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Dans les diagonales du temps
4 juillet 2020

Etés anglais de Jane Elisabeth Howard

 

 

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Etés anglais est le premier tome d’une pintalogie (si l’éditeur français édite la totalité de la saga et respecte le découpage initial) intitulée « La saga des Cazalet » qui couvrira les années de 1937 à 1958. Ce titre fait immédiatement songer à une autre saga anglaise célèbre, celle des Forsyte de John Galsworthy. Elizabeth Jane Howard (1923-2014) explore le même monde que son prédécesseur, soit la grande bourgeoisie anglaise, mais un demi siècle plus tard puisque les étés dont il est question sont les étés 1937 et 1938 durant lesquels  3 générations de la famille Cazalet, grand-parents, parents et enfants vivent à Home place, la vaste propriété du patriarche, sise dans la  verte campagne du Sussex à une quinzaine de kilomètres d’Hasting. Je rappellerais que la saga des Forsyte commence en 1887. La concordance des dates à 50 ans d’écart  ne peut pas être un hasard. Pour l'ampleur de cette série de romans, On peut aussi évoquer les ouvrages de Jonathan Coe comme « Bienvenue au club » et ses suites. 

Il ne faudrait pas s’imaginer, en dépit du titre, que la saga des Cazalet serait une sorte de remake de celle des Forsyte. C’est beaucoup plus fort, et ce n’est pas rien puisque John Galsworthy a obtenu le prix Nobel de littérature pour son grand oeuvre; ce qui n’était pas immérité. La supériorité de Jane Elisabeth Howard sur son prédécesseur se situe principalement sur deux points; d’abord celui de faire exister en un peu plus de 500 pages une cinquantaine de personnages beaucoup plus que dans les romans de Galsworthy et deuxièmement de les faire parler et réfléchir chacun d’une voix singulière. Ce qui est surtout remarquable est que la romancière se mettent à chaque fois à hauteur de chaque personnage et qu'ils paraissent tour à tour le personnage principalde cette histoire, alors qu’ils sont d’âge et de conditions sociale différente alors que les personnages des Forsyte sont plus homogène, et qu'il n'ont ou n'auront pas une place identique dans la saga. 

Le roman d’Elizabeth Jane Howard constitue un document précieux sur les rituels et les mentalités du monde de la grande bourgeoisie anglaise d’avant-guerre, monde qu’elle a connu dans son enfance. Cette fresque familiale est profondément humaine et chaleureuse. Les enfants y occupent une place très importante. « Etés anglais » se révèle dès les premières pages très addictif. On sent d’emblée que Jane Elizabeth Howard aime profondément tous ses personnages même s’ils ne sont pas toujours aimables. Elizabeth Jane Howard entraîne le lecteur avec une grâce indicible, une poésie sage, rayonnante d'humanité au coeur de la vie intérieure de chacun de ses  personnages. On partage leurs émotions , leurs faiblesses , leurs préoccupations… On découvre les loyautés cachées ou non de cette famille anglaise nombreuse et de ses satellites, du patriarche vieillissant, à la femme de chambre, de la cuisinière dévouée, au nouveau-né William si attendrissant en passant par la ribambelle des cousins et cousines. 

Par le biais de ses personnages, Elizabeth Jane Howard n'hésite pas à aborder des sujets graves, tels l'antisémitisme, l’angoisse de la maternité, la différence d'éducation offerte aux filles et aux garçons, le désir ou la frustration sexuelle, l’inceste et surtout la condition des femmes, alors soumises au désir des hommes … On voit combien avant la contraception et le droit à l’avortement, la venu d’un enfant, arrivée souvent inopinée, pesait sur la femme et parfois mettait sa vie en danger. L'auteur distille ces réflexions au coeur de sa construction narrative avec beaucoup de finesse. Alors que l’on l’impression qu’il ne se passe pas grand chose dans ces vies pourtant il y a tout cela et encore bien d'autres choses. Comme trop souvent, on a jamais le sentiment que Jane Elizabeth Howard charge par un surplus d’évènements sa barque narrative, tout simplement parce que l’on suit une cinquantaine de personnages et que ces graves questions sont vécues individuellement que par quelques uns dans cette cohorte. Paradoxalement cette polyphonie sauve le roman du trop plein. 

Nous entrons véritablement dans la tête de chacun des acteurs de ces « Etés anglais ». Les monologues intérieurs sont fréquents et cette fois c’est bien sûr à Virginia Woolf que nous pensons. Ce qui est remarquable dans « Etés anglais » c’est que l’auteur réussi a faire parler et penser chaque personnage selon son âge et sa condition. Même si l’auteur n’a bien sûr pas chercher à vouer un nombre de lignes égales à chacun, on peut dire que chaque acteur de cette histoire est traité d’une manière identique que ce soit un enfant de 9 ans, un grand bourgeois de 40 ans ou une domestique rien de plus égalitaire que ce roman d’ailleurs il s’ouvre et se ferme sur des paragraphes dans lesquelles figurent, pour le début une jeune femme de chambre et pour la fin, la vieille préceptrice désargentée des enfants de la famille.

Il reste néanmoins que la narration est principalement centrée sur les familles des trois fils du patriarche Cazalet, Hugh, Edward et Rupert respectivement âgés en 1937 de 41, 40 et 34 ans. Chacun ont plusieurs enfants et une domesticité. On les découvre, comme nous tous, ambivalents; tel goujat avec les femmes peut-être le plus attentionné des frères ou une mondaine superficielle peut aussi connaitre le désespoir.

Quant au style narratif, le plus notable, et le plus évident à remarquer est que nous sommes toujours dans le présent des personnages; ce qui est assez exceptionnel dans l’univers romanesque. Je m’explique presque dans tous les romans les personnages reviennent artificiellement sur leur passé, ce que l’on ne fait que rarement ou du moins que par courtes bribes dans la réalité. Cet artifice sert à informer le lecteur du passé de tel ou tel acteur de l’histoire. Dans « Eté anglais » ce n’est jamais le cas. Chacun est trop occupés à vivre son présent, même si celui-ci ne parait pas toujours trépident, pour avoir le temps à de longues remémoration de leur vie passé. A l’exception de la vieille préceptrice, qui a un regard rétrospectif sur sa vie et semble au bout de son chemin. Cette exception est très habile car elle renforce le présentisme des autres.  

Ce choix narratif force le lecteur a imaginer ce qui c’est passé avant cet été 1937 durant lequel nous faisons connaissance abruptement d’une foule de personnages. Par exemple nous ne savons rien, du moins dans ce premier tome, de l’origine de la fortune de la famille Cazalet. On peut imaginer qu’elle n’est pas ancienne et que c’est William Cazalet dit le Brig qui en est le principal responsable et qui est peut être à l’origine de la belle aisance familiale. Il a 77 ans lorsque nous le rencontrons, et est toujours très actif en affaire malgré son déclin physique.

"Eté anglais" illustre subtilement la théorie qu'a élaborée David Lodge dans "L'art de la fiction" pour les romans d'Ishiguro, celui du narrateur peu fiable. En effet les évènements nous sont révélés à travers les yeux d'une personne et parfois ensuite par le prisme d'une autre. On s'aperçoit alors qu'elles n'ont pas vêcu la même chose. Si le narrateur peu fiable n'est pas au coeur du livre dans "Etés anglais" comme il l'est dans par exemple dans "Un artiste du lmonde flottant", la lecture du roman de Jane Elisabeth Howard demande au lecteur de ne pas toujours prendre pour argent comptant les dires des uns et des autres.

Le roman s’attache surtout à décrire le quotidien estival de cette grande famille, jeux de plages et pique-niques, lectures, dîners, soirées passées auprès du gramophone... Il décrypte les rouages de l’organisation de la maisonnée. Les enjeux dramatiques sont néanmoins très bien dessinés. Les mésententes familiales ou conjugales, les émois amoureux, les petites et grandes mesquineries, les élans de générosité, les blessures de guerre qu’on panse tant bien que mal, et la crainte qu’une seconde guerre éclate sont autant de thèmes prédominants.

 

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Si la grande Histoire est présente dans le roman, elle est à sa juste place et n’intervient que lorsqu’elle peut bouleverser le quotidien de la famille et de son entourage, par exemple les accords de Munich. La plupart des Cazalet sont bouleversé par la possibilité d’une guerre, beaucoup la juge inévitable. Ils craignent même que les allemands débarquent. Ils seraient alors en première ligne…

Le livre est divisé en deux parties, chacune correspondant à un été, première partie 1937, deuxième 1938. Ces parties ne sont pas chapitrées. Le texte est divisé en paragraphe qui sont chacun dévolu à un personnage. Les paragraphes sont de différentes longueurs d’une page à une dizaine. Ils sont séparés par trois astérisques disposés en triangle.

Comme je l’ai souvent mentionné j’ai la bonne habitude, lorsque je lis un roman chorale de dresser la liste des principaux protagonistes. Je fais suivre chacun des noms de quelques mots mentionnant leur états et les rapports qu’ils entretiennent avec d’autres personnages. Jane Elizabeth Howard a eu la riche idée de faire précéder son texte par, d’une part l’arbre généalogique des Cazalet, et d’autres part de la liste de la progéniture des quatre enfants du patriarche ainsi que la liste des domestiques attachés à chaque maison. Cette judicieuse initiative pourtant ne dispense pas de mon utile habitude car si cette famille est particulièrement endogène, des éléments qui lui sont étrangers ont autant de place dans le récit que les Cazalet et puis ces préambules font l’impasse également sur les cousins dont certains sont importants dans le récit.

La traduction d’ Anouk Neuhoff me parait parfois un peu rapide même si je n’ai pas sous les yeux le texte original il me parait douteux que l’auteure dans ses descriptions de personnes ait autant employé le terme osseux. Il est bien connu que la langue anglaise pour ce genre de chose offre de nombreuses possibilités, il aurait été judicieux que la traductrice se plonge plus dans son dictionnaire des synonymes… Il reste que le français proposé est d’une très agréable lecture.

Cette saga a été adoptée en série pour la BBC en 2001, The Cazalets, et quarante-cinq épisodes diffusés sur Radio 4 l’année suivante.Elle est devenue un classique contemporain au Royaume-Uni.

 

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Elizabeth Jane Howard était chic talentueuse et belle selon David Lodge (sa beauté est confirmée par la photographie) dans son essais sur Kingsley Amis, le troisième époux de Jane qui se serait grandement inspirée de sa propre famille pour écrire la saga des Cazalet. La mère de l’auteur était également une danseuse qui a renoncé à sa carrière pour se marier comme l’épouse d’Edward Cazalet. Elizabeth Jane Howard a été éduquée par une gouvernante pendant que ses frères avaient le droit d’aller au collège (en pension), comme les enfants d’Edward… L’auteur, après sa séparation d’avec le romancier Kingsley Amis, cherchait à la fois des ressources financières et un sujet de roman capable d’absorber ses pensées. Pari réussi avec la saga des Cazalet. Les quatre premiers volumes ont paru entre 1990 et 1995, le dernier, réclamé par les fans de Howard, en 2013, quelques mois avant son décès.

On doit cette édition à Alice Déon, fille de Michel Déon, bon sang ne saurait mentir… On peut tout de même s’étonner qu’un ouvrage d’une telle qualité ait mis trente ans pour traverser la Manche!

J’avais bien déjà lu le nom d’Elisabeth Jane Howard dans des articles consacrés à la littérature anglaise mais je serais certainement passé à coté de cette merveille sans la beauté de sa couverture due à Mathieu Persan. 

 

 

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3 juillet 2020

L'IMAGINAIRE HISTORIQUE DE PIERRE GUYOTAT

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La toile est vraiment un coffre aux trésors, mais parfois difficile à exhumer. J'étais à la recherche d'anciennes émissions de France culture transcrites par écrit pour les découvrir ou les redécouvrir, si vous avez des pistes pour cela n'hésitez pas à me les faire partager, car pour l'instant ma moisson est maigre, je ne serai pas égoiste vous retrouvez certaines de ces anciennes émissions ensuite sur le site, lorsque je tombe sur un site qui se livre à un travail, un peu fou de bénédictin, retranscrire certaines émissions de radio, j'en suis ravi. Son adresse est celle-ci: http://www.fabriquedesens.net

J'ai choisi une émission de la série "La fabrique de l'histoire" qui examinait avec eux l'imaginaire historique de quelques écrivains. Celle avec Pierre Guyotat m'avais beaucoup intéressé. Tombeau pour cinq cent mille soldats m'avait été l'un des chocs de lecture de mon adolescence ensuite je trouvais que ses "exercices vocaux" relevaient plus de la médecine que de la création littéraire. L'année dernière feuilletant, presque par inadvertance à la FNAC, "Formation" j'avais été si touché et capté par ce livre que je l'ai immédiatement acheté. Ce livre m'a fait pensé à ce qu'aurait pu écrire Genet s'il avait écrit sur son enfance. C'est tout simplement très beau... Or donc voilà Guyotat face à Emmanuel Laurentin. Il eut été dommage que ces paroles se perdent, merci à Taos Aït Si Slimane qui les a pieusement recueillies. 

 

 

Pierre Guyotat, va nous parler de ce passé dans lequel en tant « fictionneur », comme il se qualifie, il va chercher personnages et situations. Il va nous parler d’empires et de conquérants, de Michelet et de vies des saints, de la France et de sa langue. Pendant une heure, donc, l’auteur de Tombeau pour cinq cent mille soldats, de Coma et de Vivre, et très récemment de Formation, chez GallimardFormation dans lequel il raconte et tente de restitue le climat dans lequel il a grandi, dans les années 40 et 50, et constitué son savoir historique. Eh bien, Pierre Guyotat va nous raconter pendant une heure son passé, son passé rêvé, ses références en histoire, dans une réalisation de Marie-Christine Clauzet.

Pierre Guyotat : Je dois avoir eu, très tôt, un esprit, comme dirais-je, de « fictionneur », si je puis dire. Donc, l’histoire est très vite, pour moi, mélangée avec ce qui fait la force de la fiction, la fiction dans les grands romans etc. et c’est pour ça que tous les personnages d’histoire m’intéressent, parce que je les vois comme des êtres humains, les personnages de fiction, ce qui fait qu’il y a peu d’individus, de grands personnages historiques, que j’ai abandonnés après. Parce qu’ils m’intéressent toujours, différemment, disons, leurs actions. Lénine, par exemple, c’est évident que c’est l’action, mais le personnage reste de toute façon extrêmement intéressant. On n’en a pas fini avec ce personnage. Le mélange de cette simplicité, quasiment petite bourgeoise, et puis cette énergie, cette conviction, cette énergie ahurissante, c’est tout de même très impressionnant. Et c’est toujours, très habilement, un peu comme Robespierre mais plus que Robespierre encore, il s’est mis toujours en retrait de l’histoire, c’est-à-dire de l’action, du massacre, de l’emprisonnement, de la terreur, de tout ça. « Ne me parlez pas de ce qui se passe », c’est ce qu’il disait, Lénine. Il faut aussi beaucoup d’énergie pour vivre un truc pareil. Oui, il faut essayer de voir les gens par le haut, comme on dit, aujourd’hui. Le bas, oui, bien sûr, mais moi, c’est absolument condamnable, bien entendu, les méthodes sont atroces etc. mais le personnage c’est un être humain. Il reste un être humain.

Emmanuel Laurentin : Cette gourmandise que vous avez, dès votre enfance, Pierre Guyotat, pour l’histoire, pour le passé, pour les personnages qui la peuplent, vous l’exercez au hasard de vos lectures, ou est-ce que qu’il y a quelque chose de systématique ? Vous découvrirez, dites-vous, avec le latin par exemple progressivement l’histoire de l’Empire romain, c’est ce que vous expliquez dans Formation, mais est-ce que vous défrichez un territoire et une fois que vous avez défriché ce territoire historique, ce territoire géographique, ce territoire du passé, vous passez à un autre ? Comment ça se passe ? Ou est-ce que c’est un peu au hasard des lectures ?

Pierre Guyotat : Tout à fait au hasard des lectures. C’est lier à mon travail aussi. Si j’ai besoin de savoir des choses sur la mise en psychose etc., je vais évidemment relire des livres sur l’Inde ou sur…, bien entendu. Quand j’étais adolescent, quand j’ai commencé à aimer la musique, en dehors de ma mère, si je puis dire, je me suis intéressé aux périodes où naissent les musiciens. Pour moi, il n’y a pas l’histoire, si vous voulez. L’histoire est un élément, ou peut-être l’élément qui rassemble le tout, mais c’est l’art, les mœurs, les vêtements, la nourriture, les lieux – très importants les lieux…

Emmanuel Laurentin : Ce qu’on appelle l’histoire totale.

Pierre Guyotat : Oui. C’est absolument lier. Quand je prends un musicien comme Robert Schumann, je prends toute la période et l’Allemagne avec. Il n’est pas isolé, comme on essaye de beaucoup isoler aujourd’hui.

Emmanuel Laurentin : Ce n’est pas le génie qui viendrait comme cela au milieu de nul part qui vous intéresse, c’est effectivement la personne qui grandit dans un milieu et qui raconte aussi l’histoire qui l’a précédée.

Pierre Guyotat : Je ne suis pas non plus marxiste au point de penser qu’untel est le produit de, non. D’abord, untel n’est pas le produit. Moi, j’ai une vision, vous l’avez bien vue, un peu plus, comme dirais-je, métaphysique, mythologique, disons. Cette idée que l’homme est un produit, la production de je ne sais quoi, non. C’est faux. Il faut essayer d’imaginer les choses, je le fais tout le temps, je le fais depuis que je suis enfant, mettre une image sur des mots abstraits. Qu’est-ce que c’est qu’un produit ? Un produit, c’est une production. C’est quelque chose qui sort de quelque chose, peut-être, la terre produit des tas de trucs, ou la production d’une boîte de conserve, ou un appareil, un objet, comme ce lapin mécanique que l’on m’a rapporté de Chine - il n’est pas très mécanique du reste-, voilà un produit. Mais imaginer que l’homme est une de ces images-là c’est impensable, ce n’est pas possible.

Emmanuel Laurentin : Cette histoire que vous racontez dans Formation, que vous dites qu’elle est, par exemple, votre histoire mais il faut s’imaginer l’histoire d’avant soi-même, c’est-à-dire de sa famille, de sa mère, de ceux qui vous ont précédés aussi, et d’une certaine façon s’inscrire dans une lignée et s’imaginer comme un maillon d’une sorte de chaîne qui se poursuivra après vous, d’une certaine façon.

Pierre Guyotat : Oui. Je reste sur cette sensation-là si j’avais moi-même des enfants mais je n’en ai pas, hélas mais c’est comme ça. Oui, j’ai cette sensation-là, bien entendu. Bien sûr que je suis un maillon de la chaîne mais moi, je n’ai jamais voulu tellement me considérer comme un maillon de la chaîne à vrai dire, depuis enfant. Parce que je le dis, là aussi, un maillon de la chaîne c’est quelque chose qui n’est pas très éloigné de l’homme produit de…

Emmanuel Laurentin : Mécanique.

Pierre Guyotat : Non, non, moi, je suis né et j’ai grandit avec cette idée que c’est Dieu qui vous programme - là aussi un mot horrible – et après qui vous suit, en quelque sorte. Après on s’aperçoit que ce n’est pas forcément Dieu, que c’est une conscience très, très forte, très affirmée, une conscience au sens hégélien du terme, qui est là. Cette conscience, c’est vous. Et alors, ça pose la question morale, le sens moral d’où me vient-il ? Parce qu’au fond, les parents ce n’est pas suffisant. C’est très nécessaire, le sens moral. Ce qui est bien, ce qui n’est pas bien, ce qui laid, ce qui est beau, ça aussi c’est important. Dans le sens moral, il y a tout ça. Donc, ça vient. D’où ça vient ?

Emmanuel Laurentin : Justement, cette histoire telle qu’on vous l’a racontée quand vous étiez enfant, Pierre Guyotat, avait aussi pour mission de donner un sens moral aux événements du passé, c’est-à-dire de montrer ce qui était bien, ce qui n’était pas bien, ce qu’il fallait faire, ce qu’il ne fallait pas faire, de servir d’exemple pour certains des personnages du passé, d’autres qui servaient de repoussoir, ça participait à cette création d’un sens moral.

Pierre Guyotat : Moi, j’ai toujours été attiré, même quand j’étais enfant, en bon chrétien, et allais plus facilement vers les réprouvés, si vous voulez, que vers ceux qui étaient parés de toutes les qualités.

Emmanuel Laurentin : Les figures de la sainteté…

Pierre Guyotat : Si, les figures de la sainteté, c’est autre chose. Les figures de la sainteté c’est des gens qui sont au bord, quand même, ils sont entre les deux, il faut grandir beaucoup pour le ressentir. Un martyre, un grand saint, c’est quelqu’un qui est au bord de l’enfer quand même, au bord de l’orgueil d’une certaine façon, au bord de l’orgueil de soi-même. Moi, j’allais beaucoup vers ces gens-là. J’ai assez vite saisi l’ambigüité de la sainteté, le sentiment de sainteté pour le saint. Donc, moi, voilà, le mouvement vers ceux qu’on rejette, par exemple. Richard III, c’est une pièce qui m’a hanté quand j’étais adolescent. Je dois dire que ma sympathie allait plutôt vers Richard III. J’ai horreur de tout ce qui s’apparente à du lynchage.

Emmanuel Laurentin : J’ai apporté avec moi La légende dorée de Jacques De Voragine, avec un extrait du martyre de Sainte Catherine. « Alors un préfet conseilla au roi furieux de faire préparer, dans les trois jours, 4 roues entourées de scies de fer et de clous très pointus, en sorte que ce terrible supplice découpe la vierge et que l’exemple de cette mort atroce effraye les autres chrétiens. » Dans ces lectures d’enfance ou d’adolescence, Pierre Guyotat, il y a aussi cette vision de la sainteté, du martyre qui vous poursuit dans votre œuvre, qui est toujours présente dans votre œuvre. Ce martyre par le sang, par le massacre, ces massacres organisés, pourrait-on dire, et qui sont légitimés par cette histoire sainte parce que tout compte fait on voit des horreurs parce que justement ces saints ont péris sous le glaive des empereurs en particulier.

Pierre Guyotat : Oui, mais je ne suis plus très sensible à cette question des martyres.

Emmanuel Laurentin : Mais, vous l’avez été, sensible à la question des martyres ?

Pierre Guyotat : Oui, beaucoup, énormément, bien sûr. Tout enfant normalement constitué à l’époque, vivant dans un pensionnat religieux avec des prêtres ( ?) bien, n’avait qu’une envie, c’était de mourir martyre, parce qu’un enfant n’a pas le sens de la mort. Il peut avoir le sens de la douleur mais le fait d’être martyre dans l’arène, par exemple, l’éclat, c’est tellement plus fort pour un enfant que la souffrance, que les crocs des lions. Le fait d’être là désigné comme témoins d’une foi c’est absolument extraordinaire. Le récit des martyres, c’était dans les textes aussi. C’était dans les textes à traduire. Non seulement on lisait mais on traduisait le texte qui racontait l’horreur, qui racontait le supplice ou le massacre, etc. La traduction joue un rôle considérable, pour ceux qui ont fait du latin et du grec. Évidemment.

Emmanuel Laurentin : Sans compter, Pierre Guyotat, qu’il y a chez vous cette particularité de grandir dans une famille dont la plupart des membres ont participé, sinon la totalité des membres, à la Résistance, pendant la Seconde Guerre mondiale : Un de vos oncles est mort aux camps, une de vos tantes est revenue extrêmement affaiblie par son séjour en camp, et que le jeune enfant que vous êtes, vous avez 4 ou 5 ans à la fin de la Seconde Guerre mondiale, à la sortie de la guerre peut faire la relation entre ses lectures et mélange parfois d’ailleurs ses lectures et ses références historiques avec le véritable martyre qu’ont vécu certains de votre famille à un certain moment j’imagine.

Pierre Guyotat : Tout à fait. Il faut dire une chose sur la Résistance qui est un petit peu oubliée. Enfin, ce n’est pas la Résistance qui est oubliée, c’est ça qui est oublié, c’est-à-dire qu’à cette époque où il faut tout mettre sous les projecteurs : les individualités, pour ce qu’ils ont fait, ce qu’untel a fait, ce qu’untel n’a pas fait mais voudra faire, etc. On oubli une chose c’est que les Résistants se sont engagés non pas seulement comme on le croit pour qu’on puisse dire après, c’est un peu nos chers intellectuels qui disaient ça : « prendre date », moi aussi j’étais comme ça, pour qu’on puisse après dire : « il a signé ça, il n’a pas signé ça ». Ce n’était pas du tout ça, eux., ils voulaient tout simplement chasser l’Allemand, chasser le nazi. Ils s’inscrivaient dans une logique militaire de Résistance. Ce n’était pas pour témoigner. Ils ne savaient pas du tout ce que le monde serait après. C’était un engagement individuel pour une action collective. Qu’est-ce qu’on est naïfs aujourd’hui à penser… Alors évidemment il y a l’exemple de de Gaulle, l’homme qui dit non tout seul, nous dit-on. Attention, il n’était évidemment pas tout seul, l’homme qui dit « Non », toutes ces fadaises, etc. On ne se pose même pas la question de savoir si par exemple il n’était pas possible que de Gaulle aille ailleurs qu’à Londres. Il y avait des endroits du territoire français qui étaient encore libres. On pouvait aussi s’installer sur une montagne ou sur un pic, je ne sais pas, pourquoi pas dans des grottes, dans les Pyrénées. Il faut se poser toutes ces questions-là aussi, ne pas accepter, même si c’est magnifique bien sûr de Gaulle, ce n’est pas moi qui avait mettre en question quoi ce soit, mais il faut se poser des questions et surtout cette idée que la Résistance c’est vraiment pour aider les autres, aider les alliés, s’aider soi-même à chasser les gens qui sont là. C’est très simple.

Emmanuel Laurentin : Cette expérience que vous avez du retour des camps de votre tante, du combat de la Résistance, du fait que votre oncle meurt dans un des ces camps, vous conduit à penser, Pierre Guyotat, comme vous l’écrivez dansFormation, que l’histoire est comme une alternance d’asservissement et de délivrance, c’est-à-dire une sorte de respiration qui passe de l’un à l’autre, un moment de délivrance, puis une nouvelle alternance provoquera un nouvel asservissement.

Pierre Guyotat : On le sent bien quand on est enfant, ça. On a des moments d’extraordinaire libération, de délivrance et des moments d’extraordinaire assujettissement, et au fond c’est ça qu’on vit toute la vie.

Emmanuel Laurentin : Il y a un personnage dont on n’a pas parlé encore, qui est un personnage fondamental dans votre formation intellectuelle, et qui revient tout le temps, c’est un mot, un mot de France. La France, comme personnage, comme figure, comme chez Michelet, par exemple. La France, comme personne ?

Pierre Guyotat : Oui, la France est importante pour moi, bien sûr. Parce que je trouve que c’est une histoire politique absolument extraordinaire. Peut de pays de cet âge-là, qui aient une histoire pareille, qui soit d’une richesse pareille. Quand on connaît l’histoire des autres pays, c’est évident.

Emmanuel Laurentin : Vous avez grandi en lisant l’histoire de France…

Pierre Guyotat : C’est évident, je ne vais tout de même pas renier ce pays, qui est le pays qui a secrété, si je puis dire, petit à petit, cette langue dont je me sers, dont nous nous servons tous. C’est tout de même étrange de la part d’écrivains d’un certain intérêt aujourd’hui, ce rejet de la France. La langue a été secrétée par les Français, des Français de toutes classes, toutes classes confondues. Donc, il faut quand même y penser à ça.

Emmanuel Laurentin : Et cette France dont vous parlez, vous en avait toujours parlée, selon les mêmes termes ? Lorsque vous étiez enfant, adolescent, jeune adulte, maintenant, c’est la même France que vous portez à chaque fois avec vous ? Ou, est-ce qu’elle a subi, sous les aléas de l’histoire, la Guerre d’Algérie que vous avez vécue, ou d’autres moments comme cela, des altérations, des disparitions comme un astre qui subirait une éclipse ?

Pierre Guyotat : Bien sûr. Oui, bien sûr. J’ai eu un moment très long qui correspondait au moment où j’étais en Algérie, pendant la Guerre d’Algérie, on ne pouvait que détester son pays. Je l’ai expliqué dans d’autres textes, le dégoût de la langue. La langue que j’avais entendue, ça fait un drôle d’effet quand vous entendez votre langue maternelle utilisée à des fins, même d’ordre déjà. Quand vous entrez à l’armée et qu’on vous donne des ordres dans cette langue, c’est très extraordinaire. Cette langue qui n’est pas du tout faite, assez peu faite, pour ce genre d’injonctions. C’est important la langue qu’on entend. Ce n’est pas un dévoiement, c’est cette langue-là, et quand la langue est criée et qu’elle est déformée, comme elle l’était autant par les appelés que par les officiers, qu’elle devenait en quelque sorte utilitaire, utilitaire guerrière, c’est horrible.

Emmanuel Laurentin : Mais il y a d’autres exemples, qui sont antérieurs, pendant lesquels cette langue a été utilitaire, c’est l’esclavage par exemple…

Pierre Guyotat : Je ne la connais pas cette langue puisqu’il n’y avait pas d’enregistrements. On peut l’imaginer. C’est vrai qu’il faut imaginer la parole, l’accent des gens de l’époque, l’accent de Louis XIV, par exemple, l’accent de Bossuet, prononçant ses…, l’accent de Louis XVI prononçant son discours à l’Hôtel de Ville en 89, je crois, le premier discours non préparé, ou d’autres.

Emmanuel Laurentin : Il faut imaginer Simon Montfort à Béziers devant l’armée…

Pierre Guyotat : Comment, par exemple, cette fameuse phrase de l’évêque, Foulques, dans le Nord, je crois, « Tuez-les tous, dieux reconnaîtra les siens ». A l’époque il faut déjà rétablir le très ancien français, imaginer l’accent… justement en Algérie, j’avais ça.

Emmanuel Laurentin : En direct.

Pierre Guyotat : Oui, j’avais ça en direct. J’avais l’accent, le ton de Galliffet, par exemple, le général Galliffet commandant les massacreurs des Communards, par exemple.

Emmanuel Laurentin : Ou de Saint Arnaud…

Pierre Guyotat : Ou de Saint Arnaud, par exemple, en Algérie, voilà. Mais ce n’est pas beau. La langue est très laide quand elle est utilisée pour un ordre militaire. L’histoire ça s’imagine beaucoup plus que ça ne se lit. Il faut imaginer que jusqu’à l’électricité, tout se fait aux chandelles. Et avant le gaz même, tout se fait aux chandelles, au flambeau, à la bougie. Tous les grands textes s’écrivent à la bougie. Les peintres peut être non, ils travaillent le jour mais peut-être que Rembrandt le soir… Vous imaginez ça. Les traités, toutes ces choses qu’on imagine en pleine lumière dans la nuit des temps, comme on dit, c’est vraiment dans la nuit avec très peu d’éclairage. Il y avait très, très peu d’éclairage quand même. Il faut penser au très peu d’éclairage qu’il y avait dans les fermes. Il faut imaginer les odeurs aussi. L’odeur, ce n’est pas des périodes où l’on se lavait beaucoup quand même. Il y avait beaucoup de parfums, beaucoup d’ingrédients. C’est un monde qui sentait beaucoup plus fort que maintenant, à tout point de vue, pas seulement les gens…

Emmanuel Laurentin : Les fumées des viandes…

Pierre Guyotat : Il faut imaginer le XVIe siècle, un siècle de violence, d’extrême violence et d’extrême grandeur littéraire, artistique, musicale phénoménale. La deuxième moitié du XVIe siècle, c’est un moment terrible, vous imaginez ces gens se battant sans arrêt, suant, puant. On le sait pour Henri IV, mais il faut l’imaginer pour tout le monde. Donc, il y avait le peu de lumière, pas forcément la puanteur mais la senteur, les champs sentent beaucoup plus, les villes sentent beaucoup plus, les appartements sentent beaucoup plus. Il y a beaucoup plus de bois. Ça sent beaucoup. C’est ça l’histoire, il faut imaginer ça, comme ça.

Emmanuel Laurentin : On a l’impression qu’il y a une véritable gourmandise dans ce voyage dans le temps que vous faites. Un voyage qui mélange d’ailleurs l’espace et le temps parce que, comme toujours en France, on ne sépare pas l’histoire de la géographie…

Pierre Guyotat : Heureusement. Parce que ça va de soi. Oui, Montesquieu etc. Renardez 40, 1940, la débâcle française s’explique beaucoup par toutes sortes de choses, l’impéritie de l’État-major etc. mais il y a aussi le fait que l’Angleterre est séparée du continent. Ça compte énormément encore à l’époque. Ça compte toujours du reste. Et ça comptera toujours. Il y a des obstacles naturels qui comptent toujours.

Emmanuel Laurentin : C’est Hannibal passant les Alpes ?

Pierre Guyotat : Une grande partie de l’histoire, l’histoire militaire en tous les cas, et même tout simplement de l’histoire, c’est non seulement le climat mais la géographie, bien entendu. Ce qui fait que l’on peut quand même émettre quelques doutes sur la capacité par exemple des Etats-Unis à mettre l’Iran au pas. C’est très loin quand même. Ça reste très loin.

Emmanuel Laurentin : Vous êtes un enfant de cette fusion de l’espace et du temps qui est issue justement de cette vision historique qui fait que Michelet fait un tableau de la France, en même temps qu’il fait l’histoire de France, et l’ouverture de la grande Histoire de France de Lavisse, c’est Vidal de la Blache, avec le tableau de la France de Vidal de la Blache, donc c’est ce mélange de…

Pierre Guyotat : Mais Michelet avait un très grand sens de la géographie. On le voit dans ce tableau de la France, admirable texte du début mais en même temps dans toute l’œuvre.

Emmanuel Laurentin : Je vous lis un extrait justement de ce tableau de la France de Michelet : « Les fils d’Eléonore, - Aliénor, donc - Henri, Richard-Cœur –de-Lion et Jean ne surent jamais s’ils étaient Poitevins ou Anglais, Angevins ou Normands. Cette lutte intérieure de deux natures contradictoires se représenta dans leur vie mobile et orageuse. Henri III, fils de Jean, fit gouverner par les Poitevins ; on sait quelles guerres civiles il en coûta à l’Angleterre. Une fois réuni à la monarchie, le Poitou du marais et de la plaine se laissa aller au mouvement général de la France. Fontenai fournit de grandes listes, les Tiraqueau, les Besly, les Brissons. La noblesse du Poitou donna forces courtisans habiles (Thouars, Mortemar, Meilleraie, Mauléon). Le plus grand politique et l’écrivain le plus populaire de France, appartiennent au Poitou oriental : Richelieu et Voltaire ; ce dernier, né à Paris, était d’une famille de Parthenai. ».

Pierre Guyotat : Oui, c’est un passage célèbre. Il va peut-être un peu loin. On est souvent tenté, bien sûr. Il y a presque un côté journaliste dans cette chose-là…

Emmanuel Laurentin : Ramasser comme cela dans un grand espace, les grands hommes pour pouvoir…

Pierre Guyotat : Vous savez, Michelet a beaucoup voyagé. Du reste, la vie de Michelet est extraordinaire. Non seulement l’œuvre est magnifique mais l’homme est extraordinaire. Il était un peu barbant, je crois, d’après ce qu’on sait des réceptions, des dîners qu’il donnait chez lui, qui étaient d’un ennuie terrible paraît-il, mais bon, je ne sais pas. Mais c’est un homme qui voyageait tout le temps, qui a passé les frontières, qui a escaladé des montagnes, qui a passé des fleuves et tout, tout le temps, en diligence, en calèche, avec tout le monde, en bateau, en coche d’eau et puis en train. Il a pris le train. On revient dans le journal, c’est formidable. Il voyage sans arrêt, sans arrêt, sans arrêt. Il va dans les lieux, non seulement pour voir les lieux mais pour voir les archives du lieu.

Emmanuel Laurentin : On l’impression que vous, vous voyagez dans l’espace mais que vous voyagez beaucoup dans le temps, que ça vous sert aussi de véhicule justement que de repartir dans le passé, d’en revenir, d’en ramener quelque chose.

Pierre Guyotat : Pour moi, c’est une habitude. C’est peut-être pour ça que j’ai aimé l’histoire très tôt. C’est une habitude de romancier, j’ai horreur du terme, disons d’un « fictionneur ». Un « fictionneur » est obligé de tenir compte, pour faire avancer l’action, de tout : d’où on vient, où on va, qu’est-ce qu’il y a à droite, à gauche, devant, au-dessus, dessous, qu’est-ce que ça sent, quelle lumière etc. Donc, l’imagination de l’histoire est tout à fait logique. C’est pour ça que tous les personnages de l’histoire me sont proches, pour les personnages de l’histoire. Certains sont trop monstrueux, toute une vie d’homme ne suffirait pas pour essayer de comprendre le pourquoi. Vous voyez ce que je veux dire.

Emmanuel Laurentin : Lesquels, par exemple ?

Pierre Guyotat : Staline, Hitler, il faut plus qu’une vie pour saisir le pourquoi et le comment. Ce qui est phénoménal, quand même, c’est la capacité… alors on dit que c’est le manque de scrupule, l’absence de morale mais c’est un mot faible. Comment quelqu’un peut-il tenir autant de temps, avec autant d’énergie ? Alors, évidemment avec Hitler on sait que les moments terrifiants, les moments de terreur, de dégoût etc. mais ce n’est pas forcément de dégoût de lui-même. On ne le sait pas ça aussi. Comment un cerveau humain peut-il tenir un pareil déchet moral ? C’est extraordinaire. Staline, c’est pareil.

Emmanuel Laurentin : Et vous n’avez pas trouvé la solution, encore ?

Pierre Guyotat : Moi, si vous voulez, étant donné que je fais de la fiction, depuis très longtemps quand même, depuis maintenant bientôt 50 ans, rien ne m’étonne si vous voulez. Mais ce que je n’arrive pas à saisir, c’est que le fameux réflexe moral, dont je vous parlais au début, là, ne joue pas. C’est un mystère.

Emmanuel Laurentin : Ce n’est pas le seul cas.

Pierre Guyotat : Ce n’est pas le seul cas, bien sûr. Mao Tse Tung, c’est quand même pas mal non plus, et tant d’autres !

Emmanuel Laurentin : Oui, parce que vous prenez des exemples du XXe siècle mais on pourrait prendre des exemples dans les siècles passés, j’imagine ?

Pierre Guyotat : Oui, oui. Sauf que dans les siècles passés, il y avait moins de monde si je puis dire, moins de possibilités de massacrer beaucoup de monde, il y en avait beaucoup hein, ou alors c’était les Mongols dont la rapidité permettait les massacres en longueur et en largeur, si je puis dire. Et puis, chez eux, c’était une nature, ils expliquaient ça. Les Empereurs romains, les Empereurs hindous, indiens qui sont des terreurs, les Empereurs musulmans et persiques qui terrorisent des États entiers pendant des dizaines et des dizaines d’années, sur quoi du reste les musulmans devraient du reste se tourner. Il faut se retourner enfin vers leurs propres turpitudes. Des turpitudes commises au nom de leur religion, ça serait salutaire.

Emmanuel Laurentin : Dans votre travail, vous avez longtemps considéré qu’une des choses les plus abominables que l’humanité ait pu créer, c’est la question de l’esclavage. Bien évidemment l’esclavage aussi bien sous l’Empire romain, l’esclavage tel qu’il s’est développé avec la traite atlantique, par exemple, mais cette question de l’esclavage qui redevient d’actualité aujourd’hui, qui se réchauffe alors qu’en pensait qu’elle était derrière nous, historiquement parlant, n’empêcherait pas , selon vous, les peuples d’Afrique, ou les peuples musulmans qui ont pratiqué aussi l’esclavage d’y réfléchir aussi. C’est-à-dire de ne pas toujours renvoyer à l’Europe occidentale la responsabilité.

Pierre Guyotat : Moi, depuis longtemps, je pense qu’il faut même que les jeunes ici, issus, comme on dit, de l’immigration etc. se tournent, s’ils veulent se tourner, s’ils veulent se trouver, comme on dit maintenant, des racines ou des appuis, ils devraient se tourner maintenant, si je puis dire, d’une façon plus héroïque au fond sur leur passée. C’est ce que j’ai écrit et toujours dit, à savoir que les peuples colonisés ont résisté d’abord. Ils ont résisté très fortement. L’Algérie, c’est quelque chose d’incroyable quand même. Ça a duré très longtemps. Et aussi les peuples noirs. Au Dahomey, tout ça, moi, j’ai appris ça. A l’école on apprenait la résistance de Béhanzin, par exemple.

Emmanuel Laurentin : Ou à Madagascar.

Pierre Guyotat : A Madagascar… mais ça je le savais depuis très longtemps. Aujourd’hui on fait comme si on ne savait pas. La torture en Algérie, on ne savait pas… Il y a des gens qui ont perdu leur travail à l’époque, il y a des journaux qui étaient caviardés sans arrêt parce qu’il faisait état de la torture, à l’époque où ça se faisait. Je pense que ce n’est pas spécifiquement français, mais c’est insupportable pour quelqu’un qui a vécu un certain nombre d’années perpétuellement dans le discours : « c’est la première fois », « il aura fallu attendre 60 ans », « il aura fallu attendre 100 ans », « il aura fallu attendre 200 ans », comme si cela n’avait pas été déjà fait par les générations antérieures dont certains éléments l’ont oublié, moi je n’oublie pas. Donc, cette question-là, tous ces jeunes il faut que tous ces jeunes se retournent vers un passé plutôt glorieux et aussi un passé moins glorieux.

Emmanuel Laurentin : Et l’assumer.

Pierre Guyotat : Et l’assumer. Il faut que ça finisse par s’équilibrer, si vous voulez. Que la connaissance de leur passé propre, à savoir la résistance des acteurs et aussi les turpitudes, la complexité dans l’esclavage, complicité incluant des masses, l’Est africain c’est effarant et c’est resté très longtemps et ça reste d’une certaine façon. Donc, il faudrait peut-être un petit peu en rabattre là-dessus aussi. L’Est est très coupable aussi, très coupable. De l’autre côté c’est monstrueux parce que l’enseignement chrétien interdit absolument, totalement ce genre de pratiques. Non seulement ce genre de pratiques mais ce n’est même pas envisageable. L’être humain est un être humain absolument irremplaçable, on ne le vend pas. De l’autre côté, ce n’est pas aussi net. Enfin, le registre scandale pour nous est plus fort mais il ne faut pas non plus que par orgueil encore on revendique la part la plus maudite en occident.

Emmanuel Laurentin : Parce que vous sentez une sorte d’orgueil dans cette façon de se battre la coulpe ?

Pierre Guyotat : Je n’ai pas fini, tout à l’heure, quand je parlais de l’Algérie, la langue etc. Là, j’ai détesté la France vraiment pendant des années, des années et des années. Mais c’était la période où on était presque tous tiers-mondistes, où il n’y avait pas de pays, plus de pays, plus de patrie. Il y avait un vaste univers, c’était une vie universelle dont il faut regretter qu’elle n’existe vraiment plus, parce qu’effectivement c’était possible encore à l’époque, le monde qui est maintenant solide sur ses pieds, la Chine, l’Inde, le Brésil et même les pays arabes sortaient de la colonisation, étaient fragilisés, l’occidentale avait encore la main sur l’épaule du tiers-mondisé. Là, c’est fini. On ne peut plus. Le monde est fragmenté parce qu’il y a des puissances.

Emmanuel Laurentin : Ce qui est étonnant, quand on vous lit, quand on lit votre œuvre avec un peu de précision, c’est que la Chine ne vous est pas étrangère, l’Inde ne vous est pas étrangère, l’histoire de l’Afrique-du-sud, de la guerre des grands bourgs non plus, des grands empires africains non plus, peut-être, je ne sais pas, l’Amérique des Incas ou des Aztèques, il y a toujours quelque chose à prendre dans cet espace géographique infinie qu’est le monde et dans cette profondeur historique de cet espace géographique pour vous, Pierre Guyotat.

Pierre Guyotat : Oui, avec une constante que j’ajoute, qui est très importante quand même, chez moi, c’est la constante animale. Pour moi, l’animal, c’est l’être témoin aussi. C’est une possibilité de mesurer aussi, de mesurer l’histoire, de mesurer l’homme, aussi. L’animal même le plus petit, le plus microscopique, vous savez le papillon, les mouches, les cancrelats, les capricornes…

Emmanuel Laurentin : Et de ces migrations animales qui accompagnent l’homme, du rat qui conquière petit à petit la planète, des souris, des musaraignes et de tout cela.

Pierre Guyotat : Puis, il y a aussi le végétal. Les arbres, par exemple, les arbres témoins. Nous, on faisait, pendant les vacances, toujours une promenade à l’arbre d’Henri IV qui était dans la montagne, dans un petit village, très joli, qui s’appelle Burdigne. Un petit peu à l’écart du village, près d’un lavoir, il y avait un chêne, complètement biscornu, assez malade, et c’est un chêne qui datait d’Henri IV. Ce qui ne voulait pas dire qu’il ne datait pas d’avant. C’était très important, pour un enfant, pour mesurer l’histoire. On tournait autour de cet arbre et évidemment on ne découpait pas son écorce comme on découpait celle des autres, plus jeunes, pour faire des bateaux qui naviguaient sur des mers etc. Là, c’est un arbre qu’on respectait. On tournait autour, peut-être même avec l’idée d’entendre quelque chose, comme une conque, se mettre dans l’arbre, parce que c’est un arbre creux, pour entendre quelque chose de l’histoire, comme on met une conque à son oreille.

Emmanuel Laurentin : On parlait de la France toute à l’heure, Pierre Guyotat. Vous dites dans Formation, cette phrase très courte mais très belle : « La France, c’est d’abord le mot France, une lumière, un lien, ceux qui n’ont rien en ce monde, ni bien, ni passé archivé, ni considération publique, ont ce bien là, commun aux obscures comme aux illustres. » Là, vous vous mettez dans la lignée de Michelet, d’une certaine façon.

Pierre Guyotat : Je ne sais, mais en tout cas c’est vrai. C’est vrai, parce que je l’ai constaté.

Emmanuel Laurentin : Le mot France suffit ?

Pierre Guyotat : Le mot France, l’appartenance, le mot France suffit, oui. Regardez les gens, on a même l’impression aujourd’hui que ce sont les français les plus modestes qui rappellent aux politiques que la France existe, ou qu’elle a existé en tout cas, qu’elle existe.

Emmanuel Laurentin : Et qu’elle est porteuse d’une histoire.

Pierre Guyotat : Beaucoup plus que ce qu’on appelle l’élite qui est beaucoup plus occupée à l’anéantir d’une certaine façon, soit pour de bonnes raisons soit pour de très mauvaises. Vous savez, c’est une figure, c’est même une rhétorique, c’est un genre littéraire depuis, je pense, Montesquieu. Depuis que Montesquieu a fait son éloge de l’Angleterre, une Angleterre très imaginaire elle aussi, c’est fini, toute l’intellectualité française, sauf au XIXe où curieusement avec Hugo, Michelet et quelques autres peut-être dans l’élan encore napoléonien, on cesse ce dénigrement, mais ça n’a pas cessé tout le long du XVIIIe, et ça a beaucoup repris ces dernières années. Ça a repris beaucoup avant la guerre. L’extrême droite était absolument occupée à ça, à dénigrer ce pays qu’elle voulait par ailleurs mettre en péril. On a vu le peu de courage qu’elle a quand il était attaqué par la monstruosité en plus.

Emmanuel Laurentin : Ce qui est intéressant, c’est que c’est le même Pierre Guyotat qui, dans les années 60 justement critique cette même France pour ce qu’elle dit, déteste cette France et qui aujourd’hui dit que la France est une lumière…

Pierre Guyotat : Non, non, attention, je ne le dis pas. Là, c’est l’enfant qui le dit. Je l’ai bien expliqué au départ. Alors si l’enfant a duré, je n’en sais rien.

Emmanuel Laurentin : Mais est-ce qu’il a duré justement ?

Pierre Guyotat : C’est possible, oui. C’est vague, une lumière, mais c’est une chose indéniable. J’en ai simplement après ceux qui font comme si ce pays avait existé de tout temps, comme si c’était une marque de fabrique. Moi, j’ai conscience que c’est une longue, très longue histoire impliquant des gens très modestes et pas seulement les rois. Les rois ce sont appuyés sur quoi ? Les rois, surtout au Moyen-âge se sont beaucoup plus appuyés qu’on ne le croit sur le peuple, beaucoup plus appuyés que dans la République qui elle plutôt les a convaincus qu’il fallait aller se battre en 14-18, par exemple. Extraordinaire scandale 14-18 quand même. Une République qui décrète la mobilisation. Décrète, qui a décrété la mobilisation générale ? Est-ce que le peuple a été appelé à donner son avis ? Est-ce qu’il y a eu des élections ? Rien, rien du tout. Ça a été décidé et on a envoyé des gens se faire tuer, pendant 4 ans quand même, dans des conditions atroces, épouvantables. Si les gens résistaient, ils étaient fusillés quand même. Il ne faut pas l’oublier. La conscription, moi, j’ai connu cela en Algérie. C’était très violent aussi. Si vous ne rejoignez pas votre corps, vous étiez pourchassé, poursuivi. C’est une chose qui est oubliée dans tout le discours lignifiant sur la Guerre d’Algérie aujourd’hui. On était considéré comme déserteur et tout à fait tuable. C’est un problème tout de même. Et on se posera de plus en plus cette question-là.

Emmanuel Laurentin : La question de la Première guerre mondiale ?

Pierre Guyotat : Bien sûr. Tant qu’on découvre des corps, et on en découvre sans arrêt dans l’Est et dans le Nord, en Argonne et partout. J’ai été, il n’y a pas très longtemps, l’année dernière, avec mon frère, c’est très bouleversant, les gens découvrent toujours des corps. Il y a, si je puis dire, des archéologues amateurs qui découvrent tous les jours des corps, plusieurs corps et qui sont identifiables par une médaille, par quelque chose. Tant qu’on découvrira des corps, ça ne sera pas fini et on réfléchira sur l’horreur de cette guerre. Mais on ne réfléchi pas assez sur la justification de cette guerre, d’une part et d’autre part sur ce que je viens de vous dire, à savoir que la République, qui est le gouvernement de tous, de tous en principe, là ça devient quoi ? Qu’est-ce que c’est ? C’est une élite politico-militaire qui décide, et on décide la guerre avec un vieux parlement, je crois, si ma mémoire est bonne. On appelle, les gens, aux armes mais on ne les a pas appelés aux urnes auparavant.

Emmanuel Laurentin : Et il n’y a que quelques êtres particuliers qui sont retenus dans l’histoire et qui sont, entre guillemets, ces héros, je citerai un extrait de Formation où vous dites, à propos de votre famille justement de cette famille de résistants, de déportés : « Des héros, ceux qui ont payé le prix fort et qui savent dans leur chaire d’esprit, ce que l’on court à résister, regardent avec une indulgence fraternelle le peuple laborieux dont ils ont sauvé l’honneur. »

Pierre Guyotat : Je dis bien laborieux, qui a continué de travailler, qui n’a pas été très héroïque. C’est aussi une chose dont j’aimerais parler, ça.

Emmanuel Laurentin : C’est ça qui fait une société ?

Pierre Guyotat : Non, je ne porte pas de jugement là-dessus. Mais, j’ai remarqué que c’était les gens qui avaient le plus souffert qui étaient les plus indulgents envers ceux qui avaient un peu attendu et pas seulement collaboré. Aujourd’hui, il y a une ignorance quand même de ce qu’on appelait autrefois l’exil intérieur, la résistance intérieure, ça compte dans l’histoire humaine. Puis il y a un moment donné où ça éclate physiquement. Tout ne peut pas être physique du premier coup. C’est une illusion et c’est une façon dangereuse parce que ça fait apparaître ceux qui énoncent ce genre de sottises, ou qui ignorent ce que je dis de la résistance intérieure, dans une situation de ridicule totale.

Emmanuel Laurentin : Ça veut dire qu’il n’y a pas de jugement de valeurs entre ce peuple laborieux que vous décrivez, Pierre Guyotat, et ces héros. Ils se complètent, d’une certaine façon. Ils font la France en même temps.

Pierre Guyotat : C’est la réalité de l’histoire. C’est comme ça. Vous savez, pour condamner une peuple, le peuple français bien entendu c’est beaucoup d’ignorants qui se livrent à ce genre de rhétorique, c’est un genre littéraire en France même, ce sont des gens qui ont un amour-propre, un certain sens de l’humour, pour dire des choses de ce genre. Pour accuser un peuple de lâcheté, il faut avoir une certaine morale soi-même. La morale existe aussi dans le jugement historique, dans le jugement intellectuel. On peut parler bien entendu, on peut parler, il faut toujours parler à partir de soi : « Qu’est-ce que je fais, moi ? », « Qu’est-ce que j’aurais fait ? » et aussi se mettre dans les conditions historiques. La guerre de 14 a été une chose effarante pour tous les peuples, les belges, les anglais, les allemands etc. et pour la France, ça a été particulièrement effroyable car c’est en grande partie sur son territoire que s’est fait cette guerre. Il faudrait emmener, les remmener là-bas à Argonne à Douaumont, etc. jusque dans le Nord, leur faire voir les destructions etc.

Emmanuel Laurentin : Une des particularités de l’histoire, Pierre Guyotat, c’est de savoir si elle nous offre des leçons ou si au contraire elle nous prévient que l’avenir est imprévisible. Si on regardant le passé, on s’aperçoit tout compte fait que l’on ne peut rien prévoir et qu’au bout du compte, ce qui nous arrive est l’imprévu et qu’il faut s’attendre à cet imprévu ? Quand on va sur le côté de ce qui est devenue la Cité nationale de l’immigration, mais qui était à l’époque, en 1931, le Palais des Colonie, il y a cette plus grande France, que vous avez connue, puisque c’était dans cette plus grande France que vous avez grandi, avant que les décolonisations n’interviennent, et il y a la liste de ceux qui ont forgé la plus grande France. Une liste qui s’arrête à mi hauteur d’une colonne, gravée dans la pierre et avec d’autres colonnes qui sont laissées en blanc parce qu’on s’imagine que cela ne va pas s’arrêter là. C’est cela aussi l’histoire. Ça nous dit que celui qui vivait l’exposition coloniale de 1931 ne pouvait pas s’imaginer que cette expansion coloniale s’interrompit, que ça s’arrête.

Pierre Guyotat : Oui, je trouve du reste qu’on peut imaginer, tout le monde peut le faire, le monde futur, le monde immédiatement futur ou lointainement futur, et c’est toujours les mêmes qui à mon avis qui se tromperont, ce sont les prévisionnistes, ceux qui calculent : « nous avons tant maintenant, dans 50 ans… », vous avez des gens qui sont des chefs là-dessus, qui passent à la télévision, qui sont d’un comique extraordinaire. Ceux-là se trompent toujours de toute façon, parce que pour eux il n’y a pas de guerres, pas de catastrophes, il n’y a pas de changements même inopinés, il n’y a pas de religion, pas de fanatisme, il n’y a rien. C’est des purs, si vous voulez. Ce sont des clowns, des comiques. Il en faut. Par contre toutes sortes de gens, de gens très modestes peuvent imaginer tout à fait la suite des choses. C’est un peu difficile à imaginer aujourd’hui parce que maintenant enfin le monde commence un peu à s’équilibrer car nous, on vit une chose que j’aurais pu pouvoir commencer à imaginer quand j’étais seulement adolescent, car j’ai vécu dans la plus grande France, l’installation –même un peu contestée- mais l’installation quand même relativement solide tout de même. J’avais 14 ans en 54, quand vraiment ça craquer beaucoup. Or, c’est le moment où l’on rêve le plus, entre un an et 9 ans. On vous dit, la plus grande France, vous imaginez la puissance absolument aux pieds de silex. Il faut vivre, dans une vie, ce rétablissement-là. Ce n’est pas mal non plus toutes ces générations-là qui ont commencé dans la plus grande France ne soient pas toutes passées au FN, par exemple. Elles arrivent à 60 à 70 ans et elles sont relativement générales. La société française, elle est quoi ? On dit qu’elle est raciste, qu’est-ce que s’est toutes ces histoires-là ? Elle est grosso modo devant le fait accompli. Tout le monde est là, le monde entier est là, on se mélange et pis voilà, ce n’est pas une catastrophe. En général, la grande majorité des gens, si vous évitez de les blesser en les traitant de racistes tout de suite, si vous creusez un petit peu, vous trouvez de l’acceptation, de l’acceptation du fait accompli. Fait accompli qui est un fait mondial de toute façon. Et puis une certaine fierté aussi que le monde entier se retrouve chez nous, entre guillemets. On fait très peu de cas de l’effort des gens au cours des siècles. Moi, c’est cet effort magnifique, formidable, formidable vivacité, que je ne veux pas voir disparaître.

Emmanuel Laurentin : Pas oublier.

Pierre Guyotat : Ne pas avoir oublier, même disparaître, parce que là c’est la barbarie…

Emmanuel Laurentin : L’effort pour vivre ensemble, c’est ça que vous voulez dire.

Pierre Guyotat : Aussi, vivre en semble, oui.

Emmanuel Laurentin : Pour fabriquer quelque chose ensemble.

Pierre Guyotat : Produire, absolument. Échanger, faire du commerce, se battre même, tout. Produire, cultiver, créer, construire, c’est formidable, le patrimoine de ce pays.

 

2 juillet 2020

LA MEILLEURE PART DES HOMMES DE TRISTAN GARCIA

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Avec “La meilleure part des hommes” Tristan Garcia fait l’audacieux pari de dresser un portrait expressionniste des années 80. Pari d’autant plus ambitieux qu’il n’est pas tout à fait contemporain de ce temps là , tout du moins comme acteur de sa vie, puisqu’il est né en 1981. Il choisit de voir ces années à travers la communauté gay, puisque selon lui, il n’y avait que là qu’il se passait quelque chose. Point de vue discutable, mais indéniablement intéressant.

Pour ce panoramique sur une époque, le romancier à mis en place un procédé assez simple. Cette période serait vu par trois personnes qui la raconteraient à une quatrième. Cette structure est un peu équivalente à celle d’ un cinéaste qui filmerait une scène avec trois caméras, donnant chacune un angle différent de l’action.

Ces trois-hommes caméras ne sont pas vraiment inventés et le landerneau des lettre a eut vite fait d’éventer le coté roman à clefs du bouquin. N’étant pas plus aujourd’hui qu'hier un habitué du marigot gay, sans le bruissement des “gens de lettres” je n’aurais pas reconnu Didier Lestrade, que j’ai pourtant croisé, sous le masque de Dominique et aurais mis une bonne centaine de pages (car en fait je ne comprend pas complètement ce qu’il fait là) à m’apercevoir que c’était Alain Finkelkraut, dont je suis pourtant le fidèle auditeur tous les samedis matins sur ma chère France-Culture, qui était dissimulé sous le nom de Leibowitz. Il me semble qu’il a aussi quelque chose de Max Gallo...

Par contre j’aurais identifié dés les première lignes où il est question de Willie, ce sale con de Dustan. Si quelques uns de mes extrêmement rares lecteurs serait choqués que j’ affuble du qualificatif de sale con un mort, c’est que pour moi un sale con froid, reste un sale con et que je revendique le droit de cracher sur certaines tombes. D’ailleurs il ne manquerait de glavioteurs le moment venu sur la mienne; mais n’ayant pas prévu d’avoir de tombeau ou autre cénotaphe, il ne leur restera plus qu’à cracher dans la mer où mes cendres seront jetées.

Garcia malheureusement ne tient pas son procédé polyphonique si bien que l’ouvrage s’en trouve tout bancal. L’homme caméra Willie phagocyte tout le roman, bientôt il n’est plus question que de ses pitoyables pitreries et de la haine qu’il voue à Dominique.

Là encore qui se souvient aujourd’hui des tenants du bareback, quel intérêt y a t-il pour un jeune homme non dénué de talent de prendre pour sujet une poisseuse querelle, telle est peut être la seule question que soulève cet ouvrage.

Il est rare que j’éprouve du ressentiment à l’égard de l’auteur d’un livre. Mais cette fois j’en veux à Garcia d’avoir tiré du néant ce malfaisant dont tout le monde avait oubliè les diarrhées verbales qu’étaient ses livres que personne n’ouvrait plus.  

Même si parfois les hommes-caméras de Tristan Garcia, disent faux, comme des mauvais acteurs qui forceraient leurs textes, les dialogues ont parfois un curieux “style éthylique”. Leur auditrice-spectatrice, la trop discrète Elisabeth Levallois (pourquoi pas, Béatrice Mont de Marsan! Je n’ai pas saisi l’allusion de ce blase inepte, probablement un private joke) écrit, elle toujours juste. On se surprend à s’écrier, c’est ça, c’est tout à fait ça... Et forcement pour un lecteur survivant de l’ hécatombe de ces années là, cela fait souvent mal. Comme cette phrase: << Doumé baisait comme un dieu, mais c’était dans cette période de transition où ça commençait à devenir triste, toute cette joie. William a fait l’inverse, il n’était pas dans le sens du vent, le gamin. Je crois que, d’une certaine manière, c’est ce qui a ému et ce qui a tué Doumé.>>.

Il me semble qu’il faut éviter les affirmations générales péremptoires lorsque l’on veut peindre une époque et ne pas penser qu’un cas particulier, ou du moins celui d’un groupe, vaut pour vérité. Malheureusement Tristan Garcia n’a pas cette prudence. Lorsque je lis: << C’était sexy, tu sais. On baisait, on était politique. Tu embrassais un mec, tu faisais la révolution d’octobre. >> ou encore: << Les années quatre-vingt furent horribles pour toute forme d’esprit ou de culture, exception faite des médias télévisuels, du libéralisme économique et de l’homosexualité occidentale.>>, gay ayant vécu à Paris ces années 80, je ne me reconnais pas. A propos de la première insertion, en ce qui me concerne, il n’y avait aucune symbiose entre une action politiqáue et la baise qui, certes était plus visible qu’aujourd’hui, mais n’occupait pas tout le champ et surtout pas celui du politique. Il n’y avait donc aucune révolution d’octobre dans mes baisers ni dans ceux de mes partenaires d’autant que le Parti Communiste Français à l’époque était encore fort homophobe. Quant à la deuxième il me semble que les années 80 n’étaient pas plus un désert intellectuel que les années 70 ou 90.

Si le livre est inégale certains chapitres ont la fulgurance de l’évidence. Comme celui où Elisabeth parle de la relation entre leibowitz et ses parents, les rapports entre le fils écrivain et ses géniteurs de modestes ouvriers tout est dit en quatre pages d’une écriture sèche qui donne envie de pleurer...

Mais les morceaux de cette qualité sont rares surtout après le premier tiers de l’ouvrage.

A la fin du livre j’ai été étonné qu’il soit de la plume d’un jeune homme né eˇn 1981. Non pas du fait qu’il n’ai pas pu être vraiment conscient au monde lors des premières années qu’il nous raconte ou plutôt qu’il était censé nous raconter, car les années 80 sont escamotées, les 90 survolées et le nœud de l’intrigue, le mot n’est guère approprié en l’occasion, se situe au début des années 2000, mais par la gravité et le désenchantement des réflexion à la fin du volume dont voici un florilège: << Vous comprenez que vous n’avez été proche de quelqu’un que par l’intermédiaire de quelque chose, qui en disparaissant soudain, vous laisse l’un à l’autre indifférent.>>, << S’ouvre à vous alors face à vous, n’est ce pas, le fait qu’il existe en réalité des milliards d’êtres humains et que nous n’en étions quatre, parmi d’autres. A une telle quantité, l’humanité vous apparaît bien plate, comparée à sa si petite partie, qui vous a occupé la meilleure part de votre vie.>>, << C’était quelqu’un de pur. Au contact du monde, cela donne une personne extrêmement sale.>>, << Quelqu’un qui, comme Williez, entre dans le monde des idées et des discours sans hériter de personne à l’avantage, un court moment, d’apparaitre génial, original et, le temps passant, les habitude reprenant leur long cours, il devient un idiot, un intrus - il doit désormais regagner son camp, auquel il n’appartient même plus.>>, << Il me semble de plus en plus que tout ce que j’ai pu admirer dans le monde, idées, œuvres, actes et vies, a dû provenir d’hommes opportunistes, que j’aurais pu choyer, dont la plupart m’auraient été indifférents et dont les occasions, bien saisies, ont fait des sortes de génie, en tout genre.>>, c’est peut être surtout pour elles, qui sonnent si juste, que finalement j’ai été content d’avoir lu ce livre. 

Le problème de ce premier roman est qu’il a été publié, mais pas été édité au sens américain du terme. L’éditeur aurait du signaler qu’écrire tous les chapitres d’une même longueur nuit au rythme de l’ouvrage donc au plaisir de la lecture. De même que les terminer par une petite phrase très courte en opposition avec le développement qui la précède est un procédé déjà un peu facile pour une nouvelle mais qui n’a aucunement sa place dans un roman.  L’éditeur aurait du aussi surtout, quand au fond, remettre le jeune homme dans les rails de son intention que proclame le bandeau mensonger: “Les années sida”, pour éviter de devenir ce qu’il est le portrait d’un dérisoire paillasse...

1 juillet 2020

UNE ÉDUCATION LIBERTINE DE JEAN-BAPTISTE DEL AMO

 

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Heureusement que je n'ai pas découvert le romancier Jean-Baptiste Del Amo par son premier livre, sinon je crains que je n'aurais pas lu son second opus, "Le sel" auquel j'ai consacré un billet, c'et ici , et cela aurait été dommage. La bonne nouvelle pour l'écrivain est qu'il est en gros progrès par rapport à son coup d'essais. Malheureusement il semble que "Le sel" connaisse un bien moins grand retentissement que cette "éducation libertine" que je viens de découvrir tardivement et qui a remporté en 2009 le Goncourt du premier roman. Ce qui donne une idée de la "qualité" des premiers et énièmes romans qui, chaque automne et dorénavant également au début janvier, submergent les tables des libraires. Il faut tout de même dire que ce roman est écrit en français ce qui est loin d'être toujours le cas de la plupart des livres composant la dite production, que l'on se souvienne de titres pourtant encensés par la critique officielle tel que "La naissance d'un pont" galimatias prétentieux auquel a échu cette année le prix Médicis.
Dans "Une éducation libertine" Jean-Baptiste Del Amo nous raconte l'arrivée de Quimper, puis le séjour de son héros, un jeune homme pauvre nommé Gaspard,  dans le Paris de Louis XV. Par le sexe  le jeune Gaspard va passer de débardeur sur les trains de bois qui transitent sur la Seine aux salons de la noblesse parisienne. Les chapitres qui décrivent le travail de récupération des billes de bois dans cette Seine-Styx (le plus souvent nommée « le Fleuve » et toujours avec une majuscule) sont les plus intéressants du livre qui malgré sa complaisance dans le crapoteux nous en apprend beaucoup sur le Paris sous Louis XV. Del Amo a du lire avec beaucoup d'attention "Tableau de Paris" de Louis Sébastien Mercier, contemporain des turpitudes de Gaspard.
Très vite on s'aperçoit que cette trajectoire d'un gigolo est une histoire banale d'aujourd'hui qui fait beaucoup penser, en plus plat, au scénario du film de Téchiné, "J'embrasse pas", plaquée artificiellement sur le Paris du XVIII ème siècle, celui-ci n'étant qu'un exotisme pour relever la banalité de la trajectoire du héros. On a d'autant plus conscience du subterfuge que jamais Gaspard pense ou agit comme le ferait un jeune rejeton de paysans bretons du XVIII ème siècle immergé brusquement dans le Paris d'alors, dans lequel, par exemple, la religion au quotidien tient une grande place alors qu'elle est totalement évacuée dans "Une éducation libertine". Le garçon ne parle pas comme un jeune homme de sa condition (faudrait-il encore qu'il connaisse le français, à cette époque la langue parlée dans la campagne quimpéroise devait être bien différente de celle des salons parisiens). Il soliloque et raisonne, philosophe comme un étudiant du XX ème siècle et non comme un fils de petit paysan de l'ancien régime. Mais un si la forme de ses reflexion me semble anachronique, sa posture, vierge de tout préjugé face à la sexualité est surprenante. On s'étonne immédiatement que ce fils de porcher sache écrire. L'auteur lui même prenant conscience de cette étrangeté pour l'époque, trousse aux alentours de la centième page une vague explication assez peu convaincante, amalgamé avec une description du départ de Gaspard peu claire qui n'est pas complètement raccord avec ce que l'on imagine alors de la psychologie du héros dont après avoir fermé le livre on est guère sûr tant ce jeune homme est un homme sans qualité. On ne comprend pas comment, par quelle baguette magique, ce médiocre indolent et insipide se transforme à partir de la page 290 en un redoutable Rastignac. Même si les informations que l'on apprend sur le passé de Gaspard, distillées en flashback, une construction très habile qui relance le désir du lecteur d'en savoir plus, construisent peu a peu le personnage. 
Autre grande faiblesse du livre la manière dont Del Amo fait avancer son intrigue. Gaspard fait une suite de rencontres, chacune plus miraculeuse les unes que les autres, et toujours au moment où le jeune homme parait tomber. Sans parler du fait que tous les hommes que rencontre le garçon soient homosexuels (on se croirait chez Peyrrefitte) et en pincent immédiatement pour lui, pourtant Gaspard n'est pas décrit d'une façon complètement flatteuse au commencement du livre.
Del Amo n'a pas évité, non plus l'écueil, bien trop fréquent dans les romans historiques de doter ses personnage de dons divinatoire sur la suite des temps.
La sexualité que décrit Del Amo est faite de pratiques qui nous paraissent à l'aune d'aujourd'hui, plus animale qu'humaine. Ce que nous montre de l'homosexualité au XVIII éme siècle (le mot est anachronique, il est apparu, comme, le concept, qu'au XIX ème siècle. Dans la France de Louis XV, on parle de pédérastie et de sodomie) est très intéressante mais le manque de crédibilité de Gaspard en sujet sadien, jette un doute pour le lecteur de la réalité sociologique décrite.
Mais un roman c'est d'abord un style. Au début le lecteur est ébloui par cette prose profuse, un type d'écriture qui a déserté depuis bien des années le tout venant romanesque. Les descriptions se succédant, beaucoup plus dans la première partie du récit qu'ensuite, la lassitude gagne même un amoureux des mots. Et puis Del Amo détaille par le menu avec une grande complaisance et même une délectation tout ce qu'il y a de plus laid et de plus putride dans les scènes et les êtres que croise Gaspard; il n'est question que fanges, merdes, vomissures, décompositions. Il a inventé le roman olfactif. Les trente premières pages ne sont guère que la description, avec brio, d'un Paris sous un soleil de plomb, la sueur dégouline de partout et où règne une effroyable puanteur. L'extrait qui suit en est représentatif: " D'innombrables gamins grouillaient en tous sens, dégringolaient les escaliers, fouillaient les amoncellements, sitôt rattrapés par leurs génitrices qui les soulevait par des langes sales, les faisait remonter à grands coups aux fesses. Ici, nulle intimité. On forniquait à la vue de tous, les mains campées sur les balustrades, les jupons retroussés sur des culs sans gêne, à en faire trembler le bâtiment. On jouissait au su des enfants, au su des voisins. ".
 Le titre est un peu trompeur car si l'on est convié à l'ascension de Gaspard dans "le monde" c'est aussi à sa destruction par lui-même que nous assisterons au fil des pages. On est loin de l'éducation sentimentale de Flaubert auquel le titre choisit par Del Amo fait référence, car en somme il y a bien peu d'éducation dans le livre et pas du tout de sentiment; en ce qui concerne le libertinage qu'on y trouve, il a plus des relents d'un XXIe siècle glauques qu'un fumet sadien; c'est plutôt 450 pages dans un pot de chambre! J'ai bien conscience que Del amo ait voulu rendre hommage au roman libertin du XVIII ème siècle, mais on est tout de même assez loin de Rétif de la Bretonne dont Gaspard est un exact contemporain, peut être un peu plus jeune, mais l'on ne sait jamais son âge exact. On calcule seulement qu'il aura suffit d'un peu plus d'une année pour qu'un jeune gueux se métamorphose en un godelureau de cour. Une conception bien démocratique qui ne parait pas plus crédible pour cela. 
Il aurait été me semble-t-il judicieux de développer plus le personnage du manipulateur comte Étienne de V. vraisemblablement inspiré par Valmont. Toute la dernière partie du roman dont le cour était jusque là était passablement dolent, s'accélèrent et est directement inspiré des "Liaisons dangereuses".  
Certains passages font référence plus à aujourd'hui qu'au XVIIIème siècle, comme le passage suivant: "Le peuple est tiraillé par son désir de divertissement, son voyeurisme et la toute-puissance de la royauté qui décide ou non de son droit à vivre. Bien sûr, il veut faire payer au criminel le prix fort, mais dès lors qu'il s'aperçoit être complice d'une justice qui le répugne, il oublie le monstre, commence à voir l'homme. Une mort sordide éveille trop les consciences pour qu'il soit possible de rester spectateur et passif. Alors, à défaut, on s'insurge. Demain, on parlera partout de ces exécutions odieuses que la Cour orchestre, on jugera de n'y jamais remettre les pieds, d'y avoir assisté pour mieux contester, ou par hasard".
Je n'arrive pas à comprendre le plaisir pervers qu'un écrivain à de se vautrer avec délectation dans la peinture de ce qu'il y a de plus putride, souvent à l'aide de mots rares et précieux, et je comprend encore moins le lecteur qui peut prendre du plaisir à déchiffrer cela.
Ce qui est gênant avec ce livre, surtout pour un premier roman, c'est que l'on ne sent aucune nécessité pour l'auteur à l'écrire, tout le contraire du"sel" qui semblait sortir des tripes de Del Amo et qui avait toutes les qualités d'un premier roman sans en avoir les défauts majeurs. Je pense que le livre a obtenu le prix Goncourt du premier roman parce que fait rarissime aujourd'hui, il n'a rien à voir, du moins au premier degré avec l'auto fiction. 
Il vaut donc mieux se précipiter sur "Le sel" et laisser à quelqu'un d'autre vous éduquer au libertinage. 


P.S. J'ai ce livre en édition de poche Folio. L'éditeur a choisi comme illustration un portrait d'un jeune homme, signé Girodet (1767-1824), typique du début du XiX ème siècle ou à la rigueur de la toute fin du XVIII ème mais en aucun cas contemporain de Louis XV; il n'a pas de perruque alors que cet artifice à une importance non négligeable dans le roman. Ce choix est un contre sens absolu!

COMMENTAIRES lors de la première édition de ce billet

N'avez-vous pas saisi le subterfuge ? Jean-Baptiste del Amo écrit non dans le style du XVIIIe siècle, policé, équilibré ou libertin, mais dans celui, outré, baroque, énorme du post-naturalisme décadent de la fin du XIXe siècle, post-zolesque, dirions-nous, qui, avec jean Lorrain, Joris Karl-Huysmans ou Léon Bloy, se complaisait dans le roman de la pourriture. C'est en cela que del Amo est génial, parce qu'il a retrouvé les secrets d'une manière d'écrire perdue, à l'aune des affadissements grammaticaux et lexicaux contemporains. Je reconnais certes, des erreurs historiques, dans l'histoire des perceptions et des mentalités, mais cela n'est pour moi que véniel ,que secondaire. Si vous aimez à être choqué par le style décadent, rendez visite à mon blog Bazarnaum à Agartha city, où je rentre les oeuvres d'une poétesse saphique et décadente, prémonition de Renée Vivien, Aurore-Marie de Saint-Aubain (1863-1894), dont le roman "Le Trottin", qui fit scandale en 1890 pour son érotisme saphique revendiqué porté sur les pré-adolescentes, vous est proposé. Merci.
COMMENTAIRE N°1 POSTÉ PAR CHRISTIAN.JANNONE IL Y A 5 JOURS À 13H07

Je dois dire qu'en effet je n'ai absolument pas saisi le subterfuge pourtant il n'y a pas longtemps et très peu de temps avant d'avoir lu Del Amo je m'étais plongé dans Huysmans et il y a quelques années je me suis un peu penché sur l'oeuvre de Lorrain et je dois dire que je ne vois pas bien (sauf les penchants homosexuels ) avec Del Amo dont je préfère Le sel (son texte sur Guibert est également intéressant) et dont j'attend avec impatience le prochain opus. Je ne manquerai pas de visiter votre site, je connais assez mal renée Vivien. 

RÉPONSE DE LESDIAGONALESDUTEMPS IL Y A 5 JOURS À 13H36
30 juin 2020

REPLAY DE KEN GRIMWOOD

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Replay est un roman que j'ai connu d'une curieuse façon. Je musardais dans la librairie du Virgin des Champs Elysées lorsque qu'un curieux livre d'un format carré, posé sue un petit chevalet atira ma curiosité. L'ouvrage était « maison » et s'intitulait, si je me souviens bien « livre culte » en le feuilletant, au milieu d'une palanquée de classique, je tombe sur un titre qui ne m'évoque rien et dont l'auteur m'est totalement inconnu, « Replay » et dont le nom de l'auteur ne m'en dit pas davantage, un certain Ken Grimwood. Je suis persuadé que ce malheureux début de billet aura fait déjà hurler une proportion non négligeable du peu de lecteurs (la plupart je pense se contentent de regarder les images, c'est déjà ça!) qui fréquentent mon site, ne voulant pas en lire plus d'un monsieur qui se pique d'écrire tout en méconnaissant le grand Grimwood. Or donc le résumé dans cette nomenclature de livres cultes m'allèche et me voilà à la recherche du titre. C'est l'avantage, de moins en moins perceptible d'ailleurs, de ces grandes surfaces que d'offrir aux chalands un vaste choix. Cette fois je ne suis pas déçu et je repars avec le dit livre culte qu'est « Replay ».

Il a étéPublié aux Etats-Unis en 1986 puis en France en 1988.

Son format de poche, il est édité au Points Seuil me le fait glisser dans ma gibecière pour une courte escapade danoise.

Replay nous raconte l'histoire d'un américain moyen, journaliste à la radio, qui meurt brutalement, en 1988 d'une crise cardiaque alors qu'il n'est âgé que de quarante trois ans. L'extraordinaire c'est qu'il se réveille aussitôt après cette désagréable surprise, vingt cinq ans plus tôt dans sa chambre d'étudiant dans le campus de l'université qu'il avait jadis fréquenté et qu'il va devoir revivre une nouvelle fois sa vie mais en n'ayant rien oublié de ses souvenirs de sa première vie. Contrairement à certains voyages dans le temps où le passé ne peut se réécrire, Jeff vit à chaque replay une vie différente car il modifie ses choix en tenant compte du cumul d’expérience des vies précédentes. Connaissant ce qui va se passer il n'a pas de mal par exemple à gagner différents paris sue les courses de chevaux, le super bowl ou les élections présidentielles et ainsi se faire une fortune à une vitesse record mais dans cette nouvelle vie notre magnat devra lâcher la rampe à la même date que dans sa première vie. L'expérience se répètera plusieurs fois. Il m'est difficile de parler du livre sans en éventer le contenu... mais il démontrera d'une façon éclatante à celles et ceux que l'idée de rejouer sa vie ferait fantasmer que rien n'est simple... Bientôt il rencontre une femme qui vit la même expérience. Ils vont se retrouver de replay en replay (état de revivre pour une énième fois une partie de sa vie, d'où le titre)... Tous les cas de figure d'un homme vivant pour l'éternité (?) la même période d'une vie et de l'Histoire vont être envisagé par l'auteur, du repli sur son existence individuel jusqu'au désir de changer l'histoire. C'est le « replay » a ambition uchronique qui est le moins convaincant. Grimwood est meilleur lorsqu'il reste dans le quotidien de ses personnages. Il aurait ainsi pu plus nous émouvoir comme l'a réussi Alan Brennert dans « L'échange » (éditions Folio S.F.) avec une histoire qui n'est pas sans rapport avec celle-ci. Un des bonheur du livre est qu'il nous plonge dans les années 60 à 80 de par le quotidien des personnages et de les moeurs dont l'évolution est bien montrée.

Plus l'on avance dans le roman moins les replay que vit le héros sont détaillés et moins le lecteur se sent concerné par les retour à la vie de Jeff. Comme dans presque tous les romans qui sont basés sur une idée ingénieuse, sa conclusion est décevante d'autant qu'on essaye constamment de comprendre le pourquoi, qu'est-ce qui fait qu'ils recommencent ainsi leurs vies, de découvrir le mystère. Elle rappelle un peu celle de la série Lost très influencée par le new-age américain. L'épilogue est tout de même astucieux. Que l'on ne se méprenne pas « Replay » n'est jamais ennuyeux et l'on a toujours envie de savoir ce que va nous dire la page suivante. « Replay » est un parfait roman pour la plage, mais de là à en faire un roman culte...

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30 juin 2020

Montherlant le 18 juin 1927 dans Les Nouvelles littéraires

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On voit comme il faut se méfier des déclarations des écrivains et en particulier de celles d'Henry de Montherlant puisque en 1927, il déclarait publier que d'une façon posthume! En fait il ne cessera de faire paraitre des ouvrage qu'à sa mort en 1972!

Quant à Etienne Burdet (1873-1960) chez qui Montherlant réside momentanément à Tunis Il est le fils de Jean Baptiste Isidore Cyrille, instituteur et de Clémence Eugénie Munier.En 1890, il enlève le premier prix d'histoire au Concours général1.En 1903, il entre à l’Institut Pasteur de Paris, en tant que préparateur et gravit les échelons. Il s'engage dans le conflit de la Première Guerre mondiale, et en 1915, il est affecté au laboratoire bactériologique de la 4e armée2. Il officie à Corfou et Salonique ou sévissent des épidémies de dysenterie, choléra et paludisme.Il épouse Milda Lydie Yostine en avril 19183; François Simiand et Jacques Duclaux sont témoins majeurs de ce mariage.Il part en Tunisie dès 1919, pour l'Institut Pasteur de Tunis, où il est promu sous-directeur. À Tunis, il devient le directeur-adjoint en 1926.Il retourne en Europe, à Genève, où il est nommé secrétaire de commissions à l'Organisation d'hygiène de la Société des Nations (entre 1928 et 1936).

28 juin 2020

LA TRILOGIE BERLINOISE DE PHILIP KERR

 

 

Il y a des années que je me promettais de lire ces livres et plus d'un an que j'avais acheté leur compilation parue aux éditions du Livre de Poche lorsque enfin j'ai décidé d'aborder ce pavé. J'ai découvert Kerr, en 2007, par son roman d'espionnage ayant pour cadre la deuxième guerre mondiale, « La paix des dupes », paru comme ses autres ouvrages aux éditions du Masque.

Comme l'indique son titre la trilogie berlinoise est composée de trois romans se déroulant à Berlin, même si c'est surtout Vienne que nous fait visiter le troisième opus, le premier, « L'été de cristal » se passe durant les Jeux Olympiques de 1936, le second, « La pâle figure » à pour toile de fond la crise des sudètes en 1938, alors que le troisième <<Un requiem allemand >> se déroule en 1947 dans l'Allemagne en ruine de la défaite.

Les trois romans sont écrits à la première personne. Leur je est Bernie Gunther un ex inspecteur de la police berlinoise qui a démissionné de celle-ci peu après la prise de pouvoir des nazis qu'il exècre tout en ne faisant pas de politique; le souci de notre homme étant principalement de survivre dans cette Allemagne nazie, confortablement si possible, en faisant fructifier son officine de détective privé qu'il a montée après son départ de la police.

Le plus grand intérêt de ces romans réside dans leur décor. Surtout en ce qui me concerne n'ayant quasiment jamais lu de livres ayant pour cadre l'Allemagne nazi et encore moins écrit de l'intérieur et contemporain de ce régime. Contemporanéité à laquelle Philip Kerr nous ferait presque croire s'il ne détaillait pas trop ostensiblement les parcours que prend son héros. Il est certain qu'il a du écrire ces livres avec un grand plan du Berlin de l'époque fixé au mur de son bureau. On a d'autant plus l'impression de lire des livres écrits dans les années trente-quarante que son héros, Bernie Gunther est assez daté essentiellement dans le premier roman où il est une copie, en version teutonne, de Philip Chandler. Comme l'américain, il abuse de blagues lourdingues et de considérations salaces, assez homophobe dans le deuxième volet de ses aventures, ce qui devient vite assez pénible, surtout dans « L'été de cristal », cela s'arrange dans les deux suivantes. Le troisième épisode fait beaucoup penser au « Troisième homme » de Graham Greene, habilement Kerr dans les dernières pages d' « Un requiem allemand » fait un clin d'oeil au chef d'oeuvre de Graham Greene sans le nommer. L'auteur s'avère dans cette trilogie à la fois modeste et brillant. Modeste parce qu'il a su au cour de ces trois romans faire évoluer son héros passant d'un simple décalque de Marlowe à un être complexe et attachant en en rien monolithique. Brillant car il a compris qu'un décor aussi intéressant soit il, la documentation sur laquelle s'appuie Kerr est sans faille, est nécessaire mais pas suffisante pour faire qu'un roman accroche son lecteur. Si l'intrigue du premier roman n'est guère qu'un prétexte pour nous brosser avec vigueur le quotidien dans l'Allemagne nazie lors des Jeux Olympiques de 1936, le dernier opus, « Un requiem allemand>> est un roman d'espionnage remarquable pas inférieur aux meilleurs de John Le Carré.

Ce qui est passionnant encore plus que les intrigues même si celle de « La pâle figure » est épatante et surtout celle de d' « Un requiem allemand » qui est d'une complexité vertigineuse, c'est la manière qu'a Philip Kerr de faire revivre l'Allemagne de ces époque dans leur quotidien effroyable. Cette banalité de l'horreur des jours que les faits historiques ont occultées. Kerr met bien en avant des évidences que l'on a trop oublié, comme par exemple le fait que le régime hitlérien fut l'occasion à une médiocre plèbe d'accéder à un pouvoir à laquelle elle n'aurait jamais eu accès sans lui. Il montre bien la brutalité et surtout la bêtise de « l'élite » nazie et la veulerie de presque tout un peuple aveuglé par un souci de l'immédiateté qui me semble bien rappeler celui de notre époque. Il met également le doigt sur quelque chose que l'on dit rarement, la corruption de la plupart des dirigeants nazis qui sous couvert d'idéologie étaient souvent surtout soucieux, pour beaucoup d'entre eux, de s'enrichir. Le fond historique de ces trois romans est remarquablement documenté. « Un requiem allemand » rappelle tout d'abord que les crimes de l'armée rouge durant la dernière guerre et surtout bien au delà, sont en rien inférieur à ceux des nazis. Il nous fait nous souvenir (pour beaucoup ils l'apprendront) de la collusion des américains et à moindre niveau des soviétiques avec certains anciens nazis qui se sont trouvés blanchis de leurs anciens crimes parce qu'ils pouvaient servir à l'une ou l'autre des deux supers puissances. Plus anecdotique Kerr montre combien les allemands avaient du mal à considérer l'occupation après 1945 d'une partie de leur territoire par les français comme légitime, les allemands ne les rangeant pas dans le camp des vainqueurs.

27 juin 2020

TROIS COUPES DE CHAMPAGNE D’YVES POURCHER


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J’aime les romans situés dans l’histoire plus que les romans historiques. Je vais en particulier plus volontairement vers ceux qui se déroulent durant mes deux périodes de prédilection, l’antiquité romaine et la seconde guerre mondiale et dans cette dernière catégorie surtout vers ceux qui prennent pour décor la France occupée. Ces romans ne sont pas légion et n’encombrent guère les rayons de mes bibliothèques. Je fus en leur temps assez satisfait du “1941” de Marc Lambron (éditions Grasset) ou de “L’honneur d’un homme” d’Allan Massie (éditions Rivage).
Trois coupes de champagne qui est le portrait en creux d’un jeune homme pressé qui sera rattrapé par le temps, ne démérite pas à leurs cotés. Son auteur, Yves Pourcher est professeur à l'université de Toulouse-Le Mirail. Il a déjà publié trois essais dont 'Les Maîtres de granit' en 1987 (réédité chez Plon en 1995) et 'Les Jours de guerre' en 1994 ainsi que de deux romans, " Le rêveur d'étoiles " et " Avenue de Carthage”.
“Trois coupes de champagne” s’ouvre sur la grisaille du quotidien d’un adolescent, né dans la bourgeoisie de province au début du XX ème siècle. Cette jeunesse à qui la plupart des auteurs, pour ne pas dire tous, y aurait consacré de longs chapitres ou même un volume, Yves Pourcher la règle en une demie page. Le lecteur a immédiatement compris à quelle allure il va dévaler les années. La montée du héros à Paris donne l’occasion à l’auteur de l’évoquer par une formule lapidaire dont il a le secret: << Pour plaire autour de moi je me mis à danser. Je le fis si bien  qu’un soir de 1923 j’arrivais à Paris>>.
Notre virvolteur sur parquet continue à force de valses à fasciner les femmes et l’argent tombe sur lui sans qu’il fasse le moindre effort comme pluie à la mousson. Autrement dit, il est gigolpince comme l’aurait écrit le regretté Alphonse Boudard. Il faut dire qu’il n’est pas vilain ce qui aide beaucoup dans la profession: << Elles aimaient mes mains fortes, mes hanches étroites, mes cuisses puissantes et sures. J’avais reçu tout ça sans travailler, sans forcer. Cette gratuité, ce don d’une nature qui  reconnaissait les efforts des générations antérieurs, les rassurait.>>. On le voit le roman est plus dans la litote pressée que dans le naturalisme descriptif. La litote est une figure de style qu’Yves Pourcher affectionne particulièrement. D’ailleurs “Trois coupes de champagne” ne serait il pas une litote de 235 pages... La concision est également son maître mot. L’auteur a le chic , en une phrase, pour nous révéler la couleur de l’époque, << En 1927 j’étais déjà bien lancé. Cet hiver là, la princesse Jane di San Faustino vint à Paris, Très déçu de ne pas voir de nègres...>> (voilà un déception qui ne nous guette plus guère).
Les années folles s’éloignent, mais il ne s’en est pas aperçu. Il vieillit son prénom change selon les femmes qu’il accompagne; nous ne connaîtrons jamais ni son patronyme ni son prénom de baptême.
Les années trente sont pour notre jeune homme qu’une fête, continue,  <<... notre chère lady Mendl a un manchon en plumes de lolofar, ce tout petit oiseau mexicain. Quand elle le porta la première fois, à dîner, la conversation et le service s’arrêtèrent...>>.
En toute logique dans cet univers de papier où tout parait un peu trop facile pour son héros, notre “sauteur” mondain est engagé par Vogue pour chroniquer les soirées parisiennes Nous sommes en 1934 et à la page 43 et le plaisir de lecture à été présent à chaque page.
Le plaisir principal que j’ai trouvé à “Trois coupes de champagne” a été de voir revivre tout un monde aussi englouti que celui des Guermante. L’auteur ressuscite un univers, avec d’autres armes que celles de Proust, avec néanmoins là aussi le temps au centre de tout, dans un style sec.
Le roman est un fabuleux carnet de bal. Le plus stupéfiant est que l’auteur semble y  avoir brûlé tous ses vaisseaux (j’espère qu’il me démentira sans tarder). De chaque figure que l’on y croise aurait pu naître un autre livre. Il est rare de voir un roman, gros de toute une bibliothèque. Il est vrai que l’époque ne manquait pas de créatures fantasques et hautes en couleurs. Le roman nous en fait rencontrer beaucoup, comme par exemple Daisy Fellowes. Pour dresser son portrait je laisse la parole à  Jean-Noël Liaut qui dans son essai  “Les anges du bizarre, Un siècle d'excentricité” paru aux éditions Grasset ( dont il faudra bien que je vous parle un jour...), a su également, comme Pourcher, l’évoquer avec talent, << La seule vocation de l'honorable Daisy Fellowes fut d’être arbitre des élégances et romancière très mineure - pour ne pas dire plus -, fut de devenir inoubliable. Elle consacra à cette tâche chaque seconde de son existence, et ce jusqu'à sa disparition en 1962. Petite-fille d'Isaac Singer, l'inventeur de la machine à coudre, elle ne gardait aucun souvenir de sa mère, qui s'était suicidée alors qu'elle avait quatre ans. Son premier mariage, avec Jean Amédée Marie Anatole, Prince de Broglie  eut une curieuse fin quand elle découvrit son mari au lit avec le chauffeur de la maison. Le prince qui avait des bontés pour le personnel mâle eut la bonne idée de mourir de la grippe en 1918... Imprévisible et élitiste, autant que séduisante et fortunée, Daisy, qui s'autorisa très vite à distiller son sadisme naturel avec jubilation, n'aimait rien tant que tendre des embuscades. On parle encore de l'un de ses dîners - donné en pleine canicule dans une pièce surchauffée et hermétiquement close - où elle n'avait rassemblé que des convives se haïssant : une épouse et la maîtresse en titre de son mari, un couple de divorcés ou encore un écrivain et un critique littéraire ayant assassiné son dernier ouvrage. Logique venant d'une femme qui trouvait seyante la couleur mauve des hématomes et offrait de la cocaïne en guise d'aspirine à ses femmes de chambre migraineuses.>>.
Plus problématique est le personnage de Jean Fontenoy, écrivain et journaliste qui ne semble pas avoir laissé des œuvres inoubliables (je n’ai rien lu de ce monsieur, mais je ne suis pas une référence, un de nos passants pourra peut être nous en dire plus sur les écrits de cet aventurier...). Il est mort sous l’uniforme de la division Charlemagne en se battant avec les derniers défenseurs de Berlin en ruine. Yves Pourcher lui consacre un chapitre fort enlevé qu’il a intitulé “Rouletabille poète... Nous apprenant ainsi qu’il y avait au moins un poète parmi les derniers nazis défendant les décombres de la capitale du troisième reich. On peut comme moi n’être pas un laudateur du politiquement correct et un peu “tiquer” sur ce chapitre...
Il y a bien d’autres figures auxquelles on se frotte dans ces pages, outre les personnages par ailleurs cités, en voici une petite liste non exhaustive: Pierre David-Weill et madame, Roland de l’Espée, Jean Cocteau, Jean-Michel Frank, Nathalie Paley, Lucien Lelong, Marie-Laure de Noaille, Jean-Louis de Faucigny-Lucinge, Cecil Beaton, Denise Bourdet, Misia Sert, Cora Madou, Serge Lifar, Michel de Brunhoff, Edith de Beaumont... C’est un peu le carnet de bal de Charles de Beistegui... Pourcher fait revivre tout un monde disparu et oublié qui s’étourdissait de cocktails en soirées de nuits blanches en défilées de mode, de concours d’élégance en bals masqués. Une coterie parce qu’elle se retrouvait dans les pages glacées des magazines dans lesquelles pour la première fois la photo suplantait le texte, le livre donne des couleurs aux clichés de “L’illustration” et de “Vue”, croyait faire l'Histoire, sans voir qu’au delà des frontières s’ourdissait sa perte. 
Mais bientôt le roman bifurque. Alors que jusque là, il n’était question que de fêtes et des beaux atours des dames, en particulier ceux signés Schiaparelli, “Lui”, comme l’appelle Lili de Rothschild, par l’intermédiaire du mannequin vedette de cette grande maison de couture, va fréquenter un homme politique de premier plan,  Gaston B. Presque le seul personnage fictif, avec le héros, du roman (mais après tout peut être que “Lui” aussi a existé.).
Il me semble qu’avec ce personnage le romancier a fait deux erreurs; la première est de faire obliquer son récit, qui était avant cette intrusion une délicieuse chronique post proustienne du grand et du demi-monde parisien, écrite d’une plume trempée dans l’encrier de Paul Morand, vers les marécages de la politique; la seconde, plus grave, est que ce changement de direction soit causé par un personnage peu crédible tout du moins en regard de ce que nous connaissons de l’histoire de France. En outre, Gaston B. ne changeant pas le cours de l’histoire, il ne peut donc pas s’agir d’une uchronie.
Si l’on cherche des équivalents à Gaston B dans la politique française de l’époque, on n’en trouve pas. Ce que pour ma part, rétrospectivement, je regrette. L’histoire de notre pays en aurait été bouleversée et la face du monde peut être changée... Dans ce Gaston B., il y a de l’Eugène Deloncle (le chef de la cagoule), du Léon Degrelle, et même aussi un peu de Paul Marion et de Marceau Pivert me semble-t-il.
Lorsque nous sommes en 1938, Gaston B se réclame ouvertement du fascisme et semble être le chef de ce courant en France, un peu à la manière de ce que fut un Oswald Mosley en Angleterre. Dans l’histoire réelle ni Doriot et encore moins Marcel Buccard (dit la grande Marcelle) ont eu cette aura. Très bon connaisseur de cette époque, Yves Pourcher est l’auteur en 2002 d’un “Pierre Laval vu par sa fille” aux éditions du Cherche-Midi, cette dernière, Josée de Chambrun, joue un rôle important dans le roman (on a parfois le sentiment que le romancier est un peu un ami de la famille). Il sent littérairement le danger pour son livre. Habilement, il fait donc pâlir l’étoile de Gaston B. et l’éloigne du centre des opérations, alors qu’il en avait fait jusqu’alors une sorte de Zelig de la politique européenne. Mais si on laisse de coté le vérisme historique, on semble être transporté dans le “Contrepoint” d’Huxley... Très fin, l’auteur sait aussi nous amener dans l’époque de ses héros en s’amusant à employer des expressions gouailleuses d’alors, aujourd’hui si désuètes que le sens s’en est perdu, comme, c’est roulant, qui veut dire c’est amusant...
Ces dépaysements nous valent tout d’abord un raid jusqu’en Afrique en hydravion, c’est Saint-Exupery chez Porco Rosso; puis Pourcher à l’excellente idée de faire de son Gaston B, que suit notre héros pour s’occuper de la femme de l’homme politique à la demande de ce dernier(!), l’ambassadeur de France à Moscou; et enfin, à partir de 1942 l’auteur à la mansuétude de nommer Gaston B. représentant de Vichy chez les turcs. L’excellence est toujours suivi comme son ombre par “Lui”, son factotum préféré. Ce poste périphérique évitera vraisemblablement à nos héros quelques avanies à la libérations  (nous sommes dans cette partie du livre, un peu chez Eric Ambler). “Trois coupes de champagne” se termine en 1951 peu après le fameux bal vénitien de Charles de Beistegui. Je ne vous en dirais pas plus en ce qui concerne l’intrigue pour ne pas déflorer ce pétillant roman, sachez seulement que même les gigolos anonymes ont un cœur...
C’est un tour de force de faire aussi bien apparaitre une société à travers les yeux d’un homme sans qualité, et cela en est un autre de nous faire sentir l'allégresse et les illusions de sa jeunesse.  
Yves Pourcher c’est un peu Sagan chez Schiaparelli et Paul Morand chez Otto Abetz et ce n’est pas rien...

Trois coupes de champagne, Yves Pourcher, éditions Grasset, 2009
 
 

Commentaires

B comme BERGERY

Gaston Bergery ambassadeur de France à Moscou jusqu'en 1941 puis à Ankara. Antifasciste avant guerre non conformiste, fondateur de 3 la Flèche" puis porte plume du Maréchal. Un personnage intéressant et ambigu tout comme son épouse Bettina...
Posté par FREDERIC, 15 novembre 2009 à 19:19

réponse à Frederic

Honte à moi, en effet à cause de mon ramollissement cérébral avancé je n'avais pas pensé à ce coco là. Vous avez entièrement raison. Savez vous si Bergery a trempé dans la cagoule dans un rôle de tout premier plan comme le suggère le roman. Néanmoins cela ne change pas ma critique du livre car Bergery (je me suis un peu renseigné) n'est pas le seul modèle du livre (ce qui expliquerait que l'auteur n'est pas utiliser son nom en entier) car le Gaston B. de Pourcher n'est pas du tout antifasciste avant la guerre. Et les mots de non conformisme m'a fait songer à Bertrand de Jouvenel dont l'itinéraire me semble assez proche du Gaston B. du roman. Bertrand de Jouvenel finira sa vie avec des idées écologistes avant la lettre.
Peut être aurons nous la chance d'avoir des lumières par l'auteur s'il s'égare sur ce site, son livre outre un grand plaisir de lecture soulève beaucoup de questions tant politiques que stylistiques.
Un grand merci pour votre commentaire qui corrige mon ignorance.

Posté par B A, 16 novembre 2009 à 08:09

Retour sur “Trois coupes de champagne”, vu du coté de Gaston Bergery

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Gaston Bergery à Vichy en 1940.


Après que Frédéric , un visiteur aussi attentif que féru en histoire m’ ait signalé que le Gaston B. du roman d’Yves Pourcher n’était pas un personnage fictif mais un individu bien réel du nom de Gaston Bergery (1892-1974), je me suis plongé dans ma bibliothèque et aussi arpenté la toile, (ce qui m’a confirmé que ma mémoire était de plus en plus défaillante...) pour voir de quoi, ou plutôt de qui il retournait. Et voici ce que j’y ai découvert:
Volontaire, à la déclaration de guerre, il est blessé en 1915, puis affecté en tant qu’interprète à la mission militaire française auprès de l’armée britannique. Après la guerre il termine  ses études de droit, et commence sa vie politique comme Secrétaire général adjoint de la Commission des réparations (1918-1924), il est ensuite directeur du cabinet d'Édouard Herriot au ministère des Affaires étrangères (1924-1925) puis député-maire (radical) de Mantes de 1928 jusqu’en février 1934 sous l’étiquette Républicain radical et radical-socialiste.
il entre en conflit rapidement avec Édouard Herriot, alors président du Parti Radical, et commence à dénoncer, à la tribune du Palais-Bourbon, le développement du fascisme et se préoccupe de l'évolution de la politique extérieure de la France. Persuadé que l'attitude du gouvernement entretient et favorise le nationalisme allemand, il se prononce contre l'occupation de la Ruhr, pour la révision du traité de Versailles et pour l'abandon des réparations. Il est dans la mouvance de ceux que l’on appelle au Parti Radical les “jeunes turcs” dans laquelle se trouve Pierre Mendes-France, Jacques Kayser, Pierre Cot, Jean Zay...
En 1932, il est réélu député et sa participation à la conférence d'Amsterdam l'amène à adhérer, la même année, au mouvement d'Amsterdam-Pleyel, rassemblement pacifiste mondial, créé à l'initiative de Romain Rolland et de Henri Barbusse. Cela a-t-il un rapport avec le fait que cette même année René Crevel lui dédicace son livre, paru aux édition Surréaliste, “La clavecin de Diderot?
Dés 1933, un journaliste assez visionnaire, Dorsay, dans l’hebdomadaire “Je suis partout” mentionnait le nom de Gaston Bergery, aux cotés de ceux de Laval, Tardieu et Marquet, comme candidat au pouvoir suprême, dans un article intitulé, “Course à la dictature”! Dans ces années là Bergery est socialiste et dirige un hebdomadaire “La Flèche” dans lequel, il écrit régulièrement des articles dénonçant, << Les maîtres du pouvoir financier qui, quel que soient les changements politiques sont demeurés immuable, incarnant la domination constante du capital.>> (citation extraite de “La synarchie” d’Olivier Dard, page 114, aux éditions Perrin).
En 1934, Gaston Bergery appartient au Comité de défense antifasciste au coté de Thorez, Marty, Vaillant-Couturier, Marceau Pivert, Raymond Guyot... Dans ce début des années trente Gaston Bergery faisait aussi parti de ce que l’on appelait les “planistes” qui étaient les partisans d’une planification forte de l’action de l’état, à l’instar de ce qui était annoncé en Union soviétique. Ils venaient néanmoins de tous les horizons politiques, de l’Action-Française aux Trotskistes en par des indépendants comme Alfred Fabre-Luce ou des hommes de droite tel Henri de Kerillis, << La fortune des mots exprime toujours la fortune des idées. La fortune du mot plan dans le monde, c’est l’expression de la nécessité de remplacer le vieil équilibre naturel par une organisation préméditée.>> (Gaston Bergery, 1932 à la tribune de la chambre des députés).
Il est réélu député de son ancienne circonscription de Seine et oise en 1936, cette fois sous l’étiquette du Parti frontiste (parmi les frontistes, pour en revenir à la littérature on peut citer Louis-Emile Galey futur haut responsable sous Vichy du cinéma et père de Matthieu Galey). Député du Front populaire (j’ai lu jadis, sous la plume de mon cher François Brigneau, je vais encore me faire des amis, que Bergery aurait été l’inventeur du terme Front Populaire, à vérifier), il défendit les accords de Munich par pacifisme.
Ayant rompu avec le Front populaire, en 1937, on retrouve Bergery dirigeant avec Izard , le “Front Social” qui essaye de débaucher des membres du parti du colonel de La Rocque dont Bergery se rapprochera durant la drôle de guerre.
A cette époque, il est considéré comme un des hommes les plus intelligents du parlement.
Le 6 juillet 1940 , il appelle le parlement à voter une motion qu’il a rédigé et qui est très inspiré par Pierre Laval qui réclame <<... un ordre nouveau national et social, une France intégrée à la nouvelle Europe, un dosage de collaboration avec les puissance latine et l’Allemagne pour un nouvel ordre continental...>> (cité par Jacques Nobecourt dans “Le colonel de La Rocque, éditions Fayard).
Le 10 juillet 1940, il vote les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Il rédige aussi, avec Emmanuel Berl “l’appel aux travailleurs du maréchal Pétain. Il lance le slogan << La France doit dominer sa défaite comme l’Allemagne doit dominer sa victoire.>>.
Il est ambassadeur du régime de Vichy à Moscou en 1941, puis à Ankara entre 1942 et 1944. Il rentre de Turquie en octobre 1945 et est arrété à sa descente d’avion. Il est remis en liberté le 15 avril 1946.
Il est traduit devant la justice en 1949, pour faits de collaboration. Il est acquitté. En 1951, il participe à la fondation de l'Association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain.
Sans mésestimer ma bévue ni mon ignorance, j’admet volontiers que Gaston Bergery a été le modèle principal pour le Gaston B. de “Trois coupes de champagne”, néanmoins on voit bien que le parcours de Gaston Bergery, que j’ai rapidement esquissé, ne correspond pas exactement à celui du Gaston B. du roman. C’est sans doute pour cela que l’auteur n’a utilisé que l’initial du nom de l’homme politique, se laissant ainsi la liberté de composer la vie de son personnage avec plusieurs autres personnes réelles. Il est d’ailleurs amusant, de relire “Trois coupes de champagne” en comparant l’itinéraire fictif de Gaston B. avec celui réel de Bergery.
Une question reste pendante comment ce fait-il que Gaston Bergery, avec un tel parcours n’ait été jugé qu’en 1949 et été acquitté (ceci dit tant mieux pour lui), alors que pour beaucoup moins que cela bien d’autres ont écopé au minimum de plusieurs années d’indignité nationale! Il en aurait été sans doute tout autrement s’il avait eu la malancontreuse idée d’accepter le commissariat aux affaires juives que lui proposait le maréchal Pétain en remplacement de Xavier Vallat que les allemands voulaient écarter au bénéfice de Darquier de Pellepoix, ce qui enthousiasmait peu Pétain qui devra cependant s’y résoudre (tout cela d’après les déclarations d’Angelo Tasca). Gaston Bergery avait considéré le commissariat aux questions juives comme un poste très en dessous de ses compétences! Ce qui est amusant c’est que l’ acquittement dans le roman de Gaston B. m’avait paru tout à fait incrédible, comme quoi parfois le réel nuit à la vraisemblance...
A propos du procès de Gaston Bergery il faut lire le très amusant compte rendu qu’en fait Jean Galtier-Boissière page 997 et suivantes de son “Journal 1940-1950” paru en 1992 (Quai Voltaire éditeur), << Dans le box Gaston, éblouissant, parfait en tous genres d’éloquence. Mais quelle superbe! Les juges n’aiment pas voir afficher une telle supériorité intellectuelle...>>. Malgrè la sympathie qu’il éprouve pour le prévenu et la certitude de son innocence, Galtier Boissière est surpris que Bergery ne soit pas déféré devant la Haute-cours...
 

Commentaires lors de la première édition du billet

Sombres années...

J'ai pu rencontrer quand j'étais étudiant nombre de "maudits" ou "indignes", tous m'ont confirmé que la "collaboration" de gauche souvent socialiste, syndicaliste, laïque ou franc- maçonne fut nettement moins épurée que d'autres. Sur ce sujet l' histoire de la collaboration de Dominique Venner m'apparait comme la plus "détachée" et la moins partisane.Il est une autre"collaboration" dont il faudrait parler, celle de nombre d'homosexuels. Patrick Buisson évoque cette question très taboue dans 1940-1945 Années érotiques (!) .Pour revenir à Bergery, les dédicaces de ses livres faits par Galtier étaient toujours très affectueux.
Posté par frederic, 16 novembre 2009 à 19:40

nouvelle réponse à frederic

Très judicieux commentaire sur la différence de traitement entre les collaborateurs issus de la gauche et ceux de la droite. Jai pour ma part bien connu Lucien Rebatet et Benoist-Méchin.
1940-1945, Année érotique est une de mes lectures du moment, un billet sur ces livres (il y a deux tomes) devrait suivre dans un proche avenir.

Posté par B Al, 16 novembre 2009 à 21:02

nouvelle réponse à Bernard

Vu Rebatet une fois au Lutetia peu avant sa mort. Conversé plus longtemps et à plusieurs reprises avec Benoist-Méchin. Il y aurait beaucoup à dire sur ces 2 personnages très différents mais amis. Les trois biographies du premier laissent le lecteur sur sa faim.Je pense aux Dialogue de "vaincus" avec Cousteau et à une étude de GF ou GFM.Les études rebatiennes nous en apprendront peut-être plus. Quant à Benoist-Méchin j'attends toujours sa biographie. Il se découvre un peu dans A l'épreuve du temps...mais demeure énigmatique.
 
Aviez consacré lors de sa sortie un article sur Les bienveillantes ?

Posté par frederic, 17 novembre 2009 à 19:11

nouvelle réponse (2) à Frederic

Ayant connu à la fois Rebatet et Benoist-Méchin en effet les deux personnages étaient complètement dissemblables. Autant Rebatet était extraverti avec un coté un peu canaille, un peu onctueux autant Benoist-Méchin était réservé, secret, aristocratique. Autre grande différence Benoist-Méchin semblait, tout compte fait, très satisfait de sa vie, ce qui ne paraissait pas être le cas de Rebatet. Il faut dire que le premier avait retrouvé dans la France et surtout dans le monde arabe des années 60-70 un rôle d'éminence grise qui lui plaisait beaucoup. Autre différence bien sûr leur sexualité; mais aussi curieux que cela puisse paraître vis à vis de moi (et pas seulement ) on aurait pu croire que celui qui était l' homosexuel des deux était Rebatet.
La seule biographie de ce dernier que je connaisse est celle de Robert Belot parue au Seuil en 1994. Pouvez vous me dire quelles sont les autres et leurs coordonnées éditoriales. Que voulez vous dire par études rebatienne? (comme vous le voyez je ne suis pas au fait des actualités "rivaroliennes"...). Je savais que Michel Marmin avait le projet de faire paraitre les critiques de cinéma de Rebatet (signées Vineuil) mais je ne sais pas s'il y a eu une suite à cette intention; pourtant cela aurait été très intéressant. Dans l'essai de Belot, ce dernier suggère, plus ou moins, que Rebatet était un homosexuel refoulé (voir aussi le début des "Deux étendards"), je suis assez d'accord avec lui (et puis sa femme en effet pouvait lui donner des regrets de ne pas avoir pris ce chemin là...). Un point commun entre ces deux hommes leur immense culture et leur mémoire prodigieuse. A sa mort Rebatet avait le projet, ou avait il commencé, je ne m'en souviens plus, d'écrire une histoire de la peinture comme il avait écrit une histoire de la musique. Il aimait beaucoup faire le petit numéro suivant: fermer les yeux et vous décrire avec une exactitude confondante un tableau. Je crois qu'il en avait des milliers dans la tête... Au contraire de Benoist-Méchin qui avait pourtant un certain snobisme, Rebatet aimait briller.
Une autre grande différence entre les deux est le courage, Benoist-Méchin était un homme très courageux physiquement et moralement, ce que n'était pas Rebatet. 
En ce qui concerne une biographie de Benoist-Méchin le plus gros problème c'est que cela ne serait pas rentable pour son éditeur. Combien en vendrait-il? Elle serait en outre très difficile a établir en raison du goût du secret du personnage, secret auquel il fut d'autre part tenu par rapport à ses activités, sans parler de la disparition, le temps avançant, de ceux qui l'ont connu...
J'aimerais beaucoup que vous me disiez si vos sentiments, vos impressions sur ces deux hommes pour lesquels j'ai beaucoup d'admiration (sans en approuver toutes leurs actions et prises de positions, très loin de là) corroborent ce que j'en ai écrit trop vite, à l'aube...
Non je n'ai pas consacré d'article sur les "Bienveillantes". Je suis très loin d'écrire sur tout ce que je vois ou lis. J'essaye de privilégier ce que j'aime (certes pas toujours) et ce qui n'est guère commenté ailleurs. Ce qui n'était pas le cas des "Bienveillantes", néanmoins ici ou là j'ai fais des allusions à ce livre que je n'ai eu aucun plaisir à lire. Le plaisir de lecture étant mon premier critère. J'ai tout d'abord trouvé ce livre assez mal écrit et son "héros" parfaitement improbable. Ensuite je n'ai pas supporté la complaisance dans la description des horreurs cela m'a rappelé en beaucoup moins bien "Tombeau pour X soldats de Guyota que j'ai également trouvé éprouvant... Je ne comprend pas le succès des "Bienveillantes".
Pour voir si j'ai consacré un billet à une oeuvre il suffit de cliquer sur la catégorie qui s'y rapporte et de faire défiler les billets qui ne sont que rarement dépendant de l'actualité...

Posté par B At, 18 novembre 2009 à 07:37

nouvelle réponse (2) à Bernard

bio de Pol Vandromme 1968 classiques du XXème sièclae aux Editions universitaires réédité et enrichi chez Pardès qui a aussi publié Qui suis -je ? Rebatet de Pascal Ifri. Le même éditeur vient de sortir les chroniques cinématographiques de LR publiées dans JSP de 1941 à 1944. Les études rebatiennes sont un blog de Gilles de Beaupte assez pauvre mais prometteur. A voir la bibliographie complte par A. de Benoist.Une citation pour finir sur cet écrivain :"Le créateur ayant voulu que l'orifice anal de l'homme soit un siège de sensations, il est absurde de considérer comme anormales les pratiques sosomites, un point c'est tout." et la réponse de Cousteau:"il ne peut y avoir de pratiques normales ou anormales, de moralité ou d'immoralité dans les choses sexuelles"... Homo refoulé je pense la même chose que vous.
Combien de lecteurs pour la bio de Belot? Ne désespèrons pas. Nombre de livres de Benoist-Méchin sont réédités, 6 nouveaux sont parus depuis sa disparition. Un souvenir, à la question : "pensez-vous qu'AH en était ?" (Quelle insolence!)BM répondit :"c'est effectivement jeune homme une question qui peut être posée." Plus tard j'ai été frappé de la description physique et psychologique qu'il fit du chancelier allemand dans le tome 2 d'A l'épreuve du temps, presque la même que celle faite par Serge LIFAR dans Ma vie Julliard 1965, ce dernier paragraphe est définitif.

Posté par frederic, 18 novembre 2009 à 23:47

Benoist-Méchin

Bonjour Monsieur A. Mon mémoire de maîtrise portait sur Vichy et j'ai été amené à évoquer plusieurs fois la figure de Benoist-Méchin, notamment ses visions de l'Europe d'après-guerre. J'ai notamment lu ses mémoires, A l'épreuve du temps et j'ai effectivement noté deux passages amusants dans le premier tome : 1. D'une part, il nous apprend que sa jeunesse était placée sous les auspices de "Ganymède et Endymion" 2. Lors de la débâcle de 1940, il consigne avoir assisté à des unions homosexuelles à grande échelle dans un troupeau d'étalons. 
Apparemment vous avez connu Benoist-Méchin, ainsi qu'un des visiteurs de votre blog. Cela m'intéresserait beaucoup de connaître tout ce que vous savez personnellement de lui à travers vos rencontres et vos conversations. 
Amicalement.

Posté par LL, 23 mars 2010 à 17:39
26 juin 2020

LA SÉPARATION DE CHRISTOPHER PRIEST

 

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Comme pour les thrillers ou les romans à énigme, il est difficile de rendre compte d’une uchronie sans déflorer le récit en tuant le suspense car curieusement on est toujours haletant de savoir comment l’auteur aura réécrit l’histoire. Mais peut être faudrait il que je rappelle dès maintenant ce qu’est une uchronie. Disons c’est ce que l’Histoire aurait pu être, mais ce qu’elle n’a pas été. Si vous vous intéressez à ce genre en pleine prolifération dans les pays anglo-saxons alors que les prémisse du genre sont nés sur notre sol il faut lire (ce n’est pas facile car l’ouvrage est épuisé, merci Daniel maître de l’étoile rose) “L’histoire revisitée, panorama de l’uchronie sous toutes ses formes” d’Eric B. Henriet aux éditions encrage. Une bible qu’il faut lire et relire mais qui malheureusement date déjà de 1999 et qui aurait bien besoin d’être réactualisé. Monsieur Henriet ne nous faites pas trop attendre. L’instant clé et le propre du roman uchronique est le moment où l’Histoire que l’on connaît, dévie et propose au lecteur une nouvelle proposition de celle-ci. Ce moment est appelé point divergent.


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Le livre qui m’amène à vous parler de ce genre qui m’est cher est “La séparation” de Christopher Priest. Dans ce livre que je présente sans doute un peu abusivement comme un roman uchronique, ce qui est déjà un peu vendre la mèche, le choix du point divergent est une entorse au genre. Habituellement, comme le dit fort justement Jacques Boireau: << Le point de départ de l’uchronie est forcement pauvre car elle s’appuie sur un temps connu de l’élève moyen en fin de scolarité primaire.>>. Et bien ici ce n’est pas exactement le cas puisque l’auteur a choisi un épisode marginale et toujours resté mystérieux le voyage de Rudolf Hess le 10 mai 1941 où il s’envole d’Allemagne pour atterrir quelques heures plus tard en Angleterre pour négocier une paix séparée entre l’Allemagne et la Grande Bretagne. La grande idée de Priest est de prendre comme fil rouge de son roman un historien Stuart Gratton, auquel malheureusement il peine à donner de l’épaisseur, qui fait des recherches sur le mystérieux voyage de Hess où il voit le tournant décisif de la deuxième guerre mondiale. Ce procédé permet à Christopher Priest de proposer avec beaucoup de verve plusieurs hypothèse sur les raisons et les résultats de cette inattendue escapades. Rudolf Hess agissait-il sur les ordres d’Hitler ou à son insu? Est-ce un sosie de Hess qui est mort à demi-fou des année plus tard dans sa prison allemande? Son avion a t-il été abattu, ce 11 mai 1941 par la Lutwaffe? Autant de question posées par se roman qui se transforme parfois en essais historique des plus sérieux. Questions auxquels tente de répondre Stuart Gratton qui pense que la clé du mystère sont deux frères jumeaux, Joe et Jack Sawyer qui ont rencontré Hess aux jeux olympiques de Berlin en 1936 où ils furent médaillés en aviron (c’est on ne peux mieux de saison). Cette rencontre marque le début d’une séparation à la fois morale, pratique et historique. Ils s’éloignent inexorablement l’un de l’autre.
Pourn Joe, ce sera le mariage (avec une juive berlinoise ramenée de Berlin avant les déportements) et, peut-être, la vie de famille. Pour l’autre, l’aviation et la vie militaire au sein de la prestigieuse Royal Air Force. Ces deux frères existent très fort sous la plume de Christopher Priest. Nous vivons la guerre à leurs cotés, surtout en compagnie de Jack pilote de bombardier, capitaine de la RAF. Alors le roman devient un palpitant récit de guerre, même si les batailles dans “La séparation sont surtout intérieures, qui m’a ramené des années en arrière, lorsque adolescent je lisais les livres bleus de la collection “Leur aventure” des édition J’ai lu qui me racontaient la saga des héros de la deuxième guerre mondiale. “La séparation” nous fait entrer dans l’intimité de Winston Churchill mais aussi de Rudolf Hess qui n’est pas insensible aux charmes des beaux rameurs...


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Le roman utilise plusieurs formes pour nous captiver, il juxtapose document, récit et  journal intime. Alternant les faits les plus avéré dans un langage qui peut être froid et sec avec des hypothèses historiques rocambolesque, mais qui ne sont peut être pas réelles que dans le roman... Christopher Priest définit très bien son travail: << La Séparation » est une uchronie qui réfléchit au concept même de l’uchronie. Je m’explique : dans beaucoup d’uchronie, vous pouvez clairement voir où se situe la séparation avec l’Histoire réelle. Dans « La Séparation », même si la rupture semble se situer en 1941 (...) elle semble parfois se situer à une autre date... le livre est un labyrinthe dans lequel plusieurs réalités semblent coexister... c’est assez compliqué, et on m’a reproché d’avoir écrit quelque chose de trop difficile à lire... mais je ne voulais pas me borner à une uchronie toute simple. D’ailleurs, ça ne vous étonnera pas, « Le Maître du Haut-Château » de Philip K . DICK, est une de mes influences majeures pour « La Séparation ».
Mais je ne peux guère vous en dire plus sur ce roman dont le seul défaut est peut être de vouloir être un peu trop malin et de ne pas réellement choisir, mais c’est aussi cela qui en fait sa beauté et sa complexité.
On sort de ce livre passionnant ne sachant plus où sont les frontières entre fantasmes et rêves éveillés, entre réalité et supputations historiques. Jack-Joe hanteront longtemps le lecteur.
24 juin 2020

L'HONNEUR D'UN HOMME D'ALLAN MASSIE

 

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On ne peut pas dire que la collaboration des français avec l’occupant durant la dernière guerre mondiale soit un sujet galvaudé. Dans ma grande inculture je peux compter sur les doigts d’une main les romans que j’ai lu sur ce thème. Il y a bien sûr les deux chefs d’oeuvres de Céline, “D’un château l’autre” et “Nord” mais ils traitent plus de la déconfiture et la fuite des collaborateurs que d’autres choses. Comme le disait l’excellent Galtier Boissière dans son pas triste “journal 1940-1950” (au feu Quai Voltaire) ce n’est plus “Je suis partout” c’est je suis parti! Pierre Boisdeffre a écrit un émouvant petit livre “Les fins dernières”, paru jadis au “Livre de poche” dans lequel il romançait la fin tragique de Robert Brasillach. Il y eu l’alerte “1941” de Lambron chez Grasset qui se passait dans les cercles du pouvoir vichyste, quant à l’oeuvre de Modiano, on y trouve plus un echo de la collaboration que la collaboration elle - même; et c’est à peu près tout ce dont je me ⁄rappelle dans cette touffeur d’été.

C’est donc la rareté du thème et la beauté de la couverture du au désormais presque célèbre André Zucca depuis la polémique autour de l’exposition de ses lumineuses photographies de l’occupation qui m’a décidé à acquérir “L’honneur d’un homme” d’autant que l’auteur, Allan Massie est étranger, ce qui donnait un intérêt supplémentaire à ce roman sur la collaboration, pour faire un raccourci que le livre ne mérite pas, et que d’autre part j’avais apprécié ses “Mémoires de Tibère”, édité chez de Fallois.

L’auteur aborde l’époque de l’occupation par le biais du récit à la première personne, d’un jeune homme, il est jeune lorsque nous faisons sa connaissance, dont le père décédé était français issu d’une vieille famille aristocratique et la mère une anglaise qui a suivi son deuxième mari en Afrique du sud où le garçon a passé son adolescence. Le lecteur le rencontre à Paris où il vient en vacances après avoir passé une année d’étude à Cambridge.  Au vue de cette amorce biographique (trop) romanesque, on pourrait s’attendre à avoir été mis en rapport avec un brillant sujet. On s’apercevra assez rapidement qu’il n’en est rien.

Suite à une rencontre inopinée, le jeune homme contracte une obsession, celle de connaître la vérité sur son père qu’il a vu pour la dernière fois lorsqu’il avait neuf ans et dont on apprend vite qu’il fut une figure marquante de la collaboration intellectuelle.

Dans la première partie du roman nous suivons ce pale jeune homme dans sa rencontre avec ceux qui ont aimé et connu son père, son oncle, député RPF et ancien résistant, ce qui est un peu une tautologie (le personnage m’a fait penser à Jacques Baumel), sa grand mère et des amis interlopes de son géniteur dont un cinéaste homosexuel transi qui a quelque chose de Marcel Carné... Vient se greffer à cette quête une histoire d’amour assez convenue.  Puis à partir de la page 160, le livre se transforme et devient le dossier que le jeune homme, puis l’homme qu’il est devenu a constitué sur son père, Lucien de Balastre, le “je” change d’attribution passant du fils au père. Le roman nous fait voyager dans le temps de 1898 à 1987 avec des stations plus ou moins longues sur certaines années et aussi dans l’espace de la Suisse à l’Afrique du sud en passant par l’Angleterre et le sud de la France. Mais pourtant, le lecteur n’est jamais perdu. Le style est plaisant, avec de belles trouvailles poétiques, bien rendues par la traduction. Néanmoins, En début de lecture, le ton pour un lecteur français déroute. Cette relecture d’une des périodes les plus sombres mais aussi une des plus effervescentes pour l’ intelligentsia française, par un homme presque sans qualité, donne à cette histoire, à la fois un ton et un point de vue totalement inédit. Il me vient à penser que le narrateur est un type d’homme qui a presque complètement disparu aujourd’hui, il m’est arrivé d’en côtoyer quelques uns; les derniers se dissolvent dans le grand âge. Des gens de bonne éducation, d’intelligence moyenne mais qui grâce à leurs humanités possédaient une solide culture classique.

L’honneur d’un homme a quelques parentés avec les roman de Roger Martin du Gard, modèle presque toujours inavoué, le prix Nobel traîne derrière lui, allez savoir pourquoi, comme un fumet de ringardise, des auteur voulant tricoter le romanesque avec l’histoire. On y trouve les même procédés narratif et le même souci d’étayer les personnages de fiction par de vrais acteurs de l’h}istoire. Cependant par rapport au maître français l’anglais achoppe sur plusieurs points. Le principal est la transparence quand ce n’est pas le convenu des personnages secondaires qui on également le défaut d’apparaitre aussi brusquement qu’ils disparaissent. Encore plus gênant est la relative inconsistance de ce Lucien de Ballestre dont le fils tente de cerner la personnalité (pour un historien ectoplasme). L’hétérogènéité du personnage vient sans doute de la multitude de ses modèle dans la réalité. Il y a du Lucien Combelle (tiens le même prénom!), il y a aussi du Drieu la Rochelle, mais sans œuvre, du Bertrand de Jouvenel et pour le maurrassisme du Henri Massis.

Le livre se lit sans ennui et même avec intérêt, mais l’auteur est passé à coté d’un grand livre ( peut être par manque de connaissances historiques) en n’ancrant pas plus son personnage principal dans l’histoire.

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