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Dans les diagonales du temps
15 août 2020

Le jour où Kennedy n'est pas mort de R.J. Ellory

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Paros, juillet 2020

 

Si voulez lire « Le jour où Kennedy n’est pas mort », ce que je ne vous conseille pas complètement, ne lisez pas ce qui va suivre car j’y spolie grave ou j’y divulgache grandement (ça veut dire la même chose, mais pas chez les mêmes…). Nous sommes dans une uchronie qui annonce tout dès son titre: John Fitzgerald Kennedy n’est pas mort à Dallas le 23 novembre 1963. Pendant tout le livre nous allons suivre Kennedy et son entourage alternativement avec Mitch Newman, le héros ou plutôt l’antihéros du roman. Mitch Newman, la trentaine, est un journaliste et photographe free-lance qui vivote en travaillant pour des feuilles de second ordre. Le garçon a connu une brève notoriété comme correspondant de guerre en Corée. Il en est revenu traumatisé par un épisode particulièrement sanglant. A son retour il a appris que Jean, sa fiancée, elle même journaliste, qui était opposée à son départ, l’a quitté. Mitch ne l’a jamais revue. Depuis dix ans, inconsolable, il noie ses désillusions dans l’alcool. Le 4 juillet 1964, la mère de Jean apprend à Mitch que Jean a été retrouvée morte dans son appartement. La police a conclu au suicide. Mitch ne croit pas au suicide. Il va enquêter pour découvrir ce qui est arrivé à Jean. Ses recherches le conduisent dans l’entourage de Kennedy. Parallèlement, le lecteur qui en sait plus que Mitch, a appris que les nombreuses conquêtes du président, un érotomane invétéré, finissent mal. Après avoir servi de réceptacle à J.F.K., le chef de la sécurité de la présidence les fait éliminer discrètement. Ce qui fait de John Fitzgerald Kennedy une sorte de barbe bleue moderne. Jean a été une de ses victimes. Lasser de cette macabre pratique le chef de la sécurité de la présidence, qui connait un certain Lee Harvey Oswald, aide cet illuminé a accéder à la chambre présidentielle dans un hôtel d’Atlantic City, la ville où se tient la convention démocrate durant laquelle Kennedy va annoncer sa candidature pour sa réélection. Le 24 aout 1964 Lee Harvey Oswald, déguisé en policier surgit dans la chambre présidentielle et révolvérise Kennedy. Dans un court épilogue l’auteur laisse entendre que peu certain de la réélection de son frère, Bob Kennedy avec l’assentiment du Parti Démocrate est l’auteur du complot. Il succède à son frère à la présidence.

Je vous l’ai fait court car tout le récit est englué par les pleurnicheries d’alcoolique de Mitch qui a chaque découverte dans son enquête s’apitoie longuement sur son sort. Comme il est difficile d’entrer en empathie avec ce personnage, même s’il n’est pas tout à fait mauvais puisqu’il adopte le chat de son ex-fiancée, la lecture devient vite pénible.

L’assassinat de Kennedy a été le grand traumatisme des Etats-Unis au XX ème siècle peut être encore plus grand que celui du 11 septembre au XXI ème, des milliers de livres ont été écrits sur le sujet. R.J. Ellory, dont jusqu’à ce livre, malgré sa notoriété, je n’avais lu aucun roman, en a lu beaucoup, sa documentation semble exhaustive. Pour étayer ses décoiffantes théories, il fait intervenir de nombreuses personnes réelles en gauchissant habilement leurs rôles dans la mort de Kennedy ce rend les hypothèses avancées crédibles. Je trouve, étant bien fait du point de vue historique, ce genre de livre dangereux car il accrédite les théories du complot les plus abracadabrantesques que légitime le savoir faire de leur auteur.

Je préfère de beaucoup en tant qu’uchronie autour de l’assassinat de Kennedy, 22/11/63 de Stephen King

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14 août 2020

LE ROYAUME D'EMMANUEL CARRÈRE

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Il est rare que je fasse paraître dans la rubrique livre des critiques négative. Tout d'abord parce que je choisis mes lectures, choix dicté plus par mon flair de très vieux lecteur et quelques fois sur les conseils de mes amis que par les critiques littéraires paraissant dans les gazettes qui sont de plus en plus chétives et émanent souvent de plumes médiocres et corrompues mais il est parfois sain de dégonfler les baudruches et Emmanuel Carrère en est une de taille.
Son « royaume » ma suggéré la réflexion qui suit: Si vous étiez un lecteur de feu mon ancien blog vous savez sans doute, à condition d'avoir été très attentif, que je suis un libéral (au sens qu'en politique en France, on donne à ce terme.) ce qui m'a valu lors de la dernière élection présidentielle un tombereau d'injures pour avoir appelé à voter Macron. Ce que je ne regrette pas au vu des premiers mois de cette présidence. Vous devez bien vous demander où je veux en venir. Et bien dans l'édito de la revue « Transfuge » du mois de novembre dernier était avancé une idée d'appliquer le libéralisme à la littérature et plus précisément aux prix littéraires. Le texte émettait la judicieuse idée d'ouvrir la course des prix d'automne aux traductions. Ce qui me paraît une idée frappée au coin du bon sens. Imaginerait on Roland Garros ouvert qu'aux seuls tennismen français? Qui peut croire que dans ce cas il aurait le même retentissement qu'aujourd'hui? Et pourtant cette fermeture des frontières, ce frileux protectionnisme est appliqué par exemple au Prix Goncourt sans que cela paraisse choquer. Une ouverture aux romans du monde entier traduits en français et parus dans l'année, révolutionnerait certes le petit landerneau littéraire parisien et même hexagonal, mais cela mettrait en évidence que la France n'est plus le centre de la production romanesque et surtout ouvrirait les français aux littératures au delà de leurs frontières et par là leur donnerait la curiosité du monde qu'ils ont si peu. J'ajouterais que cette ouverture apporterait un juste lustre aux traducteurs dont les noms devraient se trouver sur les couvertures des ouvrages.
Vous l'avez peut-être remarqué, je me tiens habituellement éloigné des livres dont la sortie est saluée par un tintouin médiatique; ce qui avait été le cas de « Royaume » d'Emmanuel Carrère. Mais la fanfare des histrions des lettres ayant passé à une autre partition je suis allé arpenter ce royaume dont le sujet, les débuts du christianisme m'intéressait. Il y a quelques années le documentaire, « Corpus christi » de Jérôme Prieur et Gérard Mordillat m'avait déjà déniaisé mais je l'avais trouvé un peu trop prudent pour expliquer comment de telles billevesées que les évangiles et tout le toutim avait pu devenir une croyance presque universelle. Si j'ai attendu aussi longtemps pour empoigner le livre de Carrère c'est que ma précédente et unique expérience avec cet auteur (je met à part son petit essais sur l'uchronie, « Le détroit de Behring ») avait été désastreux avec « La classe de neige » que j'avais trouvé si glauque que j'avais jeté ce livre dans une poubelle, ce qui chez moi est exceptionnel, ce fut même la seule fois que j'ai agi ainsi.
Mais « Le royaume » n'est pas un roman mais du journalisme gonzo. C'est à dire un texte dans lequel le journaliste se met en scène. Genre typiquement américain, Truman Capote, Norman Mailer, Tom Wolfe ont fait cela très bien. Le genre a contaminé l'ancien monde en donnant des résultats beaucoup moins heureux. En général les auteurs qui se frottent à ce genre traitent de sujets contemporains. L'originalité de Carrère c'est que l'objet de son reportage ne fait plus depuis longtemps la une des gazettes puisqu'il s'agit principalement des péripéties de la vie de ce grand propagateur du christianisme que fut saint Paul.
Vous avez sans doute observé que je ne parle pas de littérature tant il me paraît difficile d'appliquer le mot de littérature à l'écriture de Carrère. Jugez vous même: << Luc monte en épingle quelques recrues de rang plus élevé, des romains en particulier, mais Luc est un peu snob, enclin au name-dropping, et tout à fait le genre à souligner que Jésus n'était pas seulement fils de Dieu mais aussi, par sa mère, d'une excellente famille.>>. Convenons en, le décalage entre le ton et le sujet, soit saint-Luc l'évangéliste, que vous n'aviez peut-être pas immédiatement reconnu, est rigolo mais est-ce là de la littérature car ce ton et cette syntaxe sont maintenus durant les 600 pages de l'ouvrage. Carrère use et abuse de comparaisons triviales entre notre présent et le temps de l'aube du christianisme. Si ces parallèles sont souvent éclairants, leur ton populiste finit par lasser tant on y sent le procédé.
Le plus ébouriffant c'est que la narration du début du christianisme est régulièrement entrecoupée par des considérations domestiques du monsieur; les 100 premières pages sont essentiellement consacrées à cela. On y apprend qu'il n'aime plus sa femme mais lui fait un deuxième enfant pour sauver son mariage – drôle d'idée – mais rien y fait. Pour oublier la mésentente qui règne dans son foyer, il se lance ainsi dans la bondieuserie, d'où le livre, pour se consoler. Les déboire conjugaux ont chez lui le curieux résultat de le transformer en bigot. A l'inverse quand sera séparé de sa femme et en aura trouvé une autre, il deviendra mécréant. Entre temps sur 500 pages il nous aura donné sa vision des débuts du christianisme. Sa réflexion s'élève rarement au dessus d'un catéchisme primaire et naïf. On n'y trouve jamais par exemple une remise en question historique de l'existence de Jésus. Carrère lit les évangiles et quelques apocryphes au premier degré. On ne trouve chez lui aucune prise en compte de la symbolique chrétienne, ni aucune conceptualisation, pas plus qu'une mise en perspective historique des débuts de la foi chrétienne. La seule hypothèse qu'il avance, qui est d'ailleurs assez amusante, est que c'est Marie-Madeleine qui serait à l'origine de tout. La pauvre femme ayant la tête aussi légère que la cuisse, se rendant le matin d'après les funérailles visiter le tombeau de Jésus, le voyant ouvert en aurait déduit qu'il avait ressuscité alors que c'est probablement ses sectateurs qui l'auraient emporté dans un lieu plus sûr et secret. La religion chrétienne devrait tout aux errements mentales d'une prostituée... Amusant mais guère sérieux tous les personnages des évangiles étant des constructions symboliques bien postérieures aux évènements qu'ils racontent.
Pour changer de la messe quotidienne à laquelle il assiste pendant des années notre pieux homme passe de longs moments devant des vidéos pornographiques. Ainsi nous avons droit, entre deux évocations de saint Paul, à des pages pour le moins inattendues sur... la masturbation. Les catéchumènes seraient-ils de fervents onanistes?
Nous avons droit également pendant des pages aux chouineries de ce gosse de riche, je rappelle qu'Emanuel Carrère est le rejeton de madame Carrère d'Encausse, secrétaire perpétuelle de l'Académie française qui ne devrait pas tarder dans les bonnes traditions du népotisme à lui faire la courte échelle pour que sont plumitif de fils intègre la coupole...
On se perd dans ce labyrinthe des digressions avec la désagréable impression que le sujet traité servait surtout à mettre en valeur la vie de l'auteur et ses différentes productions.
 
Ne cédez donc pas aux fallacieuses trompettes de la renommée et dans le même rayon, lisez plutôt « La vie de Jésus d'Ernest Renan.
 
13 août 2020

Un jeune homme de Venise de Claude Michel Cluny

 

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Venise au milieu du XVIII ème siècle, la sérénissime alors n’est plus la puissance qu’elle était jadis. Elle est guigné par l’Autriche et les turcs n’ont pas désarmés et rêvent de se venger de la déroute de Lépante. Fabiano, notre jeune homme de Venise a été adoubé par l’amiral de la flotte de Venise; peut être pour son intelligence mais sans doute plus encore pour la beauté de sa personne. Le dit amiral se meurt. L’amiral est mort. Fabiano sans aucune expérience militaire lui succède. Il doit immédiatement livrer bataille contre les turcs dont la flotte menace la lagune. De cette bataille navale dépend la survie de Venise (historiquement je n’ai trouvé aucune trace de bataille opposant les turcs à Venise à cette époque. La veille du départ de l’escadre vénitienne, un vieil ami de Fabiano, Saint Sever, un français qui est très malade revient à Venise après dix ans d’absence. On comprend que lui, Fabiano et une jeune femme formaient, dix auparavant, un trio d’inséparables liés par l’amour. En cette veille de bataille, Tomaso, un jeune aristocrate richissime donne sur le grand canal puis dans son palais une fête somptueuse pour ses vingt ans. A cette occasion le trio se reconstitue. Tomaso a un frère de 14 ans , Domenico qui pourrait être le petit ami de Fabiano qui emmène Dominico avec lui combattre les turcs. Jajouterais que le confident du trio est un abbé de cour chez lequel Saint Sever s’en va mourrir en même temps que l’escadre vénitienne s’ébranle pour partir au combat.

Voila grossièrement et péniblement reconstitué l’intrigue du roman. On comprendra à la toute fin que c’est Domenico devenu vieux qui raconte cette histoire.

Je ne serais pas outré qu’un autre lecteur propose un résumé différent de ce jeune homme de Venise, tant on a l’impression de lire un texte qui a été imprimé suite à un ascendant éditorial comme celui d’un manuscrit composé de feuille volante contenues dans un dossier qui serait tombé par terre et que dont aurait ramassé les feuilles échappées du dossier et remis dans le dit dossier dans n’importe quel ordre et dont on aurait oublié certaines feuilles laissées par terre. C.M.C semble n’avoir aucune idée de comment architecturer son roman ce qui ne l’empêche pas de déployer son grand talent de paysagiste dans de merveilleuses description de Venise qui n’a jamais été si bien en littérature depuis le « Venise » de Paul Morand.

Un jeune homme de Venise contient de nombreux brillants morceaux de bravoure mais une suite de morceaux de bravoure ne font pas un roman…  

 

12 août 2020

Lorsque "Du coté de chez Swann" était une nouveauté attendue de la rentrée littéraire...

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10 août 2020

Jardin d'hiver de Thierry Dancourt

 

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Un roman, c'est parfois, pour son lecteur, et sans doute pour son auteur, un peu comme mayonnaise cela prend ou cela ne prend pas. Quelques fois on crois que c'est raté, on est tout près d'abandonner, de jeter le tout à la poubelle et miracle cela épaissi et c'est gagné. C'est exactement ce que j'ai ressenti à la lecture du « Jardin d'hiver » le deuxième roman, paru en 2010, de Thierry Dancourt qui se présente comme la suite d' « Hôtel de Lausanne ». C'est la première erreur du romancier. On ne voit pas pourquoi Dancourt reprend un personnage, assez évanescent, ce n'est pas péjoratif, les personnages brumeux du romancier font le charme de ses deux livres, dont il avait fait le tour dans son premier livre. Faute que ne commet pas Patrick Modiano, le modèle semble-t-il inavoué de Dancourt. Je rappelle qu' « Hôtel de Lausanne » était à la limite du pastiche d'un roman de Modiano. On peut penser que je n'ai pas été le seul à m'en apercevoir (je n'ai lu aucune critique de ce livre, ou alors j'ai oublié) et que c'est pour cette raison que notre romancier s'est un peu éloigné dans son deuxième opus du style modianesque. Ce qui n'est pas forcement une bonne chose.

Une station balnéaire de la côte atlantique, en hiver. Pascal Labarthe, le narrateur, arrive un soir de brume, par l'autocar. Que vient-il faire ici, hors saison, dans cette petite ville endormie des bords de mer qu'il ne connaît pas?

Le lecteur durant toute la première moitié de ce court roman, 170 pages, demeure dans l'indécision à la fois du style et du sujet. La qualité de l'écriture du roman est irrégulière et surtout hétérogène. Dancourt alterne un flou modianesque, moins bien maitrisé que dans « Hôtel de Lausanne » avec des descriptions plus factuelles, en générale assez réussies qui font beaucoup penser à celle que l'on peut trouver chez Pérec. A les lire j'ai pensé que si Modiano a largement investi l'imaginaire des années 40 et 50 (pas seulement, il va sans dire) et Pérec celui des années 60, Dancourt quant à lui à l'ambition de phagocyter les années 70.

 

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8 août 2020

Une saison à Hydra d’Elizabeth Jane Howard

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Naxos, juillet 2020

 

 

Ce n’est pas dénigrer le beau roman d’Elizabeth Jane Howard, paru en Angleterre en 1959, que d’écrire qu’il a été écrit sous l’influence de Virginia Woolf et que par là même il constitue un idéal tremplin pour aborder l’oeuvre de cette dernière. Le roman se déroule du printemps à la fin de l’été. Nous sommes au milieu des années 50. Nous y visiterons plusieurs lieux successifs d’abord Londres, puis New-York, puis Athènes, puis Hydra, c’est dans cette ile grecques que se dénouera l’action et enfin retour à Athènes. Ces changements de décors  et les transitions, voyages en avion ou en bateau qui les accompagnent sont intrinsèquement liés à la narration. 

Il y a quatre protagonistes dans cette histoire, deux hommes et deux femmes. Leur histoire est racontée tour à tour du point de vue de chacun. C’est le même procédé, mais avec plus de maitrise que Elizabeth Jane Howard utilisera quelques années plus tard pour sa saga des Cazalet. L’un des plaisir de ce roman et ils sont nombreux est que l’ On en vient à attendre telle ou telle voix dans une nouvelle situation, dans tel ou tel contexte, on se demande ce que l'un ou l'autre a pu comprendre de ce qu'éprouvent les autres et quelle est sa réaction. 

Il y a Emmanuel Joyce, un auteur dramatique à succès d’une petite soixantaine d’années. Son talent, le mot génie est employé par l’entourage et le public en fait un homme public. Il est d’une origine très modeste, mi juive mi irlandaise. Il est marié depuis une vingtaine d’années avec l’élégante Lillian issue de la meilleure société anglaise de vingt années sa cadette, mais de santé fragile. Ils ont eu une fille qui est morte à l’âge de deux ans d’une méningite. Emmanuel en garde une tristesse récurrente quant à Lillian elle n’a jamais accepté cette perte Elle entretient sa douleur. Emmanuel ne peut se passer de Jimmy, jeune homme de trente ans qui a connu une enfance difficile. Il est son homme à tout faire, à la fois factotum, manager, disciple et souvent metteur en scène de ses pièces. Jimmy vit avec les Joyce, même s’ils n’ont pas de foyer mais vivent dans des grands hôtels ou dans des appartement qu’ils louent pour des courtes périodes ou encore résident dans des maisons que leur prêtent des amis. Ce curieux trio vagabond fonctionne depuis des années et forme une famille, lorsque survient, Alberta, 19 ans, la nouvelle secrétaire d’Emmanuel, une ingénue campagnarde, fille de pasteur. Elle m’a paru, tout de même un peu trop oie blanche, même en 1955 pour être tout à fait crédible.

L’arrivée de la jeune fille va bouleverser la vie des trois autres qui vont eux même faire que la vie d’Alberta prendra un tour qu’elle n’aurait jamais cru possible.

A ce sujet le titre orignal The sea change, est beaucoup plus explicite que le titre français, un brin mensonger. Mais il est vrai que île est centrale dans le texte, c’est qu’il s’agit du lieu où tout va se jouer, comme sur une scène de théâtre. Là-bas, les masques vont tomber et les protagonistes, qui jouaient tous un rôle, vont petit à petit l’abandonner. « The sea change » repris à La Tempête de Shakespeare – Sybille Bedford nous explique tout dans une passionnante introduction – renvoie à de profondes transformations. La vie change, comme la mer, selon certains courants, intérieurs ou extérieurs. Ce roman explore la notion de changement de cap dans une vie, ces moments où soudain tout s’ouvre, le possible comme le pire.

Les portraits de chacun se dessinent progressivement, ni tout à fait blancs ni tout à fait noirs. Chacun a ses blessures secrètes, ses égoïsmes, ses routines, ses espérances aussi. Un besoin de l'autre, et aussi une incapacité à le voir autrement que pas ses yeux et par le besoin qu'il a de lui. Le point de vue alterné de chacun de ces personnages permet au lecteur d'accéder à leurs états d'âme. Par ailleurs, l'évocation de leur passé dont il est question régulièrement éclaire leur comportement présent et leurs choix quant à l'avenir. 

On verra chaque personnage à force d’introspection évoluer et même effectuer des changement dans leur personnalité que l’on aurait pas envisagé au début du roman. C’est le cas en particulier d’Emmanuel qui n’est pas présenté au début sous un jour favorable. En même temps que les personnages le ton du roman au début dans la première scène, un suicide raté on est dans un humour noir cynique à la Mitford puis progressivement la gravité s’installe et le ton rappelle celui des grands romans de Graham Greene.

Une saison à Hydra n’est pas un roman à clés même si en tant qu’épouse de Kingsley Amis, Elizabeth Jane Howard a fréquenté les milieux intellectuels aussi bien en Angleterre qu’aux Etats-Unis. L’aura d’Emmanuel de son vivant fait penser à celui qu’en France à eu en France Sacha Guitry, au Etats-Unis Tennessee William et en Grande Bretagne Noel Coward et un peu plus tard Harold Pinter. Mis un des manques de roman est que l’on a pas véritablement idée de la teneur des pièces qu’écrit Emmanuel Joyce. Il est d’ailleurs peu question du travail de l'écriture, de la mise en scène ou de ce qui fait l'intérêt d'un comédien. Mais avec les entrée ssuccessives de chacun des personnages et les dialogues brillants, on a parfois l’impression d’être dans une pièce de théâtre.  On peut regretter aussi que les personnages secondaires ne soient pas assez développés. J’aurais aimé en savoir un peu plus sur le couple émouvant des Friedman et surtout sur Julius, l’enfant sur-doué d’Hydra.

Elizabeth Jane Howard est une extraordinaire paysagiste. Chose peu fréquente pour un lecteur j’ai pu de visu le vérifier puisque j’ai lu ce roman dans une ile grecque avec devant les yeux des paysages assez semblables à ceux d’Hydra 

La force de la romancière c’est de faire parler et réfléchir d’une manière convaincante des personnes d’âges et de conditions différentes. 

Tout cela est mené de main de maitre, chaque détail, chaque scène, chaque description est utile au développement de l’intrigue et l’on éprouve beaucoup d’émotion en quittant le quatuor.

6 août 2020

DES HOMMES DE LAURENT MAUVIGNIER

 

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Une des antiennes qui m'horripile le plus est celle qui énonce doctement que la littérature française a refusé de traiter les guerres d'Indochine et d'Algérie, en oubliant entre autres les roman de Jean Larteguy, Jean Hougron et ceux de Pierre Schoendoerffer ce qui n'est pas rien, même s'ils ne sont pas à la mode. Indirectement c'est aussi faire l'impasse sur les premiers livres de Pierre Guyotat.

L'argument du roman de Mauvignier est simple: Lors d'une petite fête pour le départ à la retraite de Solange, au tout début des années 2000, dans la salle des fêtes de ce que l'on suppose un gros bourg, qui ne sera jamais situé géographiquement, alors que famille et amis sont réunis, Bernard, dit feu de bois, le pivot du livre et le seul qui aura droit à une description précise, Il a 63 ans, le visage bouffi, les cheveux jaunes, de grosses moustaches, un nez grêlé et il sent mauvais. Il vit seul, dans un gourbi. C'est le frères de Solange, l'ivrogne du village, un quasi clochard, durant la réception il fait à sa soeur un somptueux cadeau, une broche, sans commune mesure avec ses moyens. Le présent ulcère l'assistance qui conspue Bernard, on le soupçonne d'avoir dépouillé « la mère » pour acheter le bijou. Après avoir quitté la fête, il revient ivre et s'en prend à un ami de Solange, un algérien. Cette algarade fait ressurgir les souvenirs de la guerre d'Algérie de Rabut, le cousin de Bernard qui était avec lui dans le djebel quarante ans auparavant. Rabut n'a jamais osé les dire à sa femme ce qu'il confesse au lecteur dans son soliloque: «Nicole, tu sais, on pleure dans la nuit parce qu'un jour on est marqué à vie par des images tellement atroces qu'on ne sait pas se les dire à soi-même.».

Contrairement à beaucoup de romans qui commencent fort et s'étiolent au fil des pages, celui-ci a un début laborieux et ne fait qu'augmenter en intensité ensuite. L'évocation de la guerre d'Algérie ne commence qu'au deuxième tiers du livre. Pour en arriver là il faut vaincre la pâteuse litanie du narrateur, Rabut, description de la fête où nous sont présenté des personnages qui ensuite souvent ne réapparaitront plus. Le style de cette première partie est un pénible pastiche de Duras avec maintes répétitions, beaucoup de pages pour ne pas dire grand chose et soudain dès que les souvenirs de Rabut nous transportent en Afrique du nord, l'écriture devient alerte, les notations psychologiques se font précises et les descriptions évocatrices. L'émotion ne fait que croitre de chapitre en chapitre. Cette tragédie est divisée en quatre actes d'inégale longueur: après-midi, soir, nuit, matin. L'Algérie occupe la presque totalite de la partie la plus longue, 129 pages qu'est la nuit.

Mauvignier avec beaucoup d'économie de moyen fait revivre toute l'Algérie de 1960 de la manière dont pouvait l'appréhender un appelé lambda du contingent. Mauvignier est aussi à l'aise pour évoquer un village de l'an 2000 que pour ressusciter l’Oran des Aronde et de ses trolleybus blanc et vert de 1960. Mais son talent est surtout d'entrer à l’intérieur de la tête de ces jeunes prolos que la France envoyait se battre dans une contrée qu'ils n'avaient jamais imaginée. Il réussit un tombeau pour les anciens de la guerre d'Algérie. Chaque groupe social apparaît, personnifié par un personnage sans que jamais cela paraisse forcé ou caricatural. C'est sans manichéisme ni complaisance que sont montré les horreurs de la guerres et l'étroitesse d'esprit de chacun faisant bouclier du concept moralement confortable de la fin qui justifie les moyens.

Le secret de Rabut et de Bernard ne nous est révélé que dans les dernière page du livre qui valident habilement le reste du récit.Ce coup de théâtre m'a fait penser à celui du roman « L'ironie du sort » de Paul Guimard dans lequel, comme dans « Des hommes » un petit fait à d'énormes conséquence mais dans le livre de Guimard il s'agit d'une autre guerre, la seconde guerre mondiale. La force du livre est de bien montrer les relations de causalité entre ce qui se passe en 2000 dans ce coin anonyme de France et ce qui s'est déroulé quarante ans plus tôt en Algérie.

Mauvignier, comme l'a fait avant lui un Roland Dorgeles pour la guerre de 14 dans ses « Croix de bois » montre bien le quotidien sans gloire de ces soldats mal nourris, mal logés, trimballés ici et là. Occupés à des tâches sans intérêt, ou à des jeux stériles. L’énervement provoque des bagarres, dont l'une changera l'existence de nombreuses personnes.

Plus qu'un roman sur la guerre d'Algérie, Des hommesest un roman sur les marques que la guerre laisse à vie. Je recommande pour compléter ce beau livre, même s'il se suffit à lui même, de voir sur le même sujet le documentaire de Bertrand Tavernier, « La guerre sans nom ».

L'auteur n'est pas en âge d'avoir fait la guerre d'Algérie, il est né en 1967, et pourtant on croit être dans cette servitude dérisoire et quotidienne du soldat de base. Une interview (http://www.leseditionsdeminuit.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=2617) m'apprend qu'en revanche son père l'a fait et s'est suicidé lorsque Laurent Mauvignier était adolescent. Est-ce cette tragique histoire familiale qui a nourri cette poignante histoire.

Il est dommage que le romancier, probablement dans le souci d'universalisme, n'est pas donné plus de précisions sur certains des acteurs de son récit. J'aurais aimé par exemple connaître le statut social exact de Rabut dans cette petite communauté provinciale ou encore le devenir de Février.

Mauvignier a réussi a écrire un des livres les plus fort, les plus honnète, et les plus juste sur la guerre d'Algérie.

 

 

5 août 2020

VOIX OFF DE DENIS PODALYDÈS

 

 

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J’ai eu une instinctive méfiance pour les livres signés par des comédiens (français notamment car il en va tout autrement pour les comédiens anglais qui sont souvent de fins lettrés et qui ont une tradition de longue date de saltimbanques romanciers. En outre il  n’ont pas souvent les mêmes origines sociales que leurs confrères français. L'appartenance de Denis Podalydès à la bourgeoisie n'est pas pour rien dans la qualité et le sel de son livre). Cette répugnance m’avait fait hésiter depuis sa parution depuis plus d’un an, à acquérir “Voix off” de Denis Podalydes. Et puis, un de mes amis me l’a offert, connaissant mon admiration pour le comédien, il est entre autres l’un des acteurs importants de mon film de chevet, “Laisser passer” de Bertrand Tavernier. Ne voulant pas décevoir mon donateur, je l’ai commencé le soir même. Dès la première page, on a la certitude qu’en la personne de Denis Podalydès, on est en présence d’ un écrivain qui se délecte des mots et joue avec la syntaxe.
Sans modestie, dès la première “séquence”, le livre est très découpé mais sans que cela évoque pour autant un quelconque montage cinématographique, se met sous l’égide de Marcel Proust en réussissant ce tour de force à n’être jamais ridicule. Combien d’écrivains professionnels pourraient en dire autant? Comme dans “La recherche” le sujet principal de “Voix off “ est le temps. L’originalité du livre est de traquer le souvenir par le biais des voix des êtres qui ont marqué sa vie. Dans ces évocations l’émotion est toujours présente mais toujours tenue. Ces voix se font entendre dans le plus grand désordre chronologique dans la tête de l’auteur. Chacune est portée par un style différent. On passe d’une prose poétique, parfois un peu amphigourique, l’amour des mots fait parfois tomber Denis Podalydes dans la belle page d’écriture, à une narration très sèche, sans doute pour justement contenir l’émotion, née du drame familiale que Denis Podalydes  semble, et ne veut pas oublier. Et puis soudain on arrive sur une relation cocasse d’un souvenir de théâtre, une irruption de charentaises fourrées au beau milieu d’une représentation de “Bérénice”. Ces constantes ruptures de ton, de sujet, on passe de la tendresse à la violence, de l’indignation à l’admiration rend la lecture de “Voix off” extrêmement vivifiante.

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Ils étaient jolis les frères de Denis..

 

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qui n'était pas mal non plus...

Cet ouvrage mélange avec bonheur des genres qui semblent à première vue antagoniste. Il est tout à la fois un essais sur le métier de comédien, une tentative d’autobiographie, une réflexion sur le son, les souvenir d’un acteur et même  une auto fiction... Cette dernière facette on ne la découvre qu’à la fin du volume, ce qui nous est présenté comme les deux premiers chapitres d’un roman. On n’a qu’un regret que celui-ci ne continue pas sur plus de pages tant c’est épatant. On pense beaucoup en le lisant aux grands humoristes anglais, au Graham Greene de “Pouvez-vous nous prêter votre mari?” ou surtout à Jérôme K. Jérôme. Le livre est tellement riche que j’ai oublié d’écrire que c’est aussi une suite de poèmes en prose, une auto-analyse, une mise en forme sensible de souvenirs d’enfance et une lettre d’amour à Versaille. Au milieu de tout cela très savamment tricoté, Denis Podalydès en profite pour entrelarder ses cogitations d’extraits de textes qu’il aime. On rencontre ainsi Racine, Beaudelaire, Proust... Par l’essence même de sa construction en patchwork, “Voix off” est inégal, certains passages m’ont touché plus que d’autres, mais aucun n’est anodin.
Il faut souligner qu’en dehors de ses qualités littéraires, le volume de “Voix off” est un bel objet illustré de photographies de grande qualité qui éclaire le texte sous une élégante couverture sur laquelle se déploie une calligraphie de Pierre Alechinsky. Au livre a été adjoint un C.D. qui nous permet d’entendre certaines voix dont il est question dans le texte.
A propos de “Voix off” on pourra lancer la réplique des “ chaises” de Ionesco: << On a ri! On a ri!...>> mais la gorge s’est serrée souvent...

Voix off, Denis Podalydès, 2008, éditions Mercure de France
 
 

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5 août 2020

Quand Gabriel Matzneff écrivait sur Roger Peyrefitte dans Le Monde

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Capture d’écran 2020-08-04 à 22

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Le Monde, le 21 décembre 1979

 

C'est farce comme on dit outre Quiévrain que de se souvenir que Gabriel Matzneff était un collaborateur régulier du Monde. Ce même journal qui, aujourd'hui, lui crache dessus presque chaque jour... Dans ce même journal, il y a quelques jours je lis un article laudateur sur Fernand Pouillon annonçant une exposition dans le château de feu ce grand architecte et puis comme j'ai un peu de mémoire, je me souviens qu'il y a un peu plus de cinquante ans Le Monde crachait presque tout les jours sur le dit Pouillon, le traitant d'escroc, de menteur, de satrape sans loi qui aurait eu une fontaine d'eau gazeuze dans son château pour humecter son whisky, de subordeur de la justice en arrivant à son procès en civière simulant  une quasi agonie... Dans le même temps le Figaro lui le dénonçait comme traitre à la nation et d'avoir tiré dans le dos des soldats français en étant un porte valise du F.L.N... Et aujourd'hui il a une belle exposition alors les mânes de Gab la rafale ne devraient pas désespérer, qui sait, dans un peu plus de cinquante ans...  

4 août 2020

LE VOILÀ,PERRET

 

Il y a tout de même encore des esprits libres, même si parfois ceux-ci sont quelques fois horripilants comme peut l'être Assouline dans son blog, ses livres ou ses chroniques, mais ils sont tellement rares dans nos contrées, que néanmoins il ne faut pas manquer de les saluer. Alors chapeau bas monsieur Assouline pour ce bel hommage à Jacques Perret.

Qui lit encore Jacques Perret ? Une poignée de nostalgiques, et quand bien même, cela suffirait à maintenir vivant cet écrivain si français disparu en 1992. Mais ne vous méprenez pas : ces lecteurs-là ne regrettent pas tant une époque qu’une certaine manière de s’en sortir avec les mots, de nouer la langue commune à la langue classique pour la faire sourire. Cela a donné des récits (Le Caporal épinglé), des romans (Le Vent dans les voiles, Les Biffins de Gonesse, Mutinerie à bord), des chroniques (Objets perdus), des souvenirs (Raisons de famille) et un Bande à part qui fut couronné du prix  Interallié  1951, cérémonie à laquelle l’auteur arriva en retard, ce qui lui valut d’être accueilli par son complice Antoine Blondin sur un tonitruant : « Le voilà, Perret ! ».

Dernier en date, Dans la musette du caporal (126 pages, 15 euros, Le Dilettante), une sorte d’inédit rassemblant sept textes jusqu’alors dispersés dans différentes revues qui les publièrent entre 1945 et 1964. L’armée, la guerre, le camp. Et au-delà de cette ligne d’horizon, ce qui dépasse l’homme et le pousse plus loin que lui-même : la fraternité des clandestins, le champ d’honneur, l’amour de la patrie et, comme il dirait, autres valeurs qui ne plus parlent qu’aux dinosaures tricolores. Car Jacques Perret était de ces rares écrivains qui s’était fait une idée de son pays et s’y était tenu contre tous les vents et nombre de marées ; ses nombreux articles des années 50 et 60 dans Aspects de la France, Arts, Combat et Itinéraires en témoignent. Il ne cessait pas d’aimer sa patrie quand elle cessait d’être aimable. Perret était pour le trône et l’autel, tranquillement, sans agressivité, mais fermement, ainsi qu’il le rappela devant l’assistance médusée dans les tous premiers temps d’Apostrophes. Catholique et monarchiste de toujours et pour toujours. Ce qui ne l’empêcha pas, juste après sa quatrième tentative d’évasion réussie du stalag, de prendre le maquis et de rejoindre aussitôt l’ORA (Organisation de Résistance de l’Armée) tenue par des officiers de carrière pas très communistes. La moindre des choses pour celui qui se présente comme « Français, c’est à dire contribuable et mobilisable ». Il choisit la mitraillette car il ne croit qu’à la guerre à portée d’injures, et que les porte-parole sont rarement les porte-fusils. Maquisard non par idéologie mais par pure et instinctive réaction d’honneur : comme il est des circonstances où il serait déshonorant de ne pas s’engager, il n’a même pas réfléchi tant cela lui paraissait naturel. Porté par un même élan, en pleine guerre d’Algérie, il prit fait et cause pour son fils, un parachutiste OAS de 24 ans qui risquait gros pour avoir voulu supprimer un ennemi de l’intérieur. Cela lui valut quatre condamnations pour offense au chef de l’Etat (le général, par lui surnommé « célèbre diplodocque aléatoire ») et le retrait de sa médaille militaire.

La mosaïque de ces articles aux allures de nouvelles reflète bien son image de réfractaire, franc-tieur et marginal. En prime, on trouve quelques curiosités, comme les pages de « Scarlett derrière les barbelés », où l’ancien prisonnier de guerre rend hommage à Margaret Mitchell pour son Autant en emporte le vent : grâce à ce roman, tout le camp fut pris de scarlettine :

 « L’ombre de cette fille émouvante nous suivait partout, elle nous parlait, nous encourageait, nous versait l’espoir et nous rendait la fierté. Les sentinelles devenaient les carpetbaggers, la faim, la misère et l’amour de Scarlett étaient les nôtres, la France était le Sud, et nous faisions le coup de feu avec le général Lee pour sauver l’honneur d’une société qui fut la nôtre, son idéal, ses fanfreluches et sa foi. Bénie soit Scarlett qui nous a susurré sous l’œil des barbares la merveilleuse histoire d’une civilisation dont nous voici les fragiles et derniers champions (…) Scarlett, agent secret de la civilisation dans les barbelés, nous a dit : « Soyez sudistes ! »

Rarement un roman populaire aura eu droit à une telle reconnaissance, en prise directe non avec ses qualités littéraires ou artistiques mais avec son cœur battant et son âme. Deux autres textes rapportent avec finesse et émotion le pèlerinage de Perret sur ses lieux de captivité en Allemagne, huit ans après la guerre. « Pour Ramos », éloge du maquisard inconnu et petit traité de fraternité, est tout aussi vibrant, dans sa manière, toute de pudeur et de discrétion. Mais le plus personnel de ces récits, et le plus inoubliable, celui qui ouvre le recueil, n’est pas consacré à la seconde guerre mondiale mais à la précédente : « La mort de mon grand frère » nous transporte dans la France d’avant où l’on comprenait « quelle institution miraculeuse était la famille où sans être d’accord sur rien on peut s’embrasser à propos de tout (…) Sur Dreyfus, déchirons-nous, mais sur Fachoda,

 

holà ! ». Si une nostalgie perce dans ces pages bouleversantes, c’est bien celle d’une harmonie perdue. De son propre aveu, dans la sienne, on cultivait depuis 1870 l’amour de la patrie comme « un sentiment dramatique, obligatoire et satisfaisant ». Avec le culte primitif de l’honneur, il convient (lorsqu’il publie ce texte dans la Revue des deux mondes, en 1964) que ce sont là des traits de mœurs tombés en suspicion et désuétude. Qu’en dirait-on aujourd’hui…En août 1914, Jacques Perret a 13 ans. Il voit son père et son frère partir à la guerre. Le premier est fait prisonnier ; quant au second, tireur, il savait que tout boutefeu doit s’attendre à des retours de flamme. Les casquapointes le lui ont rappelé cruellement. Leur mère se replia dignement « dans les larmes et sous les armes » ; écrasée de chagrin, elle n’en continua pas moins jusqu’au bout à « surveiller la France en veillant son enfant », s’abîmant dans la désolation jusqu’à ce qu’elle fut recrue de jours. Les lignes rapportant le voyage du père et du frère avec des déterreurs de cadavres, sur le champ de bataille, dans une Picardie transformée en « plaine figée dans son apocalypse », forment une page d’anthologie. Dans ce In memoriam comme dans ses récits de mer, il écrit si bien le français qu’on se demande parfois dans quelle langue il écrit.

Jacques Perret était un homme contre, un homme du refus. Rien de ce qui était français ne lui était étranger. Folliculaire de la réaction, écrivain du transcourant « plume Sergent-Major », styliste hors-pair qui buvait avec soin afin d’éviter tout faux-pli dans le jugement, il eut la faiblesse de ne jamais dire non à l’aventure et au voyage. Il tenait la littérature pour un art d’agrément qui aurait pris tournure de gagne-pain. Il aimait Aymé et aussi Bloy, Blondin, Conrad, Dos Passos; il en tenait pour le duc d’Anjou et la dimension sacrificielle de la messe selon saint Pie V. J’avais été à sa rencontre à la fin de ses jours, dans son appartement près du Jardin des Plantes où il cachait son bonheur d’être Français. Il avait quelque chose du Jacques Dufilho de Milady et du Crabe-tambour, les traits comme les idées, mais en moins âpre, plus doux. Dans sa chambre, il y avait deux cadres : dans l’un, le grand Turenne ; dans l’autre, son grand frère.

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Dans les diagonales du temps
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