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Dans les diagonales du temps
7 mars 2020

L'enigme de Catilina de Steven Saylor

L'enigme de Catilina de Steven Saylor (édition révisée)
L'enigme de Catilina de Steven Saylor

 

Avec cette 3ème aventure, chronologiquement de la série de Steven Saylor, nous retrouvons Gordien, détective dans la République romaine, 17 ans après les évènements racontés dans « Du sang sur Rome » et 7 ans après ceux narrés dans "L'étreinte de Némesis". Nous apprenons, page 318, que Gordien a 47 ans; comme nous sommes en 63 av J.C., il est donc né en 110 av. J.C. La situation de notre héros a considérablement évolué depuis ses démêles avec Sylla, puis avec Crassus. Il n'habite plus sa maison dominant Subure. mais une vaste propriété agricole qu'il a héritée de son client et ami Lucius Claudius. Ce dépaysement trouble Gordien qui peine à oublier Rome. Cette nouvelle résidense du détective permet à l'auteur de nous montrer la vie dans une exploitation agricole à cette époque. Cet héritage n'a pas plu du tout aux cousins du défunt dont les terres entourent la propriété de Gordien. Ils ont contesté la validité de l'héritage mais comme Gordien lors de son procès a été défendu par Cicéron, il l'a gagné. Ce qui n'empêche pas ses voisins, membres de la puissante et vieille famille des Claudii, d'intriguer pour chasser, celui qu'ils estiment être un intru, de ce qu'ils estiment être toujours leurs terres, d'autant qu'ils trouvent la famille de Gordien pas du tout convenable. Notre nouveau propriétaire a en effet affranchi Bethesda, son esclave concubine avec laquelle, il s'est marié. Il y a sept ans; un enfant est bientôt arrivé au jeune-vieux couple, Diane. Elle a rejoint les deux fils de Gordien, tous deux adoptés. Il y a Eco, l'enfant mutique que le lecteur a rencontré dans « Du sang sur Rome ». Eco est aujourd'hui marié. Il a repris à la fois la profession et la maison de l'Esquilin de son père. Mais le grand souci de Gordien est son fils cadet, Meto, connu dans "L'étreinte de Némesis". On voit revêtir la toge virile pour ses seize ans. C'est surtout pour lui que tremble Gordien car son vieil ami Cicéron, devenu consul, auquel il doit d'avoir conservé sa ferme malgré les plaintes des Claudii, l'a contraint à une tâche difficile et dangereuse, la surveillance de Catilina sénateur corrompu qui joue la carte du Parti Populaire. On murmure dans Rome qu'il complote contre la République, trame des assassinats et rêve de dictature. Mais il n'est pas le seul à faire ce rêve. Il le partage avec Crassus, le citoyen le plus riche de Rome, qui n'est pas vraiment un ami de Gordien depuis l'affaire qui les a opposé dans "L'étreinte de Némésis", et peut être avec César, l'homme qui "monte" à Rome. Gordien et surtout Meto ne sont pas insensibles au charme de Catilina. Les cadavres ne tardent pas à cerner Gordien...

"L'énigme de Catilina" à l'intrigue passionnante et aux personnages attachants, j'ai un faible pour le naïf et cependant perspicace Meto, est un roman historique très intéressant par l'éclairage qu'il donne sur ce qu'il est convenu d'appeler la conjuration de Catilina. On connait principalement cet épisode de l'Histoire de Rome essentiellement par les quatre Catilinaires de Cicéron, l'ennemi juré de Catilina. On voit que Saylor à travers le personnage de Gordien a une approche moins manichéenne de cet épisode et sans prendre le parti des conjurés, il comprend leur révolte et semble regretter que Cicéron d' « homme nouveau » soit devenu l'homme lige des optimums. L'auteur parvient avec beaucoup d'élégance à insérer un exposé très claire de ce moment périlleux de l'Histoire de la République romaine dans son intrigue. Il fait sienne l'hypothèse que Crassus et peut être César soutenaient en coulisse Catilina. Si cela est probable, mais toutefois pas certains, pour Crassus, qui s'était enrichi grâce aux proscriptions de Sylla, les soutiens de Catilina se recrutaient principalement parmi les anciens partisans du dictateur, le soutient de César à Catilina est beaucoup moins évident. On peut tirer des conclusions opposées de cette lecture en faisant de Catilina un comploteur manipulateur mais on peut voir aussi en Catilina une victime d'un complot ourdi par Cicéron et ses affidés. Les deux lectures ne s'excluant pas obligatoirement dans cette lutte à mort que se livrent les deux camps.

L'histoire de Gordien et des siens se mêle aux événements politiques réels, qui sont vus du point de vue du détective: Catilina n'est pas vraiment réhabilité, mais cette personnalité est plus que fascinante, tandis que Cicéron apparaît comme un habile manipulateur. Saylor semble avoir à coeur d'humaniser les figures mal aimées de l'Histoire romaine, ici Catilina et précédemment Sylla dans « Du sang sur Rome » et Crassus dans "L'étreinte de Némésis". La confusion qui régnait aussi bien dans les rues de Rome que dans les esprits lors de la conjuration est bien rendue. L'intrigue plus particulièrement policière, qui touche le héros, trouve un dénouement assez surprenant. Gordien aura la révélation de la solution de l'énigme lors d'un songe très « martinien »; procédé qui devrait ravir les lecteurs des aventures d'Alix.

Le livre décrit avec précision le quotidien des romains de cette époque. Il traite principalement du cursus et des modalités des carrières politiques et, par l'entremise de Meto, des rites du passage d'adolescent à l'âge adulte.

Cette peinture de la fin de l'adolescence permet à l'auteur de mettre en scène les croyances et les superstitions des anciens romains: << Certains hommes politiques, Cicéron en fait partie, pensent que les auspices et les augures sont de pures absurdités et ne manquent jamais une occasion de le dire et de l'écrire. D'autres politiciens tel César considèrent l'art augural comme un instrument utile au service du pouvoir, au même titre que les élections, les impôts ou les cours de justice, que personne ne songe à mépriser (…) Les augures divisaient les oiseaux en deux classes : ceux dont les cris expriment la volonté divine-le corbeau, la corneille, la chouette et le pic-et ceux dont le vol fait connaître le vouloir des dieux : le vautour, le faucon et naturellement l'aigle, oiseau favori du roi des dieux.>>

Il ne faudrait pas faire un procès d'anachronisme au romancier du fait que sa description des hommes politiques romains soit très semblable à celle que l'on pourrait faire des nôtres. Je rappelle tout d'abord que l'ouvrage a été écrit en 1993. On y voit que le populisme est un ressort pour une carrière politique qui ne date pas d'hier. On peut juste trouver que la psychologie de Gordien est plus moderne que romaine, mais il est vrai que notre enquêteur est un romain atypique ce qui dédouane Saylor du péché d'anachronisme.

Pour les besoins de son récit, Saylor, outre qu'il prend clairement parti pour une des hypothèses historiques de l'affaire, modifie quelques détails de ce que l'on sait (toujours par les ennemis de Catilina, il ne faut jamais l'oublier). Par exemple il transforme Vettius, ce chevalier romain, d'abord partisan de Catilina qui passe dans l'autre camp et sert d'informateur, notamment à Cicéron, un espion de bas étage selon Carcopino, en Marcus Caelius, personnage beaucoup plus ambigu, plus jeune et plus séducteur que Vettius.

A travers les enquêtes de Gordien, Saylor met l'accent sur certains cotés du quotidiens de la Rome antique sous la République, ici en particulier son système politique mais aussi les imbrications qui existaient entre les citoyens romains, le citoyen quel que soit son statut social semble être toujours l'obligé d'un autre. L'auteur s'étend aussi longuement sur  les  relations qui existaient entre maitre et esclaves, entre patriciens et plébéiens, entre anciens familles nobles et parvenus. C'est surtout, au delà de la vie publique, la vie privée que met en lumière l'auteur et dans cet « Enigme de Catilina » particulièrement les relations père-fils.

Jadis le curieux des moeurs de la Rome antique n'avait guère comme ressource que le sec et puritain « Vie quotidienne à Rome » de Carcopino puis vint l'un peu moins austère « Histoire de la vie privée » sous la direction de Philippe Ariès et Georges Duby, aujourd'hui il ne mesure sans doute pas sa chance de pouvoir s'informer en suivant les aventures de Gordien; geste écrite à la première personne dans le style alerte de Steven Saylor (traduit par Denis-Armand Canal à qui l'on doit également de rares mais pertinentes notes en bas de page). C'est le talent de l'auteur, de faire passer son savoir, qui est grand*, du monde romain en l'incarnant en des personnages inoubliables qui nous émeuvent.

 

* A ce sujet la bibliographie de l'ouvrage est impressionnante par sa qualité. Toutefois je me permettrais d'ajouter un titre à cette liste: Catilina ou la gloire dérobée d'Yves Guéna (Flammarion, 1984) où les évènements sont vus du coté des partisans de Catilina, roman intéressant mais qui traite surtout des intrigues politiques sans s'attarder sur le quotidien de l'époque et aux personnages qui n'ont pas l'épaisseur de ceux de Saylor.

             

Cicéron démasque Catilina par Cesare Maccari

Cicéron démasque Catilina par Cesare Maccari

Cicéron au sénat par Cesare Maccari

Cicéron au sénat par Cesare Maccari

 

commentaires Lors de la première édition de ce billet:

 

patrick13/09/2016 16:04

Dans Les Sept Merveilles, le jeune Gordien découvre, et moi par la même occasion, l'importance de la moustache chez les Gaulois Qui ont de bien BELLES Manières!

 

lesdiagonalesdutemps13/09/2016 16:13

Je ne ai pas encore lu Ce livre Qui est en bonne position Dans ma pile de mes futures conférences.

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