Pour se souvenir de la FIAC 2014 (2)
L'artiste et son tableau. Montrer une telle image n'est pas innocent de la part de la galerie car il y a de nombreux Basquiat bricolés qui circulent
Pour se souvenir de la FIAC 2014 (1)
ci-dessus et ci-dessous deux créations d'Olafur Eliasson. Cette FIAC 2014 a vu le retour de l'art cinétique
Certains habitués du blog seront peut être lassés par la ressemblance des billets que je consacre à la FIAC année après année à l'occasion de ma visite annuelle et rituelle à cette foire de l'art contemporain. Je rappelle que j'avais "honoré" de ma présence la première édition de cette manifestation, il doit y avoir plus de quarante ans... Elle se tenait alors dans l'ancienne gare de la Bastille qui ne tarderait pas à être démolie pour laisser place à l'Opéra Bastille, si moche au dehors et si beau à l'intérieur. Répétition pour ne pas dire rabachage, en effet mes gouts ne changent guère d'une année sur l'autre et malheureusement le choix des galeries non plus. Je retombe donc avec plaisir (un plaisir à 35€ l'entrée tout de même) d'une année sur l'autre sur les mêmes artistes tout en espérant une découverte. Il y en eut peu pour ma part cette année...
Fraise et chocolat, un film de Tomas Gutierrez Alea & Juan Carlos Tabio
Réalisation: Tomas Gutierrez Alea, Juan Carlos Tabio, scénarite: Senel Paz, producteurs: Camilo Vives, Frank Cabrera, Georgina Balzaretti, scénario: Senel Paz, image: Mario Garcia Joya, son: José Maria Vitier, costumes: Miriam Duenas
avec: Jorge Perugorria (Diego), Vladimir Cruz (David), Mirta Ibarra (Nancy), Francisco Gattorno (Miguel), Joel Angelino (allemand), Marilyn Solaya (Vivian), Andrew rideau (Santero), Antonio Carmona (marié), Ricardo Avila (Taxi Driver), Maria Elena del Toro (passager), Zolanada Oña (passager), Diana Iris Port (Voisin)
David est étudiant à l'université de La Havane. Nous sommes en 1979. Il vient juste d'avoir le cœur brisé... Un soir, il rencontre Diego, un gay dégoûté de l'attitude du régime cubain envers la communauté gay, et de la répression. Diégo rêve de promouvoir une culture gay cubaine et révolutionnaire. Il souffre d' échouer dans sa tentative de lier à David. Michael, "ami" de David en tant que communiste révolutionnaire, réussi à convaincre David qu'il doit continuer à visiter Diego pour espionner ses activités "contre révolutionnaires".
Peu à peu, par des visites répétées, David découvre Diego. Il s'aperçoit que leurs différences idéologiques ne sont pas un obstacle à la compréhension et l'amitié....
L'avis critique
Le film est l'adaptation très libre d'un court roman, écrit par Senel Paz en 1990. C'est Senel Paze qui a fait lui même l'adaptation de son livre. Il a beaucoup transformé et densifié l'intrigue. L'idée était de montrer un amour qui n'était pas basé sur la séduction du corps, mais sur celle de l'esprit, en gardant l'accent sur les questions politiques, ce qui conduit à rendre tout ce qui est d'ordre sexuel tout à fait secondaire. Le cinéaste et le scénariste dans leurs déclarations ont insisté pour dire que le thème de leur film n'était pas d'essence sexuel ou politique, mais qu'il était sur la tolérance.
Le film est sorti dix ans après le documentaire "conduite inappropriée" réalisé par Nestor Almendros qui dénonçait la persécution de l'homosexualité à Cuba. Par conséquent, le film a été considéré à Cuba comme révolutionnaire. Les Cubains ont afflué à sa sortie dans les salles, craignant que le film en soit bientôt être retiré par la censure gouvernementale. Mais les Cubains en exil n'ont pas été dupe et ont condamné le film comme étant une tentative cynique de propagande, ce qu'il est tout en étant habilement ambigue.
Par exemple dans la scène de la première visite de David chez Diego, on peut voir des références culturelles qui sont interdites par le régime. Comme les poètes Cavafy et John Donne, et les musiciens Ernesto Lecuona et Ignacio Cervantes.
Il devient alors parfaitement louable, c'est là qu'il est particulièrement pernicieux puisqu'il montre que l'on peut se comprendre et même s'aimer entre gens qui ont de solides divergences sur les questions sociales, sexuelles ou politiques. Plus subtil que bon nombre d'autres films gay, il ne nous présente pas la confrontation classique entre le méchant et le bon gars. Les deux protagonistes ont tous deux des aspects positifs et négatifs, et ceux-ci font partie d'un tout.
Le film défend la possibilité que deux personnes qui vivent dans des mondes radicalement différents, peuvent converser, discuter, confronter leurs idées. Bien qu'à la fin, ils ne soient toujours pas d'accord sur la plupart des choses, cela ne signifie pas qu'il n'y a pas entre eux la possibilité d'une amitié sincère. L'inverse est encore un problème très commun dans notre société, puisque le monde semble s'être engagé à souligner que les aspects qui nous rendent différents, plutôt que ceux qui nous unissent.
Une autre chose qui est mentionné dans le film est le besoin universel de l'amour. Il montre que quelque soit sa personnalité, l'homme souffre lorsqu'il y a une carences affectives, ce qui les pousse les uns vers les autres, et contribue à faire tomber les barrières qui les séparent.
Hérisson 2015
Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil d'Haruki Murakami
Le narrateur, Hajime est né au cours de la première semaine du premier mois de la première année de la seconde moitié du XXe siècle, comme souvent dans les romans de Murakami est un grand lecteur tout en étant féru de musique. D'ailleurs le titre du roman provient des paroles d'une chanson, South of the Border qu'interprétait Nat King Cole et que le narrateur écoutait lorsqu'il avait douze ans en compagnie d'une camarade de son âge dont il était secrètement amoureux.
Dans les quarante premières pages du roman, dans une langue très précise, en phrases courtes l'auteur nous raconte l'enfance et l'adolescence du héros. Une enfance et une adolescence ordinaire pour un japonais de la classe moyenne vivant en province. Néanmoins toute cette jeunesse tourne autour d'une frustration, celle d'être un enfant unique. Ce qui est inhabituel dans ce Japon des années 60. Hajime fait que son unicité le fait se sentir comme incomplet. Il craint le regard de ses camarade ce qui l'empêche de se faire des amis. <<Moi,pourtant,j'étais un enfant unique. J'en ressentis un complexe d'infériorité tout au long de mon enfance.Mon existence avait une particularité: j'étais privé d'une chose que les autres possédaient et considéraient comme naturelle .Cette expression (fils unique) était comme un doigt tendu vers moi pour me dire:"tu es un être incomplet (…) Dans le monde où je vivais, il était communément admis que les enfants uniques étaient gâtés, faibles, et terriblement capricieux. C'était là une sorte de loi divine et naturelle, du même ordre que «Les vaches donnent du lait» ou «Plus on monte en altitude plus la pression de l'air diminue». C'est pourquoi je détestais qu'on m'interroge sur la composition de ma famille. Je savais que, dès qu'il aurait entendu ma réponse, mon interlocuteur se dirait: «Ah, c'est un fils unique; donc, ça ne fait aucun doute, il doit être gâté, faible, et terriblement capricieux.» Ces réactions stéréotypées me blessaient, je les connaissais sur le bout des doigts, jusqu'à l'écoeurement. Mais ce qui m'affectait, c'était le fait que mes détracteurs avaient parfaitement raison: sans nul doute, j'étais un enfant gâté, faible, et terriblement capricieux.>>
On retrouve un adolescent solitaire comme dans Kafka sur le rivage ou 1Q84. Cette enfance solitaire prend fin lorsqu'il rencontre Shimamoto, une joli petite fille de son âge et qui est également une enfant unique. Leur relation prend fin quand Shimamoto-San déménage. Pourtant Hajine n'arrive jamais complètement à l'oublier. Pendant le lycée, Hajine rencontre Izumi qui devient sa première véritable petite amie. Au bout d'un an, Hajine trompe Izumi avec sa cousine, ce qui entraîne une rupture difficile quand Izumi découvre la vérité. Puis Hajime va se marier, avec Yukiko, avoir des enfants et grâce à la fortune de son beau père devenir propriétaire d'un club de jazz (cela rappelle la biographie de l'auteur) qui a un grand succès. Un homme ordinaire en somme: << En me retournant sur le passé des années après, je me rends compte que cela me fit comprendre une seule vérité fondamentale : en définitive, je n'étais qu'un être humain ordinaire, capable de faire du mal. Jamais je n'avais pensé blesser quiconque. Mais, quels que soient les mobiles et l'idée qui y présidait, je pouvais, poussé par la nécessité, devenir cruel. J'étais un être humain, capable d'infliger une blessure fatale à l'être qui m'était le plus cher au monde, pour des raisons que je jugeais, moi, valables.>>.
Le début du récit est un peu languide, ce qui ne devrait pas surprendre les habitués de Murakami. Le style est particulièrement plat et factuel et n'est pas égayé comme par exemple dans Kafka sur le rivage par des images comparatives souvent plaisantes et parfois incongrues en revanche comme dans tous les livre de cet auteur on retrouve la présence tangible de la nature:<< Au fond de ces ténèbres, je pensai à la mer sous la pluie. Il pleuvait sans bruit sur le vaste océan, à l’insu du monde entier. Les gouttes frappaient la surface des eaux en silence et même les poissons n’en avaient pas conscience. Longtemps, longtemps, jusqu’à ce que quelqu’un arrive derrière moi et pose doucement sa main sur mon dos, je pensai à la mer. >>
Est-ce franchouillardise ou souvenirs prégnantes de lectures récentes mais je trouve que cette histoire d'amour de prime jeunesse qui réapparait dans la vie du héros, vingt cinq ans après les soirs de pluie pour lui chambouler l'esprit, mais encore une fois un roman de Murakami a pour moi un parfum modianesque, le véritable sujet du roman étant le temps. Quand Murakami retrouve, vingt-cinq ans plus tard, son amour d'enfance peu lui importe la femme qu’elle est devenue : il est persuadé d’avoir enfin retrouvé ce qui lui a manqué pendant des années. Mais « Au sud de la frontière... » nous montre que rien ne sert de courir après le passé, il nous empêche seulement de vivre pleinement notre vie. Un amour d'enfance doit rester dans l'enfance. Le fantasme des amours contractés dans l'enfance semble un fantasme japonais. On le retrouve dans de nombreux roman et encore plus dans les mangas, voir Bakuman par exemple...
Les romans de Murakami se divisent en deux grandes familles, celle des récits fantastiques comme 1Q84 ou La course au mouton sauvage » et les romans naturalistes comme « La ballade de l'impossible. << Au sud de la frontière... » appartient à ce dernier groupe.
Encore une fois et c'est un tour de force avec des personnages assez peu sympathiques, Murakami entraine son lecteur sans difficulté jusqu'à la dernière page, même si on se sent frustré de ne pas y trouver les explication sur les mystères de la belle Shimamoto.