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Dans les diagonales du temps
9 avril 2020

La ballade de l'impossible d'Haruki Murakami

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Dans un avion qui le fait revenir en Allemagne (on ne saura pas ce qu'il y fait) wanatabe en entendantla chanson des Beatles "Norvegian Wood se souvient de son entrée dans l'âge adulte il y a de cela une vingtaine d'années. Il se remémore des souvenirs qui l'ont profondément marqué. Le point de départ de cette suite d'évènements a été le suicide de Kizuki son seul ami, alors qu'ils avaient tous deux dix sept ans. S'en suit la relation qu'il a avec Naoko la petite amie de Kizuki après la mort de ce dernier. Watanabe nous raconte pendant deux ans son amour avec la fragile et cadenassée Naoko. Dans le même temps il poursuit une relation compliquée avec une autre jeune fille fantasque, Midori, tout le contraire de Naoko.

Wanatabe se présente comme un garçon sans qualité. Il ressemble en cela au narrateur de « La course au mouton sauvage » et de « Danse, danse, danse ». Comme le héros des deux derniers livres cités Wanatabé, bien que sans ambiguité sexuelle possède unesensibilité quasi féminine. Cette régurgitation des souvenirs, pour la plupart sombres, a pour toile de fond, la vie d'un étudiant modeste dans le Tokyo de la fin des années 60. C'est aussi une suite de portraits des personnes, moins ordinaires que lui, suivant son regard et ses critères, qu'il côtoie. Certaines de ces figures sont rattachées assez artificiellement (pour le plaisir du romancier? mais aussi souvent heureusement du lecteur) à la vie du héros qui ne semble attirer à lui que des « filles à problèmes ».

Tout le livre est fondé sur la réminiscence, c'est en cela qu'Haruki Murakami est un écrivain éminemment proustien, sinon par le style du moins par la démarche. N'a-t-il pas écrit: << Le monde est une lutte sans fin entre un souvenir et un autre souvenir qui lui est opposé.>>.

Wanatabe est passionné de lecture. Il reste étranger à l’agitation politique de l’université, alors en pleine agitation contestataire et s’efforce d’être original, en lisant les auteurs qui ne sont pas à la mode. Le Gatsby de Fiztgerald revient plus d’une fois dans le récit ( Murakami a traduit les oeuvres de Fitzgerald en japonais). Le jeune homme lit aussi Conrad, Faulkner, Hermann Hesse, Thomas Mann, John Updike, Raymond Chandler... Comme on peut le remarquer toutes les références sont occidentales. On peut d'autant s'en étonner que les parents d'Haruki Murakami étaient professeurs de littérature japonaise. Certes Oé et Mishima sont cités mais ne sont pas des lectures du héros que l'on peut considérer, au moins dans ce domaine, comme le porte parole de l'auteur. Dans le numéro d'aout 2012 du Magazine littéraire, Clémence Boulouque suggérait que la prédominance des influences étrangères venait du fait que le jeune Murakami avait été élevé à Kôbe la ville portuaire cosmopolite.

Comme on sait que Murakami a étudié le théâtre antique, tout comme Wanatabe et qu'à un an près il a le même age que son personnage, on ne peut que s'interroger sur la part autobiographique du roman.

On retrouve dans « La ballade de l'impossible », comme l'était la maison dans la forêt dans « Kafka sur le rivage » ou le chalet dans la montagne dans « La course au Mouton sauvage », un lieu hors du monde où les héros se ressourcent, ici une maison de repos dans les collines à proximité de Kyoto.

Comme à son habitude, Murakami aborde, par le biais des grands problèmes de société, dont l'un, s'il n'est pas spécifiquement japonais, est un souci récurrent dans l'archipel: le suicide des adolescents, sujet toujours d'actualité aujourd'hui (le livre a été écrit en 1987, c'est un des premiers romans de l'écrivain; il a paru en 2007 en français, traduit par Rose-Marie Makino-Fayolle) comme le prouve le récent et beau film « Color full ». A lire ce roman on a le sentimentque le suicide faisait (fait?) partie intégrante de la vie des jeunes au Japon.

Toujours un peu en contrebande l'auteur fait passer ses idées, comme son peu d'aménité pour les étudiants révolutionnaires en peau de lapin, presque toujours issus de la bourgeoisie, qui après avoir prôné la destruction des institutions, n'ont rien de plus urgent, une fois leurs études terminées, que de se caser dans une grande firme ou dans l'appareil d'état. On voit par là que le phénomène, que des casaniers auraient pu croire typiquement français, déborde largement nos frontières. Mais surtout il veut nous dire que la mort est en nous dès notre naissance et fait partie de la vie. Paradoxalement cette histoire quelque peu morbide, « Quelle que soit notre vérité, la tristesse d’avoir perdu quelqu’un qu’on aime est inconsolable. La vérité, la sincérité, la force, la douceur, rien ne peut calmer la douleur, et, en allant au bout de cette souffrance, on apprend quelque chose qui ne nous est d’aucune utilité pour la prochaine vague de tristesse qui nous surprendra. »veut également donner une leçon de vie: << S'apitoyer sur soi-même, c'est ce que font les imbéciles.>>.

Avec beaucoup d'acuité psychologique Murakami décrit des jeunes gens romantiquesen proie aux doutes, au spleen et aux rêves qui s'interrogent sur leur place dans la société et tentent de trouver une raison de continuer à vivre malgré des blessures profondes, des disparitions d’êtres chers, des amours impossibles. La ballade de l'impossible est le tableau saisissant des doutes de l'adolescence et parfois de sa vacuité. Encore une fois les personnages parlent et se racontent beaucoup; autre constance dans les romans de Murakami l'absence de jugement sur les faits et gestes des personnages que l'on retrouve ici.

Si ce roman est très agréable à lire, son écriture est particulièrement fluide, et émouvant, néanmoins lisant les passages dans lesquels Midori s'exprime, je me suis encore trouvé face à une interrogation qui me taraude de plus en plus, l'âge avançant, à propos des livres mais aussi des films, pourquoi passer autant de temps avec des êtres virtuels tels Midori, qui, s'ils étaient fait de chair et d'os je fuirais à toutes jambes? Car la dénommée Midori est une pouffe-conne-chaudasse de compétition ce qui rend assez incompréhensible la passivité bienveillante de wanatabe devant l'entreprise de vampirisation dont il est l'objet par la jeune donzelle d'autant qu'il se refuse à consommer la gourgandine qui pourtant ne demande que cela. On attend avec impatience le moment où Wanatabe, par une paire de giffle bien sentie se libérera, et libèrera le lecteur par la même occasion d'une telle emmerderesse; mais Wanatabe, sans conteste un des héros murakamiens les plus gentils, est trop bonne pâte pour cela.

Comme toujours chez Murakami la « bande son » du roman est importante. On y trouve Mile Davis, les Beatles, Les Doors, Bill Evans, Sarah Vaughan mais aussi Mozart et Bach...

Très différent d'autres romans du même auteur, c'est son premier gros succès de vente au Japon, ici le fantastique n'intervient presque pas (ce qui le rend plus facile à lire que d'autres opus de l'auteur), « La ballade de l'impossible » est un roman d'apprentissage et aussi une longue méditation nostalgique. C'est la minutieuse description du parcours initiatique qui entraîne Watanabe à la découverte de l'amour, de la mort et de la folie. Il est difficile en lisant ce livre, surtout si l'on est comme moi un presque exact contemporain de Wanatabe de ne pas penser à sa propre jeunesse. Par exemple lorsqu' il est question d'une date de l'année 1969, on essaye de se souvenir de ce que l'on faisait, où on était, avec qui... C'est d'autant plus facile de faire la comparaison avec ce que vit Wanatabe qu'il se présente comme un garçon sans qualité, ce qui nous aide à nous identifier à lui.

« La ballade impossible » délivre un message universel contenu dans cette extrait: << Je voudrais que tu te souviennes de moi. Je voudrais que tu n'oublies jamais que j'ai existé et que je me suis trouvée ainsi à tes côtés.>>. Voilà un beau et émouvant roman sur l'entrée dans l'age adulte, malgré une fin obscure qui ne finit rien.

  

Nota: La ballade de l'impossible (Norwegian Wood) a été adapté au cinéma par Trần Anh Hùng.

 

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