Chronique du règne de Charles IX, qui parait en 1829, est un des tout premier roman historique français, seul le Cinq-Mars de Vigny, paru en 1826 l’a précédé (il y avait eu tout de même auparavant « La princesse de Montpensier » (1662) de Madame de La Fayette, se déroulant également sous le règne de Charles IX et écrit environ un siècle après les péripéties du texte, mais il est vrai que c’est une nouvelle). Mais avant d’aller plus loin peut faut il définir par ce que l’on entend par roman historique. Le roman historique est un roman dont l’action se déroule dans un temps plus ancien que celui de la personne qui l’écrit. Mais plus ancien de combien d’années? Voilà la première interrogation que l’on peut se poser pour délimiter les frontières du roman historique. Ensuite on peut discerner plusieurs types de romans historiques ceux qui, comme dans « Chronique » qui mêlent personnages historiques et personnages imaginés par l’auteur, dans le cas de Chronique » ce sont ces dernier que Mérimée place au premier rang, ceux dans lesquels se meuvent quasiment que des personnages historiques comme Cinq-Mars, ceux qui solidement ancrés dans l’époque dans laquelle sont campés des personnages qui sont néanmoins fictifs comme dans quatre-vingt-treize de Victor Hugo ou dans les romans de Walter Scott et enfin ceux dans lesquels des personnage fictifs agissent dans une époque qui est une sorte de paysage sur lequel se déroulent les péripéties du roman, c’est le cas par exemple des « Habits noirs » de Paul Féval.
Au XIX ème siècle et tout autant au XX ème siècle le roman historique relève plus de la littérature populaire que de la littérature dite noble mais ce n’est pas le cas dans les premières années du genre qui voient paraitre « Chronique ». La méfiance et même parfois l’opprobre de la critique et de l’université vis à vis du roman historique viendra à partir des années 1830 avec la parution de ce genre romanesque en feuilleton dans les quotidiens.
Si le roman historique a généralement mauvaise presse auprès du public cultivé, c’est aussi, tout comme les écrits autobiographiques qu’il est peu propice à l’invention de formes littéraires nouvelles. Si l’on considère « La route des Flandres » de Claude Simon comme un roman historique (c’est aussi un écrit méta-autobiographique), il est l’exception qui confirme la règle.
On peut considérer que le roman historique connait son apogée au XIX ème siècle en terme de lectorat aux alentour de 1850 avec le succès des romans d’Alexandre Dumas et de Paul Féval paraissant en feuilleton dans la presse quotidienne. Même si ensuite il se maintient avec des auteurs comme Erckman-Chatrian, Zevaco… Il est concurrencé dans le roman populaire par le roman sentimental, par le roman de victime comme « Les deux orphelines » puis par le héros de surhomme, des super-héros avant l’heure comme ceux mettant en scène Fantômas ou Chéribibi…
Le roman historique français est une importation anglaise c’est suite au succès des traductions françaises des romans de Walter Scott au début des années 1820 qu’il nait à l’imitation de ces dernier.
L’argument de « Chronique » est simple nous sommes au temps des guerres de religion deux frères se battent dans les camps opposé, l’ainé Georges chez les catholiques, Bernard le cadet lui est du coté des protestants. Le roman commence lorsque Bernard de Mergy, gentilhomme huguenot qui se rend à Paris au moment où Henri de Navarre s'apprête à épouser Marguerite de Valois, la soeur du roi, assurant ainsi la paix entre protestants et catholiques. À Paris, Bernard retrouve son frère Georges qui, après sa conversion au catholicisme, est devenu capitaine des chevaux-légers du roi. Bernard ne tarde pas à tomber amoureux de la belle comtesse catholique Diane de Turgis et à s'attirer un duel avec l'amant de celle-ci, le redoutable Comminges…
Chronique du règne de Charles IX parait en pleine vague du romantisme si l’on peut le rattacher à ce mouvement ce n’est qu’à sa marge. Les héros de Mérimée ne sont pas des héros romantiques types. Il ne sont loin d’être sans peur ni reproches. Autre différence avec les oeuvres littéraires du corpus romantiques, la nature et ses descriptions sont presque absentes de « Chronique ».
On peut aussi rattacher le roman, même s’il ne l’est que d’une manière périphérique au genre du roman de formation comme le sont par exemple « Les trois mousquetaires » ou « Le capitaine Fracasse ». Formation pas seulement pour le naif Bernard mais formation aussi, ou plutôt évolution, pour d’autres personnages comme pour le capitaine Dietrich qui nous est présenté d’abord comme un reitre obtus et malhonnête alors qu’à la fin, après plusieurs mutation on le verra comme un coeur miséricordieux. De même nous découvrons le père Lubin en fat abbé de cour mais quelques pages plus loin nous le retrouvons en homme courageux capable de sauver un adversaire, en se mettant en danger.
Le style de Chronique de Charles IX est étonnamment moderne et rapide pour un ouvrage écrit en 1828. Lorsque l’auteur entreprend l’écriture de son livre il a 25 ans l’âge de son héros, Bernard de Mergy ce qui peut expliquer en partie l’allégresse de ton du livre. Le Roman de Mérimée fait penser au Stendhal, les deux hommes étaient amis, de La chartreuse de Parme (livre écrit 10 ans plus tard en 1838). Petite incise: Peut on classer le roman de Stendhal dans la section des romans historique? Son action tourne autour de l’année 1815 soit 23 ans avant la rédaction du livre. Considérions nous un roman écrit aujourd’hui dont l’action se déroulerait en 2000 comme un roman historique? Le héros de Mérimée Bernard de Mergy fait songer à Fabrice Del Dongo. Il a la même innocence et comme Fabrice à Waterloo, alors qu’il est coeur du massacre de la Saint Barthélémy n’en entend que la rumeur. Mérimée est constamment de l’évitement de la scène à faire. Au grand panoramique sanglant il préfère l’anecdote significative. Ainsi le roman se présente comme une suite de nouvelles, genre de prédilection de l’auteur.
Mérimée en dépit du modernisme de son écriture fait tout de même allégeance à la manière de son époque lorsqu’il s’autorise à des apartés disant qu’en ce temps là, l’époque des guerres de religion, les choses n’étaient pas comme aujourd’hui, entendons par aujourd’hui, les dernières années de la Restauration. Un chapitre entier est même une adresse aux lecteurs. Au chapitre VIII dans une construction que l’on pourrait qualifier de post-moderne si l’on ne craint pas les anachronismes critiques c’est le lecteur qui interpelle l’auteur en le sommant de faire le portrait de la cours de Marie de Médicis. Mais Mérimée s’esquive et évite d’écrire la scène attendue. Autant de procédés qui indiquent que le présent de la narration n’est pas celui de l’action du roman, ce qui a pour résultat de sortir le lecteur des péripéties du récit et de son actualité que jusqu’alors il faisait sienne. Ce surplomb de l’auteur sur l’action de ses personnages est en revanche, lui, pas du tout moderne. C’est ce que se garde bien de faire Alexandre Dumas et bien sur Flaubert. Il reste que dans la très grande majorité du livre le narrateur se veut contemporain de l’action à la différence d’un Walter Scott qui voit toujours l’action dans ses roman avec le recul d’un observateur du début du XIX ème siècle. Mais si l’ on compare « La chronique » avec les trois romans de Dumas se déroulant à la même époque soit La reine Margot (écrit en 1845) qui se déroule sous le règne de Charles IX exactement dans le même temps que « Chronique », « La dame de Monsoreau » (écrit en 1846),et « Les quarante cinq » (écrit en 1847) qui lui se déroule une dizaine d’années plus tard sous le règne de Henri III, la chronique est infiniment mieux écrit, mais il est vrai que Dumas utilisait des nègres et qu’il était soumis à la contrainte du roman feuilleton. Ses romans paraissaient dans la presse par épisodes (les premier feuilletons dans la presse datent de 1836); ce qui n’est pas le cas de Mérimée. Mais plus au volume de Dumas pré-cités c’est de ce même Dumas, aux Trois mousquetaires (écrit en 1844) et la suite que la « Chronique » fait immédiatement penser. Dans les deux romans on trouve des duels et des scènes de fraternité entre soldats dans les cabarets. On peut penser que Dumas et compagnie avaient bien sur lu « La chronique » avant de nous distraire avec d’Artagnan et consort. Il y a des similitudes troublantes entre des scènes de ces deux livres, en particulier celles du chapitre III.
Mérimée utilise un procédé stylistique qui me parait nouveau dans ce livre celui d’intégrer dans son texte des phrases entières ou plus souvent des groupes de mots d’autres auteurs. C’est ce que fera 150 ans plus tard, à beaucoup plus grande échelle Perec dans « La vie mode d’emploi » qui lui, fera des collages textuels tout azimut, indécelables en regard de la multiplicité et la diversité de ses sources (Jules Verne, Sartre, Loti, Queneau, Flaubert, Leblanc…). Mérimée emprunte en particulier à d’Aubigné et à Brantôme deux auteurs auxquels il fait aussi souvent référence.
Dans son style Mérimée évite deux des écueils sur lesquels sombrent la plupart des romans historiques le premier est celui de s’étendre sur des descriptions pour faire époque (c’est l’équivalent au cinéma de ce que l’on appelle un film de décorateur) l’un des pires auteurs du genre est Jean Lombard dont Montherlant dit qu’il écrit un galimatias, il a bien raison. Lombard écrit vers 1900 et peut consacrer 10 pages à la description d’un lustre comme dans son « Byzance » ce qui rend aujourd’hui la lecture de tels ouvrages difficile, mais le souci de brosser des décors avec un grand luxe de détail que cela fini par être envoutant. C’est en quelque sorte du pré Raymond Roussel. Le deuxième écueil qu’évite Mérimée est celui d’employer des mots du vieux françois toujours pour faire époque, procédé qui, à force, peut rendre un livre sinon illisible du moins pénible à lire c’est la maladie qui atteint de nombreux romans historiques tel la série « Fortune de France » de Robert Merle (écrite dans les années 1970) qui se passe en partie à la même époque que « Chronique ».
En tête de chaque chapitre Mérimée place une citation, souvent d’un auteur célèbre Molière, Shakespeare, Rabelais, lord Byron… qui renseigne sur le contenu du chapitre qui se révèle une sorte de miroir de la citation mis en ouverture.
Autre aspect novateur, la fin du livre est ouverte. Si l’auteur propose des possibles pour le devenir de ses créatures, il les accompagne de point d’interrogation. Si la modernité nous a habitué à ces fins ouvertes, peut être plus au cinéma qu’en littérature, qui demande participation et invention de la part du lecteur, une telle fin à du paraitre bien déceptive à l’époque de la parution du livre.
L’auteur n’évite pas quelques anachronismes de détail par exemple au sujets des armes qu’utilisent les différents protagonistes. Plus gênant est ceux qui ont trait à la manière de penser des personnages comme dans le chapitre IV ayant pour titre Un converti dans lequel George de Mergy, le frère du héros, renvoie dos à dos protestants et catholiques en professant une totale incroyance, un solide athéisme. Pour résumer il dit à son frères que s’il est devenu catholique, alors que Bernard est demeuré protestant, c’est en raison de l’ingratitude d’un chef protestant à son égard et aussi parce qu’il a trouvé une meilleure situation chez les catholiques et qu’enfin il trouve la musique jouée dans les messes plus belle que celle qui entoure le prêche du pasteur… Il me semble que c’est un discours, même si c’est un discours en privé, entre deux frères, qui ne pouvait être tenu au XVI ème siècle. Pour moi ces propos ne peuvent être que post révolutionnaires, post Lumières. Les premiers discours athées rendus publics sont apparus avec les libertins sous la régence (il y est certain que l’on peut trouver des pamphlets prônant l’athéisme, plus anciens mais c’étaient des épiphénomènes). Cette diatribe contre la bigoterie et le fanatisme religieux est fidèle au voltairisme de l’auteur.
Autre anachronisme, au chapitre VII, lorsque George, encore lui, se lance dans une tirade égalitariste à propos de l’amiral Coligny dans laquelle il dit que sa naissance a fait beaucoup pour sa renommé plus que ses talents militaires sur les champs de batailles où il a toujours été battu. Dans George à la fois septique et tolérant on peut plus reconnaitre Mérimée qu’en Bernard.
Le lecteur à son tour doit se garder de faire une lecture anachronique car « Chronique du règne de Charles IX a été beaucoup copié et ce qui peut paraitre comme cliché, duel, femme mystérieuse et masquée, rendez-vous secret, pratiques occultes sont des presque inventions littéraires à la parution du livre.
Il ne faudrait pas réduire « Chronique » à un roman de cape et d’épée façon « Le bossu » car tout le livre est innervé par une grande question: Comment peut on en arriver à un tel massacre, la saint Barthélémy, à une telle apocalypse. La question reste toujours pendante aujourd’hui…
Plus généralement le livre n’est guère favorable à l’ancien régime dont les pratiques sont dénoncées en particulier celle du duel. Mérimée trace un portrait guère élogieux de Charles IX dans « la chronique » il parait comme un homme faible, hypocrite et velléitaire sous l’influence de sa mère et de son entourage. Si Charles IX règne, il ne gouverne pas vraiment. Mérimée était un libéral et il n’est pas difficile que le portrait qu’il dresse de Charles IX est aussi celui de Charles X qui est roi de France pendant qu’il écrit son roman
Cette attitude critique envers la monarchie peut surprendre même si l’on sait qu’ii est fils des lumières et admirateur de Voltaire et de Diderot, chez un homme devenu encore jeune un notable sous la monarchie de juillet puis très proche de l’impératrice Eugénie sous le second empire.
Charles IX