des garçons pris pour des princesses d’un jeu où les pampres grecs se mêlaient à la guirlande de Julie. Gilles et toi, vous aurez découvert, grâce au Cythère de Sainte-Olympe, le raffinement des sentiments et un certain art des caresses. La fréquentation des Amis vous aura révélé, à défaut de la mécanique des femmes, une dialectique de l’amour.>>  ; c’est un véhicule de l’amour plus que tu sexe mais ces pratiques sont acceptées, presque revendiquées. Il n’y pas de machisme ni d’homophobie dans cette micro société de mâles (il n’y a pas non plus de femme professeur). Il me vient à penser que c’est peut être paradoxalement la mixité qui a fait entrer dans les sociétés d’adolescents ces deux maux…

Il y a l’amour dont ces garçons ont du mal à en fixer l’objet mais il y a aussi la découverte pour Cécial de la littérature celle étudiée dans les cours de français mais aussi celle lue clandestinement dans les ouvrages de Gide, Pierre Louys ou Colette. Cécial est travaillé par l’ambition littéraire. Il écrit une fresque inspirée d’Alfred Jarry en collaboration avec quelques camarades. 

On voit aussi ces garçons sortir progressivement de l’enfance et mettre longtemps à renoncer à certains jeux comme celui du tour de France avec des billes et des petits coureurs. J’ai moi-même joué à ce jeux , sur la plage, au début des années 60, il me semble qu’il a beaucoup moins de distance entre un enfant de 1965 avec un enfant de 1930 que celle qui existe entre un garçon de  1965  et un garçon de 2020.

 

Unknown

 

Rabiniaux ne dépeint pas que le quotidien d’une pensions. Entre les années scolaires, il y a les grandes vacances pendant lesquelles la famille Cécial quitte Levallois pour s’aérer, une fois à la campagne non loin de la capitale, l’année suivante à Noirmoutier, c’est alors une véritable expédition. Dans l’ile Cécial connaitra son premier véritable émoi devant la femme. Et enfin ce qui sera pour le garçon ses dernières vacances en famille, un petit hôtel dans la campagne normande. Mine de rien ce livre casse un des mythes du front populaire qui voudrait que les travailleurs en 36 aient tous découverts les vacances et la mer. Les Cécial sont des gens très modestes et pourtant ils partent en vacances; le père de Pierre est mécano et la mère couturière à domicile, ce qui nous vaut de sa part un beau couplet antisémite à propos de ses patrons… 

L’institut et Sainte Olympe sont évoqués par Cécial en 1965 soit une trentaine d’années après les années d’internat du héros. Ces années sont classiquement vues comme un paradis perdu. Tout le livre baigne dans la nostalgie. Ce regard venant du passé nuit à la fraicheur des réactions, propos et attitudes de Cécial et de ses camarades sur lesquels est portés un jugement rétrospectif. Cette manière de voir après coup est d’autant plus dommage que j’ai lu peu d’auteurs qui comme Rabiniaux ait le talent de restituer avec justesse les pensée d’un adolescent.

 La construction du livre est bancale car son début, d’un volontarisme poétique trop appuyé ne parvient pas a imposer le partage des temps entre le présent de la narration, 1965, et ce qui nous est raconté qui se déroule dans les années 30. Ces maladresses d’organisation du récit sont heureusement compensées par de constants bonheurs d’écritures faits souvent de fécondes et inattendues juxtapositions de mots. L’écriture de Rabiniaux avec son attention aux paysages tant urbains que bucoliques la place entre Emmanuel Bove et Marcel Aymé. 

Ce ne sont pas toujours les chefs d’oeuvre, « Le soleil des dortoirs » n’en est pas un, mais c’est un livre très estimable que je place au dessus de la pléthorique production romanesque française des dernières années, qui vous questionne le plus. Par exemple pourquoi un tel livre et son auteur sont tombés dans l’oubli? « Le soleil des dortoirs » ne me parait pas plus poussiéreux, au contraire, que par exemple les romans de Joseph Kessel ne sont pas négligeable pour autant, mais qui viennent d’accéder à la prestigieuse Pléiade. Je pense que plusieurs facteurs font que Rabiniaux soit oublié. Tout d’abord ce n’était pas « un personnage » alors que Kessel à l’évidence en était un, comme ses contemporains Malraux, Romain Gary ou Henry de Monfreid… A l’instar aujourd’hui d’un Michel Houellebecq dont la reconnaissance littéraire doit autant à son physique décavé qu’à son oeuvre… Qui peut prévoir la pérennité d’une oeuvre? Pourtant Rabiniaux n’était pas mal parti puisqu’il avait été remarqué par Queneau, mais alors pourquoi n’a t-il pas publié chez Gallimard. Rebondissons, au sujet de la notoriété sur ces deux derniers noms: Queneau et Gallimard. La postérité de Queneau doit tout à un seul livre: « Zazie dans le métro » et à une seule chanson: « Si tu t’imagines » et encore quelle serait la célébrité du premier sans le film, et celle de la seconde sans son interprète, Juliette Gréco… Gallimard maintenant, il est probable que les titres de Rabiniaux serait réédités s’ils avaient parus chez Gallimard plutôt que chez Buchet-Chastel… Kessel serait-il entré dans La Pléiade si son éditeur n’avait pas été Gallimard à la fin de sa carrière?

Autre questionnement ou plutôt constatation un tel livre a acquis à son insu un statut de documentaire. Il en dit beaucoup des us et coutumes de la petite classe moyenne dans les années d’avant guerre. Le lecteur ne pourra que constater quel gouffre sépare leur quotidien d’alors de celui d’aujourd’hui. Et s’il n’a pas la funeste manie de s’habiller de jaune combien il est préférable pour toutes les petites choses des jours de vivre en 2020 plutôt qu’en 1930.

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L
Je crois que le préfet Roger Bellion, Roger Rabiniaux en littérature, fut interne au lycée Lakanal de Sceaux, où il eut Jacques Delmas, futur Chaban-Delmas, comme condisciple. Celui-ci fait de furtives apparitions, sous le nom de Michel Renard, dans au moins trois volumes de la suite autobiographique de Rabiniaux : Les Rues de Levallois, Le Soleil des dortoirs, A la chaleur des hommes. <br /> <br /> Le haut-fonctionnaire Bellion paiera ses sympathies chabanistes sous le septennat de Giscard.
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I
Très intéressant ce billet sur « Le Soleil des dortoirs » : un livre et un sujet auquel vous restituez tous ses enseignements actuels ... « Les feux de Saint-Elme » c’était également un joli titre, mais vous n’aviez pas trop aimé le contenu je crois ! Pourtant le collège de Cordier lui aussi des années 30, offre de nombreuses similitudes avec ce que vous dites de celui de Rabiniaux. Dans les récemment parus, il y a aussi celui d’Antoine Compagnon « La classe de rhéto », mais qui s’éloigne un peu je suppose du collège à la Peyrefitte.
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