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Dans les diagonales du temps
23 septembre 2020

Ces lignes que j'écris comme une croix sur une tombe.

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 Au bord de l'eau, près de Pontoise, dans une guinguette où nous venions dîner, je regardais le soleil se coucher de l'autre côté de la rivière et – parce que j'étais avec un garçon que j'aimais – le spectacle me paraissait d'une perfection presque irréelle, comme l'état de bonheur où je me trouvais.

  

Je me lamentais sur cette beauté : "Comment veux-tu décrire ça ? disais-je à mon compagnon. Comment trouver les mots, les phrases capables de rendre la réalité de ce que je vois ?"

  

Le problème était mal posé car il ne s'agissait pas de voir mais de sentir ou d'éprouver.

  

Le coucher de soleil n'était qu'un prétexte, une façon d'avouer que j'étais amoureux et que cet amour (non plus) ne pouvait se dire. Quand on écrit, les mots ne désignent pas (seulement) les choses. Ils sont les choses. Ils s'efforcent de l'être en tout cas. Ils changent de nature sans changer d'aspect. C'est de l'alchimie la plus élémentaire.

  

Les années ont passé. Qu'est-il devenu, mon coucher de soleil au bord de l'Oise ? Il aurait suffi d'un peu de patience pour dire le ciel rouge, l'odeur de l'eau, la grâce d'un visage, l'amour que j'avais au cœur. Je n'ai pas su attendre. Le garçon a grandi, il m'a quitté. Aujourd'hui il est mort. Que reste-t-il de cet instant ? Ces lignes que j'écris comme une croix sur une tombe. 

  

Roger Vrigny, Le besoin d’écrire, Editions Grasset, 1990,

 

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