Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Dans les diagonales du temps
26 mai 2020

L'incognito d'Hervé Guibert

 

 

L-incognito

 



Avec "L'incognito" Hervé Guibert raconte son séjour à la villa Médicis, renommée dans le livre l'académie espagnole, par le truchement d'Hector Lenoir, un double qui lui ressemble beaucoup et qui s'est fixé comme but d'écrire "l'histoire de sa vie", sur les quinze dernières années. Hector qui peine à accoucher de son grand oeuvre nous détaille, en courts paragraphes les menus tracas et les fantasmes que cette résidence fait naitre en lui. Hector se vit plus en exilé qu'en pensionnaire. La tonalité du récit est sombre et pourtant on rigolera souvent en le lisant. Les lieux sont décatis, les personnes qui dirigent cette institution sont des escrocs à la petite semaine et les collègues des parangons de mesquinerie. Guibert a découpé son livre en paragraphes de longueurs diverses. Selon les morceaux c'est indigent, brillant, hilarant, fastidieux, poétique, horrifique, surréaliste, mais presque toujours méchant. Comme sa vie a du lui être odieuse à cet homme qui semble plus ou moins mépriser tout ses semblables et parait ne voir que la laideur. Tout compte fait mourir jeune n'a fait qu'abréger cette souffrance qu'était pour lui la vie où rien ne trouvait grâce à ses yeux. Mais comme à l'habitude l'auteur mêle réalité et fiction. Faut-il le croire au malheur d'Hector puisque dans plusieurs interview Hervé a déclaré que son séjour romain a été deux années de bonheur.

 

Unknown

Eugène Savitzkaya (Matou dans "L'incognito") photographié par Hervé Guibert

 


Certain paragraphe sont de merveilleuses petites nouvelles dans lesquelles le ridicule est bousculé par l'émotion comme celle que l'on pourrait titrer "Le barbier de qualité". Alors que d'autre sont proches d'un sketch d'un excellent humoriste comme cette description d'un salon de coiffure romain que l'on dirait filmé par Fellini. On pense souvent au cinéaste italien en lisant ce livre. Autre morceau d'anthologie la description d'une boite de striptease également très fellinienne. Dans un autre registre le déjeuner d'Hector avec Doria (Balthus) est un grand moment de littérature humoristique. Si l'on croise le portrait de vieillesse de Balthus qu'en dresse Guibert avec celui de jeunesse que l'on découvre dans la correspondance Gide-Marc Allègret, on se dit que le grand peintre était un sacré phénomène...
Parfois certains paragraphe ne s'imbriquent pas vraiment logiquement dans ce puzzle qu'est "L'incognito"; on voit bien que Guibert y est allé un peu au chausse-pied pour les faire entrer dans son histoire, mais on ne s'en plaindra pas car ce sont souvent les plus drôles. 

Malheureusement le livre déraille à partir de la 180 ème page (le livre en comporte 227), page à laquelle Guibert introduit une histoire de meurtre abracabrantesque, puis, ensuite, une autre histoire qui se déroule à l'ile d'Elbe autour d'un Gigolo, un récit qui occupe les 20 dernières pages. Hervé Guibert est accoutumé du fait, il ne parvient jamais à terminer un livre d'une façon satisfaisante. Dans le cas présent on se demande bien pourquoi il n'a pas arrêté "L'incognito" à la page 180...    

Il demeure que ses clabaudages sur ses collègues de villa et sur bien d'autres sont fort distrayants, Guibert n'a pas son pareil pour débusquer la laideur morale ou physique. Peut-être par peur des représailles juridiques ou physiques Hervé Guibert affuble toutes les personnes dont il parle de pseudonymes souvent assez ridicules ou convenus. Ce qui est agaçant d'autant qu'il y a foule de personnages et l'on s'y perd parfois, car si les lecteurs férus du petit monde guibertien reconnaitrons nombre de protagonistes sous leurs masques d'autres noms sont restés pour moi énigmatiques...* Mais H.G a du se fâcher avec certains de ses éphémères voisins et l'institution qui dorénavant sera peut être moins encline à inviter des écrivains, si elle suit le conseil de Michel Braudeau: « On devrait toujours faire très attention avant d’inviter un écrivain à sa table. S’il ne part pas avec l’argenterie, il emportera bien plus précieux, bien pire, le souvenir de vos petites manies, de vos travers et le droit de déclarer que la cuisine est infecte. C’est peut-être ce qu’on pense à l’Académie de France à Rome, autrement dit la Villa Médicis, en lisant L’Incognito, d’Hervé Guibert.
Si le surnom de l'aigle pour Bernard Faucon est plutôt flatteur d'autre le sont beaucoup moins par exemple Quickly pour Renaud Camus l'est beaucoup moins. Guibert pour trouver ce pseudonyme c'est inspiré du "Journal romain" dans lequel Camus se décrit en éjaculateur précoce, comme quoi Guibert à lu attentivement le journal de son prédécesseur à la villa Médicis... Dans son journal de 1989 (Fendre l'air, P.O.L, 1991) Renaud Camus ne comprend pas l'allusion relatif à son surnom: << Pourquoi Guibert m'appelle-t-il Quickly? Est-ce à cause de mes Tricks, et de leur nettes ressemblance avec autant de quikies? Je n'en ai pas la moindre idée.>> (page 291). Mais comme moi Renaud camus a bien ri avec ce livre: << De vrais fous rires m'ont pris hier , à feuilleter le nouveau livre de Guibert.>>.
Hervé Guibert résidera à Rome de 1987 à 1989 et publiera ce livre, écrit "à chaud" en 1989 dans lequel de nombreuses scènes ridiculise le quotidien à l'académie espagnole par exemple dans la scène de la table d’hôte. 
Mais il serait naïf de réduire "L'incognito" à un récit, même à clés, du séjour romain de l'écrivain. Si la plupart du temps on reste dans rationnelle, Guibert insuffle dés le début du livre de la fiction en faisant d'un des permanents de la villa, un affidé maffieux des néo-nazis. C'est ensuite à la page 180 une embardée vers le roman noir, tentation récurrente de l'auteur mais qui prouve une fois de plus que Guibert n'est pas un romancier mais bien plus un chroniqueur de lui-même, virtuose du mentir-vrai. Sur cette intrusion de la fiction policière, je partage l'avis de Renaud Camus dans son journal de 1989: << Une vague intrigue policière, qui survient très tardivement dans le cours du livre, trop tardivement pour qu'on s'y intéresse bien fort, ne lui ajoute pas grand chose et paraît remplir des fonctions de remplissage.>> (page 301). 
Le titre reprend le nom d'une boite où dans le livre, les gigolos romains se retrouvent après le travail... Très bizarrement "L'incognito" est sorti, presque en même temps que "Fou de vincent". L'un chez Gallimard, l'autre aux éditions de Minuit, deux livres que l'on pourrait croire écrits par des auteurs différents.
Dans « Je disparaîtrai et je n’aurais rien caché », entretien avec François Jonquet paru dans la revue "Globe" en février 1992, Hervé Guibert déclarait: « C’est une blague "L’Incognito", un jeu de massacre, quelque chose de systématique dans sa méchanceté. Cela dit, ça relate plutôt mon arrivée, qui fut effectivement un cauchemar total. Il y a un témoignage exact de ce qu’était la villa Médicis. Elle s’est transformée depuis, heureusement pour les pensionnaires ! L’Incognito, je l’ai écrit aussi à cause des livres de Mathieu Lindon, pour lui, pour me glisser dans ses pas, pour jouer avec certaines de ses formules d’esprit, d’humour. Mais ça n’a pas marché : il n’a pas du tout aimé. Mathieu Lindon est depuis longtemps mon grand lecteur, la seule personne en qui j’ai vraiment confiance. [...] L’Incognito a été un dérapage, je ne l’ai pas tout a fait contrôlé, c’est le seul de mes livres pour lequel je n’ai pas d’affection.». Mais il faut se méfier de la sincérité des propos des écrivains sur leurs livres. Peut-être que H.G. avait des remords pour la façon dont il avait portraituré certaines personnes en particulier celles qui le considéraient comme un ami.    

Il y a parfois des choses curieuses ou plus exactement des éléments que je n'ai pas compris. "Incognito", comme tout les livre s de Guibert est partiellement crypté; par exemple H.G. écrit: << J'ai beaucoup lu Maurice Leblanc et Gaston Leroux pendant mon adolescence, je suis fier d'avoir un nom qui fait penser à eux.>>. Moi itou adolescent j'ai lu ces deux auteurs, surtout Maurice Leblanc et je ne vois pas en quoi le nom de Guibert ou Hervé puissent faire penser à ces deux écrivains. Mais peut être qu'un lecteur lettré pourra éclairer ma lanterne!
Dans son journal de 1989, Renaud Camus, pointe bien l'ambiguité de ce type d'écrit à propos de "L'incognito": << Le genre dans sa bâtardise est toutefois un peu spécieux: tout est vrai, peut dire l'auteur, c'est un journal; mais si certains détails sont faux, rien que de très normal: il s'agit d'un roman...>>. 
Je crois que j'ai enfin compris pourquoi Guibert m'avait été instinctivement antipathique: Il n'aimait pas les chats. Est-ce possible un écrivain n'aimant pas les chats?
Mais il faut faire taire ses préjugés contre les félinophobes et oublier que Guibert ne passait pas forcément pour un joyeux drille et, à ce prix, si vous êtes d'humeur caustique, vous rirez bien... "Incognito".

 

0a22b677144f1a42c32e2822413c1816

le chat, villa Médicis, photo d'Hervé Guibert




Nota
* Heureusement Ismau grand guibertienne devant l'éternel, pour ma gouverne, en a arraché quelques uns: Angelo serait Hector Bianchiotti, Bibi: Thierry Jouno, Christinou: Christine la compagne de Thierry, Bisserier: Jean-Paul Goux, Clarinette: Claire Devarrieux, Doria: Balthus, Gustave: Hans Georg Berger, Isabelle: Isabelle Adjani, Jérôme Lafnac: Jérôme Lindon, Krupp: Jean-Marie Drot, Laigle: Bernard Faucon, Le Baron: Claude Lévêque, Marcovitch: Mathieu Lindon, Matou: Eugène Savitzkaya, Parkinson: Alain Lombard (ou Bousquet selon Renaud Camus), Pierre Cerisy - Pierrot-la fille Cerisy: Pierre Alfery-Derrida, Quickly: Renaud Camus, Roland Tarbe: Roland Barthes, le grand écrivain invité: Jacques Chessex, pour Palaiseau et Linsert. Il y a 4 options possibles lorsque l' on regarde la liste des pensionnaires peintres durant la période où Guibert était pensionnaire à la villa Médicis : Philippe Hurteau, Philippe Mazuy, Denis Laget, Pierre Faucher. Deux des quatre doivent être Palaiseau et Linsert

 

Publicité
Publicité
Commentaires
I
Merci pour ce beau billet ( illustrations comprises ) qui ravive avec une grande richesse d’analyse et de précisions, mes souvenirs de ce drôle de livre . Il apporte aussi des questionnements intéressants... J’avais oublié à quel point Guibert joue à se montrer antipathique dans l’Incognito. Dans "Le Mausolée des amants", on peut d’ailleurs lire la réaction désolée ou furieuse de quelques uns de ses amis à la parution de son livre . Il est vrai qu’être détestable à ce point avec ses amis c’est impressionnant, et que dire pour les chats ! La félinophobie de Guibert, ou "ailurophobie"- mot que je viens de découvrir - est parfois une véritable maladie psychiatrique ( c’est ce que dit wiki ). Ici, je crois que c’est un peu pour se rendre intéressant ... Ailleurs dans d’autres livres Guibert se dit terrifié par les insectes, par les moustiques en particulier - ça c’est plus banal. Dans son livre érotique "les Chiens", cette insectophobie donne lieu à quelques scènes très drôles : rare exemple d’humour pour un genre érotique SM d’ordinaire bien trop sérieux. <br /> <br /> Je n’ai pas lu le Journal romain de Renaud Camus, vos citations extraites de ce journal sont intéressantes ! C’est certainement Renaud Camus qui a raison pour le nom de Parkinson. Je savais que c’était le prédécesseur d’Alain Lombard, mais je n’avais pas trouvé son nom : c’est donc Bousquet ( sans plus de précisions sur ce Bousquet, dont je ne trouve pas le prénom ) à propos des pseudos : Mathieu lindon ce n’est pas Marcovitch mais Mateovitch, petite étourderie à corriger . C’est simple également pour l’énigme «  J'ai beaucoup lu Maurice Leblanc et Gaston Leroux pendant mon adolescence, je suis fier d'avoir un nom qui fait penser à eux. » Il joue souvent avec des pseudos bébêtes, et là puisqu’ il parle en tant qu’Hector Lenoir : Le-blanc et Le-roux, donc Le-noir ! Hector pour le prénom ancien et pour l’initiale qui est celle de son vrai prénom.<br /> <br /> Autre traces littéraires ...Après le Journal romain et un an après L’Incognito, en 1990, c’est Claude Arnaud qui était pensionnaire à la villa Médicis. Il en parle dans "Brèves saison au Paradis" que j’avais beaucoup aimé, et dont vous aviez fait un intéressant billet. Il me semble qu’il note dans son roman le séisme provoqué par le passage de Guibert à la Villa . Je sais aussi que Xristophe, qui avait été invité par un ami musicien à la Villa en 90 ( où il avait d’ailleurs rencontré Claude Arnaud ) m’a dit que tout le monde voulait lire l’Incognito, ne parlait que de ça, et s’en amusait beaucoup ...
Répondre
Dans les diagonales du temps
Publicité
Archives
Derniers commentaires
Publicité