La passion Lippi de Sophie Chauveau
Voilà un livre qui peut seconder un guide de la Toscane pour le voyageur amoureux de peinture (tout en ne perdant pas son regard critique en raison des approximations historique du roman), mais pourquoi aller à Florence si on ne s'intéresse pas à la peinture? La passion Lippi est entre deux genres, ni tout à fait une biographie ni vraiment un roman, j'aurais aimé que l'auteure est plus d'audace pour remplir les zones d'ombre de la vie de Filipo Lippi (1406-1469) en particulier celles de son enfance dont on ne sait presque rien. Il n'aurait pas été non plus été inutile que Sophie Chauveau nous communique ses sources et cite en particulier Vasari auquel le roman doit beaucoup, et plus encore, mais peut être a-t-elle peur qu'on lui reproche les libertés qu'elle a prises avec la vérité historique. Autre remarque sur l'objet livre si les descriptions des fresques et panneaux sont brillantes, on regrette néanmoins l'absence d'illustrations fournies en annexe. La passion Lippi nous raconte la vie du peintre de l'instant où il rencontre son protecteur, Cosme de Médicis en 1414 jusqu'à sa mort en 1469. C'est la description de la relation très complexe qui lie le peintre à son mécène qui est le pan le plus intéressant et le plus réussi du livre L'auteure en profite pour brosser à grands traits la société florentine de l'époque et en particulier les milieux artistiques et ecclésiastiques. Dans son roman on côtoie Cosme, Pierre et ( le jeune ) Laurent de Médicis, Masacio ( génie précoce mort prématurément ), Masolino, Uccello, Fra Angelico, Fra Diamante, l'assistant dévoué de Lippi. « La passion Lippi est le premier volume d'une trilogie. Il est suivi par « Le rêve Botticelli » (Botticelli apparaît à la fin de « La passion Lippi », il fut l'élève de Lippi. Le fils de Lippi, lui même peintre de talent deviendra l'élève, le compagnon et l’amant de Boticelli) et par « L'obsession Vinci ».
Je suis un lecteur lambin, d'abord parce que plus le temps passe, plus ma concentration s'évapore, mes yeux quittant l'ouvrage que je suis en train de lire s'égarent dans le paysage mais surtout j'aime approfondir le sujet que le roman traite ou prend comme décor et cela surtout s'il s'appuie sur un sous texte historique. C'est bien le cas avec « La passion Lippi » ainsi j'ai voulu confronter les événement de la vie du peintre tels que Sophie Chauveau les met en scène dans « La passion Lippi » avec d'autres sources, avec en premier lieu ce que dit mon grand Larousse en dix tomes. Et là surprise la notule du dictionnaire mentionne que: << Ayant quitté la vie religieuse, il fut pris par un corsaire, emmené en Afrique, il ne revint à Florence qu'en 1438...>>, alors qu'il n'y a rien de cet épisode dans le roman. L'encyclopédie Larousse est plus prudente puisqu'on peut y lireque l'histoire de son enlèvement par les " Mores " et de sa captivité en " Barbarie " soit probablement le fruit de l'imagination de Vasari.L'auteure nous présente même Lippi comme un sédentaire qui répugne à quitter sa ville de Florence et craint d'aller à Rome et à Venise! Ensuite je vais voir du coté de Wikipedia où rien n'est dit sur cette aventure africaine (je n'en ai trouvé mention nulle part ailleurs que dans mon vénérable dictionnaire), en revanche j'y lit que Lippi a rencontré Masaccio avant Fra Angelico qui est présenté par Sophie Chauveau comme le maitre de Lippi dés sa prime enfance! En regardant attentivement l'oeuvre de Lippi, il me semble que la rencontre de Fra Angelico après celle de Masaccio me paraît plus probable.
La peinture de Massacio, très présent dans l'ouvrage, Adam et Ève chassés du paradis avant et après suppression des ajouts de censure par restauration.
C'est vraisemblablement en 1674, sous le règne du bigot Cosme III de Médicis, que la nudité d'Adam et Ève a été habillée de feuilles. La restauration de 1980 a permis de revenir à l'état originel et non censuré.
Sous la plume d'un docte spécialiste, (je conseille vivement de lire et d'admirer la page consacrée à Lippi à cette adresse: http://www.aparences.net/le-quattrocento/fra-filippo-lippi/) je lis que << D’aucuns ont voulu rapprocher la vie pleine d’originalité de Lippi de ces œuvres. Mais s’il est vrai que sa vie privée peut (et doit, dans une certaine mesure) avoir influencé son profil artistique, il faut aussi souligner que le monde pictural de Lippi ne peut être entièrement compris si l’on ignore le contexte dans lequel il exécuta les différentes commissions, et la grande diversité de celles-ci.>>. C'est exactement la démarche de Sophie Chauveau faut-il encore que les événements narrés soient exacts.
Si j'aime les romans dans l'Histoire, ce qui n'est pas tout à fait la même chose que les romans historiques, je suis pointilleux sur l'exactitude des faits rapportés lorsqu'ils sont connus, au romancier d'imaginer ce qui s'est déroulé dans les trous, et ils sont souvent nombreux, de la biographie du personnage historique qu'il a pris pour héros. C'est ce que n'a pas complètement fait Sophie Chauveau.
couronnement de la vierge par Fra Angelico (au Louvre)
Si le style de Sophie Chauveau est fluide ses propos sont souvent assez mièvres surtout en regard de son sujet, j'ai eu parfois l'impression de lire une « belle histoire de l'oncle Paul, les vieux lecteurs de Spirou me comprendront. Un des points d'achoppement de l'ouvrage est que le personnage de Lippi reste souvent rebutant et antipathique, tant par son caractère propre que par les réactions et pensées que lui attribue Sophie Chauveau qui me paraissent parfois anachroniques.Lippi étant un incontestable débauché qui alla, tout moine qu'il était, jusqu'à engrosser la nonne qu'il avait choisie pour être le modèle de Marie dans uns de ces tableaux d'annonciation, mais l'on reste à la porte des chambres. C'est je crois la première fois, que le fait qu'un livre soit écrit par une femme m'a gêné, car un homme ne se serait pas étendu autant sur l'épisode de l'accouchement de la dite nonne et n'aurait pas ainsi autant déséquilibré cette biographie romancée de Lippi donnant trop d'importance à cet épisode; considérations sur le sexe de l'auteur qui ne peut éfleurer mon esprit à la lecture de Marguerite Yourcenar ou de Zoé Oldenbourg, immenses auteures de romans dans l'Histoire... En outre l'auteur hésite constamment entre le ton du documentaire et celui du roman, avec des envolées lyriques pas toujours bien venues et force points d'exclamation. Les passages qui suivent, donnent un assez bon exemple du ton du livre: <<Flamina ne se demande plus quel sortilège cet enfant a jeté sur ses filles, et sur les filles de joie en général. Elle sait. Ils sont de la même espèce. Issus de la même misère. Elles n'avaient que le choix de vendre leur corps, même les plus jolies. Surtout les plus jolies ! Alors que Lippi, tout ravissant soit-il, et Flamina l'a vu devenir aussi beau que grand, il a de l'or dans les mains et un si grand ciel bleu dans les yeux. C'est pour ce bleu-là, qu'il distribue avec une ferveur généreuse, que les bordels lui sont grands ouverts. Toutes, il les fait rêver comme on n'a pas le droit quand on est pauvre. A toutes, il offre des bouquets de promesses avec les fleurs des champs qu'il ne manque jamais de leur cueillir en venant. Il est leur seul "au-delà". La certitude qu'un ailleurs existe, même si on n'y va pas souvent. A force le les traiter en princesses, de leur jurer qu'elles sont filles e Vénus pareilles aux belles qu'il dessine au ciel de tous leurs lits, est née la légende de Lippi, prince des bordels ! >> ou encore << Florence est parcourue d'un grand frisson d'audace. Oser pareille idée ! Y souscrire collectivement ! L'unicité exalte, met en valeur ce qui distingue chacun ! Sortir du lot ! S'extraire du magma confus des communautés et des clans : Allez ! Que la course commence !>>
Il faut remercier Sophie Chauveau d'attirer l'attention sur un peintre un peu méconnu en France, bien qu'une de ses Vierges ait connu des moments de gloire dans les années 1950 comme image de communion!
Le lecteur avide de savoir sur les techniques picturales de l'époque restera sur sa faim, néanmoins on apprend beaucoup de chose sur la Florence du quattrocento, disons principalement sur l'air du temps, ce qui me paraît essentiel et aussi que Filippo Lippi a imposé un rapport nouveau entre l'art et le monde de l'argent. Il est le premier à faire passer les peintres du statut d'artisans estimés à celui d'artistes reconnus. On voit également que la plupart des grands artistes de ce temps préféraient, contrairement à Lippi, les garçons aux dames...
Vierge à l’Enfant et deux anges, (Florence, Offices). Il s’agit de la plus célèbre des représentations sacrées de Lippi, dont le musée des Offices possède également le dessin préparatoire. Le groupe, qui influencera profondément Botticelli, semble émerger depuis le fond du tableau avec une délicatesse qui rappelle les reliefs de Donatello et de Luca della Robbia. Mais le paysage à l’arrière-plan, qui constitue comme un tableau dans le tableau, annonce déjà les vastes paysages de Léonard de Vinci..
L’Annonciation « Scènes de la vie de la Vierge », détail de la Vierge, fresque, 1467-1469, , (Spolète, Cathédrale)
Vierge à l’Enfant avec des anges et des saints, (Retable Barbadori), Filippo Lippi, (Paris, musée du Louvre). La grande innovation de ce retable, outre le dosage magistral de la lumière – diffuse, atmosphérique – consiste dans la conception même de la scène, laquelle semble se dérouler dans une atmosphère réelle extrêmement raffinée. À l’arrière-plan, à gauche, dans le mur enrichi de panneaux de marbre veiné, l’on entrevoit une fenêtre ouverte, et à travers la fenêtre un vrai ciel, avec de nuages. Filippo montre une sensibilité particulière aux éléments iconographiques les plus actuels.
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Couronnement de la Vierge, 1443-1447, Filippo Lippi, (Florence, Offices). Ce tableau, terminé en 1447, présente une composition encore une fois révolutionnaire, et pas seulement en raison des éléments iconographiques qu’il contient. Si dans les retables de sujets analogues, l’épisode était représenté baignant dans une atmosphère céleste, ici par contre Lippi, bien que s’attachant à l’idée de l’arrivée de la Vierge au ciel, situe le récit comme dans une grande scène de théâtre, avec des personnages tangibles, toujours réalistes. Beaucoup de personnages semblent croiser leurs regards avec ceux des spectateurs, selon un procédé théorisé par Leon Battista Alberti dans son traité de peinture.