Gay movie My Uncle Mario 2007
La classe des garçons de Francis Lacombrade
Je profite du compte rendu de ce roman à l'obscur renommée mais au titre O combien évocateur, « La classe des garçons », je précise pour allécher le chaland qu'il s'agit d'une classe de danse vue par un des jeunes élèves qui espère, après le dressage qu'il subit, intégrer l'Opéra de Paris, pour essayer d'expliquer que mon exigence en ce qui concerne la datation précise dans les romans que je lis ne relève pas seulement d'une lubie, que seule la sénilité pourrait expliquer et éventuellement excuser, mais qu'elle est indispensable pour une bonne et agréable compréhension d'un roman. Arrivé à la centième page de « La classe des garçons », qui en compte 216 et est paru aux éditions Gallimard en 1980 dans la collection blanche, nous sommes toujours dans le flou absolu quant à l'époque où se déroule cette histoire, même la ville qui est son décor, des plus flou lui aussi, n'est mentionné que sous la lettre X; ce qui est ridicule ne voyant pas bien où cela pourrait se passer ailleurs àqu' Paris... On peut me rétorquer que l'apprentissage de danseur de Julien, le narrateur, sous la férule d'un maitre à la fois sadique et libidineux ne serait pas fondamentalement différent si cela avait lieu en 1930 ou 1980. Peut être, mes connaissances du milieu de la danse ne sont pas assez étendues pour infirmer ou confirmer cette éventuelle contradiction.
Lorsqu'on lit un roman « on se fait son cinéma » et il n'est pas pareil, par exemple, lorsque apparaît le mot automobile de visualiser une Rosalie, une Traction avant ou une D.S. 19 pour rester que dans les véhicules produits par la marque Citroen. De même , pour prendre un autre exemple, mais ils sont infinis, lorsque l'on imagine la vêture d'un jouvenceau, si nous sommes en 1935 on l'habillera d'une culotte de golf, alors qu'en 1970 on gainera ses jambes d'un jean moulant. Ce n'est pas la même chose dans le paysage mental (et la libido) du lecteur. Même si dans cet ouvrage on sort peu du studio de danse, la matière du collant qui moulait les fessiers de Noureev ou ceux de Serge Lifar n'était pas lidentique!
Lorsqu'on lit un livre qui ne se proclame pas dès les premières ligne, être un roman historique ou un roman dans l'histoire, où celle-ci n'est pas qu'un décor mais tient la première place, on subodore que l'action se déroule peu ou prou à la date de la parution de l'ouvrage. Très vite cela m'a paru ici peu probable. Tout d'abord en raison des descriptions qui ne manquent pas mais qui sont toujours en plans serrés ou moyens, pour employer un langage cinématographique. Lacombrade prenant visiblement comme modèle le roman balzacien. D'autre part le ton assez gourmé qu'utilise le garçon dans les lettres qu'il adresse à ses parents, resté à Toulouse, semble d'un autre temps, disons de l'avant guerre. Si l'auteur s'étend sur la description de lieux, comme la chambre de Julien (un prénom assez moderne, lui) on ne sait rien de l'aspect de ce dernier. On peut supputer qu'il ne doit pas être trop mal de sa personne à l'empressement que le maitre à de frôler ses fesses et son sexe. J'ai donc pensé, jusqu'à la cinquantième page environ que nous étions dans les années trente et voilà qu'à ce moment surgit la télévision et un grand mécène de la danse fort décati et marquis de son état qui m'a immédiatement évoqué le marquis de Cuevas... Déjà auparavant la colère d'un certain K. (une des seules allusions à ce qui peut se passer en dehors du petit monde de la classe de danse) m'avait évoqué le célèbre et furieux déchaussement de Nikita Kroutchev à la tribune de l'O.N.U. En 1960 si je ne m'abuse... Je pencherais donc pour dater les émois chorégraphiques de Julien au tout début des années 60 d'autant qu'à la fin du volume le garçon réclame à ses parents sa carte d'identité mentionnant qu'il n'est pas recommandé en ce moment de se promener dans la ville sans une pièce d'identité, on peut donc penser aux dernières années de la guerre d'Algérie...
Paradoxalement le coté hors sol et hors temps du roman, ce qui est pour moi généralement rédhibitoire, convient parfaitement au sujet car je ne connais aucune caste plus repliée sur elle même et plus égotiste que celle des danseurs. Le danseur peine à voir plus loin que le bout de son chausson...
A propos de danse, j'ai été très rapidement interloqué par cette classe préparatoire à un concours permettant d'intégrer le ballet de l'Opéra, car des souvenirs conjoints et certes fort anciens, d'une part d'un ancien petit ami, hélas trop tôt enlevé à mon affection, et d'autre part ceux du délicieux feuilleton télévisé, « L'âge tendre » (hélas peuplé que de petits rats de sexe féminin) m'avaient fait penser que pour se mouvoir sur la scène du grand Opéra, il fallait passer obligatoirement par l'école de danse de celui-ci, je me souviens du temps où la férule de cet établissement était tenue par Claude Bessy... Peut-être qu'un lecteur pourra m'éclairer sur les différentes façons d'entre dans le corps de ballet de l'Opéra de Paris.
Il y a d'emblée quelque chose d'un peu désagréable dans ce roman et pour tout dire d'assez faux cul, alors qu'il n'y est question que d'homosexualité et de pédérastie, le héros, pourtant dévoré d'ambition, et cancanant avec complaisance sur combien la promotion canapé était en vogue dans le milieu des danseurs, ne cesse de jouer les saintes nitouche, faisant comprendre qu'il ne mange pas de ce pain là. Qu'on se le dise notre futur étoile n'est pas de la brioche infernale comme le disait le trop peu lu désormais Alphonse Boudard, et c'est bien dommage... Julien le claironne page 57, ruinant ainsi les espoirs du lecteur qui pouvait attendre quelques intermèdes croustillants entre les entrechats...
Curieusement, alors que l'effet répétitif du récit, fait principalement des rancoeurs de Julien envers son maitre, menaçait de lasser le lecteur le plus pugnace, voilà que la plume de notre Lacombrade s'échauffe sérieusement à partir de la centième page environ. Nous offrant quelques morceaux d'anthologie pédérastique.
Je ne sais rien de Francis Lacombrade, supposant seulement que l'auteur est le même Francis Lacombrade qui joue le rôle de Georges dans le film de Jean Delannoy de 1964 « Les amitiés particulières » d'après le roman de Roger Peyrefitte. La toile étant muette sur lui, peut être qu'un de mes dévoués lecteurs sera plus loquace sur le cas de Francis Lacombrade (?); je me fies donc au quatrième de couverture pour en savoir un peu plus. J'y apprend qu'il a écrit une dizaine de pièces et adaptations, de Flaubert, d'Henry James et de Mauriac... Ce qui ne cesse de me surprendre car le propre d'un auteur de théâtre est de proposer aux spectateurx une progression dramatique et force est de constater qu'il n'y en a aucune dans ce roman.
Tout aussi problématique pour l'art romanesque de l'auteur est son impossibilité de créer, du moins avec en ce qui concerne ses jeunes créatures, des êtres qui existent vraiment. On a même du mal à croire en ce Julien aussi timoré et dissimulé qu'un adolescent mauriacien...
Heureusement Lacombrade est plus en verve avec les barbons libidineux. Comme en témoigne ce portrait du maitre:
<< Torse nu, une serviette éponge nouée à la naissance de la bedaine, le maitre y continuait en grondant sa toilette. Il nous foudroyait mais il se montrait nu, faible, dépouillé. La distance qui subsistait entre le disciple et lui n'était pas si grande, un geste eût suffit à l'abolir! Ce geste, il ne le faisait jamais. Il intoxiquait jusqu'à ce qu'il l'obtint (…) Presque toute la classe a comparu, à tour de déshonneur, dans ce confessionnal où le prêtre officiait presque nu, dans cette antichambre aux miroirs qui multipliaient en tant de reflet la hideur du pardon qu'on nous y proposait sous la forme d'un corps vieux (…) De ce regard vide et amène qui convient à la scène, on contemplait ainsi le vieux bébé colérique sur son bidet, notre maitre, en train de s'éclabousser d'eau savonneuse l'avenir des danseurs. >>
Il y a du Fagin dans ce personnage nous voilà après Balzac chez Dickens, « La classe des garçons » est bien dix-neuvièmiste...
Le livre contient de très beaux passages. L'auteur à le chic pour trouver des assonances heureuses de mots. Mais un roman n'est pas que quelque morceaux de bravoure flottant dans un brouet clairet. C'est aussi une construction. Le plan du roman bien que classique est assez habile. L'auteur choisit de faire alterner le récit du quotidien de Julien avec les lettres qu'il écrit à ses parents. Malheureusement cette architecture est mal exploitée. Il n'y a pas assez de rupture de ton entre le récit du garçon que l'on apprend seulement vers la moitié du roman être un journal qu'il tient quotidiennement et sa correspondance. Le journal est beaucoup trop timide d'autant que Julien écrit qu'il est un exutoire et quant à ses missives, elles sont à la fois un peu trop osées, Julien ne cache rien à ses parents des avances que lui fait le maitre tout en leur recommandant de lui envoyer des fleurs pour son anniversaire! et d'un ton compassé qui renvoie au début de l'autre siècle.
La justesse de certains tableaux et personnages fait penser que l'auteur à très bien connu le milieu des aspirants étoiles et que Julien n'est peut être qu'un autre lui-même, mais il aurait peiné à insuffler de la fiction dans ses souvenirs (je ne connais pas assez ce milieu pour trouver le trousseau car il se pourrait bien que cette « Classe des garçons » soit un roman à clés).
Avec une innocence qui serait, il me semble impossible aujourd'hui, Lacombrade, aborde certains sujets qui sont tabous, ou du moins très rarement abordés dans le roman, comme la concupiscence d'un maitre pour ses élèves ou l'âpreté des mères pour faire avancer la carrière de leurs rejeton.
<< Gorgées de doutes, menacées de sanctions, de malédictions vertigineuses, enivrées au seul parfum des conquêtes promises, les mères livraient ainsi, en toute tranquillité d'âme, leur garçon au dard du gros insecte têtu qui enseignait l'envol.>>
Si ce roman est une véritable curiosité qui serait probablement impubliable aujourd'hui, sa lecture attentive explique pourquoi Francis Lacombrade n'a pas fait carrière en littérature.
Nota: Je remercie Bruno de m'avoir permis de lire ce roman.
Commentaires lors de la première édition du billet:
B.A.06/08/2014 18:40
Martial05/08/2014 00:50
B.A.09/08/2014 07:46
Martial08/08/2014 22:16
B.A.08/08/2014 10:22
Martial08/08/2014 09:37
B.A.08/08/2014 07:59
xristophe08/08/2014 01:14
B.A.06/08/2014 23:05
christophe06/08/2014 20:53
B.A.05/08/2014 07:09
xristophe04/08/2014 20:17
B.A.04/08/2014 21:51
Bruno04/08/2014 16:30
B.A.04/08/2014 16:39
Jean‐Philippe Delhomme
Jean‐Philippe Delhomme, peintre, dessinateur, croqueur de modes et de vies, manie le crayon comme le trait d’esprit. Il est né en région parisienne en 1959. Il est diplômé de l'École nationale supérieure des arts décoratifs à Paris en 1985 Parisien dans l’âme, il parcourt le monde pour en saisir l’essence et esquisser, à travers ses chroniques illustrées, les multiples aspérités de la culture contemporaine. Une carrière d’illustrateur le conduira au New Yorker, en passant par GQ, Vogue, AD, ou le Los Angeles Times. Delhomme a publié de nombreux livres illustrés, écrit trois romans, et tient un blog très fréquenté, Unknown Hipster Diaries. La Galerie Martel, l'année dernière, a exposé les planches de son plus récent ouvrage, New York, qui a inauguré la nouvelle collection "Louis Vuitton Travel Book."
Mon oncle Mario, un court-métrage de Naama Zaltsman
Requiem pour Raoul Ruiz
J'ai eu la chance de rencontrer Raul Ruiz, de le suivre pendant qu'il discourait tout en marchant dans son labirynthique appartement de Belleville où l'on passait d'une pièce à une autre en soulevant des rideaux, les portes ayant disparu, plus que des pièces c'étaient des corridors qui serpentaient entre des falaises de livres défraichis. J'étais venu là pour acquérir les droits de "Lile au trésor" afin d'éditer le film en vidéo. Pris dans le flot lent de la parole ruizienne émise d'un ton grave ou la malice avait de la peine a se dissimuler, j'oubliais vite pourquoi j'étais là... Ce fut une belle après midi. J'ai fini par éditer L'ile au trésor en VHS, première apparition de Melvil Poupaud sur grand écran dans son beau livre Quel est Mon noM l'acteur se souvient du tournage. La cassette s'est peu vendue. Mon distributeur me confia qu'elle était achetée essentiellement parce que Sheila se trouvait au générique...
Lors de ma dernière visite à l'excellent site locus-solus je trouve le beau billet que vous pouvez lire ci-dessous. Locus-solus nous fait un merveilleux cadeau en nous permettant de voir un petit chef d'oeuvre signé Raul Ruiz.
Je viens de découvrir qu’on peut visionner sur le site de l’INA la « lettre d’un cinéaste » réalisée par Raoul Ruiz pour Cinéma, Cinémas (et malheureusement non reprise dans le coffret anthologique de quatre DVD consacré à cette épatante émission). Elle s’intitule de très borgésienne manière le Retour d’un amateur de bibliothèques. Un clic et vous y êtes (et l’on est ému d’entendre la voix de Michel Boujut en préambule).
À la fin de 1982, Ruiz retourne au Chili pour la première fois depuis son départ en 1974, après le coup d’État de Pinochet. N’importe qui d’autre en aurait tiré un couplet convenu sur l’exil et le retour au pays natal. Pas Ruiz évidemment, qui semble même prendre un plaisir moqueur à parodier la forme du reportage autobiographique/travelogue/film d’enquête, narré en voix off et tourné en Super-8 tremblotant. Le Chili qu’il donne à voir est un pays fantôme, à la fois familier et méconnaissable ; et le contexte socio-politique demeure le sous-texte d’un film qui préfère atteindre une vérité documentaire par le détour d’une fiction labyrinthique. S’y mêlent inextricablement des bibliothèques et des enfances parallèles, des chansons populaires, des références apocryphes à la culture maya, des spéculations nées des songes (à moins que ce ne soit le contraire, on ne sait plus). Tout le film s’ordonne autour du motif polysémique de l’absence (l’absence, c’est aussi bien l’oubli du passé et les paramnésies que l’absence des morts, des disparus, des victimes de la dictature). Le narrateur, retrouvant sa bibliothèque1, y constate l’absence d’un livre essentiel à la compréhension du « mystère de la nuit du 10 au septembre 1973 » (soit la nuit du coup d’État). Et la disparition de ce livre à couverture rose explique de manière irréfutable que cette même couleur se soit désormais absentée des paysages chiliens. Lancé à la recherche de son livre perdu, le narrateur va multiplier les rencontres improbables, retrouver des amis fantômes, un ivrogne dont seule tremble la main droite, un professeur ayant inventé une méthode infaillible pour expliquer visuellement le problème de l’inflation, un libraire délirant qui doit lire les sous-titres français de ses propres propos pour pouvoir les énoncer dans sa langue maternelle. Labyrinthes du songe, vertige, fantômes, humour et parodie : le Retour d’un amateur de bibliothèques est, en quatorze minutes, un condensé de poétique ruizienne.
1 Sa troisième, précise-t-il : « Sachez que de l’immense ville laissée par les Mayas je n’ai retenu que l’habitude de me refaire une bibliothèque tous les cinq ans. Plus mes bibliothèques sont nombreuses, plus elles sont égales à elles-mêmes. »
Positif et Raoul Ruiz, c’est une longue histoire. Ado Kyrou et Louis Seguin repèrentTrois Tristes Tigres en 1969 au festival de Locarno. Premier entretien en 1971 (le tout premier dans une revue française), que suivront bien d’autres rencontres et dossiers.
Il plane donc un parfum de mélancolie sur l’ensemble post-mortem que lui consacre la revue dans son numéro de janvier. Guy Scarpetta, qui a fréquemment écrit sur le cinéaste dans ces colonnes (tout récemment, une critique remarquable de Mystères de Lisbonne) ouvre le bal avec un beau texte qui entremêle souvenirs et éléments d’analyse, en esquissant au passage une classification du baroque au cinéma. Suivent des articles d’Alain Masson et de Michel Chion qui donnent du grain à moudre, la transcription d’un entretien radiophonique consacré à Trois Vies et une seule mort, des notes d’intention de Ruiz sur trois films (les Âmes fortes, Ce jour-là, la Recta Provincia), un témoignage du producteur François Margolin, un compte rendu del’Esprit de l’escalier, autobiographie fictive que Ruiz avait terminée peu avant sa mort et qui vient de paraître chez Fayard.
Enfant, racontait-il, il passait des après-midis entières dans un cinéma chilien où l’on projetait à la suite trois ou quatre films de série B. Il lui arrivait de s’endormir pendant un western, et de se réveiller alors que le film suivant avait commencé, un thriller, ou une histoire de pirates — mais c’étaient les mêmes acteurs… D’où, disait-il, une étrange impression de magie, de métamorphose. Il en avait tiré une maxime qui fonctionnait pour lui comme un principe de création : « S’endormir dans un film et se réveiller dans un autre. »
Mais j’imagine qu’il y avait dans cette anecdote (où je voyais quelque chose comme le mythe d’origine ou la scène primitive de son esthétique) une dimension supplémentaire : la source, peut-être, de son goût pour les ingrédients du cinéma populaire, fût-il le plus kitsch, qu’il est toujours possible de transfigurer, de détourner, à simplement se faire télescoper les codes.Raoul Ruiz, très drôle, à une terrasse de café, me désignant avec certitude, parmi les passants, ceux qui étaient des fantômes (dont certains, assurait-il, n’en étaient pas moins « gentils »)… Au fond, tout le cinéma, pour lui, était une affaire de revenants, et chaque personnage, par définition, avait quelque chose de spectral.
Guy Scarpetta, Requiem pour Raoul Ruiz
Positif no 611, janvier 2012
xristophe06/08/2014 16:55