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Dans les diagonales du temps
12 novembre 2021

Un père sans enfant de Denis Rossano

 

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Quoi de plus banal, hélas, qu'un couple qui se sépare et dont la femme empêche l'homme de voir son fils. Même dans le milieu du cinéma, comme c'est le cas ici, cela ne doit pas être rare. Cela le devient un peu moins lorsque la séparation de ces deux êtres, qui se sont jadis aimés, arrive dans l'Allemagne où Hitler va bientôt prendre le pouvoir. Cela ne l'est plus du tout lorsque l'homme deviendra un cinéaste célèbre en Amérique où il devra fuir pour protéger sa liberté et surtout la vie de sa seconde épouse qui est juive alors que son fils, Klaus, deviendra un jeune acteur dont la beauté en fera une icône de la jeunesse nazi; mais il sera envoyé à la mort sur le front de l'est lorsqu'il aura cesser de plaire au docteur Goebbels, le maitre du cinéma nazi qui soupçonna Klaus d'homosexualité, cela d'après les mémoires de Veit Harlan, à moins que la véritable raison de la disgrâce du garçon ait été que son père soit le réalisateur en Amérique d'un film ant-nazi! Le cinéaste n'est autre que Sierck, alias Douglas Sirk qui dans son pays d'adoption, deviendra le grand spécialiste des mélodrames.

 

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Rock Hudson, Jane Wyman et Agnes Moorehead entourent Douglas Sirk sur le tournage de Tout ce que le Ciel permet

 

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Avant cela le cinéaste parviendra à échapper avec sa femme à la Gestapo d'une façon rocambolesque, quant à la mère de Klaus membre du parti nazi et qui a encouragé son fils à rejoindre les jeunesses hitlériennes, elle se serait suicidé en Allemagne en 1947... 

 

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De cette histoire au potentiel romanesque extraordinaire Denis Rossano en a tiré un livre assez ennuyeux qui ne sait jamais choisir entre le roman, les mémoires et l'essai. Etre romancier c'est justement choisir entre les possibles d'une vie et lorsque l'on s'empare d'un être qui a réellement exister éclairer les zones d'ombres de la vie de son sujet et donner des réponses crédibles aux questions que l'on peut se poser sur son existence. Ce que fait très bien, pour rester dans le monde du cinéma, Osamu Yamamoto dans son manga "The red rat in Hollywood" à propos de Billy Wyler. 

 

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Sur le tournage de "Le temps d'aimer et le temps de mourir" (RONALD GRANT / MARY EVANS / SIPA)

 

On songe avec regret quel formidable roman aurait tiré le regretté Philip Kerr de cette tragédie. D'autant que Sirk tient une place à part dans la nébuleuse des professionnels du cinéma allemand qui ont fui le nazisme. Il est parti un peu tard au Etats-Unis, il traîna longtemps sur son compte un certain doute quant à ses accointances avec le régime nazi. N'a-t-il pas tourné avec la plus grande star du cinéma nazi, Zarah Leander merveilleusement mis en lumière dans "La Habanera", en 1937, qui préfigure tout les grands mélodrames que Sirk tournera ensuite. La Habanera, dont le scénario a quelques résonances avec la vie de son metteur en scène sera le dernier film que Sirk tournera pour l'UFA, la grande société allemande de cinématographe.

 

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Mais le véritable sujet du roman est Klaus. Il commence sa courte carrière d'acteur à l'âge de neuf ans, il joue le fils du fermier Hans dans "Die Saat auf", sa mère a également un petit rôle dans ce film. À l'été de 1937, au Caire, à l'âge de douze ans, il apparait dans le film "Streit um den Knaben Jo" dans lequel il incarne Erwin, qui aurait été échangé bébé avec Jo, interprété par Eberhard Itzenplitz,. La même année il joue un petit rôle dans "Serenade"*. La carrière de Klaus se poursuit avec d'autres petits rôles: en tant que groom dans  Verwehte Spuren de Veit Harlan et en Chopin enfant dans "das Wunderkind", un film sur Chopin tourné en 1938. Ce film sera interdit par la censure et seulement projeté pour la première fois en 1950. Il apparait aussi dans le film historique Preußische Liebesgeschichte.

 

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dans Kadett Hohenhausen

 

 

L' un de ses plus grands rôles a été en 1939 dans Kadett Hohenhausen tourné par Karl Ritter. Le film est un film de propagande anti-russe sur les cadets prussiens capturés et maltraités par des cosaques  au cours de la guerre de Sept Ans. Il ne sortira qu'en 1941. Il ne pouvait initialement pas être projeté à cause du pacte Hitler-Staline. Ce n'est qu'en décembre 1941 qu'il  arrivera dans les cinémas allemands, après l'attaque de l'Union soviétique. Klaus enchaine avec "Aus erster ehe" avec Ferdinand Marian dans lequel il a un rôle secondaire. Il retrouve un premier rôle dans "Kopf hoch, Johannes"* tourné pendant l'été 1940. Sierck incarne un garçon qui est rentré d'Argentine et qui, après des problèmes d'intégration, a finalement appris à aimer le système de valeurs de la nouvelle Allemagne nationale-socialiste dans une Napola. Alors que c'est un grand succès populaire, curieusement, ce film de propagande fut cependant peu apprécié par Goebbels. 

  

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 dans Kopf hoch, Johannes

 

Il tournera son dernier film fin 1941; ce sera un film historique: Der große König (Le grand roi) dans lequel il joue le prince Henri. Le film est dirigé par Veit Harlan. Avec un coût de production de 4 779 000 Reichsmark, Le Grand Roi est l’ un des films les plus coûteux du régime nazi. Veit Harlan note dans ses mémoires qu'il a pu disposer des scènes de bataille avec de vrais soldats et 5 000 chevaux. Hitler fut extrêmement enthousiasmé par le film... Mais pas Goebbels qui trouvant Klaus trop efféminé fera couper certaines de ses scène et l'interdira d'écran. Il joue quelques temps dans un théâtre en Pologne, puis en 1943 il est envoyé sur le front de l'est.

 

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Klaus Detlef Sierck sera tué, en Ukraine en mars 1944. Sa tombe est dans le cimetière militaire Iwaniwka.

 

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Pour nous narrer les vies parallèles de Douglas Sirk et de son fils, l'auteur à la mauvaise idée de se mettre en scène dans le rôle d'un étudiant de cinéma qui va débusquer Douglas Sirk à Lugano, où il s'est retiré, pour le faire parler de sa carrière et surtout de son fils. Le premier problème est que l'auteur, ou du moins son double de papier, est parfaitement inintéressant. Il ne sembla avoir aucune vie sociale sinon avec sa directrice de thèse. On aura à la toute fin du volume, si on lit les remerciements la raison de la fadeur des passages où Denis Rossano apparait et le coté artificiel de ses rencontres avec le Sirk. Cela pour la bonne raison qu'il ne l'a jamais rencontré et n'a fait que prendre à son propre compte les entretiens que Jon Halliday a eu avec le cinéaste***. Certes Denis Rossano a mêlé des passages de cette interview avec d'autres sources mais on n'est pas loin du plagiat. On me rétorquera que le fait de mettre roman sur la couverture autorise toutes les libertés mais le procédé me parait parfaitement malhonnête. Ce qui m'amuse c'est les quelques critiques que j'ai pues lire sur ce livre, leurs auteurs n'ayant visiblement pas lu les remerciements ne se sont pas aperçus du subterfuge!   
En ce qui concerne la construction du livre, Denis Rossano alterne les chapitres, tous brefs, parfois à peine deux pages, écrits à la troisième personne dans lesquels il reconstruit les parcours parallèles de Klaus et de son père, ces chapitres sont les meilleurs car l'auteur parvient à y insuffler de l'émotion, avec ceux écrits à la première personne dans lequel il raconte ses investigations sur la piste de Klaus Sierck et ceux là sont ennuyeux. On ne dira jamais assez combien "le journaliste gonzo" a fait du mal à la littérature, n'est pas Tom Wolf qui veut. On assiste donc par le menu à l'enquête que mène, au début des années 80 (mais qui est en fait une enquête de deuxième main comme je le mentionne plus haut), le narrateur, alors jeune critique de cinéma, auprès de Sirk, qui termine ses jours à Lugano en Suisse, au bord du lac, pour savoir qui était Klaus. Mais que peut lui dire Sirk au soir de sa vie sinon ressasser ses remords et ses regrets, lui qui n'a jamais revu l'enfant après son divorce alors que Klaus n'a que quatre ans. L'auteur est contraint d'inventer la vie de ce garçon...

 

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Zarah Leander dans "La habanera"

 

En quelques phrases sèches, Denis Rossano, bon connaisseur du cinéma allemand de la période nazi nous expose les drames et les errements moraux de plusieurs protagonistes de ce cinéma. On apprend beaucoup de chose sur le cinéma allemand pendant la période nazie. C'est la partie la plus intéressante du livre mais un essai aurait mieux convenu et cette période dans les milieux du théâtre et du cinéma est tellement plus incarné dans le "Méphisto" de Klaus Mann... Plutôt que de s'égarer dans le roman pour lequel il n'est pas armé, Rossano devrait nous donner une histoire du cinéma nazi, qui, en regard de certains chapitres d'"Un père sans enfant" serait sans aucun soute très réussie.

Le principal intérêt du livre est de nous apprendre que ce drame du fils sacrifié au Moloch nazi, cette douleur, ce manque marqueront toute la vie de Douglas Sirk et surtout son oeuvre cinématographique, du moins c'est la thèse qu'avance l'auteur. Espérons que les lecteurs de ce pensum pour cinéphiles leur donnera l'envie de voir ou de revoir  "Mirage de la vie " ou "Le temps d'aimer et le temps de mourir " ou encore "La Habanera" du grand Douglas Sirk. 

Il reste à rêver sur la belle couverture du livre et se construire en songe, son propre roman. Enfin "Un père sans enfant" sort de l'oubli ce joli martyr, comme quoi un livre médiocre peut être une bonne action...  

 

 

 

 

Klaus comme Kadet Hohenhausen dans Kadetten de  Karl Ritter ( filmé 1939)

 

* On peut acquérir ce film sur ce site: https://filmhauer.net/serenade-1937-p-8043.html

 

** On peut acquérir ce film sur ce site: https://filmhauer.net/kopf-hoch-johannes-1941-p-6982.html

 

*** Conversation avec Douglas Sirk de Jon Halliday, éditions des Cahiers du cinéma

 

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9 novembre 2021

L'’HOMOSEXUALITÉ DANS LE CINÉMA FRANÇAIS, Alain Brassart

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Dans le numéro de mars 2007 de Positif, Matthieu Darras s’indignait à juste titre du pillage sur Internet des revues de cinéma par certains sites. Il stigmatise en particulier « Allociné », ce qui ne dédouane pas nombre de blogs. Bien des signatures de cette excellente revue sont issues de l’université et à la lecture de L’Homosexualité dans le cinéma français, pondu par un universitaire, Alain Brassart, chargé de cours à l’université de Lille III, je constate que la pratique du copier/coller est entrée dans les mœurs universitaires.

Il n’est rien de dire qu’un livre sur le sujet était attendu par la population cinéphile (surtout quand celle-ci tapiolise), le dernier ouvrage et le seul à l'époque, depuis nous avons eu heureusement la somme de Didier Roth-Bettoni, qui demanderait aujourd'hui à être actualisé, en langue française, traitant de l’homosexualité au cinéma étant L’Homosexualité à l’écran de Bertrand Philibert (ed. Henri Veyrier, épuisé) datant de 1984. La déception est à la mesure de l’attente.

Déjà l’intitulé de l’ouvrage m’avait mis en garde. Je ne voyais pas la pertinence d’aborder ce thème en ne considérant que la seule cinématographie française… sauf si l’on démontre dans un préambule qu’il y a une particularité dans le traitement du sujet dans ce cinéma. Ce qui n’est pas fait dans cet essai, tout simplement parce que ce n’est pas le cas. La représentation des gays dans le cinéma en France, comme ailleurs, est presque toujours le reflet de leur position dans la société au moment où est tourné le film qui les met en scène. Une telle exclusive est donc destinée à réduire le champ de l’étude. Certes qui trop embrasse mal étreint, mais une telle posture exclut toutes comparaisons avec la représentation des gays à l’écran à la même période dans d’autres pays. Si je persiste à dire que la critique ne se borne pas à la comparaison, comme on le voit trop souvent, s’en priver ramène celle-ci à la seule analyse. Est-ce pour cette raison que dans le cas présent, quand elle existe – rarement, elle est particulièrement « capilotractée » ! Quand ensuite, on écarte les œuvres télévisuelles, les courts-métrages et surtout le cinéma expérimental (premier cinéma à avoir fait une place à l’homosexualité, même si le cinéma français n’a pas eu son Kenneth Anger), force est de constater qu’il ne reste plus grand chose. À la lecture de l’ouvrage, on comprend vite que tant de restrictions n’ont qu’une seule raison d’être : la méconnaissance de la plus grande partie des films dont, même en restant dans le domaine français, l’auteur devrait traiter. Il est bon de rappeler cette évidence : pour écrire sur le cinéma, il est indispensable de voir beaucoup de films...

Le cinéma d’avant 197O est expédié en quelques pages qui ne sont visiblement que le recyclage poussif d’un cours médiocre sur Marcel Carné. Dans ce chapitre, j’ai tout de même appris au passage que Grémillon était bisexuel mais pour tout dire, je ne vois pas que cette information puisse modifier mon regard sur un chef-d’œuvre comme Remorques... Il est surprenant pour cette époque de ne rien trouver sur des acteurs comme Jean Tissier ou Jean Parédès, qui jouèrent de façon récurrente des homosexuels tout au long de leur carrière et il est surtout dommage de lire une bourde comme l’homophobie de Robert Brasillach. Si l’on peut reprocher bien des choses à l’écrivain, que son engagement pro-nazi mena devant un peloton d’exécution en 1945, il est ridicule de traiter d’homophobe cet homosexuel dont le penchant transparaît en filigrane de toute son œuvre (mais faut-il encore l’avoir lue !). L’amalgame avec Laubreaux, qui lui était bien homophobe et qui servit de modèle à Truffaut pour son Daxiat du Dernier métro, est absurde. Bien peu de choses également sur « le cinéma d’hommes » d’un Jean-Pierre Melville dont l’homosexualité me parait beaucoup plus prégnante dans l’œuvre que dans celle de Grémillon.

Mais la lacune la plus criante est l’escamotage de tout le cinéma gay des années 70, pas un mot sur Philippe Vallois, sur Gérard Blain, sur Lionel Soukaz… à la place, nous avons droit à une étude comparative assez oiseuse de la charge homosexuelle latente de Delon et de Belmondo. Heureusement que probablement ces pages n’arriveront pas sous les yeux de ce dernier car la lecture pourrait lui provoquer une attaque fatale. Cette ébouriffante analyse des carrières croisées de Belmondo et Delon, vu du coté gay plus qu’aux habituels ouvrages de cinéphiles, m’évoque le Roger Peyrefitte des années 60 qui voyait dans chaque homme, un tant soi peu connu, un homosexuel dissimulé.

Quant au cinéma gay contemporain, nous avons droit à un autre recyclage de cours, cette fois sur Téchiné, qui n’apprendra rien au cinéphile moyen et à quelques considérations guère plus pertinentes sur Ducastel et Martineau, affublés du concept d’homosexualité tranquille… Toutefois les pages sur Drôle de Félix et Crustacés et coquillages sont assez intéressantes et de loin les meilleures du volume.

Ce système de réutilisation des restes laisse de côté les films uniques dans une filmographie, pas de trace du Ciel de Paris de Bena, des Amoureux de Corsini ou de La Confusion des genres d’Ilan Duran Cohen... On n’en finirait pas d’énumérer les manques.

Comble pour ce qui se présente comme un essai, on n’y trouvera ni thèse ni jugement de valeur, mise à part une détestation d’Ozon dont la particularité serait « la froideur stérile » : avis qui aurait pour le moins demandé un développement que l’on ne trouvera pas. En revanche, on y découvre plusieurs pages aussi peu pertinentes qu’elles sont mal écrites sur la misogynie d’après Brassart des cinéastes gays. Ozon s’y retrouve en première ligne en compagnie de Chéreau et de Lifshitz, considéré brièvement que sous cet angle. C’est la seule thèse que j’ai découvert dans ce livre et elle me parait totalement erronée…

Après ce triste fond, voyons la forme. Et là, on n’est pas loin de crier au scandale. Le livre se résume, pour les films cités, à une revue de presse des articles parus lors de leur sortie en salle. Peut-être est-il nécessaire de rappeler à monsieur le professeur que l’on n’écrit pas avec de la colle et des ciseaux... Ceci dit, on comprend mieux l’utilisation de ces instruments lorsqu’on lit les rares phrases qui ne sont pas des emprunts. Je ne résiste pas au plaisir de vous donner un exemple : « Cette mutation du monde prostitutionnel est révélatrice de l’évolution des goûts de la clientèle : les manques ressentis par certains hommes n’ayant pas assimilé l’évolution des rapports sociaux de sexe vont entraîner une attitude défensive à l’égard des femmes et une réévaluation des fantasmes masculin. »

S’il y a quelque chose à sauver dans ce livre, c’est le regard novateur que l’auteur porte sur la place de l’homosexuel dans le cinéma populaire. Paradoxalement, Brassart semble plus à l’aise avec ce type de films qu’avec le cinéma d’auteur pour lequel il parait avoir une acrimonie rance et un peu honteuse.

Assez surprenant pour un universitaire, l’ouvrage est émaillé d’erreurs, comme ces « cuirs » : homonyme pour éponyme, comique pour comics (le comique américain Flash Gordon ! Sacré clown va !)… Et des erreurs de détail sur la vie courante : Minute n’a jamais été un quotidien mais un hebdomadaire, Jean-Luc Roméro n’a jamais été député (il le voudrait bien, le pauvre), ou beaucoup plus gênant : la constante confusion entre malade du sida et séropositif. Sans parler d’incongruités comme de traiter pour un film tourné en 1998, Antoine de Caunes… de jeune garçon.

Cet essai brille surtout par la méconnaissance de son auteur du sujet qu’il est sensé traiter. Il est patent que même pour les cinéastes cités, Brassart n’a pas vu l’intégralité de leur filmographie. Il ne semble connaître de Lifshitz que Presque rien et n’avoir pas vu de Ducastel et Martineau Ma vraie vie à Rouen, tout comme il ignore Le Temps qui reste d’Ozon.

À ces manques et erreurs, on peut ajouter une aberration de construction qui relègue le chapitre le plus valable, celui sur l’amitié virile, en fin de volume. Il faut aussi signaler la malhonnêteté de faire figurer dans l’annexe filmographie, des films qui ne sont même pas mentionnés comme Les Amis de Gérard Blain, par exemple. Mais encore plus fort, choisir comme couverture l’affiche de L’Homme de sa vie alors qu’il n’en est pas question une seule fois dans l’ouvrage !

Vous avez compris que je vous conseille d’économiser les 23 € que coûte ce bouquin et de continuer à lire Les Toiles Roses, tout en espérant que bientôt paraisse en français un livre digne de ce nom sur le cinéma gay.

 

Commentaires lors de la première édition de ce billet

Bernard,



J'ai lu cette semaine l'ouvrage que tu chroniques ici. Même si je n'ai ni ton savoir cinématographique ni tes compétences filmiques, je suis resté - à sa lecture - sur ma fin : Absence totale des courts métrages. A la trappe Vincent Dieutre, Philippe Vallois, Gérard Blain...



J'ai toujours un grand plaisir à découvrir tes analyses souvent mordantes et bien argumentéres.

commentaire n° : 1 posté par : Jean-Yves (site web) le: 24/03/2007 11:31:49
Cher Jean-Yves,
Voilà un commentaire qui va faire frétiller notre Bernard ! Il est trop modeste pour te répondre. A moins que je ne me trompe...
Daniel (ton lecteur number 1)
réponse de : Daniel C. Hall (site web) le: 26/03/2007 12:43:02

Brassart est un universitaire ? Quand je vois à quel point les universitaires peuvent être obsessionnels sur la méthodologie, la rigueur pour leurs étudiants,  (par exemple l'absence d'hypothèses de recherche, pourquoi limité au cinéma français, absence des courts métrages etc... ) je reste confondu qu'il se soit autorisé à livrer un livre si mauvais. 

Merci pour  ta critique! J'ai vu un livre sur le cinéma et l'homosexualité , assez imposant et en le feuilletant il m'a semblé n'être qu'un catalogue des films traitant de l'homosexualité, sans critique, à l'instar de sites qui se veulent plus ou moins exhaustifs quant à la production des films sur ce sujet.
commentaire n° : 2 posté par : olivier (site web) le: 28/03/2007 13:43:49

En réponse à Olivier
Si je n'ai pas mentionné le livre dont tu parles c'est qu'il n'est qu'un catalogue des films traitant de l'homosexualité, les résumant en deux lignes ce qui à mon sens aucun intérêt. Il existe un bon livre sur le sujet: IMAGES IN THE DARK de Raymond Murray ed. TLA. Il est facilement trouvable mais d'une part il est en anglais et d'autre part il date de 1994 et s'il a été réimprimé depuis, il n'a pas été actualisé...
commentaire n° : 3 posté par : b a (site web) le: 29/03/2007 11:03:11
6 novembre 2021

Chronique d'un été de Patrick Gale

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Le récit se divise en deux temporalités, séparées de plus de trente ans Ce sont deux épisodes de vacances estivales d'une famille vu par un garçon de huit ans lors de la première qui se déroule au début des années soixante et de quarande dans la seconde. Trente ans après les premières vacances, leur l’écho retentit de manière curieuse dans les secondes. Car bien des secrets de famille ont été soigneusement enterrés. Le livre alterne ainsi entre un épisode lorsque le garçon s’appelle Julian et a 8 ans, et, on le comprend vite, lorsqu’il en a 40 et que, curieusement, il se prénomme alors Will. Les chapitres s’appellent successivement « La maison bleue » et « L’écumeur des sables » d’après le nom des deux endroits de villégiature, loué pour un séjour de quelques jours sur une petite plage de Polcamel en Cornouailles, et plus tard, dans la « Maison bleue » dont on se rend rapidement compte qu’ils sont les mêmes à 30 ans d’intervalle mais eux aussi ont changé de nom. L’écumeur des sables est la villa où se rendent le petit Julian, sa mère Frances et son père john qui est, directeur de prison. Tandis que 30 ans après, la sœur de Will loue pour lui et leurs parents la maison bleue, avec une Frances atteinte de la maladie d’Alzheimer et commençant peu à peu à perdre ses facultés.
On suit alternativement le déroulement de deux intrigues si proches. Grâce à l’une et à l’autre, on reconstitue peu à peu le puzzle d'un drame familial. La curiosité du lecteur est toujours activé d'autant que les personnages sont très attachant. 
Le personnage central, Will, est gay sa psychologie est finement étudié et un gay, mais pas seulement, n'aura aucune peine à s'identifier à lui. Le roman est émaillé de moments où l’expression du désir prend toute son importance, et il en parle avec une sagace habileté. Will vit une relation passionnelle avec son beau-frère depuis le premier jour de mariage de celui-ci, tandis que la mère est troublée par également son beau-frère, le mari de la sœur de John en visite lors du funeste premier été.
La famille est placée au de cet ouvrage qui analyse, décortique et autopsie avec beaucoup de talent, de délicatesse et d’adresse les liens familiaux entre ces personnages (qui parfois je pense rappelleront au lecteur des souvenirs…). Le lien notamment entre Will/Julian et sa mère est le plus évoqué et finement démontré. Et puis, il y a aussi cette maladie, la maladie d’Alzheimer, qui rend la mère « innocente » et fragile, et finit par briser certains tabous...

Patrick Gale montre que la sexualité même si elle est omniprésente, comme ici, bien sûr, nous détermine mais n'est pas suffisante pour nous  définir.

 

 

5 novembre 2021

Nouveau départ d’ Elizabeth Jane Howard tome IV de la saga des Cazalet

 

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Avant de lire ce billet sur la quatrième tome de la saga des Cazalet, je vous conseille de lire les billets que j'ai consacrés aux trois premiers tomes.

Je ne vais pas vous raconter la suite de la vie de la tribu des Cazalet et de leurs proches cela serait en grande partie vous gâcher la lecture de cette extraordinaire saga. Mais plutôt les réflexions qui me sont venues à la lecture de ce quatrième tome de cette série. Série est justement un mot impropre au sujet de l’oeuvre d’ Elizabeth Jane Howard car elle ne joue jamais, contrairement justement à ce que l’on voit dans les séries télévisées ou dans certains romans comme ceux de son compatriote William Boyle  sur un effet de suspense en fin de chapitre ou de volume mais sur l’attachement que le lecteur éprouve pour la plupart des membres de la famille Cazalet et de quelques une de leurs connaissances. C'est plus en cela que la saga des Cazalet est remarquable que par son style d'écriture où les figures de rhétorique sont quasiment absentes. En revanche Elisabeth Jane Howard possède un sens du dialogue exceptionel. Elle parvient à faire parler d'une façon crédible chacun de ses personnages quel que soit leur âge et cela avec une voix reconnaissable. Je m'étonne qu'elle n'ai, à ma connaissance, pas mis ce talent au service d'une écriture pour le théâtre. D'ailleurs certains de ses livres seraient aisémment adaptables pour la scène. Mais le plus grand tour de force est dans l'architecture de la saga. Par exemple on a la révélation intuitive de quel est le véritable personnage principal de toute la fresque que dans le dernier quart du tome IV. Les quatre volumes ayant été ecrits dans un laps de temps relativement court en regard du nombre de pages, plus de 2000, je serais curieux de savoir si la romancière, dès le début, avait la trajectoire de ses multiples personnage en tête. 

On pouvait craindre que au fur et à mesure les tomes suivant, par rapport au premier, ils perdent de leur mordant et de leur sagacité, il n’en est rien. « Nouveau départ » tient toutes ses promesses, sans se départir ni de la profondeur, ni de la richesse des volumes précédents, nous réservant au passage quelques surprises.  

Comme les autres volumes, ce quatrième tomes est divisé en plusieurs parties, quatre dans "Nouveau départ". Le récit s'échelonne de juillet 1945 à l'été 1947. Il est paru en Angleterre en 1995. Il a donc très probablement écrit 50 ans après les évènements narrés dans le livre. Chacune des parties est subdivisée en plusieurs chapitres. Chacun de ceux-ci a pour titre le, ou les personnages, qui vont en être le centre, suivis d'une date. Par exemple "Les frères, juillet 1945 ou encore Rupert novembre 1946. Amusant deux chapitres sont intitulés "Les autres" pour les amis de la famille et les pièces rapportées comme l’on disait naguère assez inélégamment. Dans chacun de ces chapitres voué à une personne, passent les autres personnages. Mais ceux-ci sont le plus souvent vus par ceux qui figurent en titre du chapitre (pas toujours car pour certains parfois on entre également dans leur esprit). La saga des Cazalet est avant tout une suite de romans introspectifs. C'est un chef d'oeuvre du roman psychologique. C'est aussi une chronique assez pessimiste sur le devenir individuel de l'homme (surtout de la femme) montrant combien il est difficile de se libérer des contraintes contingentes à son sexe, son age, sa condition sociale, son apparence physique... Toutes les pages de la chronique des Cazalet corrobore cette phrase <<Je me suis permis de mener cette petite vie quand à l'intérieur de moi, il y avait tellement plus. >> que l'on trouve dit par Shirley Valentine, dans "L'éducation de Rita", la pièce de Willy Russell. C'est à la fois émouvant et finalement désespérant...

Alors que les tome 2 et 3 privilégiaient un peu les filles ainées des trois frères Cazalet et plus généralement réservaient plus de place aux femmes qu’aux hommes, dans ce tome 4, peut être dans un souci de rééquilibrage, ou plus probablement en raison du fil de l’histoire, Elizabeth Jane Howard donne la part plus belle aux hommes sans néanmoins abandonner aucun de ses personnages, même si elle en privilégie certains, toujours plus nombreux le temps passant, malgré les inévitables disparitions. C’est l’un des tours de force de la romancière de parvenir à faire vivre autant de personnages, et de rendre toutes ces vies si captivantes pour le lecteur, alors que si on y réfléchit bien la plupart n’ont rien d’exceptionnelle, sinon que les femmes sont presque toutes malheureuses en amour. La focalisation momentanée sur un personnage qui parlent des autres qui interfèrent dans sa vie permet à la romancière de jouer avec les différents points de vue sur un personnage, ce qui contribue le lecteur à entrer en empathie avec chacun des membres de la tribu des Cazalet même les plus secondaires, (mais Jane Elisabeth Howard donne l’impression que, pour elle, dans sa saga, il n'y a aucun personnage secondaire)  même si certains sont loin d’être toujours sympathiques. 

Plus que sur la littérature c’est sur l’Histoire que la saga Cazalet fait que l’on s’interroge. Le lecteur français, un peu frotté d’Histoire, remarquera les similitudes et les différences qui existent entre la France et l’Angleterre en cette immédiate après guerre. En ce qui concerne les similitudes, la plus importante historiquement est que les deux pays ont chassé du pouvoir leur grand homme. En France la modification de la constitution voulu par de Gaulle a été récusée et donc le général est parti. En Angleterre les élections ont chassé brutalement Churchill. Dans le domaine de la vie quotidienne, la politique des deux nation a pris un virage social. Leur gouvernement nationalise certaines grandes industries et mettent en chantier ce que l'on appellera "L'état providence". Ces changements sociétaux ont un écho dans le roman mais plus ténu qu'on aurait pu le penser. 

On remarquera à ce propos que les membres de la famille Cazalet ne font jamais passer la politique et même les grands faits historiques au premier plans dans leurs conversations et dans leurs préoccupations. Ils semblent n’avoir pas conscience que les changements politiques et historiques pourraient avoir des conséquences importantes sur leur existence. A ce propos je m’interroge serait-ce que les anglais se passionneraient moins pour la chose politique que les français, mais la profonde et récente déchirure du pays causée par le Brexit, leur affaire Dreyfus en matière de division du pays, tenterait à prouver le contraire. Mais certes par rapport à la période décrite dans "Nouveau départ", nous sommes soixante-dix ans plus tard et la population du Royaume-Uni, désuni, devais je écrire, a profondément changé... Ou serait-ce qu'Elizabeth Jane Howard mésestimerait l'impact de la politique sur le quotidien de ses personnages et aurait des manques dans le domaines de la connaissance des méandres de la politique de son pays. Peut-être aussi qu'elle a voulu prendre le contre pied de la plupart des auteurs de romans historiques (ou qui le sont devenus avec le recul du temps) qui souvent sur-estime l’impact de la chose politique sur le quotidien de leurs créatures. La question reste donc pendante… Même si elle explique ce choix dans ses mémoires: << Quand les gens écrivaient à propos de cette époque c'était en grande partie en termes de batailles livrées; la vie de famille n'était qu'un arrière-plan. J'ai pensé qu'il serait intéressant de le faire dans l'autre sens.>>.

Si la rumeur du monde n'est perçu qu'en sourdine dans les miliers de page  de ce roman fleuve, il en va de même pour la métaphysique. Pour les Cazalet le ciel est vide enfin pas tout à fait pour tous comme le montre la fin du quatrième tome...

J’ai évoqué prudemment le Brexit et je me demande si une des raisons, certes, pas la plus importante, du vote en faveur du rejet de l’Europe par les britanniques, serait le manque de reconnaissance de l’Europe de l’ouest vis à vis de la Grande Bretagne pour son action entre 1940 et 1945. Car contrairement à ce que chantait Michel Sardou: << si les ricains n’étaient pas là nous serions tous en Germanie>>, ce qu’il aurait fallu chanter c’est: si les anglais n’étaient pas là nous serions tous en Germanie. A propos des sacrifices des anglais on voit dans « Nouveau départ » qu’ils ont perdurés bien après la guerre. La nourriture et les autres biens de consommation sont rationnés drastiquement, ils l'étaient en France à la même époque mais en moindre proportion.

En faisant appel à mes souvenirs personnels, je me souviens combien étaient encore nombreux à Londres les stigmates dus au Blitz, encore dans les années 60; alors qu’en France, une ville comme Le Havre qui avait été complètement aplatie était, à cette époque, entièrement reconstruite déjà depuis plusieurs années. C'est il me semble la grande différence entre la France et l'Angleterre. La France s'est relevé beaucoup plus vite. Pourtant les deux pays ont bénéficié du Plan Marshall.

Ce qui est intéressant c’est de voir combien le monde de cet après guerre diffère, au grand dam de certains des protagonistes, en fait assez peu du monde d’avant le conflit encore peut être moins en Angleterre qui n’a pas connu l’occupation comme la France où retourne un des personnage qui y vivait avant guerre. Il s'aperçoit combien l'occupation a laissé de rancoeurs. Tant le portrait de la socièté anglaise figurant dans le quatrième tome semble semblable à celle que l'on découvrait dans le premier que le titre "Nouveau départ" (qui n'est pas la traduction littérale du titre anglais) semble érroné pour le lecteur tant qu'il n'est pas parvenu au deux tiers du livre. 

On pourrait penser à sa lecture que "Nouveau départ" soit la fin de la saga des Cazalet mais dix-huit ans après l'avoir écrit, Elisabeth Jane Howard a pourtant écrit une suite dont les événements se situent neuf ans après la fin de ce tome IV. Je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée tant il me semble que les quatre tomes actuellement disponible en français forme un tout à la construction remarquable.

 

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  Elizabeth Jane Howard et Kingsley Amis chez eux à Londres en 1978

 

Dans la biographie d'Artemis Cooper, "Elizabeth Jane Howard: A Dangerous Innocence" , nous apprenons qu'il y a bien des traits autobiographiques dans la saga des Cazalet; par exemple que les trois principales jeunes protagonistes féminines soit Louise, Polly et Clary sont essentiellement trois versions d'Howard elle-même, s'inspirant de ses expériences de vie et des différents aspects de son caractère. Et les changement, l'agitation et la confusion vécus par ces trois personnages sont tirés en partie de sa vie qui par bien des cotés  a été extraordinaire mais dirons nous tumultueuse. Elizabeth Jane Howard aussi, était la fille d'un marchand de bois. Elle passa ses jeunes années dans une propriété de la campagne anglaise. Comme Louise, elle a posé pour Vogue, et comme Louise elle a été marié jeune avec un peintre, Peter Scott, aujourd'hui surtout connu comme naturaliste. Il était le  fils du célèbre explorateur de l'Antarctique. Peter Scott est l'un des fondateurs du WWF et dessina son célèbre logo  représentant un Panda. Peter était alors dans la marine quand il épousa la future romancière. On voit que Peter Scott a été peu ou prou le modèle de Michael. Comme Louise elle a quitté son mari quelques années après son mariage abandonnant l'enfant qu'elle avait eu avec lui. Elisabeth Jane Howard a cumulé les aventures amoureuses qu'elle a ensuite distribué en quelques sorte à ses personnages. Elle a eu des aventures avec le poète Cecil Day-Lewis, l'écrivain et écologiste Robert Aickman et avec Arthur Koestler, et bien sur avec Kingsley Amis qui fut son mari quelques années. Comme Archie avec Clary, elle a incité son beau-fils Martin à devenir écrivain. Comme le raconte Martin Amis dans "Inside story" (paru en français en 2020), c'est à bien plus de minuit et dans la garçonnière de son père que Martin Amis, 14 ans, fit la rencontre de sa future belle-mère, « grande, droite, posée, splendide », la romancière Elizabeth Jane Howard. Élève fainéant, le jeune Martin est pris en main par Jane qui le pousse à avoir son bac et même une bourse pour Oxford. Entre eux s'instaure une complicité sans tabou, elle le rassure ainsi en pleine crise sentimentale : « Ce n'est pas la taille qui compte. Dans les limites du raisonnable. C'est la dureté. »...

 

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 Martin Amis en 1975

 

Toujours dans sa biographie on apprend qu'elle possédait une grande maison à la campagne où elle recevait beaucoup. Mais là, contrairement aux femmes de la tribu des Cazalet, c'est elle qui faisait la cuisine. Elle a d'ailleurs écrit un livre de recettes d'où peut être l'importance de la nourriture dans la saga des Cazalet, bien qu'elle se déroule en une période de disette.   

Il est amusant de savoir que la naissance de cette grande oeuvre a été des plus prosaique. C'est surtout le besoin financier qui a inciter Elisabeth Jane Howard a se lancer dans cette entreprise. Au début des années 1980, avec plusieurs romans, dont After Julius et Something in Disguise à son actif, Elizabeth Jane Howard cherchait un nouveau projet de fiction. Hormis des considérations artistiques, elle était en train de se séparer de Kingsley Amis , avec qui elle était mariée depuis 1965. Elle avait besoin à la fois d'un projet qui occupe tout son esprit et qui lui rapporte des fonds. Dans Slipstream , ses mémoires parue en 2002, Howard décrit comment elle a eu « deux idées que j'ai trouvées intéressantes » : une actualisation de "Sense and Sensibility" (de Jane Austen) et une trilogie sur une famille qui commencerait en 1937 et s'étendrait sur une décennie. Elle raconte qu'elle a invité son beau-fils Martin Amis à venir boire un verre et à en discuter; quand elle lui a parlé de la saga familiale, sa réponse a été immédiate : « Fais celle-là. >>.

Bientôt en raison de la nature tentaculaire du récit, bien qu'Elisabeth Jane Howard soit parvenu à tenir les deux contraintes qu'elle s'était fixées, soit une action se déroulant sur 10 ans, et en grande partie de sortir peu des décors Londres et du Sussex, elle n'est pas parvenue à faire tenir son histoire qui comportait une distribution en constante expansion, en trois volumes. La trilogie envisagée au départ s'est muée en une quadrilogie, qui fut publié entre 1990 et 1995. Près de 20 ans plus tard, Howard à 90 ans, a ajouté un cinquième volume, qui sera disponible en français en 2022, qui cette fois se déroule en 1956. Il y a donc une ellipse de 9 ans entre la fin du quatrième tome et le début du cinquième.

 

Nota:

Après avoir terminé Nouveau départ, juste avant de m'endormir, il s'est produit un évènement que je n'avais jamais encore vécu: j'ai rêvé des personnages du roman. Je reconnais que ce n'est pas très intéssant; mais je m'interroge sur le fait que chez moi ce soit exeptionnel et même unique. Je vais faire une enquête sur les autres grands lecteurs de ma connaissance pour savoir s'ils rêvent des personnages des romans qu'ils ont lus (j'ai fini par croire que je suis un grand lecteur à force de l'avoir entendu dire; pourtant je suis loin de croire tout ce que l'on dit sur moi...

 

Pour retrouver Elisabeth Jane Howard sur le blog:

 

2 novembre 2021

Sang d'encre de Poppy Z Brite

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Zach est un jeune hacker de La Nouvelle-Orléans qui vit de ses exploits de pirate informatique, une vie ponctuée d'aventures sans lendemain et dominée par la peur de s'engager dans une véritable relation amoureuse. Mais sa vie va être un peu bousculée lorsqu'il apprend que le FBI l'a repéré et vient l'arrêter. Il prend la fuite, sans trop savoir où aller. Trevor a vingt-cinq ans et revient dans la ville de Missing Mile où son père, Bobby McGee, un dessinateur de BD underground, a massacré sa femme Rosenna et le frère cadet de Trevor, Didi, à coups de marteau vingt ans plus tôt. Trevor revient à Missing Mile parce qu'il veut comprendre ce qui a conduit son père à de telles extrémités et surtout pourquoi, lui, Trevor, a été épargné. Les trajectoires de Trevor et Zach vont se croiser à Missing Mile pour le meilleur et pour le pire.
Sang d'encre témoigne une nouvelle fois (après Âmes perdues, chez le même éditeur) de l'habileté diabolique de Poppy Z. Brite dans la construction de personnages de chair, de sang et d'émotions. Les aventures de Trevor et Zach sont la preuve que l'on peut maîtriser la littérature de terreur sans faire appel aux clichés qui l'ont affaiblie ces dernières années — d'ailleurs, quand Zach voit dans un miroir une version en pleine décomposition de lui-même, sa réaction pourrait être celle de tous les lecteurs fatigués par ces clichés : « Zach fut pris d'une soudaine bouffée de rage. Qu'est-ce que c'était que ce truc blanc ? Des asticots ? Du pus ? Encore du sperme ? Mais qu'est-ce que c'était que ce Grand-Guignol à intention moralisatrice ? » Les intentions de Brite ne sont certes pas moralisatrices. Elle ne juge pas, elle décrit avec précision et sensibilité et mieux encore, elle permet au lecteur de comprendre et de ressentir de l'empathie pour ses personnages. Ni anges, ni démons, ils sont humains et on en vient à aimer même leurs défauts pour cela.
Poppy Z. Brite est aussi l'auteur qui a su le mieux saisir le lourd héritage de la génération issue des années 60. Zach contemple une photographie sur un emballage de brosse à dents : « Une photo montrait la famille idéale, le père, la mère, la fille et le fils, tous dotés d'un sourire étincelant — et sans doute des plus hygiéniques. Qu'étaient donc devenus ces visages typiques des années cinquante, se demanda Zach, ces icônes innocentes de la publicité d'après-guerre, ces archétypes made in America » et Trevor lui répond : « Les sixties sont arrivées et leur ont défoncé le crâne. » Et toutes les valeurs traditionnelles de l'Amérique ont été désintégrées dans la conflagration, en premier lieu la plus sacrée d'entre elles, la famille.
Les personnages de Poppy Z. Brite se cherchent tous une famille que le modèle nucléaire ne leur donne plus. Alors qu'il tient Zach dans ses bras, Trevor songe : « Tu es venu ici à la recherche de ta famille. Peut-être as-tu commis l'erreur de supposer qu'elle était composée de Bobby, de Rosenna et de Didi. Kinsey et Terry t'ont accueilli à bras ouverts, t'ont manifesté plus de tendresse que tu n'en avais jamais connu. Et qui tiens-tu dans tes bras sinon un membre de ta famille ? »
Sang d'encre est le roman sidérant d'humanité et de maturité d'un écrivain de trente-deux ans qui n'a pas fini de nous émouvoir et de nous étonner.

 

Pour retrouver Poppy Z Brite sur le blog:

 

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27 octobre 2021

La vie aux aguets de William Boyd

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En 1976 à Oxford, Ruth poursuit mollement sa thèse sur la révolution allemande de 1918; en attendant qu’elle la rattrape pour vivre et faire vivre son fils, Johan qu’elle a eu lorsqu’elle approfondissait sa thèse in situe, elle donne des cours d’anglais à des adultes étranger étudiant à Oxford, la plupart du temp dans l’ingénierie pétrolière. Depuis la mort brutale de son père il y a quelques années avec son fils sa mère Eva est sa seule famille. Pour une raison que je ne vous révèlerais pas, Eva a décidé brusquement de révélé à sa fille qui elle est vraiment. Cela par l’intermédiaire d’un dossier. Eva le distillera par petits épisode à sa fille qui est éberlué de ce qu’elle apprend, se rendant compte des le début que sa mère n’est pas du tout celle qu’elle croyait.

« La vie aux aguets » (Restless en anglais) alterne les chapitres qui se déroule dans le présent du roman, soit l’été caniculaire de 1976, vécu par Ruth et le texte du fameux dossier dans lequel Eva raconte sa vie?

Lorsque nous rencontrons Eva, on apprend dans les premières pages qu’elle a 28 ans en 1939 donc dans le présent du livre, 1976, elle est donc âgé de 65 ans. On en sait très vite un peu plus sur elle, moins vite à propos de Ruth. Eva a perdu sa mère lorsqu’elle avait 14 ans en Chine… Elle vit dorénavant avec son père et sa belle mère à Paris. Les personnages parlent aussi bien le russe que l’anglais ou le français. Il n’est pas difficile d’en déduire que ce sont des russes blancs.

Le frère de Ruth est assassiné alors qu’il assistait à une réunion de l’Action Française. Quelques jour après le drame Eva est contacté par un homme, Lucas Romer qui lui apprend que son frère travaillait par son intermédiaire pour les services secrets britanniques. Il lui propose de faire de même. Ruth par fidélité à la mémoire de son frère accepte. Elle est invité à aller en Angleterre pour se former. Une autre personne va naitre de l’ancienne Eva. Une espionne est née… Elle sera condamné à vivre le restant de sa vie « aux aguets ».

Le roman nous dépeint une vie d’espion assez terne mais pas sans danger pour autant, une vie dans laquelle toute vie personnelle est bannie.

Le livre documente des activités peu connues celles des services secrets britanniques pour inciter les américain de s’engager dans la deuxième guerre mondiale, au moyen de campagnes de désinformation, un sujet qui n'a rien perdu de son actualité, dés les premières années avant Pearl-Arbor qui changera la donne et occultera les efforts des anglais pour précipiter les américains dans le conflit. Il faut rappeler qu’avant l’attaque des japonais l'entrée en guerre des Etats-Unis était loin d'être évidente car l'opinion publique penchait fortement pour l’isolationnisme.  

D’emblée William Boyd installe habilement le mystère. On voit que l’auteur est un grand pro du roman. Dans le genre de l’espionnage Boyd se hisse avec talent à la hauteur d’un John Le Carré. Boyd pratique excellemment l’art de distiller le suspense. Il parvient magistralement à se glisser dans la tête de deux femmes dont les vies ont été engluées dans l’implacable toile de l'Histoire.

 

Pour retrouver William Boyd sur le blog:

 

 

16 octobre 2021

L’enfant phoenix d’Ira Ishida

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Takeshi Tokita-Morrison à 14 ans à Tokyo au printemps 1945. Il est né d’une mère japonaise et d’un père américain. En 1940 le père a jugé plus prudent pour son fils et sa femme qu’ils retournent au Japon dans la famille de cette dernière. Etre métis, surtout d’américain est en ce mois de mars 1945, est un combat de chaque instant pour le garçon qui doit vivre constamment avec la suspicion de ses compatriotes qui le soupçonnent d’être un espion à la solde des yankees. Heureusement il a deux bons amis qui lui font confiance: Tetsu qui a toujours faim et Miya qui rêve de devenir pilote de chasse. Les Tokita vivent dans la périphérie de Tokyo dans l’arrondissement de Honjo, alors un quartier d’entrepôts et de petites entreprises, la leur est une petite fabrique de tricots. L’oncle de Takeshi est parti à la guerre. L’adolescent est le seul homme de la maison, il y a bien Yossan le seul ouvrier de l’atelier mais il est très vieux et Naokuni le cousin de Takeshi mais il n’a que 8ans. La maisonnée se compose aussi de la tante de Takeshi et de sa fille Chizuko qui à le même âge que le garçon qui n’est pas insensible à ses charme avec la bonne ils composent les « sept Tokita ». La vie est au quotidien est très difficile puis arrive le 10 mars date fatidique où les bombes incendiaires larguées par les B-29 américains détruisirent la moitié de Tokyo et firent environ 100 000 morts.

C’est un événement souvent ignoré ou très peu relaté de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il a été occulté par les bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki des 6 et 9 août 1945 qui ont créé une onde de choc dans l’opinion et dans les mémoires par leur caractère hors-norme et la violence inouïe des explosions. Mais  les bombardements sur la ville de Tokyo ont été terrible, de novembre 1944 à mai 1945. Sur la capitale japonaise, il a plu des tonnes de bombes dites classiques mais aussi incendiaires à essence gélifiée, le tristement célèbre napalm !

 

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Tokyo au matin du 10 mars 1945

 

Ishida nous raconte l’odyssée des 7 Tokita vu par les yeux de Takeshi mais pendant les deux tiers du livre qui précèdent le drame avec beaucoup de pédagogie et de fluidité, il brosse un minutieux portrait de ce qu’était la vie des habitants de Tokyo en 1945. Avant tout, ils sont perpétuellement tiraillés par la faim. Constamment sous la surveillance de leurs voisin, ils tremblent d’être dénoncés à la brutale police militaire qui peut par exemple les rouer de coups pour un propos défaitiste. Ils sont conditionnés par une propagande qui veut faire croire à la victoire alors que tous les faits prouvent le contraire. On voit aussi que les enfant sont victime des adultes qui reportent sur les enfants leur souffrance, leur rage et leurs frustrations en les brutalisant. Le dernier tiers est un survival glaçant des 7 Tokita pour échapper aux bombes. Pour ma part je regrette l’échappée vers la fin du récit vers le fantastique, même ci dans sa postface l’auteur s’en justifie d’une manière convaincante.

Le roman nous plonge dans les rues des faubourgs de l’arrondissement de la Sumida à l’est de Tokyo et tout spécialement autour de la gare de Kinshichō, du pont de Ryogoku qui permet de traverser la Sumida pour aller jusqu’à Ginza, le quartier chic, ou Jimbochō, le quartier des libraires, où Takeshi et ses copains vont pour se distraire. C’est dans ce quartier de la ville-phœnix, ressuscitée de ses cendres, que se dresse aujourd’hui fièrement la Tokyo Skytree, l’une des plus hautes tours au monde.

 

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La skytree en avril 2017

 

Comme je l’ai déjà écrit, je suis d’autant plus concerné par un roman, si entre autres j’ai déjà parcouru les lieux où il se déroule. S’est dans ce cas d’autant plus émouvant qu’il ne reste presque plus rien de ce Takeshi aurait pu voir

Le livre semble avoir été d’abord destiné aux adolescents comme peut le faire penser son écriture simple et fluide ainsi que les belles illustrations épurées qui le parsèment. Celles-ci, sont due à Minetaro Mochizuki connu en France pour son manga Chiisakobé.     

Ce roman est d’abord paru en feuilleton dans le grand quotidien japonais Mainichi Shimbun, l’un des journaux les plus important du pays avec une diffusion journalière de 2 878 000 exemplaires. 

Ira Ishida est un auteur prolifique avec une oeuvre diverse. Il s’est fait connaitre en 1997 avec un roman policier « Ikebukuro West Gate Park » qui a eu un grand succès.

15 octobre 2021

Le fils de l’homme de Del Amo

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Lorsque l’on aborde de livre on pourrait être, par exemple, au choix, dans « La guerre de feu » de Rosny ainé ou dans « Le monde vert » de Brian Aldiss ou bien encore dans « Le temps des grandes chasses » de Jean Pierre Andrevon, autant de titres que vous pouvez croiser dans le blog. Ce sont donc des images qui pourraient être peintes par Fernand Cormon qui vous viennent à l’esprit. Je ne m’attendais pas à un tel saut dans le temps en ouvrant le nouveau roman de Del-Amo. Même si l’on retrouve le style d’écriture flamboyant de ses précédents romans. Cette chasse à l’âge de pierre est mieux écrite qu’elle l’aurait été par les auteurs pré-cités.

Cette remarque me conduit à faire une incise. Qu’est-ce qu’un roman bien écrit? (Du moins selon le tenancier de ce blog.) Tout d’abord les phrases qui le composent doivent être écrites en français, ce qui peut paraitre une évidence mais qui ne l’est du tout en regard de bien des romans qui encombrent les librairie. Je veux dire par là que les phrases ne doivent pas comporter d’erreurs grammaticales flagrantes. D’autre part que le vocabulaire de l’écrivain doit être assez riche tout en demandant pas à son lecteur de se précipiter toutes les deux lignes sur le Littré ou sur le Grand Dictionnaire Larousse. Il est ensuite souhaitable que ce vocabulaire soit issu de différents niveaux de langue. Par exemple que parfois l’auteur fasse se côtoyer un mot rare ou savant avec une expression populaire ou argotique. Mais le bien écrire ne se limite pas à une suite de phrases aussi correctes et chatoyantes soient-elles. Faut-il encore que la construction du roman soit un tant soit peu sophistiqué, par exemple, façon puzzle, comme le sont  par exemple les romans d’Hollinghurst. Mais si tout cela est nécessaire, il n’est pas encore suffisant. Il est impératif que le récit vous accroche, sinon dès l’incipit du moins dans les premières page et que cet intérêt perdure jusqu’au mot fin. Vous allez me rétorquer qu’un tel livre ne se trouve pas chaque semaine sur les tables des nouveautés de nos chers libraires. C’est la raison que les pseudo-critiques qui découvrent une palanquée de chef-d’oeuvres à chaque rentrée littéraire sont des fumistes. Cette grossière baliverne qu’ils répètent d’année en année n’a pas pour but d’éclairer la lanterne des futurs lecteurs  mais est le mantra qui fait bouillir leur maigre marmite. 

Pour faire court je dirais donc que Le fils de l’homme est partiellement bien écrit mais n’est ni un chef d’oeuvre ni le meilleur livre de son auteur.

L’épisode préhistorique dure une vingtaine de pages. Il est centré sur les relations entre un père et son fils adolescent au cours d’une chasse. Puis sans crier gare le lecteur se trouve projeté à notre époque, du moins à une époque moderne bien qu’il lui soit impossible de savoir où ni quand. Il lui faudra attendre la page 95, pour qu’un indice puisse lui indiquer vaguement à quelle époque et où nous sommes. On y parle d’une Citroen B.X. modèle arrivé sur le marché automobile, au milieu des années 80*. Quel saut de la chasse préhistorique aux années Mitterrand (on peut supposer que nous sommes en France). Ce n’est plus une ellipse, c’est une béance! Nous voilà au sein d’une cellule familiale composée du père de la mère et du fils. On n’apprendra jamais leur nom (cependant l’auteur laisse échapper une fois le prénom de la mère: Christina). Ils seront toujours désignés que par leur statut dans la famille. La mère qui a été enceinte à 17 ans en a 27 lorsque nous la rencontrons. Le père doit être un peu plus âgé. Ils appartiennent au lumpen-prolétariat. Quand commence cette deuxième partie le père revient. Il avait disparu mystérieusement (pour le fils, presque tout les évènement sont vus à travers le regard de l’enfant) depuis six ans. Le père entraine la mère et le fils après un court voyage (ou long, il y a une contradiction à ce sujet dans le déroulement du récit) dans une maison, presque une ruine, isolée et cernée par la montagne et la forêt, où le père avait vécu avec son propre père. Là commence une robinsonnade sinistre. La mère et le fils sont comme séquestrés par le père dans une nature hostile loin de tout. Les passages les plus réussis sont ceux qui montrent la découverte de la nature par cet enfant ayant vécu jusque-là dans une petite maison d'un quartier ouvrier d’une petite ville. Hanté par son passé et rongé par la jalousie, le père sombre lentement dans la folie. On réalise qu’il s’agit pour le père de transmettre la malédiction que lui a transmis, dans ce même lieu son père. C’est Mont-Cinère de Julien Green au masculin et dans le quart-monde que Del Amo a sans doute lu.

Si « Le fils de l’homme » remplit plusieurs conditions pour être qualifier de bon roman, à commencer par la qualité de son vocabulaire, riche, intense, précis et toujours juste, malheureusement il ne les remplit pas toutes. Cette histoire n’est pas complètement crédible et ce n’est pas dans les dernières pages son orientation vers le comte et même le mythe, un peu à la manière d’un Michel Tournier, qui change les choses. Faut-il chercher la raison de cette échappée fantastique dans le titre?  Le Fils de l’Homme », expression biblique désigne un être humain, puis, avec le christianisme, Jésus lui-même. Est-ce que pour Del Amo l’homme est condamné éternellement à la violence et à l’anéantissement. Cela me parait le contraire du message chrétien qui prédit à l’homme la parousie. D’autre part je reste dubitatif sur la pertinence du préambule préhistorique, qui fait par ailleurs une excellente nouvelle, et le justificatif de l’auteur ne m’a pas convaincu; mais laissons lui la parole: << Cette scène ouvre le roman en réponse à l’épilogue de Règne animal dans lequel l’un des cochons de l’élevage parvenait à s’échapper et retrouvait peu à peu ses attributs et son instinct d’animal sauvage. De même, le prologue place le récit sous des auspices mythologiques, une volonté de rechercher une scène originelle, aux fondements de notre humanité, puisqu’on y suit l’éducation d’un jeune garçon à la chasse, donc à une forme de violence primitive. Cette ouverture plane sur le roman qui y renvoie par échos, comme si le récit contemporain était inscrit de tout temps, depuis les origines du monde.>>.  En réduisant le pitch à l’os nous avons à faire à la relation d’un père toxique (comme on dit aujourd’hui) avec son fils, la sensualité, ou plutôt leur anti sensualité mon évoqué le Duvert de « Lire atlantique ». En la matière de père pervers, les romans de Sorge Chalandon me paraissent plus sensibles et convaincants. Del Amo est d’un pessimisme intégrale et ne voit pour l’homme qu’une chute inéluctable même si dans le cas présent il laisse entrevoir, pour le lecteur le plus optimiste une petite chance de salut pour l’enfant. 

D’un point de vu très personnel pour que je me sois pourléché à sa lecture, il aurait fallu que je puisse m’intéresser à ce trio mais leur misère tant sociale qu’intellectuelle est pour moi rédhibitoire. 

 

Nota

 

* Vers la fin du roman, Del Amo situe dans le temps précisément l’action de son roman puisque les personnages assiste à l’éclipse totale du soleil du 11 aout 1999.

 

 

 

 

Pour retrouver Del Amo sur le blog:

 

6 octobre 2021

57 rue de Babylone Paris 7 ème d’Aix de Saint André

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J’aimais bien Alix de saint-André dans Nulle part ailleurs lors de la première partie de l'émission, présentée par Jérôme Bonaldi sous la férule bienveillante de Philippe Gildas, toute une époque télévisuelle! Cela doit bien faire une trentaine d’années! Cette fille pétulante aux cheveux courts semblait toujours de bonne humeur. Je l’ai un peu moins aimé lorsqu’elle est tombée en pâmoison devant les mânes du ministre de la culture tiqué de la grande Zohra et pas plus lorsqu’elle a essayé d’éteindre ses bouffées mystiques en usant ses godasses sur les chemins de Compostelle. On a droit à la fin du livre à l’occasion de l’attentat à Charlie à quelque considérations sur la foi, encore un hors sujet, ceci dit ses vues sur le catholicisme sont aussi intéressantes qu’iconoclastes, dommage qu’il n’y ait pas plus de catholique de son eau… Le  patronyme de Saint-André ne m’était pas étranger. Le nom de Saint-André était connu  alors, de tout ceux qui se faisaient tanner les fesses, même maladroitement, sur une selle. Mais à l’époque de son babillage sur le petit écran, je n’avais pas fait le rapprochement avec le célèbre maitre du Cadre noir de Saumur  dont en fait, elle est la fille.

Mais elle me plait à nouveau tout à fait avec ce « 57 rue de Babylone » dans lequel elle nous raconte la vie et l’Histoire d’une pension de famille (disparue aujourd’hui), le Home Pasteur, tenue par la famille Meyer-Sabelli, famille, dont Alix de saint-André par l’intermédiaire de Pia, sa meilleure amie rencontrée au lycée, à la fin des années 60, va faire sa deuxième famille.

Dans ce Home Pasteur en quarante ans que couvre la narration d’Alix, il en est passé du monde et souvent des figures pittoresques et parfois promises à une certaine célébrité comme Paul Gegauff. La description qu’en fait Alix de saint-André dans sa savoureuse biographie express, qui un recyclage d’un de ses articles du Fig-Mag, est raccord avec les souvenirs que j’ai de mes rencontres avec Gegauff qui fut le scénariste des premiers films de Claude Chabrol, celui d’un méchant brillant toqué. Pour reconstituer les us et coutumes des passants du 57 rue de Babylone, Alix de Saint-André reprend sa casquette d’intervieweuse et parfois endosse presque le costume de sociologue. Les comptes-rendus de ses rencontres sont souvent savoureux comme celle avec l’avocat François Gibault, l’ayant droit de Céline qu’elle habille pour plusieurs hivers… Nous sommes donc devant un ouvrage qui est principalement une suite de retranscriptions d’entretiens. Les différentes personnes que rencontre l’auteur donnent des regards croisés sur chacun. Mais dans toutes ces interviews la pétillante Alix a tendance à s’éloigner de son sujet, comme avec Gibault avec lequel elle se délecte des anecdotes que lui livre l’avocat sur son cher ministre drogué et sa bêcheuse de Louise de. Bien vite on s’aperçoit que les gens les plus intéressants qui passe dans le livre sont les membres de la nombreuse famille des tenanciers du Home Pasteur. Cet immeuble à la fin pour le lecteur est surpeuplé. On se perd à suivre la destiné de tant de personnes. Les récits sur la famille Meyer-Sabelli sont entrelardés des souvenirs d’adolescence et de jeunesse de notre Alix. Si certains ont une certaine pertinence par rapport avec l’arc narratif principal du livre d’autres arrivent comme des cheveux sur la soupe tels les lettres, certes bien troussées, que la jeune Alix de vingt ans adresse à sa famille lors de son périple aux Etats-Unis. Il ressort de ce sympathique fatras une peinture d’un Paris des années 70 vu par des jeunes gens qui nous parait aujourd’hui presque aussi éloigné que le Paris d’Henry IV… On a le droit d’avoir de la nostalgie pour ce gai Paris des années 60-70…

57 rue de Babylone est paradoxalement un livre sans architecture. La démarche qui consiste a ausculter l’histoire d’un immeuble pourrait le faire se rapprocher du 129 Rue Saint-Maur mais si ce dernier est tragique et magistralement construit, le livre d’Aix de Saint-André est tout son contraire; il est foutraque et souvent amusant, même si parfois on est ému par la trajectoire de certains personnages mais tout cela est raconté sur un ton alerte qui n’est pas sans rappeler la fameuse petite musique de Sagan. J’aime beaucoup par exemple ces quelques phrases qui me paraissent bien donner le ton de cet ouvrage (qui n’est en rien un roman comme il est stipulé sur la couverture: « Je préférais les enterrements aux mariages…aux enterrements, on sent passer le souffle de la mort; bouleversés on se redresse dans une commune tentative de se relever ensemble, serrés les uns contre les autres, émus et sincères, mieux habillés et plus haut pensants que d’habitude. On se compte. Et que de fous rires ! Florence disait que certaines funérailles remplaçaient aujourd’hui les cocktails chez Gallimard. »  Je ne sais pas si Alix de Saint-André écrit bien mais ce que je sais c’est qu’elle écrit sensible. Il y a beaucoup de gentillesse (sans jamais de mièvrerie) qui passe dans ce livre. 

19 septembre 2021

Poussière dans le vent de Leonardo Padura

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 Pollença, septembre 2021

 

Ils étaient huit amis, filles et garçons, soudés dès le lycée, habitants de La Havane, nés au début des années 60. Ils formaient ce qu’ils avaient appelé « le Clan ». Ce nom de clan est en référence à « 1984 » d’Orwell qu’il découvre en 1981, alors que le livre est interdit à Cuba. Si les premières pages se déroulent en 2015 à Miami, une photo, prise l'ultime fois où le clan s’est réuni, pour les trente ans de Clara le 21 janvier 1990. Cette image sur laquelle apparait entre autres Irving, Joel, Clara, Loreta, Bernardo et Dario, ce sont des enfants de la révolution cubaine va bientôt projeté le lecteur à La Havane en 1990. 

En commençant la lecture de Poussière dans le vent, il est difficile de ne pas penser à « Retour à Ithaque », la version romancée du synopsis du film éponyme, sorti en 2014, et réalisé par Laurent Cantet. C'est d'ailleurs un précédent ouvrage de Padura « Le Palmier et l'Étoile », qui avait servi de matière première à cette histoire d'un groupe d'amis qui se retrouve sur une terrasse de La Havane pour célébrer le retour d'exil de l'un des leurs. Le clan et l’amitié indéfectible qui unit ses membres font aussi penser au groupe d’amis qui entoure Mario Conde dans la série de romans dont il est le héros. Si « Poussière dans le vent » est peut être plus ambitieux que les autres livres de l’auteur mais reste dans la continuité de son oeuvre. 

1990 est une année cruciale pour Cuba. Après l’effondrement de l’URSS, l’ile ne peut plus compter sur l’aide du « grand frère russe » qui tenait l’économie du pays à bout de bras. La grande supercherie que fut le communisme à la cubaine s’écroule avec ses conséquences économiques et sociales terrible pour les cubains. La fin de « la mine » soviétique révèle  que sans elle le castrisme est nu. C’est la fin du rêve socialiste. La fin du rêve de toute une génération , ici représentée par “ le Clan “. Ses membres durant tout le roman n’auront qu’un leitmotiv: « Putain, mais qu'est-ce qui nous est arrivé ? ». Les grandes espérances se muent en pénurie généralisée. Commence alors ce que le régime castriste appelle, avec un bel euphémisme, « la période spéciale » qui durera presque dix ans et conduira de nombreux cubain, parfois au péril de leur vie, sur les chemins ardus de l’exil.

Nous allons suivre la plupart des personnages que l’on voit sur cette photo durant les 25 ans qui ont suivi la naissance de cette image fondatrice. En 1990 va souffler un grand vent de misère qui va disperser les membres du clan de par le monde.

A l’exception de Dario tous les membres du clan appartiennent à la bourgeoisie de La Havane, fils et filles de diplomates, de cadres du régime, d’architectes… Ils ont tous fait des études supérieures et sont de brillants sujets.

Alors que le roman n’est pas estampillé roman policier comme ceux de Padura qui mettent en scène Mario Conde, « Poussière dans le vent » est le livre de l’auteur où il y a le plus de mystère puisque au centre de l’intrigue le clan va être bouleversé par le suicide, (mais ne serait-ce pas un crime?) d’un de ses membres et par la mystérieuse et inopinée disparition d’un autre. Deux traumatismes avec « leurs mystères lancinants qui, malgré toutes les hypothèses (…), n'avaient pas de solutions convaincantes ».

Si comme dans tout les livres de Padura, l’épicentre du roman est La Havane, « Poussière dans le vent » va nous emmener souvent bien loin du Marelon, à Miami, bien sûr, ville par excellence des exilés cubains mais aussi à New-York, à Porto-Rico, dans le nord est des Etats-Unis, en Argentine, à Madrid, à Barcelone et même à Toulouse… Le livre est construit avec de constants aller et retour géographiques et temporels. Si l’on ne se perd pas dans cette architecture éclatée, elle parait parfois un peu artificielle d’autant que certains chapitres sont redondants. Padura aurait pu faire maigrir un peu son ours de 650 pages ou plutôt distribuer un peu différemment la place qu’il accorde à ses personnages, un peu moins à certain et un peu plus à d’autres comme à Joel par exemple.

Il est rare de voir chez des personnages de roman se livrer à un tel travail introspectif comme ici. Il faut que je remonte à la lecture déjà ancienne de Dostoievski pour me souvenir de quelque chose d’approchant. Le sujet principal du roman est universel et de toujours: la quête de son identité dans tout les sens du mot: << Il sentait que sa condition d’exilé, d’émigré ou d’expatrié (…) l’avait empêché de penser même à un bref retour et l’avait condamné à vivre une existence amputée, qui lui permettait d’imaginer un avenir mais où il ne pouvait pas se défaire du passé qui l’avait mené jusque-là et à être qui il était, ce qu’il était et comme il était.>>.

Ce questionnement continuel sur soi des personnages en particulier ceux de Clara et de Loreta pourra dérouter un lecteur, qui, comme moi, ne s’interroge pas beaucoup sur sa nature. Autre particularité de tout les personnages le profond sentiment d’être né quelque part. Ces cubains ont beaucoup de mal à se sentir heureux ou même « vivants » hors de leur ile alors qu’ils ont d’une part choisi l’exil et que d’autres part que dans leur pays d’adoption ils vivent infiniment mieux que dans leur ile natale. Mais peut être faut-il être insulaire pour avoir autant conscience de ses racines?

Pour quasiment la première fois Padura met en scène des personnages de la génération qui suit la sienne. Avec Marquo, Adela ou Ramsés il montre comment la seconde génération entre attraction et déni, réinvention et reconstruction à Miami d’une vie à la cubaine se représente le passé de Cuba. Autre nouveauté chez Padura celle de se glisser dans la tête des femmes et en faire, partiellement, ses porte-paroles. Padura est un macho qui parle très bien des femmes et… des homosexuels.

L’auteur est à l’évidence un homme généreux. Il entre en empathie avec toutes ses créatures, sans forcément les approuver, il nous montre que chacun avait ses raisons pour agir comme il a agi.  

Si Padura est un romancier qui n’oublie jamais les questions triviales du quotidien en particulier le boire et le manger, l’art y est également toujours présent, la musique, la peinture et bien sur la littérature. Les ombres tutélaire de deux grands écrivains cubains exilés planent sur ce roman. Celle d’abord celle de Hérédia, le poète banni auquel Padura a consacré le magnifique livre qu’est « Le palmier et l’étoile » et surtout celle Reinaldo Arenas dont l’oeuvre est toujours interdite à Cuba. Le personnage d’Irving doit beaucoup à Arena qui s’est suicidé à New-York en 1990.

Ce roman magistral, addictif, traite d’abord de l’exil, mais aussi de la perte, de la peur du déclassement, de la filiation, de l’amitié, de l’identité sexuelle, de la culpabilité et du désir vital de liberté. Grâce aux multiples personnages que Padura réussi magnifiquement à faire exister, le livre illustre la pluralité des devenirs cubains. La diversité des parcours permet à l’auteur de décrire les paradoxes de plusieurs sociétés qui, pour vivre côte à côte, s’ignorent. Si les exilés dans leurs nouveaux pays ne connaissent plus la faim ni le flicage de la dictature cubaines qui engendrait une crainte de chaque instant, ils s’aperçoivent que leurs pays d’accueil, que parfois ils avaient mythifiés, comme ils l’avaient fait de la révolution castriste, connaissent le chômage, le racisme ordinaire et les luttes politiques. Le roman met l’accent sur la difficulté pour les exilés, qu’ils vivent en Europe ou en Amérique, de faire cohabiter leur moi ancien et leur moi nouveau.

Padura est un formidable créateur de personnages et ceux de « Poussière dans le vent » sont inoubliable.

 

 

Pour retrouver Padura sur le blog:

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