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Dans les diagonales du temps
25 septembre 2020

On ne vend jamais une bibliothèque

 

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Mais l’on ne vend jamais une bibliothèque ; tout au plus les livres qui la composaient, perdant ainsi l’essentiel : leur voisinage, leur jointure, tant dans l’espace que dans l’esprit. S’évanouit pour toujours, lors de ces bien nommées dispersions, le liquide interstitiel, la lymphe de toute bibliothèque ou collection : ce qui a présidé au choix de telle ou telle édition, au rejet de tel auteur, à l’assortiment d’une reliure, à l’indescriptible exaltation éprouvée face à un volume trouvé après des années de recherche et de déception, à la ténacité d’une quête entamée, sans qu’on sache très bien pourquoi, depuis l’adolescence, à l’illusion d’avoir (presque) complété le dessin de la tapisserie, d’avoir achevé une solide architecture, qui ne tarde pas à se révéler château de sable… Sur la couverture du catalogue, fantomatique cadastre de ce monument disparu, un damier d’éditions uniques, mais inertes sous une lumière étale, prive les précieux spécimens de tout ce qui avait fait leur aura.

Patrick Mauriès, Fragments d’une forêt.
Grasset, 2013.

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24 septembre 2020

Quand Paul Morand se souvenait de Marcel Proust

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Proust raconte que quelqu’un dit au marquis de G… :

« Il paraît que la Marquise a un très beau Cézanne ?

— Il paraît.

— Vous ne le connaissez pas ?

— Il est dans la chambre à coucher de la Marquise, je n’ai jamais eu l’occasion de le voir. »

 

Proust raconte que Mme Baignières, qui était très avare, faisait retoucher une vieille fourrure chaque année, en disant : « Comment trouvez-vous mon Doucet ? » L’année d’après, elle remplaçait Doucet par Laferrière, etc. « Je la trouve solide », répondit Proust.

 

Proust me dit : « Je ne connaissais pas Francis Jammes. Je le jugeais évangélique et pauvre. Dans ses livres, il parle toujours de son voisin le savetier. Quand je le rencontrai chez les Daudet, il m’entretint de M. de Monvel qui est président du St-Hubert Club et a une grosse situation dans le Sud-Ouest… Il me parla surtout Royal Dutch et vénerie. »

 

Hier soir, Céleste me téléphone : « M. Marcel Proust dînera volontiers avec M. Morand ce soir ; que M. Morand invite qui il veut, si ça l’ennuie de dîner avec M. Marcel Proust, mais comme M. Marcel Proust n’est pas rasé, M. Marcel Proust prie M. Morand de ne pas lui faire de “surprises de dames ”. »

 

Paul Morand, Journal d’un attaché d’ambassade 1916-1917.

Gallimard, 1996.

 

Du coté de chez Proust sur le blog:

 

 

 

 

23 septembre 2020

Ces lignes que j'écris comme une croix sur une tombe.

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 Au bord de l'eau, près de Pontoise, dans une guinguette où nous venions dîner, je regardais le soleil se coucher de l'autre côté de la rivière et – parce que j'étais avec un garçon que j'aimais – le spectacle me paraissait d'une perfection presque irréelle, comme l'état de bonheur où je me trouvais.

  

Je me lamentais sur cette beauté : "Comment veux-tu décrire ça ? disais-je à mon compagnon. Comment trouver les mots, les phrases capables de rendre la réalité de ce que je vois ?"

  

Le problème était mal posé car il ne s'agissait pas de voir mais de sentir ou d'éprouver.

  

Le coucher de soleil n'était qu'un prétexte, une façon d'avouer que j'étais amoureux et que cet amour (non plus) ne pouvait se dire. Quand on écrit, les mots ne désignent pas (seulement) les choses. Ils sont les choses. Ils s'efforcent de l'être en tout cas. Ils changent de nature sans changer d'aspect. C'est de l'alchimie la plus élémentaire.

  

Les années ont passé. Qu'est-il devenu, mon coucher de soleil au bord de l'Oise ? Il aurait suffi d'un peu de patience pour dire le ciel rouge, l'odeur de l'eau, la grâce d'un visage, l'amour que j'avais au cœur. Je n'ai pas su attendre. Le garçon a grandi, il m'a quitté. Aujourd'hui il est mort. Que reste-t-il de cet instant ? Ces lignes que j'écris comme une croix sur une tombe. 

  

Roger Vrigny, Le besoin d’écrire, Editions Grasset, 1990,

 

23 septembre 2020

Chaque fois que le Blanc est en minorité

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Chaque fois que le Blanc est en minorité dans un pays noir (Antilles), ou simplement menacé par la prolificité des Noirs (États-Unis), l’exclusivisme joue. Les Français, qui pourtant n’ont à aucun degré le préjugé de leur peau blanche, ni de leur descendance aryenne, préjugés qui ont disparu avec les idées du XVIIIe et de la Révolution, en viendraient certainement sinon à haïr, du moins à se séparer socialement des Noirs s’il s’en installait cinq ou six millions en France.

Paul Morand, Paris-Tombouctou (1928), fin mars 1928 ; Bouquins Voyages, 2001, p. 93).  

13 septembre 2020

LE QUOTIDIEN N'EXISTE PAS

Tous les voyages sont les voyages sont ethnographiques. Votre propre ville même, si vous l'étudiez avec la patience, la curiosité et la méthode que les meilleurs esprits mettent à l'étude d'une tribu sauvage, attendez vous à des surprises. Le quotidien n'existe pas. L'ordinaire n'existe pas.

 

Nicolas Bouvier, Le vide et le plein, éditions Folio (n° 4898)

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29 août 2020

LE VOYAGEUR, LE BON

Le voyageur, le bon, devrait posséder à un certain degré cette qualité d'imagination qui permet de situer des vertus même momentanément absentes, de flairer la pépite, le bien virtuel, la truite sous la glace. Il devrait en somme non seulement suppléer à sa propre insuffisance, mais encore aux défaillances momentanées de ce qu'il observe. Cette attitude ne résultant pas d'ailleurs d'un optimisme à la Pangloss, mais d'une économie bien comprise, car la vie est courte, et l'étude de la qualité plus profitable que l'étude de son contraire.

 

Nicolas Bouvier, Le vide et le plein

26 août 2020

IL NE PEUT PAS Y AVOIR DE CRÉATEUR TOTALEMENT ABSTRAIT, SUPÉRIEUR ET DÉTACHÉ

 

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On pourrait dire qu'il existe trois stades de lecture. Le premier serait celui qui désigne Kundera, lire pour acquérir une connaissance du monde. Le deuxième, plus raffiné, consisterait à lire pour acquérir une connaissance de soi. Le troisième état, selon moi le stade supérieur de la lecture, est de lire pour essayer de comprendre qui est l'auteur. Ce qui est encore plus passionnant que l'objet fini, c'est l'acte de création. La différence avec l'artisanat est que l'oeuvre d'art été faite par quelqu'un et que ce quelqu'un, tout en s'en abstrayant, y demeure. C'est ce mystère qui me passionne. Je crois qu'il signale que Dieu n'existe pas. Il ne peut pas y avoir de créateur totalement abstrait, supérieur et détaché. Et c'est rassurant. La littérature montre que, dans l'humanité, il n'y a que des hommes.
 
Charles Dantzig, interview à Transfuge, novembre 2010
 
 
L'interview qu'a donné Charles Dantzig à la revue Transfuge est une des réflexions les plus intelligentes que j'ai pu lire sur la littérature, ce qui ne veut néanmoins pas dire que j'approuve tout ce que l'auteur revigorant du Dictionnaire égoïste de la littérature française assène.
25 août 2020

L'INTRANSIGEANCE EN PREND UN COUP

Les critiques de cinéma aux conditions de travail de plus en plus précaires dans un milieu de plus en plus concurrentiel, paraissent condamnés (ce qu'ils intériorisent malgré eux d'ailleurs, avec une mauvaise foi toute sartrienne) à s'enthousiasmer devant la quasi-intégralité de ce qu'on leur propose. Simplement afin d'avoir quelque chose à écrire (donc puisque l'époque n'aime pas les grincheux pour gagner leur pain). L'intransigeance en prend un coup. De même que la saine sévérité. Tout est réussi! Les chefs d'oeuvre pullulent! Pire: tout est "sympa", "interessant", "coup de poing", "formidable". Déplorable, sinistre système, qui ne laisse plus de place aux voix intempestives. C'est à dire aux voix tout court.

 

Jean-Christophe Ferrari, Positif, décembre 2011

25 août 2020

LE TEMPS OÙ NOUS SOMMES VENUS

N'avez vous pas remarqué comme le temps où nous aurions aimé vivre est celui qui précède immédiatement le temps où nous sommes venus?

 

Sainte-Beuve, Volupté

22 août 2020

HOMMAGE À ROBERT DE MONTESQUIOU

Portrait_of_Robert_(1855-1921)_Count_of_Montesquiou_(1879)_by_Henri_Lucien_Doucet

 

Lucien Doucet, Robert de Montesquiou


mon compagnons d’orgueil



vous qui fûtes mon frère d’armes
et mon frère de larmes,
vous serez, quelque jour dont j’aperçois le seuil,
mon compagnon d’orgueil. 

vous avez partagé les tristesses, les peines,
les traîtrises, les haines;
donc, vous partagerez, c’est justice, l’honneur,
la gloire, le bonheur. 

travaillons, avançons, croyons, la chose est sûre,
car je sens la morsure
de la fatalité se desserrer un peu,
et j’aperçois le bleu ! ‘

                           Robert de Montesquiou 

.
les perles rouges (dédicace à Yturri) par Robert de Montesquiou (1855-1921), poeme extrait du recueil "le chancelier de fleurs, douze stations d’amitié" (1907). Robert de Montesquiou a dédié ce livre à son ami et amour de 20 ans, Gabriel d’Yturri (1864-1905)

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