Alix l'intrépide de Jacques Martin
Toute cette aventure est sous l'influence de Ben Hur. L'histoire est globalement différente, bien sûr, mais il y a de multiples séquences qui semblent être des "réminiscences" du livre ou du film muet de 1929 puisque ne faisons pas d'anachronisme, le grand film de William Wyler n'existait pas au moment où Jacques Martin a dessiné cet album en 1948. Premier exemple frappant : le début avec Alix qui se penche depuis un mur et qui fait tomber des pierres sur un général romain en train de défiler. Par la suite, on découvre aussi une galère attaquée par des pirate, l'adoption d'Alix par un patricien romain puis le décès de celui-ci, la fameuse course de char spectaculaire ... ce sont des scènes marquantes du roman de Lewis Wallace.
La planche 1 telle qu'elle est parue en 1948 dans l'hebdomadaire Tintin
ci-dessous l'originale de la planche
En ce qui concerne l'élaboration de cette première aventure n'oublions pas que nous sommes en 1948 et que les sources de documentation n'ont rien à voir avec ce qu'on trouve aujourd'hui. Dans "Avec Alix", J Martin explique qu'il se rendait régulièrement dans une bibliothèque de Verviers à l'époque et que sa source principale d'information était le Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines de Charles-Victor Daremberg, qui comprenait 9 volumes. C'est là qu'il y découvrit les éléments pour reconstituer le palais du roi Sargon à Khorsabad, ainsi qu'une représentation du colosse de Rhodes et d'autres encore.
Une planche de l’épisode «Alix l’intrépide» représentant une scène navale comme celle ci-dessus et publiée dans le journal Tintin du 3 février 1949 a été vendue à 32.002 euros alors qu’elle avait été estimée entre 13.000 et 15.000 euros, indique dimanche soir la salle de vente bruxelloise Banque Dessinée.
On peut penser que la raison de la présence de Khorsabad serait que JM avait dû lire quelque chose sur les fouilles archéologiques françaises de Khorsabad par Paul-Emile Botta (en1840-1850) (dont quelques Kerubs sont au Louvre), d'où l'imagination qu'un trésor s'y trouverait encore.
De Khorsabad à Trébizonde, Alix traverse le royaume d'Arménie, qui, chose curieuse, n'est jamais nommé. En -610, les Haïkans, une tribu thraço-illyrienne, se fixe en Médie, où elle se mélange pacifiquement aux anciennes tribus autochtones, formant un État indépendant (Alix rencontre une tribu de Haikanes qui semble être traquée par les autres groupes ethnique du lieu...) ; le nom d'Arménie n'apparaît qu'en -520. La région passe successivement sous la tutelle des Mèdes, des Perses et des Macédoniens d'Alexandre ; elle prend à cette occasion une forte teinture hellénistique qu'elle ne quittera plus. En -190, les Grecs ayant été battus par les Romains, l'Arménie redevient indépendante. En -95, son roi Tigrane le Grand fonde un vaste empire qui va du Caucase à Mossoul et de la Caspienne à Antioche. Mais Rome finit par s'inquiéter de sa puissance et, en -66, il est vaincu par les légions de Pompée ; le pays devient un protectorat romain, tout en restant gouverné par ses rois ; au siècle suivant, il sera partagé entre Rome et les Parthes. A l'époque à laquelle Alix le visite, le pays est en paix. A ce propos il y a une bizarrerie à relever : c'est la conquête de Khorsabad par le général Marsalla. Comme le récit débute quelques semaines après la bataille de Carrhes, au moment de l'entrevue entre Suréna et Crassus, j'imagine mal qu'un général romain ait poursuivi le siège d'une ville en territoire ennemi alors que l'armée principale était en train de faire retraite.
Khorsabad est un lieu crucial dans l'existence du héros il y retrouve sa mère, dans le roman "Le sortilège de Khorsabad".Elle avait été enlevé par Arbacès. Voici la biographie de Myrdinna, la mère d'Alix. C'est Arbacès qui parle:
"Elle a été mon esclave, Alix! A Délos, elle avait avalé une drogue qui l'avait fait passer pour morte. Le mélange de ce breuvage et de son antidote eut des effets imprévisibles.Ta mère a sombré inexorablement dans la démaence. Je ne te connaissais pas encore quand elle est entrée en ma possession, sinon...
-Monstre!Je ne sais ce qui me retient...hurle Alix
-Elle devint de +en+ incôntrolable. Pendant son séjour à Tyr, je l'ai cédée à un aubergiste nommé Damon pour payer mes dettes de jeu. Et tu vois Alix, les gardes, les archers , les citoyens de Tye, et même les chiens et les rats: tous savent que ta mère est folle!"
Plus tard, Alix retrouve Myrdinna, qui meurt dans les bras de son fils
"Myrdinna, petite mère...C'est moi, Alix, ton fils...Myrdinna petite mère...
Mais qu'arrive t'il? Son petit Alix s'est-il blesssé. Il pleure. Allons viens chez maman, elle va poser un doux bisou sur le vilain bisou. Et parce que tu es sage, j'ai un cadeau pour toi.Regarde, une belle poupée.
-Myrdinna petite mère...
Je sais, les poupées, ce n'est pas pour les garçons mais c'est tout ce que je possède. Je l'ai gardé rien que pour mon Alix. Je lui ai tellement parlé qu'elle est devenue un peu toi, un peu moi.Maintenant, tu peux l'avoir , mais tu dois cesser de pleurer. Ecoute la, elle t'aime comme je t'aime. Et toi?
-Oh, oui, je t'aime .Maman...
-Il se fait tard. Il faut dormir.Serre-moi encore dans tes bars....Et nous dormirons...Alix...
Alix étreint sa mère.Et pour elle, qui ne l'entend plus,il retrouve le langage lointain de son enfance et chante à voix basse:
-Un matin, petit moineau, tu étendras tes ailes et tu vaicras le ciel."
le sanctuaire d'Apollon à Rhodes (octobre 2012)
Il semble que la bataille de Carrhæ eut lieu à 40 km au sud de cette ville, mais les spécialistes discutent encore pour savoir si ce fut sur la rive droite ou la rive gauche du Ballissos.
Crassus, de fait, ne sortit pas du bassin de l'Euphrate (Carrhæ est à la frontière de la Turquie/Syrie).
L'étreinte de Némésis de Steven Saylor
Il est indispensable lorsque l'on aborde un livre de Steven Saylor de doublement le situer, d'abord dans l'Histoire et ensuite dans la chronologie des enquêtes du limier Gordien. Dans « L'étreinte de Némésis », nous sommes en 72 av. J.C. Mis à part l'épilogue qui se passe deux ans plus tard soit en 70 av. J.C. L'histoire se déroule dans un laps de temps de cinq jours. Rome tremble. La République est sous la menace d'une révolte d'esclaves conduite par Spartacus. Plusieurs consuls successifs ne sont pas parvenu à vaincre cette horde. Crassus, militaire expérimenté et l'homme le plus riche de Rome lève une armée privée pour vaincre Spartacus. Le temps presse car Crassus veut battre de vitesse Pompée, le prestigieux général, qui d'Espagne marche sur l'Italie ne doutant pas d'écraser la révolte avec son armée aguerrie. Une victoire sur Spartacus ouvrirait pour le vainqueur immanquablement la route vers le consulat.
Gordien a maintenant 38 ans. Il vit toujours maritalement avec son esclave Béthesda et Eco qu'il a adopté. Sa situation matérielle s'est amélioré par rapport à la période où il a connu le garçon, lors de son enquête sur la mort de S (voir « Du sang sur Rome » http://lesdiagonalesdutemps.over-blog.com/2016/08/du-sang-sur-rome-de-steven-saylor.html. )Dans cette nouvelle enquête Eco joue un peu le rôle qui était attribué à Tiron dans la précédente.
Une nuit le richissime Crassus fait dépêcher en urgence Gordien à Baia où un de ses hommes liges, Lucius Licinius a été sauvagement assassiné dans sa luxueuse villa. Deux de ses esclaves sont en fuite. Sont-il allés rejoindre Spartacus? Gordien ne croit pas à cette éventualité qui paraît trop évidente. Si le soir des funérailles de Licinius, Gordien n'a pas trouvé un autre coupable, tous les esclaves de la maison, ils sont cent, seront exécutés, femmes et enfants compris, comme l'exige la loi romaine car lorsqu'un maitre a été tué par un esclave tous les esclaves de la maison doivent être tués (Saylor s'appuie là sur un texte qui se trouve dans « Les annales de Tacite ». La femme de Licinius ne croit pas à la culpabilité des deux esclaves et voudrait sauver sa domesticité de même que Mummius,* le principal général de Crassus car il est fou amoureux d'un des esclave de Licinius, le bel Apollonius... Gordien parviendra-t-il a arracher les esclaves de feu Licinius des bras de Némésis, la déesse du châtiment? Saylor distille à chaque page une foule de détails sur la vie quotidienne des Romains, nourriture, découpage de la journée d'un citoyen, traditions, contexte politique, moeurs sexuelles, lois..., tout en peignant un cadre si évocateur, ici les riches villas patriciennes de la baie de Naple, qu'on plonge littéralement dans son intrigue sans plus se soucier de ce qui se passe autour de nous. Avec ce roman Steven Saylor montre qu'il est un maitre du suspense. Après Sylla dans son premier opus, c'est cette fois la figure de Crassus que l'auteur place au centre de son roman.
Contrairement à son premier roman, ici Saylor n'a pas de texte ancien qu'il peut utiliser comme un guide pour développer son histoire. Il place le thème de l'esclavage au premier plan qu'il traite dans ses divers aspects (galériens, révoltes d'esclaves, combat de gladiateurs) à côté d'autres thèmes comme la peinture, les médicaments et les poisons. Comme dans « Du sang sur Rome » Saylor se révèle un remarquable paysagiste avec la peinture du golfe de Cumes avec ses champs soufrés et la grotte de la Sibylle. Cest particulièrement réussie.
L'enquête que mène Gordien ressemble un peu à celle que mènerait Hercule Poirot dans un manoir du Kent. Même riche assemblé, la nuit du crime il y avait du beau monde chez, ou dans les parage de la villa de Licinius, une peintre célèbre et son assistante, un architecte, Sergius Orata**, spécialisé dans la construction de thermes (on se croirait un instant dans « Thermae Romae », voir le billet que j'ai consacré à ce manga: Thermae romae de Mari Yamazaki (réédition augmentée)), un vieux philosophe grec, obligé de la maison, Crassus en personne et ses deux lieutenants Marcus Mummius et Faustus Fabius. Même problème classique du roman à énigme, le crime a eu lieu dans un lieu clos. La villa était gardée par les hommes de Crassus, personne n'a pu y entrer sans être vu. Mais bien sûr, c'est beaucoup plus compliqué que cela et le roman a énigme se mue rapidement en thriller antique.
Outre l'intrigue passionnante et l'épaisseur des personnages, il est difficile de ne pas entrer en empathie avec Gordien et son fils Eco, Steven Saylor nous fait visiter des lieux spécifiques du monde romain antique, aussi divers que la chiourme d'une galère ou que l'antre d'une pythie. Avec une science consommée du romancier il fait passer en contrebande ses leçons d'Histoire.
Il n'en demeure pas moins que je soupçonne quelques anachronismes dans ce livre pas dans les moeurs ou dans les détails de la vie quotidienne de ce premier siècle avant J.C., bien que j'ai été surpris qu'on y parle d'une bouteille de falerne mais surtout dans la psychologie des personnages. La question des rapports entre hommes libres et esclaves me paraît avoir dans l' « Etreinte de Némésis » une importante trop grande. De même que le souci constant de Gordien des esclaves me semble excessif; certes sa femme est une ancienne esclave, il l'affranchit à la fin du livre, ce qui peut expliquer cette sensibilité au monde servile. J'y vois aussi un américanisme, je pense qu'un européen mettrait moins l'accent qu'un américain sur le phénomène, très important néanmoins, de l'esclavagisme dans le monde antique. En cela la scène dans laquelle Gordien découvre les conditions horribles dans lesquelles les galériens vivent, me paraît exemplaire de cet anachronisme psychologique. En outre elle me parait directement influencée par une scène similaire qui se trouve dans Ben-Hur, tant dans le roman de Wallace que dans le film Wyler, mais Saylor souligne encore plus fortement que Wallace l'attitude inhumaine du chef de chiourme, sans doute trop fortement, car nous ne savons presque rien sur l'organisation exacte des galériens dans un navire de guerre romaine; les esclaves auraient été utilisés qu'en cas d'urgence. Autre américanisme, à la présentation de Memmius j'ai cru voir surgir un officier des Marines! Et j'ai immédiatement penser au personnage principal de « Reflet dans un oeil d'or »...
Dans « L'étreinte de Némésis, les révolte d'esclaves. Vous apprendrez probablement que celle de Spartacus n'a pas été la première et qu'elle a été précédé par celle dirigée par Eunus en Sicile vers 130 av. J.C. Cet Eunus se disait capable de prédire l'avenir et se fit couronné roi des esclaves!
L'ouvrage se termine par des notes de l'auteur contenant une précieuse bibliographie dont le lecteur curieux saura faire son miel.
Le fait que l'intrigue soit haletante ne doit pas faire oublier la réelle qualité d'écriture de Steven Saylor comme l'illustre le savoureux incipit de « L'étreinte de Némésis »: << Malgré ses indéniables qualités (son honnêteté et son dévouement, son intelligence et sa troublante agilité), Eco n'était pas vraiment la personne indiquée pour répondre à la porte : il était muet.>>. Les dialogues sont très réussis et montre que les langues de putes sont éternelles: << - Vous devez connaître l'opinion des pythagoriciens. Les haricots produisent d'importantes flatulences, ce qui crée une situation conflictuelle avec une âme en quête de vérité.
- Vraiment ? Comme si c'était l'âme et non le ventre qui se remplit de vent! s'exclama Metrobius.
Puis il se pencha vers moi et à voix basse :
-Ces philosophes... Aucune idée n'est trop absurde pour eux. Et celui-là est certainement un sac à vent, mais je pense que dans son cas tout le vent sort de sa bouche et pas d'ailleurs !>>. L'auteur sait également parsemer ses pages d'obsevations bien senties: << Il arborait le sourire supérieur de celui qui s'est levé tôt.>>.
J'insiste pour conseiller de lire les aventures de Gordien dans leur ordre chronologique, qui est aussi l'ordre dans lesquelles elles ont parues aux Etats-Unis. « L'étreinte de Némésis » est le deuxième tome de cette saga. Il est paru en 1992 aux Etats-Unis. Apparaît dans ce livre, à la page 72, Meto*** qui aura ensuite une grande importance par la suite...
Un roman passionnant qui réussit parfaitement à faire revivre la Rome antique de la République.
* Mummius est un personnage historique. Il appartient à la gent Mummia un clan plébéien dont au moins un membre, Lucius Mummius Achaicus, le vainqueur de la Grèce et le destructeur de Corinthe, avait occupé le consulat romain en 146 avant notre ère. Ce que mentionne Saylor. Mummius a bien participé à la lutte contre Spartacus, Il fut envoyé par Crassus pour aidé son fils Tibère Crassus mais leur armée fut vaincu. Saylor à la toute fin de son roman évoque ce fait d'arme. On ne sait pas si Mummius survécu à la bataille. Du moins je n'ai rien trouvé sur la suite de son existence, mais l'auteur qui lui prète ensuite une carrière politique a peut être trouvé des éléments que je ne possède pas.
** Caius Orata est également un personnage qui a existé. Simplement dans son cas Steven Saylor a pris quelques libertés avec la chronologie puisqu'il est mort en 91 av J.C.! C'est un sénateur romain réputé pour ses activités commerciales et son art de vivre. Les sources antiques insistent sur ses pratiques spéculatives et le présentent comme l'exemple du luxe et du bien-vivre. Il y est considéré comme l'introducteur à Rome des bains chauds suspendus (hypocauste) et des huîtres du lac Lucrin. Selon Valère Maxime,pour qui il est un exemple du luxe dans l'aristocratie de la fin de la république, il fut le premier à utiliser des bains suspendus (balneae pensiles) et consacra d'importants travaux hydrauliques à la pisciculture et à l'ostréiculture. Orata fit notamment fermer partiellement l'entrée du lac Lucrin pour permettre l'élevage de l'huître en régulant les mouvements de l'eau. Selon Pline l'Ancien, Sergius tira grand profit de ses huîtres, il tirait aussi de grands profits de l'aménagement et de la vente de villas équipées de bains.
*** Dans l'étreinte de Némésis nous ne connaissons pas l'âge exact de Méto mais dans « L'énigme de Catilina » qui se déroule en 63 av. J.C, le garçon à 16 ans. Il est donc né en 79 av. J.C. Il est par conséquent âgé de 7 ans dans le présent roman.
Dylan Jordan photographié par Nicola Collins
Ci-dessus: Denim Vest VINTAGE, T-shirt par AZUL PAR MOUSSY
Ci-dessus: Jeans et T-shirt VINTAGE, Socks par AMERICAN APPAREL, Formateurs par CONVERSE
En haut à gauche: T-shirt par CHAMPION En
haut à droite: Sweatpants par MICHAEL STARS, Cap par Duvin
Ci-dessus: shirt VINTAGE
En haut à droite: Jeans par TOPMAN, T - shirt comme avant.
En haut à gauche: Pantalons & Top par AZUL PAR MOUSSY, Socks par AMERICAN APPAREL, Formateurs par VANS, Anneau DYLAN'S OWN
En haut à droite: T-shirt par DUNVIN
La citadelle de Spinalonga
Les Vénitiens construisirent en 1579, sur les ruines d’une acropole antique, une puissante forteresse destinée à protéger le port d’Elounda. Les hauts murs et les deux bastions circulaires, sur le dessus de la colline, permettaient à l’artillerie de commander l’entrée du port d’Elounda.
Cette forteresse, dont il subsiste d’impressionnants vestiges, était l’une des places fortes les plus importantes et des mieux défendues de la Crète. Elle fut l’une des seules de toute la Crète, avec les forteresses de Souda (près de La Canée) et de Graboussa (au nord-ouest de la Crète et de Kastelli (Kissamou)), à ne pas tomber aux mains desTurcs, quand ceux-ci conquirent la Crète en 1669, après le siège de Candie.
Tout au long du xviie siècle, la forteresse est restée dans des mains vénitiennes et était un refuge pour les chrétiens se sauvant des Turcs. Après avoir résisté près d’un demi-siècle à la suprématie turque, et après un ultime siège de trois mois, les Vénitiens, durent finalement céder la place forte aux Turcs en 1715. Les Turcs s’y installèrent donc jusqu’au début du xxe siècle, quant à leur tour, ils furent chassés de Crète. Et là, on décida d’y parquer les personnes atteintes de la lèpre en Crète.
La léproserie, l'une des dernières en Europe, se trouvait dans le fort vénitien, restauré par les lépreux qui y vécurent de 1903 à 1957. Il y en eut jusqu'à 300 à 400 vivant en communauté, avec les corps de métiers qu’on trouve dans n’importe quel village grec, du coiffeur au pope. Le dernier habitant, un prêtre, y aurait vécu jusqu’en 1962.
Aujourd’hui l’île est inhabitée.
L'enigme de Catilina de Steven Saylor
Avec cette 3ème aventure, chronologiquement de la série de Steven Saylor, nous retrouvons Gordien, détective dans la République romaine, 17 ans après les évènements racontés dans « Du sang sur Rome » et 7 ans après ceux narrés dans "L'étreinte de Némesis". Nous apprenons, page 318, que Gordien a 47 ans; comme nous sommes en 63 av J.C., il est donc né en 110 av. J.C. La situation de notre héros a considérablement évolué depuis ses démêles avec Sylla, puis avec Crassus. Il n'habite plus sa maison dominant Subure. mais une vaste propriété agricole qu'il a héritée de son client et ami Lucius Claudius. Ce dépaysement trouble Gordien qui peine à oublier Rome. Cette nouvelle résidense du détective permet à l'auteur de nous montrer la vie dans une exploitation agricole à cette époque. Cet héritage n'a pas plu du tout aux cousins du défunt dont les terres entourent la propriété de Gordien. Ils ont contesté la validité de l'héritage mais comme Gordien lors de son procès a été défendu par Cicéron, il l'a gagné. Ce qui n'empêche pas ses voisins, membres de la puissante et vieille famille des Claudii, d'intriguer pour chasser, celui qu'ils estiment être un intru, de ce qu'ils estiment être toujours leurs terres, d'autant qu'ils trouvent la famille de Gordien pas du tout convenable. Notre nouveau propriétaire a en effet affranchi Bethesda, son esclave concubine avec laquelle, il s'est marié. Il y a sept ans; un enfant est bientôt arrivé au jeune-vieux couple, Diane. Elle a rejoint les deux fils de Gordien, tous deux adoptés. Il y a Eco, l'enfant mutique que le lecteur a rencontré dans « Du sang sur Rome ». Eco est aujourd'hui marié. Il a repris à la fois la profession et la maison de l'Esquilin de son père. Mais le grand souci de Gordien est son fils cadet, Meto, connu dans "L'étreinte de Némesis". On voit revêtir la toge virile pour ses seize ans. C'est surtout pour lui que tremble Gordien car son vieil ami Cicéron, devenu consul, auquel il doit d'avoir conservé sa ferme malgré les plaintes des Claudii, l'a contraint à une tâche difficile et dangereuse, la surveillance de Catilina sénateur corrompu qui joue la carte du Parti Populaire. On murmure dans Rome qu'il complote contre la République, trame des assassinats et rêve de dictature. Mais il n'est pas le seul à faire ce rêve. Il le partage avec Crassus, le citoyen le plus riche de Rome, qui n'est pas vraiment un ami de Gordien depuis l'affaire qui les a opposé dans "L'étreinte de Némésis", et peut être avec César, l'homme qui "monte" à Rome. Gordien et surtout Meto ne sont pas insensibles au charme de Catilina. Les cadavres ne tardent pas à cerner Gordien...
"L'énigme de Catilina" à l'intrigue passionnante et aux personnages attachants, j'ai un faible pour le naïf et cependant perspicace Meto, est un roman historique très intéressant par l'éclairage qu'il donne sur ce qu'il est convenu d'appeler la conjuration de Catilina. On connait principalement cet épisode de l'Histoire de Rome essentiellement par les quatre Catilinaires de Cicéron, l'ennemi juré de Catilina. On voit que Saylor à travers le personnage de Gordien a une approche moins manichéenne de cet épisode et sans prendre le parti des conjurés, il comprend leur révolte et semble regretter que Cicéron d' « homme nouveau » soit devenu l'homme lige des optimums. L'auteur parvient avec beaucoup d'élégance à insérer un exposé très claire de ce moment périlleux de l'Histoire de la République romaine dans son intrigue. Il fait sienne l'hypothèse que Crassus et peut être César soutenaient en coulisse Catilina. Si cela est probable, mais toutefois pas certains, pour Crassus, qui s'était enrichi grâce aux proscriptions de Sylla, les soutiens de Catilina se recrutaient principalement parmi les anciens partisans du dictateur, le soutient de César à Catilina est beaucoup moins évident. On peut tirer des conclusions opposées de cette lecture en faisant de Catilina un comploteur manipulateur mais on peut voir aussi en Catilina une victime d'un complot ourdi par Cicéron et ses affidés. Les deux lectures ne s'excluant pas obligatoirement dans cette lutte à mort que se livrent les deux camps.
L'histoire de Gordien et des siens se mêle aux événements politiques réels, qui sont vus du point de vue du détective: Catilina n'est pas vraiment réhabilité, mais cette personnalité est plus que fascinante, tandis que Cicéron apparaît comme un habile manipulateur. Saylor semble avoir à coeur d'humaniser les figures mal aimées de l'Histoire romaine, ici Catilina et précédemment Sylla dans « Du sang sur Rome » et Crassus dans "L'étreinte de Némésis". La confusion qui régnait aussi bien dans les rues de Rome que dans les esprits lors de la conjuration est bien rendue. L'intrigue plus particulièrement policière, qui touche le héros, trouve un dénouement assez surprenant. Gordien aura la révélation de la solution de l'énigme lors d'un songe très « martinien »; procédé qui devrait ravir les lecteurs des aventures d'Alix.
Le livre décrit avec précision le quotidien des romains de cette époque. Il traite principalement du cursus et des modalités des carrières politiques et, par l'entremise de Meto, des rites du passage d'adolescent à l'âge adulte.
Cette peinture de la fin de l'adolescence permet à l'auteur de mettre en scène les croyances et les superstitions des anciens romains: << Certains hommes politiques, Cicéron en fait partie, pensent que les auspices et les augures sont de pures absurdités et ne manquent jamais une occasion de le dire et de l'écrire. D'autres politiciens tel César considèrent l'art augural comme un instrument utile au service du pouvoir, au même titre que les élections, les impôts ou les cours de justice, que personne ne songe à mépriser (…) Les augures divisaient les oiseaux en deux classes : ceux dont les cris expriment la volonté divine-le corbeau, la corneille, la chouette et le pic-et ceux dont le vol fait connaître le vouloir des dieux : le vautour, le faucon et naturellement l'aigle, oiseau favori du roi des dieux.>>
Il ne faudrait pas faire un procès d'anachronisme au romancier du fait que sa description des hommes politiques romains soit très semblable à celle que l'on pourrait faire des nôtres. Je rappelle tout d'abord que l'ouvrage a été écrit en 1993. On y voit que le populisme est un ressort pour une carrière politique qui ne date pas d'hier. On peut juste trouver que la psychologie de Gordien est plus moderne que romaine, mais il est vrai que notre enquêteur est un romain atypique ce qui dédouane Saylor du péché d'anachronisme.
Pour les besoins de son récit, Saylor, outre qu'il prend clairement parti pour une des hypothèses historiques de l'affaire, modifie quelques détails de ce que l'on sait (toujours par les ennemis de Catilina, il ne faut jamais l'oublier). Par exemple il transforme Vettius, ce chevalier romain, d'abord partisan de Catilina qui passe dans l'autre camp et sert d'informateur, notamment à Cicéron, un espion de bas étage selon Carcopino, en Marcus Caelius, personnage beaucoup plus ambigu, plus jeune et plus séducteur que Vettius.
A travers les enquêtes de Gordien, Saylor met l'accent sur certains cotés du quotidiens de la Rome antique sous la République, ici en particulier son système politique mais aussi les imbrications qui existaient entre les citoyens romains, le citoyen quel que soit son statut social semble être toujours l'obligé d'un autre. L'auteur s'étend aussi longuement sur les relations qui existaient entre maitre et esclaves, entre patriciens et plébéiens, entre anciens familles nobles et parvenus. C'est surtout, au delà de la vie publique, la vie privée que met en lumière l'auteur et dans cet « Enigme de Catilina » particulièrement les relations père-fils.
Jadis le curieux des moeurs de la Rome antique n'avait guère comme ressource que le sec et puritain « Vie quotidienne à Rome » de Carcopino puis vint l'un peu moins austère « Histoire de la vie privée » sous la direction de Philippe Ariès et Georges Duby, aujourd'hui il ne mesure sans doute pas sa chance de pouvoir s'informer en suivant les aventures de Gordien; geste écrite à la première personne dans le style alerte de Steven Saylor (traduit par Denis-Armand Canal à qui l'on doit également de rares mais pertinentes notes en bas de page). C'est le talent de l'auteur, de faire passer son savoir, qui est grand*, du monde romain en l'incarnant en des personnages inoubliables qui nous émeuvent.
* A ce sujet la bibliographie de l'ouvrage est impressionnante par sa qualité. Toutefois je me permettrais d'ajouter un titre à cette liste: Catilina ou la gloire dérobée d'Yves Guéna (Flammarion, 1984) où les évènements sont vus du coté des partisans de Catilina, roman intéressant mais qui traite surtout des intrigues politiques sans s'attarder sur le quotidien de l'époque et aux personnages qui n'ont pas l'épaisseur de ceux de Saylor.
Art Paris 2016 (1)
Providence d'Alan Moore et Jacen Burrows
Journaliste au New York Herald, Robert Black, qui aspire par ailleurs à devenir écrivain, se lance dans une enquête autour d’un mystérieux ouvrage datant du Moyen-Âge qui pourrait révéler les secrets de l'immortalité. Son enquête le conduit à quitter New-York pour parcourir la Nouvelle-Angleterre où fait d’étranges rencontres, dont Lovecraft lui-même, qui l’entrainent dans l’exploration d’un monde affleurant à peine à la surface de la réalité mais qui recèle une part d’horreur que l’on devine innommable...
La Nouvelle-Angleterre de 1919 devient ainsi le terrain de jeu d'Alan Moore pour imaginer une sorte de réécriture des grands mythes lovecraftiens.
Avec "Providence", Alan Moore, le créateur entre autres de "Watchmen" et de "V comme vendettat", imagine une histoire d'enquête littéraire pouvant déboucher sur des révélations surnaturelles, comme celle de ressusciter les morts, rien de moins. Les recherches de son personnage le conduisent à croiser les chemins d'individus troubles, parfois malsains, presque toujours dangereux.
Le lecteur est immédiatement plongé dans l'univers lovecraftien revu par Moore. Une relecture qui va du pastiche à la fine déclinaison. Mais situant très précisément sont histoire, en 1919, Alan Moore y fait entrer une problématique politique et historique absente chez Lovecraft. D'autre part en insinuant assez vite que sont héros est homosexuel et juif le scénariste donne une perspective renouvelée à la geste lovecraftienne. Alan Moore joue sur une homosexualité et une judéité cachées du héros qui seraient les secrets dicibles camouflant ceux, indicibles, de l’horreur cosmique, implique la montée prochaine d’un nazisme dont on sait que certaines idées étaient proche des convictions racialistes de Lovecraft et dont les années 20 étaient grosses. Elles apparaissent clairement dans les propos d'un beau policier qui fait fantasmer Robert Black.
La forme de cette Bande dessinée est novatrice. La bande dessiné proprement dite est entrecoupée par le journal que tient, le héros, Robert Black. Ce texte, imprimé dans une écriture en caractères cursifs, est tantôt redondant avec ce que l'on vient de découvrir par le dessin, tantôt il donne un autre point de vu sur les péripéties dessinées du héros. Il est aussi un carnet de création littéraire où Black, qui aspire à être écrivain, note ses idées de nouvelles (la plupart sont si formidables qu'on aimerait les trouver en librairie, mais peut-être le sont-elles déjà sous d'autres signature que celle de Robert Black?). Le journal peut donner par ailleurs des informations inédites comme le fait que Robert Black va draguer des hommes dans les rues de New-York, ce qui ne l'empêche pas d'avoir des relations sexuelles avec la réceptionniste d'un hôtel où il est de passage. Tout ceci restant hors champ du dessin. Autre insert qui rompt le récit dessiné des extraits d'opuscules ésotériques que notre héros glanent dans sa quête pour découvrir un mystérieux livre qui révèlerait le moyen d'être éternel. Black trouve ces publications hautement passionnantes, ce qui ne sera pas forcément le cas pour le lecteur... Ces contrepoints aux malaises jouissifs que génère le dessin sont alimentés par le recul rationnel dont il fait preuve Black, malgré son attirance irrépressible pour l’onirique et le fantastique, mis la naiveté pour ne pas dire la cécité dont il fait preuve par rapport à ce qu’il découvre agace aussi. Voila une bande-dessinée dans laquelle le lecteur se sent beaucoup plus intelligent que le héros.
La prestation de Jacen Burrows aux dessins est elle extraordinaire et change de ce que l'on connaissait de cet artiste habitué à nous offrir des images dégoulinantes de tripes et autres substances corporelles. Barrows subvertit les conventions graphiques du comics. Dans "Providence" le dessin est tout en retenue par rapport aux critères du comics. On y voit presque rien d'horrifique au premier degré; ici presque tout est suggéré et sous-jacent c'est également vrai en ce qui concerne la sexualité qui pourtant irrigue tout le récit. Le trait de Burrows, d'une précision démoniaque, renforce ce sentiment que l'horreur se tapit sous les choses les plus triviales. La couleur comme le dessin sont visiblement réalisé au moyen d'un ordinateur. Ce qui donne des décors très raides et très fouillés, des angles de vue divers et originaux et aussi des couleurs denses aux tonalités sourdes dans lesquelles domines de subtiles verts et bruns. La page est sagement découpée le plus souvent en quatre bandes horizontales parfois cette géographie se verticalise dans les scènes oniriques.
A la fin du volume nous est présenté les différentes couvertures réalisées par Jacen Burrows toutes plus belles les unes que les autres.
Les aventures de Robert Black paraissant en anglais en fascicule de quelques dizaines de pages, chaque fin de ceux-ci se termine comme à la grande époques des hebdomadaires franco-belges sur un suspense ou pour le moins une interrogation. En France un album contient quatre magazines.
Les admirateur de Lovecraft, dont je suis, devraient être comblés mais je me demande ce que peut être la lecture de "Providence" pour des personnes qui ne l'ont jamais lu. Les références à l'oeuvre foisonnent. Robert Black est le double du Robert Blake des récits de Lovecraft qui aurait été lui même inspiré de l'écrivain Robert Bloch (l'auteur de Psychose). On reconnaitra au fil des pages la relecture de plusieurs nouvelles de Lovecraft comme "Air froid", "Horreur à Red Hook", "Le cauchemar d'Innsmouth" et "Labomination de Dunwich entre autres. La présentation des deux volumes déjà parus en français, qui est très belle et soignée, avec ses différentes polices de caractères si elle apporte un grand plaisir pour les yeux n'est pas toujours une aide à la facilité de la lecture. De surcroit quelques bizarreries dans la traduction n'arrangent pas les choses; néanmoins rendons hommage au traducteur Thomas Davier dont il est certain que son travail n'a pas été de la tarte. Il a très bien réussit à transcrire les changements de tons des différentes parties qui constituent l'oeuvre.
Les rêves ont une grande place dans le récit et Jung est plusieurs fois cité mais curieusement peu Freud. On trouve aussi de nombreuses allusions à Poe et à quelques autres. Alan Moore incontestable érudit n'a pas peur de faire tomber une bibliothèque sur la tête de son lecteur. Par exemple il serait fait dans le récit référence à Robert W. Chambers et à son recueil de nouvelles "Roi en jaune" qui est cité, mais comme je n'ai pas lu cet auteur je ne peux pas vous en dire plus... pas plus que je connais les différents roman de Lord Dunsany que l'on voit à la fin de tome 2 faire une conférence à laquelle assiste... Lovecraft. Heureusement Alan Moore convoque d'autres écrivains qui, eux ne me sont pas inconnus, comme Wells, Virginia Woolf, Conan Doyle... Mais peut être que le lecteur innocent ( Robert Blake l'est bien souvent, il est la candeur même ce garçon! ), vierge de toutes lectures lovecraftiennes aura sans doute une lecture bien différente de la mienne*.
Mais je pense lire la lecture d'Alan Moore de Lovecraft et y succomber sans n'avoir jamais lu une ligne de l'écrivain américain. On peut aussi la lire en la connaissant par coeur et y trouver mille choses intéressantes.
Si le fil rouge qui relie les chapitre est ténu dans le premier volume, il se renforce dans le deuxième. Alan Moore réussit, un peu comme le fit jadis Derleth à donner de la cohérence aux mythes lovecraftiens.
Les couvertures en bonus à la fin du volume, certes splendide ont parfois qu'un lointain rapport avec ce que l'on vient de lire.
* L'éditeur conscient de la richesse du sous texte de cette B.D a eu l'excellente idée de mettre en postface un article aussi érudit que limpide d'un certain Nicola Peruzzi qui nous éclaire grandement sur empreints et la relecture d'Alan Moore de l'oeuvre de Lovecraft.
promenade à Agios Nikolaos
Ce que l'on voit ci-dessus au premier plan n'est pas la mer mais le centre de la commune où se trouve le lac Voulismeni. Ce joli bassin est bordé de cafés, de tavernes et de boutiques. Jadis on le nommait "bassin d'Artémis" et depuis 1870 un bief le relie au port. Le lac réputé "sans fond" a en réalité une profondeur de 64 m ce qui est impressionnant surtout en regard de sa taille modeste.
patrick13/09/2016 16:04