Mantegna au Louvre
L’exposition Mantegna (1431-1506) que propose le Louvre est une exposition savante mais grâce à la pédagogie de l’entreprise il n’est pas besoin d’être savant pour en apprécier les beauté. Beaucoup plus accessible que par exemple la peinture de Poussin celle de Mantegna, bien que tout soit expliqué sur les cartouches accompagnant les oeuvres, l’audioguide ne vous apportera que peu de lumière supplémentaire, demande tout de même de n’être pas complètement ignare en histoire sainte. Mais surtout elle requiert un grand don d’observation et de patience (pour examiner chaque parcelle de la toile, et malheureusement pour être face à celle-ci en raison de la fréquentation). Le plaisir principal de la peinture de Mantegna réside dans la découverte des multiple détails qui la compose, qui la fait vivre. L’artiste est un miniaturiste qui travaillerait sur des grands formats.
Prenons par exemple, “La prière au jardin des oliviers” (63x80 cm) qui se trouve habituellement à la National Gallery de Londres. Le tableau fut peint à Padoue vers 1453, l’artiste n’a donc que 22 ans! Je vais me rappeler mes vieux souvenirs de catéchisme pour vous en conter l’anecdote: Après un dernier repas avec ses apôtres (la cène), Jésus s’en va prier accompagné de trois de ses compagnons au jardin des Oliviers. Au petit matin, Judas, qui a trahi Jésus amène les soldats romains qui l’ arrête, c’est ce qui nous est montré sur la toile, je suppose que mes lecteurs connaissent la suite. En une image le peintre réussit à faire la synthèse de plusieurs événement qui marquèrent cette fameuse nuit. Jésus sait que la mort est proche. Il laisse les apôtres à l’entrée du jardin, mais demande à Pierre, Jacques et Jean de l’ accompagner. Puis il s’éloigne de ses trois disciples en leur recommandant de veiller et de prier. Trois fois, il redescendra vers eux, les trouvera endormis et le leur reprochera amèrement. Il prie Dieu de lui épargner le martyre, mais, réconforté par les anges, il accepte la souffrance et la mort. C’est là qu’il a la révélation de sa mission, la rédemption, pierre de touche de la religion chrétienne.
La première chose que l’on voit sont trois dormeurs, bouche ouverte roupillant du sommeil du juste, le réalisme est tel qu’on croit entendre bien leur ronflement sonore. Il sont vêtus d’ atours de pimpantes couleurs qui monopolisent l’attention. Et c’est pour moi la plus grande bizarrerie de la toile, en effet le premier rôle de la composition devrait être jésus, abîmé en prière et qui ne voit rien venir, mais nous ne le découvrons que dans un troisième temps. Pour deux raisons, la principale est que la figure de Jésus n’est pas placée dans la diagonale principale de lecture du tableau, qui est celle que l’on retrouve le plus fréquemment dans la peinture “classique”, du coin bas à gauche au coin haut à droite. On découvre donc, avant le priant, et après les dormeurs, en suivant cette ligne, la cohorte qui s’ apprête à exécuter sa sinistre besogne. C’est seulement ensuite que nous découvrons Jésus en dévotion.
Revenons sur les trois disciples qui dorment comme des biens heureux. Il s’agit de Pierre, Jacques et Jean. Il sont aisément reconnaissables. Pierre est celui qui est le plus à gauche, identifiable à sa barbe blanche. Jean, selon la tradition, est le plus jeune des apôtres, il est donc représenté imberbe. Ses ainés l’ont placé au centre de leur petit groupe, comme pour le protéger. Le troisième à la main posée sur un livre. Ce qui devrait signaler que c’est un évangéliste, alors que c’est Jacques qui n’en est pas un!..
La composition est découpée en strates horizontales allant du calme à l’ effervescence, puis à l’indifférence des hommes et de la nature pour le drame qui se noue en contrebas. Les marqueurs de cette agitation sont les animaux qui s’ ébattent dans le paysage. Ces sympathiques bestioles se retrouvent dans un grand nombre des toiles de Mantegna. Ce qui traduit le grand amour pour la nature du peintre. Le calme règne encore au premier plan, trois petits hérons insouciants barbotent dans la rivière sinueuse que suit la route par laquelle arrive le danger. Dans le même plan un arbre, sur lequel au sommet sommeille un oiseau qui m’évoque un cormoran, structure l’image, construction typique des miniatures comme l’est la ville, Jérusalem, surplombant la scène représentée.
J’aimerais bien, si quelqu’un à des lumières sur le sujet que l’on m’explique dans l’art, et particulièrement dans l’art contemporain, la sur représentation du lapin. Chez Mantegna on peut s’amuser à les compter (on peut également choisir de dénombrer les moutons ou les perroquets) c’est plus divertissant que de comptabiliser les canoës dans les tableaux de Peter Doig... Or donc trois lapins folâtrent sur le chemin, comme désignés à notre attention par le pied de Jean, alors qu’un peu plus haut sur la toile et à l’autre extrémité, deux autres lapins, aux oreilles dressées, semblent s’être aperçu du danger et sont prêt à quitter la scène. En observant les positions et les proportions de ces animaux par rapport à la composition, on s’aperçoit que la mise en espace de la scène est encore typique de celles des miniatures contenues dans les livres enluminés. Nous avons affaire à une miniature géante, si je peux me permettre cet oxymore.
Le christ mort
Il me parait intéressant de s’attarder sur l’évolution de la perspective. Tout d’abord en rappelant que Mantegna est l’auteur du tableau emblématique de l’iruption de la perspective “réaliste” dans la peinture avec “Le christ mort” exécutée vers 1485, qui est resté à Milan. Ensuite en comparant la mise en espace de ce tableau à celle d’autres œuvres comme celle d’ Hans Multscher, datant de 1437 et traitant de ce même sujet que l’on peut voir à Berlin et où les différents plans de l’action sont beaucoup moins marqués et encore conforme à la représentation médiévale ou encore avec celle, peinte en 1460 par Giovanni Bellini, dont on peut voir plusieurs toiles dans l’exposition du Louvre, beau frère de Mantegna traitera le même thème selon une perspective “moderne”. Ce dernier tableau est également à la National Gallery de Londres, mais malheureusement n’a pas fait le voyage jusqu’à Paris.
La prière au jardin des oliviers de Giovanni Bellini
Continuons a ausculter “La prière au jardin des oliviers”. Dans de nombreux tableaux de Mantegna les nuages ont figure humaine, ce n’est pas le cas ici où l’un d’eux, face au Christ sert de socle à des angelots, qui présentent par anticipation les instruments de la Passion : la colonne de la Flagellation, l’éponge imbibée de vin aigre fixé sur une perche en bois, la lance avec laquelle Longin s’assurera de la mort du Christ.
Terminons par la ville, elle aussi rappelant beaucoup celles des enluminures. Si elle est censée être Jérusalem et comme elle, la cité peinte est ceint de remparts. Mais curieusement on y aperçoit le colisée de Rome et un campanile vénitien. Plus extravagant encore plusieurs tour sont surmontées par un croissant musulman plus de cinq siècles avant la naissance de Mahomet!
Si je vous encourage donc dans cette exposition à particulièrement regarder dans “les coins” et dans les arrières plans des compositions, ce qu’il faut toujours faire en particulier pour la peinture flamande et italienne de la renaissance, et que je ne manque jamais de faire, je doit dire qu’habituellement ce n’est pas seulement pour y débusquer de charmantes créatures à poils mais aussi pour y traquer le joli damoiseau, sur ce plan, il faut bien dire que Mantegna est décevant, beaucoup plus que Bellini, Bronzino ou encore Ghirlandaio par exemple. Mais pour les belles anatomies, on se consolera avec une collection de Saint-Sébastien, ceux de Mantegna mais aussi ceux de ses suiveurs, un des grands intérêts de l’exposition est d’accompagner l’oeuvre de Mantegna par celle d’artistes qui l’ont influencé ou que lui a profondément marqué, mis à part Bellini, ce n’est que rarement à l’avantage des émules de Mantegna. Pour en revenir aux Saint-Sébastien, il y a bien sûr le grand du Louvre auquel je préfère celui conservé à Vienne. Ils sont accompagnés par un autre, dont le string m’a laissé dubitatif, du à un certain Damiani.
Il y aurait bien d’autres points à développer dans cette exposition que ceux que j’ai tentés de mettre en exergue, tel son admiration pour Donatello et la propension de Mantegna à faire de ses personnages des statues antiques ou son utilisation fréquente de la contre plongée qui anoblit les figures qui sont comme vues d’en bas. Il faudrait encore parler de ses grisailles qui imitent non pas la réalité mais celle traduit par la sculpture et enfin de ses gravures comme l’ étonnante bataille des dieux marins... Une exposition extrêmement riche dans laquelle je serais resté plus de trois heures face à ces chef d’oeuvre.
Paris décembre 2008