On peut tout de même remarquer d’emblée une différence sensible. Le “sot art” n’hésite pas à mettre en situation, pour les ridiculise, les dirigeants russes actuels, en particulier Poutine, alors que les œuvres exposées à Barcelone semblent se limiter surtout à la critique de l’époque maoïste. On peut néanmoins remarquer un tableau représentant la place Tiananmen dans lequel la foule qui s’ y est massée semble être composée que par les ectoplasmes des étudiants massacrés.
Derrière la porcelaine de Xu Yihui "Le garçon lisant le livre de Mao, on aperçoit La place de Tiananmen de Yin Zhaoyang
Il serait néanmoins réducteur de ramener “Rouge à part” à une exposition uniquement politique ou méta politique. Par exemple les photographies de Liu Zheng, de O Zhang, de Zhang Huan... ne relèvent pas de cette catégorie.
photographie de Wang Ningde.
Il est pourtant difficile, pour un visiteur occidental, de ne pas se focaliser, surtout dans le contexte actuel, sur les œuvres les plus politiques, celle ci dessous résume une partie de l'exposition.
Art and politics de Wang Guangyi.
La contestation chinoise est ici souvent joyeuse et parodique. L’humour est heureusement bien présent comme dans le tableau de Shi Xinning où Mao septique (?) scrute l’urinoir de Duchamp.
Comme on le voit les références à l’art occidentale sont constantes, Mao dans la toile de Yu Youhan peint à la façon de la Marilyn Monroe de Warhol, les accumulations à la manière d’Arman, photographiées par Hong Hao.
Si presque toutes les pièces exposées relèvent de l’art figuratif, on ne trouve aucune trace d’une peinture naturaliste chinoise dont est issu au moins un grand peintre, Dong (voir le film que lui a consacré Jia Zhang Ke, disponible en bonus du dvd de “Still life” chez MK2)...
une toile de dong que vous ne verrez pas à Barcelone
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“Rouge à part” ne se veut pas un panorama exhaustif de l’art chinois contemporain. Il faut rappeler que toutes les pièces viennent d’une seule collection particulière, celle de Uli Sigg qui comporte aussi bien des œuvres que pour aller vite je vais qualifier de contestataires, c’est celle que l’on peut voir à la fondation Miro, que des installations des plus avant gardistes, sans oublier des peintures d’un pure style réalisme socialiste de la période maoïste, absentes à Barcelone.
Tableau type du réalisme socialiste maoiste (reproduction photographié dans la boutique du musée).
.Uli Sigg, homme solitaire, est le plus influent collectionneur d'art contemporain chinois dans le monde. Sa collection est riche de 1200 pièces des toiles, des vidéos, des photos, des sculptures, des installations... qu’il rassemble depuis la fin des années 70. Uli Sigg est un grand nom dans le monde de l'art contemporain chinois. On peut même craindre, même s’il n’est pas un acheteur complètement hégémonique ( il y a aussi notamment le baron belge Guy Ullens de Schoten mais dont la collection est moins contestataire, elle a été exposée dans la capitale chinoise), que ses choix influencent celui-ci. Ambassadeur de Suisse à Pékin de 1995 à 1998, Il est aujourd’hui le vice-président de Ringier Holding AG, la plus importante société de médias suisse. Sa collection comprend des oeuvres créées par 160 artistes qui sont rares dans les musées nationaux chinois ou les galeries de Pékin ou de Shanghai, ce qui n’ étonnera guère.
collage de Luo brothers
Il est évident que la collection ne pourrait pas être montrée en Chine. Pendant son séjour en Chine, Uli Sigg commença par acquérir (avec la discrétion de mise chez les entrepreneurs et les diplomates) les travaux d'artistes correspondant à ses centres d'intérêts, certes variés, mais toujours empreints de la culture occidentale. Il s’est surtout intéressé à la transition entre le réalisme socialiste et l’art international en vigueur dans les grands musées d’art contemporain. Par la suite il a recherché a établir un panorama exhaustif de l’art chinois contemporain. Ainsi aujourd’hui le plus grand musée d'art chinois contemporain ne se trouve pas en Chine, mais près de Lucerne, au château de Mauensee. Le public n'y a toutefois pas accès, cette propriété étant la résidence de Rita et Uli Sigg. L’exposition de Barcelone est donc une occasion unique de pouvoir la découvrir.
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collage de Luo brothers
Le collectionneur est bien conscient de la mutation de l’art en Chine: << il y a 25 ans lorsque j’ai commencé à collectionné l'art contemporain chinois, il y avait là l’art “mondialisé” et à coté l’art chinois. Mais maintenant nous les voyons les rapprocher. Ils vont fusionner à l'avenir... La production est totalement libre. Mais pas l'exposition, puisqu'elle empiète sur l'espace public. Ce qui veut dire: pas de Mao, pas de sexe! Et étonnamment, c'est plus strict à Shanghai qu'à Pékin. Je ne sais pas vraiment pourquoi. J'en ai parlé avec beaucoup d'artistes, personne ne peut l'expliquer... >>.
Zhang Xiaogang
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Avant Barcelone, un échantillonnage de la collection avait été montré en 2005 au Kunstmuseum de Berne et en 2006 à la Hamburger Kunsthalle de Hambourg. On peut toutefois espérer que cette manifestation voyagera et que d’autres institutions de par le monde, et en particulier à Paris, seront bientôt intéressées par cette formidable collection qui, en attendant, bénéficie à Barcelone d’une très belle présentation où chaque œuvre est bien mise en valeur, peut respirer et n’entre pas en confrontation avec sa voisine.
Les commissaires de l’exposition ont sélectionné des œuvres lisibles (ils ont par exemple écarté les vidéos et les œuvres trop autobiographiques) pour un public cultivé occidental un peu au fait de l’histoire récente de la Chine et de l’histoire de l’art. Car la plupart des peintures (ce n’est pas le cas pour la photographie) que l’on voit s’incrivent fortement dans un courant post modernisme revisitant les œuvres de l’art du passé. Le plus savoureux exemple est “La liberté guidant le peuple” interprété par Yue Min Jun. Le tableau fait partie d’une vaste installation, “An 2000” comprenant, outre le tableau pré cité, un autre où des personnages semblables, auto portrait de l’artiste, toujours s’esbaudissant, sont comme “connectés” entre eux formant une chaîne continue. L’oeuvre fait aussi un clin d’oeil à l’art chinois traditionnel. Les 25 clones hilares de l’ouvrier moderne, encore Yue Min Jun, sont le pendant moderne de l’armée de l’empereur enterré près de son tombeau pour le garder dans l’au delà. Trois éléments qui dénoncent l’esprit moutonnier du peuple et son formatage par l’état.
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D’autres artistes préfère relirent l’art traditionnel chinois pour en donner une nouvelle vision. Ainsi c'est la calligraphie (on ne peut que constater combien dans de nombreuses oeuvres est présente une trace d’une écriture qu’elle soit chinoise ou occidentale) dans les photos de Zhang Huan qui est mise au service d’une critique de la surinformation.
photographie de Zhang Huan.
Les artistes n'ont pas seulement échoué à abandonner leurs racines artistiques spécifiquement chinoises, de l’antiquité à la tradition du réalisme socialiste de la fin des années 1970 ,mais les revendiquent et ont en fait, relancé leurs pratiques tel les délicieuses et ironiques porcelaines de Geng Xue.
Pour ce faire une idée de la cote des artistes chinois et de l’ engouement, le mot est faible, qu’ils provoquent, lors des enchères d'art contemporain qui se sont déroulées à Londres en octobre 2007, le tableau “Exécution (1995) de Yue Min jun a été cédé par la sociétéSotheby's pour près de 7 millions $. Mais parfois les motivations artistiques semblent bien loin comme le dénonce l'artiste Yan Pei Ming, né à Shanghai en 1960, mais qui vit à Dijon depuis vingt-cinq ans, << ... Le marché de l'art chinois est exclusivement créé par les spéculateurs. Je ne veux pas vendre là-bas. Les acheteurs n'y sont intéressés que par l'argent. Il est très rare d'y rencontrer de vrais collectionneurs... >>.
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Zhang Xiaogang, bien représenté à la fondation Miro est exposé en France par Catherine Thieck de la Galerie de France . Cette année, lors d'une vente Sotheby's à New York, une de ses toiles de 1998 intitulée " Camarade no 120 ", qui semble reproduire la photo en noir et blanc d'un homme et dont le papier aurait été abîmé au niveau du visage, a été adjugée 979.000 $.
Zhang Xiaogang
Toujours en faisant le parallèle avec le “sot art” on ne peut manquer de constater que la qualité “artisanale” des créateurs chinois est très supérieur à celui des russe. D’autre part du moins dans les pièces de la collection Sigg, le souci du beau semble être constant chez la quasi totalité des artistes représentés. Les chinois ont parfaitement intégré les techniques de l’art occidentale, des plus classiques aux plus novatrices. Ils ont bien compris aussi que la provocation était une arme médiatique efficace en témoigne ici cette colonne formée de cendres humaines ou à Berne ce fœtus dans le formol auquel on avait greffè une tête de mouette et qui avait fait scandale.
Liu Ye
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Lors de ma visite les gardiennes, banalisées mais repérables, ce sont les seules qui semblent s’ennuyer, sillonnent l’exposition en poussant leurs babouches avec douleur, avec comme but principal d’interdire les photos. Comme vous pouvez le constater elles ne sont pas toujours efficaces, d’autant plus que l’une d’elle, ce matin là était très intéressé par le journal du jour que “lisait” le personnage de la sculpture hyper réaliste de Ai Wei Wei. Notre gardienne était plongé dans les potins qu’elle déchiffrait par dessus l’épaule de l’avatar humain...
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Si vous êtes timorés coté photographies volées, achetez le splendide catalogue qui reproduit très bien presque toutes les œuvres. Le texte est en catalan mais à la fin de l’ouvrage on trouve une traduction en espagnole et en anglais. Et puis en ce qui me concerne il est indispensable pour retenir les noms des artistes que malgrè mon admiration je ne parviens pas à mémoriser. Enfin vous pourrez faire aussi comme moi s'amuser avec en ajoutant aux photos érotique des reconstitution des harems impériaux de Liu Zheng des pims maoistes.
Cette exposition témoigne du grand changement depuis l'ère Mao et de la très relative libéralisation du régime non si on le compare à l'occident mais à celui en vigueur à l'époque du "grand timonier". Si on peut être agacé par quelques provocations faciles, Il n’en reste pas moins que la Chine compte aujourd’hui des artistes de grande valeur il suffit pour s’en apercevoir de se rendre à la fondation Miro jusqu’au 25 mai 2008.
photographie de Liu wei.