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Dans les diagonales du temps
5 avril 2020

Le fond des forêts de David Mitchell

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David Mitchell a eu bien raison d'écrire son livre de souvenirs sur son enfance, surtout et d'abord parce que c'est un beau livre mais aussi du fait qu'il a rendu son double, Jason Taylor, très sympathique, il met tout lecteur qui a lu « Le fond des forêts » en bonne disposition pour aborder les autres volumes de son oeuvre.

Le fond des forêts (Black Swan Green en version originale) est l'histoire du jeune Jason Taylor, treize ans, qui vit à Black Swan Grenn, dans le quartier le plus bourgeois de ce bourg qui se situe dans le Worcestershire (au centre de l'Angleterre entre Birmingham et Oxford pour vous situer). Il a un bégaiement qu’il a surnommé « le pendu » (c’est dire s’il l’étouffe); il parvient au prix d'immenses efforts, à le dissimuler à presque tous, il est embarassé par son âme de poète qu’il faut à tout prix dissimuler sous peine d’être traité de « tarlouze », il n'est pas le garçon le plus populaire de son l'école, il brise la vénérable montre ancienne de son grand-père, relique familiale que lui a donnée son père, et il y a quelque chose de bizarre et de désagréable entre ses parents qu'il ne veut pas comprendre.

Il n'est pas difficile, malgré le contexte extrêmement anglais (les nombreuses références à la civilisation britannique peuvent déconcerter au début mais ensuite, grâce aux utiles notes en bas de page de l'excellent traducteur qu'est Manuel Berri, elles procurent un exotisme confortable) , de se reconnaître dans Jason, mis à par que vous comme moi, vous n'étiez pas aussi sensible et intelligent que ce garçon, car nos parents avaient aussi des problèmes de couple et s'en prenaient parfois à nous sans raison. Nous nous sommes également chamaillés avec nos frères et nos sœurs. Nous avons été irritable avec nos amis. Nous avons tentés de faire des choses pas très belles pour se rendre populaire auprès des copains... C'est la sincérité des réactions de Jason face à ces situations qui rend l'histoire tellement convaincante. Ce qui fait de Jason un garçon aussi attachant c'est qu'il réagit toujours à la hauteur de ses treize ans tout en étant toujours surprenant pour le lecteur et parfois pour lui même.

David Mitchell a précisément daté son livre. Nous sommes en 1982. Les anglais ont gagné la guerre des Malouines, très présente dans un des chapitres. Margaret Thatcher est au sommet de sa popularité. Cette peinture de l'Angleterre blanche et provinciale de 1982 m'a fait rêver. On y trouvait encore de beaux garçons de quinze ans qui lisaient et admiraient Owen, Brooke et Orwell... Je doute que cela existe encore trente ans plus tard...

« Le fond des forêt » est une belle illustration des bienfaits de la contrainte. En effet si Jason n'avait pas eu ce bégaiement qui l'oblige à être plus spectateur qu'acteur, alors qu'il n'est en rien introverti, à réfléchir au mot qu'il va employer pour ne pas buter dessus et ainsi faire une constante recherche de vocabulaire, il aurait certainement rejoint les barbares poilues comme les appelle sa vieille amie madame de Crommelynck. Jason n'aurait pas écrit de poèmes et David Mitchell, victime du même embarra de langue que Jason ne serait pas l'écrivain qu'il est.

Le chapitre dans lequel madame de Crommelynck dialogue avec Jason et lui tient des propos, qui pour certains lui passent très au dessus de sa tête, même s'il se rend compte de l'importance de cet instant où pour la première fois un adulte s'adresse à lui comme s'il était son égal est un grand moment d'émotion et de littérature.

Madame de Crommelynck, personnage hautement romanesque, en regard de l'esquisse d'intrigue que Mitchell introduit à son propos dans le fond des forêts pourrait bien réapparaitre dans un prochain opus du romancier. Elle le mérite.

Il y a des castes à l'école, de la même façon qu'il y a des castes dans la société indienne. Il y a le brahmane, la plus haute caste, que tout le monde honore. Il y a les intouchables, la caste la plus basse, que tout le monde évite. Et puis, il y a certaines castes dans le milieu dont personne ne se préoccupe vraiment de sauf si vous êtes dans l'une d'elles. La plupart des gens appartiennent à ces obscures castes intermédiaires, habituellement personne ne s'en soucie beaucoup. Il faut remercier David Mitchell d'avoir choisi son héros parmi elle.

Cette peinture extrêmement fine du quotidien d'un collégien dans l'Angleterre profonde, mais déjà investi par les rurbains, avec les brimades sadiques qu'endure Jason de la part de certains de ses camarades m'a choqué. Me souvenant de mes lointains treize ans et de ma scolarité, je n'ai jamais été témoin d'une telle méchanceté gratuite. Est-ce à dire que les petits français sont plus civilisés que les petits anglais? Ou que les garçons du début des années 60 avaient plus d'humanité que ceux du début des années 80? Où encore est-ce le contexte économique et politique, très dure en Angleterre en 1982 qui favorise la cruauté chez les jeunes? Autant de questions dont je ne connais pas les réponses mais que le livre force son lecteur à se poser.

Une autre réflexion qu'amène la description du quotidien de Jason est que celui-ci est plus près de celui des garçons du « Grand Meaulnes », sous l'égide duquel son auteur a placé « Le fond des forêts », que celui d'un pré-adolescent d'aujourd'hui. Il n'y a pas encore d'ordinateur individuel, pas de consoles de jeux, elles n'en sont encore car leur balbutiement et il faut aller dans les salles d'arcade pour jouer et bien sûr pas de téléphones portable et autres intrusions messagières dans le fil des jours, une autre époque vous dis-je...

Si j'ai cité « Le grand Meaulnes » c'est que Mitchell revendique ce parrainage pour son ouvrage. Madame de Crommelynck donne le roman d'Alain Fournier à lire, en français, à Jason. Pourtant on pense plus à cet autre livre contemporain du « Grand Meaulnes » qu'est la guerre des boutons de Pergaud mais une guerre entre enfants beaucoup plus noire et violente que celle décrite par Pergaud, d'une cruauté digne de sa « Majesté des mouches » que Mitchell cite également. Mais il est vrai que tout comme Alain Fournier, Mitchell à l'art d'instiller du fantastique dans les replis des paysages. Il sait retranscrire les histoires que les jeunes garçons se racontent pour « épouvanter » la réalité (parmi les romanciers contemporains, je ne connais que Robert McCammon avec son « Mystère du lac » pour avoir fait aussi bien).

On remarquera que tout comme dans ses deux premiers romans (en fait le premier et le troisième car le deuxième number9dream n'est pas traduit en français, encore un petit effort messieurs dames des éditions de l'Olivier), Mitchell procède pour la construction de son ouvrage par une succession vignettes plus ou moins longues. Les treize chapitres de ce livre de 474 pages sont chacun des petits bijoux de nouvelle qui pourraient se lire indépendamment les unes des autres; visiblement l'auteur a du mal avec les transitions, ce qui nuit à la continuité de son récit; celle-ci, contrairement à ses autres livres, est néanmoins grandement aidée par le choix d'un narrateur unique s'exprimant à la première personne, souvent en des monologues introspectifs d'une grande intelligence, mais cependant, et c'est la grande réussite du livre, toujours crédible pour les treize ans de Jason. L'écrivain a réussit à corriger ce défaut de discontinuité dans son dernier roman, Les mille automnes de Jacob de Zoet . Ce véniel défaut du « fond des forêts » fait que l'on a l'impression que tout ce qui arrive à Jason, sauf les deux derniers chapitres, est simultané, alors que le récit se déroule sur un an.

Au propos de la nature de ses livres, recueils de nouvelles ou romans, David Michell répondait dans une excellente interview (en intégralité: http://seren.dipity.over-blog.fr/article-33254048.html): << Je crois que tous les romans sont faits de nouvelles dont les débuts et les fins se mélangent et se fondent. J'espère que Le Fond des Forêts peut également être lu comme un recueil de nouvelles, et d'ailleurs certains des chapitres ont été publiés en tant que nouvelles pendant que je l'écrivais. Les nouvelles relèvent d'un art plus élevé et plus exigeant que j'espère découvrir en vieillissant et en m'adoucissant.>>.

Avec beaucoup de malice, pour circonvenir l'exercice mémoriel et pour l'inscrire dans la continuité de son oeuvre, alors que "Le fond des forêts" est en rupture avec ses premiers romans, Mitchell introduit un des personnages de « La cartographie des nuages » que l'on retrouve soixante ans plus tard et qui m'a irrésistiblement fait penser à Marguerite Yourcenar, si celle-ci n'avait pas choisi comme thébaïde une ile du Maine mais un ancestral presbytère du Worcestershire... Je ne vous en dirais pas plus sur l'identité de ce revenant pour ne pas déflorer cette jubilatoire surprise.

Dans l'interview, déjà citée préalablement, Mitchell s'explique pour quelle raison, il a entrepris l'écriture de « Fond des forêts »: << J'ai effectué beaucoup de recherches pour Cartographie des Nuages (bien qu'on soit loin des recherches pour le nouveau), alors Le Fond des Forêts fut une sorte de vacance pour moi en termes de recherches. Je voulais également écrire un livre qui m'aide à me comprendre davantage, ce que je n'avais jamais fait avant. Avant Le Fond des Forêts, j'avais évité les personnages pris dans des tourmentes familiales - ils étaient libres, flottants et sans famille, comme les personnages chez Murakami - mais en devenant papa, je me suis intéressé davantage aux situations familiales complexes comme sources d'inspiration pour ma fiction.>>.

Il était de bon ton, avant la mode de l'envahissante auto fiction, de se moquer des auteurs qui écrivaient leurs souvenirs lorsqu'ils étaient encore jeunes, et bien je pense que c'est un tort car si David Mitchell avait attendu son « Fond des forêts aurait perdu en fraicheur.

En outre d'avoir écrit ce merveilleux livre qui m'a procuré tant de plaisir, je suis reconnaissant à David Mitchell d'avoir mis en scène un garçon qui n'aime pas ses parents d'une façon immodérée (il faut dire que ce fut mon cas); cela nous repose de tous ces livres, généralement assez mauvais dans lesquels l'auteur hisse laborieusement son géniteur (curieusement plus souvent que sa génitrice) sur un piédestal qu'il voudrait inexpugnable.

Jason fait parti de ces êtres de papiers dont j'aimerais beaucoup avoir des nouvelles, connaître la suite de son histoire. C'est malheureusement rare de retrouver un personnage dont pourtant vous vous êtes senti si proche le temps d'une lecture, mais avec David Mitchell je ne désespère pas tant il est enclin à faire revivre ses créatures de livre en livre. Je rêve que Jason Taylor devienne l'Antoine Doisnel de David Mitchell.

  

Black Swan Green

 

 

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5 avril 2020

Antonio Canova

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Antonio Canova (1757-1822), 1779 « Dédale et Icare » 
Musée Correr à Venise

 

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Ganymède avec l'aigle

5 avril 2020

Peter Samuelson

 

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5 avril 2020

Otho Cushing

 

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5 avril 2020

Le garçon en rouge du pier 31

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Le garçon en rouge du pier 31
Le garçon en rouge du pier 31
Le garçon en rouge du pier 31
San Francisco, Californie, aout 1988

San Francisco, Californie, aout 1988

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5 avril 2020

Le clan, un film de Gaël Morel


France, 2004, 90 mn

réalisation: Gaël Morel, production: Philippe Jacquier, scénario: Christophe Honoré & Gaël Morel, image: Max Jean-Bernard, son: Camille Rocailleuxe


avec:Nicolas Cazale (Marc), Stéphane Rideau (Christophe), Thomas Dumerchez (Olivier), Salim Kechiouche (Hicham), Bruno Lochet (Père), Vincent Martinez (professeur), Jackie Berroyer (Robert), Aure Atika (Emilie), Nicolas Paix (Montana), Mathias Olivier (Ryan), Gary Marie (Luc), Geordie Piseri-Diaz (Jeremy), Clément Dettli (Henry), Pierre Vallin (Sly), Janine Ribollet (Mère de Sly)


Résumé
Trois frères doivent faire face à leur douleur  après la mort de leur mère. Il y a Marc qui est obsédé par la drogue. Il est à la fois en colère et confus. Son échapatoire est l'exercice et la capoeira, une discipline qui mélange danse  et arts martiaux. Marc pense que son seul ami est son chien, qui est tué par la vengeance du fait d'un trafiquant de drogue que Marc n'avait pas payé. Christophe, le frère aîné vient de terminer une peine de prison. Il tente de se réinserrer par le travail. Il essaye de remettre Marc du bon coté de la loi.Toutefois, il lui est impossible d'obtenir le pardon de son père pour avoir été en prison quand sa mère est morte.

Enfin, il y a Olivier, le plus jeune des trois frères, qui se sent perdu après la mort de sa mère, et qui commence une relation avec un ami de Marc, Hicham. Hicham va tenter de ne pas seulement enseigner l'art de la capoeira ( une discipline qui mélange la danse et les arts martiaux, cette pratique est originaire du Brésil. Elle était traditionnellement pratiqué par les esclaves, les trois frère ne sont-ils pas esclaves de la perte de leur mère?) à Olivier mais aussi essayer de lui apprendre à accepter sa nature homosexuelle.
 

L'avis critique
Le titre «Le Clan», se réfère à celui que forme les trois frères et leur père après la mort de la mère. Alors que le titre international est «Le Clan, Trois esclaves danseurs (3 Dancing Slaves). Ce titre a été choisi parce que la pratique des trois frères de la capoeira, une discipline qui mêle danse et arts martiaux originaire du Brésil,  était traditionnellement pratiqué par les esclaves. Il est utilisé comme une métaphore, les trois frères sont esclaves de la perte de sa mère. Mais aussi, il met l'accent sur ce qui est le plus réussit dans le film la peinture de ce lumpen prolétariat auquel semblent condamné cette fratrie. 
Si film a été réalisé par Gaël Morel, son scénario est du à Gael Morel mais aussi à Christophe Honoré. La symbiose ne s'est pas bien fait entre les deux inspirations. Le thème principal du film les déchirements dans une fratrie est celui qui obsède Honoré depuis toujours et que l'on retrouve dés son premier film, "Tout contre Léo" et aussi dans ces livre comme "L'infamille", Morel y a greffé son monde ouvrier, pour ne pas dire ouvriériste alors que le milieu où évolue les personnages de Christophe Honoré est la bourgeoisie petite ou moyenne. Cet hétérogénéité du scénario est un des problèmes principaux du filme qui alterne le meilleur,  toute la partie où l'on voit Marc (Stéphane Rideau, parfait) dans l'entreprise où il se réinsère. Morel, parce qu'il en vient est un des rares cinéastes français a pouvoir filmer le prolétariat d'une façon convaincante. Autre point intéressant le questionnement sur ce monde d'hommes qui vient de perdre son unique élément féminin. Le pire est tout ce qui touche le gangstérisme autour de la cité où habite les trois frères. Il y a de nombreuses parties du scénario qui souffrent d'une utilisation de l'ellipse d'une manière excessive, et bizarrement d'autres sont sacrifiées au profit de scènes qui sont complètement inutiles par rapport à l'histoire. Le scénario passe d'une histoire ayant rapport à l'un des trois frère sans transition d'où l'impression de décousu.Il montre les caractéristiques de la vie de chacun des garçons. On s'aperçoit vite que la seule chose qu'ils partagent, c'est l'absence de leur mère. La narration n'est pas linéaire. Il y a de nombreux retours en arrière qui ignore toutefois des périodes de la vie des protagonistes. Le spectateur doit déduire ce qui s'est passé pendant celles-ci en étant particulièrement attentif aux dialogues. Le plus gênant est que si on arrive à peu près à reconstituer la trajectoire de chacun en revanche on ne comprend pas les raisons de leur évolution psychologique. Néanmoins on ne connait pas l'origine de la relation entre Hicham et Olivier. 
D'autre part Gael Morel s'est laisser aller au plaisir de filmer les corps de ces trois jeunes acteurs. Si on le comprend cela aboutit à des scènes de sexe improbable comme le rasage du cul du plus jeune frère par Hicham. Parfois d'une façon incompréhensible Maurel est saisi d'un accès de pudeur comme dans la scène dans laquelle Olivier et Hicham font l'amour où soudain il quitte le couple pour faire un long plan fixe sur le ciel...
Encore une fois Gael maurel montre combien il est un bon directeur d'acteurs. Les acteurs sont tous bon, les jeunes bien sûr avec un coup de chapeau particulier à Nicolas Cazale que le scénario n'épargne pas mais aussi les ainés, Bruno Lochet dans le rôle du père et surtout Jackie Berroyer impressionnant en contremaitre.
Le film se termine sans que les problèmes qui assaillent la fratrie soit résolu, laissant le spectateur sur sa faim, il s'est tout de même repait de la plastique de quatre beaux jeunes hommes pendant presque deux heures.


 


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5 avril 2020

Les mouettes de San Francisco

Les mouettes de San Francisco
Les mouettes de San Francisco
Les mouettes de San Francisco
Les mouettes de San Francisco
San Francisco, aout 1988

San Francisco, aout 1988

5 avril 2020

Mes vies d'Edmund White

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Edmund White, né en 1940, est aujourd’hui considéré unanimement comme l’ un des plus grands écrivains américains contemporains; ce que ne fait que confirmer Mes vies, son autobiographie et comme l’atteste deux avis d’auteurs aussi autorisés que peu amènes pour leurs semblables. Je veux parler d’abord de Gore Vidal, qui écrivait à propos de "Nocturnes pour le roi de Naple", << Une invention baroque qui surprend par son éclat et sa force.>> quant à Rinaldi dans l’Express, il s’émerveillait: << Un talent neuf de tournure européenne... Chaque paragraphe ménage un plaisir, propose une trouvaille.>>. Mais l’atrabilaire corse ne pouvait garder longtemps son fiel par de vers lui. On peut ainsi lire dans son choix de chroniques littéraires édité par Plon, "Service de presse", dans celle qu’il consacre au Genet de White: << M White est un pénétrant romancier américain, qui condamné à l’insuccès dans son pays par ses qualités mêmes, refit surface en France, où le soutenait l’audace de l’éditeur Olivier Cohen. Nous avons été les premiers, ici, à saluer son talent qu’il a ensuite placé exclusivement au service de la littérature gay. De quoi il résulta la satiété provoqué par la spécialité régionale quand on a plus que celles-ci à manger.>>. Cette critique est intéressante car elle mêle, comme toujours avec brio chez Rinaldi, l’information, la pertinence de l’observation au lieu commun que ne parvient pas à hisser au statut de vérité, une métaphore audacieuse. S’il est vrai qu’Edmund White accéda d’abord en France à un succès tardif, il a alors plus de quarante ans, il faut être myope pour ne voir en lui qu’un écrivain de genre. Contrairement à ce qu’écrit Rinaldi, la force de White est d’avoir dépassé une littérature communautariste, qu’elle soit sexuelle ou géographique. Tout comme Faulkner avec son comté d’un sud imaginaire, à travers ses blonds rêvés White atteint à l’universel. J'ai consacré un livre très intéressant sur la place des écrivains gays dans la littérature américaine:  Eminent Outlaws de Christopher Bram où libération gay et littérature américaine questions sur l'avenir du roman gay américain.
Edmund White a choisi de ne pas écrire ses mémoires de manière chronologique, mais en les découpant par thèmes, mon père, ma mère, mes tapins... Néanmoins il commence par son enfance et ses parents. On retrouvera tout au long du livre, les fantômes croisés dans Un jeune Américain, La symphonie des adieux, La tendresse sur la peau ou L’homme marié ( tous édités par 10-18). Pourtant son œuvre romanesque ne se confond pas avec ces confessions, comme il l’explique: « Dans le roman on est forcé de créer un arc narratif, des archétypes et donc des personnages moins excessifs que dans la vie. L'autobiographie a une seule contrainte : dire la vérité, se livrer entièrement, bizarrement, comme on est.>>. Travail d’introspection mais surtout travail de remémoration, la douleur de l’absence se mêle souvent au plaisir d’un souvenir qui surgit soudainement. Fréquemment on voudrait pour lui, car au fil des pages on entre en empathie avec ce narrateur, au début si distant, que sa mémoire soit moins infaillible. A la différence de bien des autobiographies, il ne s’agit pas pour Edmund White de se fabriquer une vie espérée, une vie en somme supplémentaire, faussement linéaire, d’écrire un livre d’ autohommages pré-posthumes. On ne trouve que la franchise la plus crue dans Mes vies.

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Edmund White.With Truman Capote. Photo by Robert Mapplethorpe.

 


La qualité littéraire des chapitres est inégale. Au ton un peu sec, distancié et froid des premiers, évoquant son enfance perturbée par le divorce de ses parents lorsqu’il est âgé de sept ans, succède une impudeur torride dans les suivants; en particulier dans celui intitulé, mon maître dans lequel Edmund White nous raconte par le menu, ne nous épargnant rien de ses pratiques sexuelles sadomasochistes, sa passion pour un bel athlète beaucoup plus jeune que lui. Il a soixante ans lorsque cette passion le dévore tel un cancer. Ce segment m’a laissé partagé entre l’ admiration pour cette sincérité absolu alliée à un recul qui permet à l'acuité psychologique remarquable de l'écrivain de s’exprimer, ce qui n’est pas un mince paradoxe pour un texte qui nous narre une folle addiction amoureuse et sexuelle. Cette alliance contre nature sauve l’exercice du crapoteux.

Le ton des mémoires d’Edmund White est singulier grâce à la distance qu’il met à nous raconter des épisodes particulièrement dramatiques de sa vie et à nous décrire, d’un ton détaché, le nombre de zozos que les méandres de son escarpé chemin l’ont amené à côtoyer, tel ce malfaisant psychanalyste qui m’a fait beaucoup penser à celui également absolument barge décrit dans le réjouissant “Courir avec des ciseaux” d’Augusten Burroughs (éditions 10-18, domaine étranger). Cette mise à distance débouche souvent sur des considérations d’une irrésistible drôlerie comme celle sur dieu: <<Dieu me laissait-il septique parce que c’était un mâle adulte blanc et autoritaire et dont le fils me paraissait saugrenu dans les années quarante et cinquante, avec sa barbe, ses longs cheveux, ses yeux liquides et sa compassion quasi morbide?>>. Curieusement on ne voit pas cette incongrue interrogation écrite par un écrivain d’une autre nationalité qu’américaine tant on y retrouve des réminiscences de Mark Twain.
Chez Edmund White un exceptionnel sens de la formule rend ses sentences, quelque peu péremptoires, savoureuses; en voici un exemple: <<Les adolescents sont effroyablement conventionnels au moment où ils s’avancent, nerveux, sur la pointe des pieds, dans la grande salle de bal bondée de l’age adulte.>>. Ces bonheurs d’observation tranchent sur un style parfois un peu plat qui soudain prend du relief grâce à une comparaison proustienne: << Mais ici à Cincinnati, il n’y avait que ces ploucs hétéros efflanqué, les yeux dans les étoiles, la braguette tumescente, qu’on pouvait ouvrir pour en exposer le contenu, comme certaines statues de Notre-seigneur se déchirant la poitrine pour exposer son Sacré-Cœur.>>. De même sa froideur naturel se réchauffe tout à coup au tendre souvenir d’un tapin entrevu et jamais oublié. Je m’émerveille de sa mémoire d’un cul tâté, qu’une seule nuit, des dizaines d’années auparavant! Le chapitre sur ses tapins, pour sa partie française, devrait avec le passage sur les garçons de la rue sainte Anne, rappeler bien des souvenirs inavoués à de nombreux gays français.

Chaque chapitre est entrelardé de considérations sur l’art et la création, la littérature et la sexualité, comme celle-ci: " Proust, Gide, Genet _ trois écrivains non seulement homosexuels mais qui placent l’ “inversion” au coeur de leur art_ me persuade que  l’homosexualité a été essentielle au développement du roman moderne, parce qu’elle conduit à une redéfinition de l’amour, à un profond scepticisme sur le caractère naturel de la répartition des rôles entre les sexes, et à une renaissance de la tradition classique de l’amour entre personnes du même sexe qui avait dominé la poésie et la prose occidentales jusqu’à l’ avènement du christianisme... Cette tradition fut pour moi une source d’inspiration. Elle attestait que l’art avait toujours le pouvoir de créer des mythes et de transformer le monde. Elle montrait que la fiction n’était pas seulement mimétique mais aussi prophétique.". Parfois ces profondes pensées se trouvent au beau milieu d’un passage des plus salace, l’effet comique (involontaire?) est indéniable.
Dans la revigorante émission de Frédéric Mitterand "Ça me dit l’après midi" sur France-Culture qui était consacrée à Edmund White, que l'on peut écouter ci-dessous, un de ses amis, René de Ceccaty explicitait très bien le rôle de l’homosexualité dans la création littéraire: << La sexualité ne peut pas être un signe fédérateur; mais il faut comprendre qu’un écrivain ait besoin de se définir comme un écrivain gay. Cela ne suffit jamais à qualifier sa littérature. Ne serait-ce parce qu’il n’y a pas “UNE” homosexualité mais “DES” homosexualité. Edmund White est le premier à le savoir, tous les écrivains gays américains lui envoient leur travail. Ce n’est jamais un marquage de rapport profond à la vérité ni à la littérature. En même temps, je crois que l’identité gay d’Edmund White est importante pour comprendre le fonctionnement de sa littérature. Un lecteur reconnaît l’écrivain qui a un tropisme gay, moins par ses obsessions que par son ouverture d’esprit qu’il a été obligé de développer vivant dans une société où la sexualité dominante et visible n’est pas celle qu’il pratique. Il aura acquis une habitude d’observation beaucoup plus grande, ne serait-ce que pour se conformer aux usages communs, que celui qui se laisse porter par son orientation, qui est celle du plus grand nombre. Il suffit pour s’en convaincre de lire l’oeuvre de Marcel Proust."
Tout au long de sa vie Edmund White n’a jamais cessé de s’interroger sur la pérennité de l’art, attentif à ses évolutions: << A la fin des années cinquante nous croyions encore en la pauvreté digne. Nous croyions encore que la beauté devait être difficile, que l’incompréhension était une première étape nécessaire vers l’initiation, et que le temps déterminerait de manière irréfutable laquelle de nos entreprises artistique en cours devait mener vers le bon, l’unique, l’inéductable mouvement suivant>>. Comment décrire mieux, à la fois avec candeur et clarté, qualités omniprésentes dans Mes vies, la course à l’avant garde qui mine l’art contemporain?
Il est plaisant de lire dans Mes blonds un vibrant hommage aux blonds, quand ici ils sont brocardés et qu’y règne la douteuse hégémonie de l’esthétique lascar. L’auteur préfère la blondeur, mais sans exclusive. En observant les photos de ses amants, dans le trop mince cahier d’images inséré dans le livre, on peut constater que pour cela, comme pour autre chose, il n’a pas mauvais goût. <<Les blonds avaient du duvet sur les bras, une touffe de barbe à papa sous chaque bras, une peau sans pores, douce comme de la vieille percale et d’une jeunesse élastique, les pieds froids et la poitrine chaude, une barbe qui poussait tardivement et un crâne qui se dégarnissait prématurément. Même leur calvitie était patricienne. Les blonds étaient rares, purs; leur cou et leur front rougeoyaient et leurs bras devenaient d’un brun ambré sous une poussière de fils d’or. Le lin rose et le vert pâle et le denim bleu délavé leur allaient bien, leur pieds bronzés et nerveux sans chaussettes dans de vieux mocassins bien cirés...>>

Il est intéressant de comparer deux mémoires américaines, celle d’Edmund White avec celle de Gore Vidal, Palimpseste (éditions, point Seuil) . Alors que l’on décèle chez White une certaine haine de soit très en vigueur malheureusement chez les gays de son âge, rien de semblable chez Gore Vidal, pourtant presque d’une génération antérieure à Edmund White. Gore Vidal, lui, est très satisfait de sa personne et il explique sont absence de culpabilité sexuelle par le fait qu’il soit issu de l’élite dirigeante: << Le Dr Kinsey était intrigué par mon absence de culpabilité sexuelle. Je lui dis que c’était probablement une question de classe sociale. Autant que je sache, personne dans ma famille n’avait jamais éprouvé ce genre de culpabilité, qu’on retrouve chez les classes moyennes mais contre laquelle les gens de pouvoir paraissent immunisés. Nous faisions ce que bon nous semblait et n’en pensions rien de particulier. Kinsey m’a dit que je n’étais pas « homosexuel » – sans doute parce que je n’avais jamais sucé une queue ou que je ne m’étais jamais fait enculer. Malgré cela, je battais le record mondial de rencontres avec des jeunes inconnus, rivalisant ainsi avec le très actif Jack Kennedy et son besoin d’une fille différente chaque jour.>>. Edmund White tout au long de son livre rappelle qu’il est issu de la classe moyenne. Cette différence vient peut être aussi, que si Edmund White est avant tout un écrivain de l’introspection, Gore Vidal, beaucoup plus extraverti, se situe résolument du coté du roman d’imagination et même pour certains de ces opus crypto-historiques, assez près du loufoque. Il n’est pas inutile non plus de convoquer un autre “retour sur vie” d’un troisième grand écrivain américain homosexuel, Frederic Prokosch avec son superbeVoix dans la nuit qui n’est que le portrait en creux de l’auteur par le biais de ses prestigieuses rencontres, Thomas Mann, Somerset Maugham, Bill Tilden... Chaque chapitre du livre de Prokosch est une évocation raffinée de l’une de ses admirations, presque toutes homosexuelles, mais le mot ni la chose ne sont jamais cités, ni pour elles, ni pour lui. On voit, malgré les obscurantismes le chemin parcouru ces quarante dernières années...
Le livre est aussi une plongée dans l’âme d’un jeune gay des années 50-60 qui, malgrè sa singularité, est aussi représentatif de sa génération, écartelée entre la culpabilité et la recherche frénétique d’un plaisir, trop souvent tariffié, en fin de compte médiocre et décevant. Edmund White fait revivre une époque qui sera quasiment incompréhensible pour les plus jeunes, quand il parle de son amour des westerns lorsqu’ il était adolescent parce que s’était la seule occasion pour le garçon de voir des hommes, les indiens, torse nu. Il en tire, un peu vite, la conclusion que cela explique l’attirance des gays de son âge pour les peaux bronzées, ce qui n’est pourtant pas son cas. Il démontre qu’il y eut bien un avant et après Stonewall, << C’était la fin de l’automne 1968, un peu plus de six mois avant le soulèvement de Stonewall. Nous étions les dernières victimes sacrifiées à l’ordre ancien, comme les derniers garçons castrés à Pékin en 1909 pour devenir des eunuques dans une cour sur le point d’être anéantie par la révolution.
A lire le segment de vie, "Mon Europe" on pourrait croire que l’auteur est un francophobe patenté, si par ailleurs il fustigeait sans discontinuer les américains de toutes races, de toutes contrées et de toutes obédiences. Mais ayant résidé aussi en Angleterre et en Italie les autochtones de ces deux pays ne sont pas mieux traités. Il est certain que s’il était allé sur la lune, les sélénites n’auraient pas été plus épargnés par ses sarcasmes...
Les pages françaises, que l’on aurait aimées plus nombreuses, offrent un tableau réjouissant et caustique du petit milieu littéraire parisien, autour des éditions Rivage, en pleine mitterrandolatrie. Et si les cadavres ne portent pas de costard, Foucault et Gilles Barbedette sont pourtant habillés pour l’éternité.
Un des plaisirs du livres sont les portraits vachards que l’on découvre au détour d’une page. Ils ne sont pas sans rappeler ceux que brossait jadis Léon Daudet  dans ses souvenirs. Ce n’est pas faire offense à ce néanmoins grand francophone et francophile qu’est Edmund White, que de penser que pourtant il ne les connaît pas. Mais celui de Rohmer, << Eric Rohmer, le plus cérébral de tous les cinéastes. Rohmer, vieil homme à l’allure de moine obsédé par les jeunes sottes.>>, est de la même encre que celle du chantre obèse de l’Action Française... On regrette tout de même qu’il en soit si chiche de ces portraits cursifs, alors qu’il a rencontré tout le monde, comme il le dit lui même, de la reine d’Angleterre à Jasper Johns en passant par Christopher Isherwood, Twombly ou encore Mapplethorpe ... Mais sans doute craignait-il que son livre devienne un name-dropping à l’instar de celui de Gore Vidal comme le fait justement remarquer Matoo dans son excellente critique des mémoires de ce dernier. On peut aussi s’émerveiller de sa liberté de ton et pas seulement sur ses frasques sexuelles, mais aussi par exemple quand il dénonce le racisme et le corporatisme des juifs new yorkais décidément le politiquement correct n’a pas encore atteint Edmund White et c’est heureux. Mais le ressentiment ne dure jamais longtemps chez lui tant il est vite submergé par des vagues de tendresse que l’apparente froideur de l’écriture tente d’ endiguer.
On n’apprend pas grand chose de la cuisine littéraire de l’écrivain. Il ne se met jamais en scène au travail sinon pour des écrits alimentaires ou pour des œuvres qui n’ont pas été publiées. Il réserve tout de même un chapitre à ce qui a été son grand œuvre et a établi définitivement sa réputation en France, la biographie de Jean Genet. On voit avec quel sérieux et avec quelle humilité il s’est attelé à la tâche.
En refermant le livre, on s’aperçoit qu’ au fil des pages, on a appris à aimer cet homme touchant, multiple qui n’a en fait, à travers ses multiples vies, mu par une énergie de chaque instant, que rechercher l’amour.
5 avril 2020

Daniel Stockman

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5 avril 2020

Paul Reitz

 

 

Paul Reitz
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