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Par-delà le Styx, un album d'Alix dessiné par Marc Jailloux et scénarisé par Mathieu Breda
Le dernier album des aventures d'Alix, "Par-delà le styx", dessiné par Marc Jailloux sur un scénario de Mathieu Breda, s'il est réussi, met paradoxalement en évidence la tare de la bande-dessinée franco-belge et particulièrement la série Alix: Soit qu'il est impossible pour une bande dessinée ambitieuse comme l'est celle-ci de développer un scènario complexe en 48 pages. Je n'arrive pas à comprendre comment ce fait qui dure depuis des années n'est presque jamais soulevé. Les albums n'ont pas assez de pages. Mathieu Bréda a astucieusement contourné l'obstacle en faisant de "Par-delà le styx" la suite de l'album "Le dernier spartiate". Les deux albums rassemblés en un seul on obtient une remarquable histoire, peut être la meilleure de la série. Jacques Martin cette fois peut être fier de ses successeurs. Mais là où le bât blesse c'est que "Par-delà le Styx", lu seul, est presque incompréhensible. C'est comme de lire "Vingt ans après" sans connaitre "Les trois mousquetaires".
Par quelle aberration en est on arrivé à cet étiage de 48 pages alors que les albums dessinés par Jacques Martin, jusqu'à "Iorix le grand", avaient une pagination qui oscillait entre 56 et 64 pages. Pour des raisons commerciales bien sûr, qui, à courte vue, ont prévalues sur les considérations artistiques.
J'ai déboursé 11,50 € pour l'achat de cet album. Il me semble qu'en poussant le prix jusqu'à 15€ pour 64 pages (pagination du "Dernier des spartiates") on ne découragerait que fort peu d'acheteurs et qu'au contraire sur un long terme ceux-ci augmenteraient.
L'amateur de bandes-dessinées n'a plus, comme c'était le cas au début des années 60, le choix unique des albums (je laisse de coté les petits formats) issus du gisement de la B.D. franco-belge. Il y a les comics américains, de plus en plus présentés sous forme de recueils bénéficiant d'une reliure rigide, et surtout les mangas que j'apparente beaucoup plus par leur ambition et la très grande qualité artistique de certains d'entre eux, au grandes séries franco-belges qu'à nos petits formats de jadis, même, s'ils en possèdent le format.
Il se trouve qu'en même temps que l'album d'Alix, j'ai acheté le tome 11 de "Cesare", un manga de Fuyumi Soryo, qui détaille la vie de Cesare Borgia. L'auteure en profite pour faire un vaste panorama des enjeux politiques, artistiques et philosophiques de la Renaissance. Si les différences avec la saga martinienne sont évidentes, à commencer par le fait que "Cesare" prend comme héros principal un personnage ayant réellement existé, Angelo, le jeune et joli garçon inventé par Fuyumi est plus un témoins narrateur qu'un véritable acteur de l'histoire. Mais les points communs sont nombreux, en premier lieu, le genre, celui de la bande dessinée historique. On peut donc penser que les deux séries s'adressent au même public (j'en suis la preuve vivante). Pour ce nouveau fascicule de Cesare, j'ai déboursé 7, 90 € pour quelques 250 pages, certes la plupart sont en noir et blanc et toutes d'un format plus réduit. Il reste que pour allez de novembre 1491 à juillet 1492 il a fallu à notre japonaise érudite 2750 pages même si celles-ci ont le 1/3 de la superficie de celle d'un album d'Alix, on arrive, si l'on fait l'équivalence, à un peu plus de 900 pages; pages qui ne m'ont pas ennuyé une seconde. Je ne préconise pas un tel ralentissement du temps dans les scénarios des bandes-dessinées occidentales mais il n'est pas interdit ni de comparer, ni de réfléchir à cette dilatation du temps dans les mangas (j'aurais pu prendre comme exemple d'autres mangas historique tel "Zipang", "Jin", "Vagabond" ou encore "Le chef de Nobunaga"). Cette dilatation du temps n'exclut pas l'action; elle ne manque pas dans Cesare. Maisune telle temporalité permet de développer moult personnages et intrigues annexes et surtout dans Cesare d'offrir de nombreuses cases montrant la magnificence du décor de l'Italie de la Renaissance. On regrette qu'en raison du peu de place il ne soit laissé dans les albums d'Alix, à celle de l'antiquité, que la portion congrue. C'est d'autant plus regrettable qu'en matière de représentation de monuments Marc Jailloux n'a rien à envier à la pourtant excellente Fuyumi Soryo.
Avant de détailler le riche scénario de cet album, il me semble qu'il est bon d'en expliciter le titre: Le Styx, c’est le fleuve qui, dans la mythologie grecque, sépare les enfers de la vie terrestre. Le fleuve infernal a été traversé voici longtemps par un héros mort au combat, Heraklios, le père d’Heraklion, le jeune Spartiate rencontré par Alix et qui est devenu son protégé. Heraklion est le pivot de cette aventure d'Alix.
Le scénario d'"Au-delà du Styx" est à la fois mince et complexe par le cadre dans lequel il se déroule, la recherche par Alix d'un père de substitution pour le garçon dont il a la charge mais dans un monde en guerre. Or donc, Alix part en Afrique du nord pour retrouver Astyanax, le dernier soutien d'Héraklion, garçon dont Alix à la charge, et quelle charge! Le garçon d'une douzaine d'années semble à la fois caractériel et mélancolique; traumatisé qu'il est, par la mort de sa mère et l'écroulement des derniers pans de la civilisation spartiate qui l'a vu naitre (Tout est dans "Le dernier spartiate", album dans lequel nous faisons la connaissance d'Héraklion et d'autres acteurs majeurs de "Par-delà le Styx") part en Afrique du nord où va se dérouler la grande bataille de Thapsus dans laquelle les derniers partisans de Pompée vont affronter l'armée de César. Les férus de Montherlant se rappelleront que c'est dans cette période que l'académicien situe sa pièce "La guerre civile", exactement avant la bataille de Dyrrachium qui aura lieu elle du 12 au 15 juin soit un peu plus de deux mois après les combats mis en scène dans l'album. Comme dans "La guerre civile" nous allons croiser plusieurs personnages historiques dans "Par-delà le Styx". Tout d'abord Marc-Antoine qui alors règne à Rome pendant que César bataille, puis César, Caton et Juba.
"Par delà le Styx" aurait pu s'intituler "Heraklios", comme le confie Marc Jailloux dans Alix Mag, et cette hésitation dans le titre est révélatrice. Cet album revisite aussi un personnage plutôt méconnu (bien qu'il soit récurrent) en lui donnant une intéressante dimension psychologique. Dans les albums dessinés par Jacques Martin, Héraklion était surtout un jeune enfant à protéger, une sorte de victime potentielle qu'il faut continuellement sauver de divers dangers, qui n'est bon qu'à se faire enlever, ou à tomber en pleine mer. Dans ce nouvel album, il change d'apparence et devient plus autonome. Il semble maintenant un peu caractériel, fait des fugues, conteste l'exemple d'Alix et se cherche manifestement un nouveau modèle.Pourtant la préoccupation qui anime Alix tout au long de l’histoire est de veiller sur le sort troublé de ce jeune garçon, et pour cela il défie non seulement Marc-Antoine, mais aussi les derniers Pompéiens en guerre contre César, ainsi que leur allié le fourbe Roi de Juba. Cette tâche de percepteur rencontre bien des obstacles, mais à cœur vaillant rien d’impossible.
Petits rappels historiques qui auraient été bien utiles en fin d'album par exemple, puisque cette fois l'aventure étant précisément située dans le temps et l'espace. La bataille de Thapsus (aujourd’hui Rad Dimassen Tunisie) qui est au coeur de cette aventure, se déroule le 6 avril 46 av. J.C. On peut penser que l'album démarre fin 47 quand Antoine est le magister equitum (maître de cavalerie) de Jules César, fonction qu'il exerça en 48 et 47, en alternance avec Lépide (magister equitum 45-44). (En 46, César étant consul, il n'y a ni dictateur ni maître de cavalerie.).
On appelle «maître de cavalerie» le bras droit du dictateur. La dictature est une magistrature spéciale, normalement limitée à six mois. En des circonstances graves, un dictateur va donc remplacer les deux consuls (élus pour un an). En 49 av. n.È., Jules César s'était octroyé la dictature pour un an, puis se l'était faite conférer pour dix ans (47) et à vie enfin (44), rompant avec le principe républicain d'une magistrature temporaire. À sa mort, Marc Antoine promulguera une lex Antonia de dictatura tollenda abrogeant la dictature et l'éliminant des magistratures romaines. Pour cause d'obsolescence, Auguste ne la rétablira pas.
D'abord comme propréteur puis comme maître de cavalerie, Marc Antoine a donc la charge d'administrer l'Italie (la ville de Rome relevant du préteur urbain Lépide) en l'absence du dictateur. Mais comme le confie Mathieu Bréda dans une interview il a réalisé un léger glissement temporel car dans la réalité historique quelques moi avant la temporalité de l'aventure César avait destitué Marc Antoine à cause de son manque de rigueur (ce que lui reproche Enak dans une case de la page 1). Marc Antoine a été remplacé par Curion, qui bien que de grand mérite n'aurait rien évoqué à l'immense majorité des lecteurs d'où le choix de faire "glisser" un peu l'Histoire, afin que Marc Antoine soit présent dans l'album.
Dans sa jeunesse Antoine, cousin de César (sa mère étant une Julia), scandalisa Rome le en affichant une liaison homosexuelle avec son ami Curion [C. Scribonius Curio], chose très mal vue entre citoyens. Réalité ou, de sa part, provocation de dandy ? Homme austère (la formule César «mari de toutes les femmes et femme de tous les maris» est de lui), C. Scribonius Curio (cos. 76), aurait épongé les dettes de Marc Antoine (250 talents) pour qu'il fasse taire la rumeur et s'éloigne de son fils.
Autre exemple de "glissement" historique: si le mercenaire Publius Sittius a réellement existé et a bien pris part à la guerre en Numidie en revanche son invasion de Rusicade est une invention du scénariste. D'autre part si Metellus scipion est un personnage historique qui a pris part à la bataille de Tharpus, après celle-ci il tente de s'enfuir pour l'Espagne mais se fait capturer par des hommes de.... Publius Sitius!
Thapsus marquera la fin de l'affrontement entre Jules César et Pompée puis après la mort de ce dernier avec ses anciens partisans. L'armée du parti conservateur Optimates est conduite par Metellus Scipion et son allié Juba 1er de Numidie. Elle se bat contre les forces de Jules César qui finissent par avoir le dessus. Les pachyderme utilisé à la guerre Juba 1er sont des éléphant de forêt d'Afrique (Loxodonta cyclotis), 3,5 m au garrot, 5 tonnes. Dans cette bataille, la fameuse légion gauloise Alaudae s'est illustrée contre eux, et prit l'éléphant pour emblème sur ses enseignes. Les aspects stratégiques de la bataille sont évoqués, même si les combats eux-mêmes ne sont que brièvement montrés. Le dessinateur semble éviter les grandes scènes de bataille (qui fourmillent de personnages) mais il se montre tout de même capable de composer de belles illustrations guerrières.
Avec cette victoire, César brise les résistances contre son pouvoir en Afrique et s’approche encore plus du pouvoir absolu. Auparavant ont eu leu les combats de Dyrrachium (dans l'actuelle Albanie) le 10 juillet 48 avant Jésus-Christ" A Dyrrachium "les Populares de Jules César sont vaincus mais le 9 aout de la même année, ils sont vainqueurs dans la bataille décisive de Pharsale. Pompée sera assassiné le 16 aout lors de son arrivée en Egypte (ce sont les dates que donnent Carcopino d'autres érudits les décalent de quelques jours mais restent dans les mêmes eaux.
Après avoir donné une précision historique regardons la géographie de "Par delà le Styx". Dans ce nouvel album on voit la demeure d'Alix. On la découvrait dans la première image des "Légions perdues". On constate que la terrasse de la maison d'Alix domine les toits de Rome. Nous savons donc que sa maison sur trouve sur une colline, mais laquelle? On désigne souvent Rome comme la ville aux 7 collines. Il y a le Palatin, le Capitole, l'Aventin, le Caelius, l'Esquilin, le Viminal et le Quirinal. Toutes ces collines se trouvent à l'est du Tibre. Vous pouvez le vérifier dans la carte ci-dessous.
Les "Légions perdues" ne nous donnent pas plus d'information. Il faut parcourir les pages du "Fils de Spartacus" pour continuer l'enquête. Au début de cet album, Maia et Spartaculus se rendent vers la maison d'Alix. Jacques Martin nous apprend alors qu'elle se trouve sur les pentes du Janicule.
Le Janicule est une autre colline. Elle se trouve à l'ouest du Tibre (dans les parages de l'actuel Vatican). Elle domine le quartier du Transtévère, où du reste César possédait une villa où il logea Cléopâtre laquelle, en tant que reine, n’avait pas le droit de franchir l’enceinte républicaine du Pomoerium (le sillon tracé par Romulus).. Cela est surprenant, cette région était encore placée "extra muros" à l'époque de Jules César. Toutefois, en continuant la lecture du Fils de Spartacus, Jacques Martin nous confirme cette localisation atypique. En effet, lorsqu'Alix quitte sa maison pour se rendre vers le forum, au centre de la ville, il doit traverser le Tibre.
En prenant en compte la vue depuis la terrasse, et le fait qu'à la page 13 des Légions perdues, lorsqu'Alix discute avec Agerix, on voit le pont Aemilius en contrebas, la maison d'Alix doit à peu près se trouver dans la zone encadrée en rouge sur la carte dessous :
Si Alix habite bien le Janicule, la vignette d’ouverture des LEGIONS PERDUES prend tout son sens : on y voit à gauche le Palatin avec son temple de Jupiter très bon et très grand, puis au centre du paysage le mont Caelius et, à droite, l’Aventin.
Il existe un troisième album qui nous montre la maison d'Alix, c'est "Roma Roma". On y retrouve une terrasse qui domine la cité, mais rien d'autre. Les alentours de la maison d'Alix se situent sur le flanc d'une colline. C'est indiqué aussi bien par Jacques Martin que par Morales. Ci-dessous l'extérieur de la maison dessiné par Jacques Martin, dans "le Fils de Spartacus".
Et voici la même rue dans Roma Roma. On découvre une contradiction entre les deux albums, car la rue monte de façon continue chez Morales, tandis qu'elle grimpe en escaliers chez Jacques Martin.
On peut penser que la terrasse se trouve du côté de la demeure qui fait face au Tibre, et qui offre une vue spectaculaire sur la ville. Rafael Morales la dessinait sur deux niveaux et Marc Jailloux par cohérence adopte le même choix. Il nous montre ici la maison et sa terrasse vue depuis la petite rue montante..
Dans l'image immédiatement ci-dessus, on découvre les demeures qui sont à côté de la maison d'Alix, sur le Janicule. Cette vue "latérale" provient totalement de l'imagination de Marc Jailloux, et elle est logique si on prend en compte la position des personnages, qui se trouvent sur la partie haute de la terrasse.
Outre sa situation on a quelques difficulté à imaginer la demeure de notre héros. Il semble bien que les images où elle apparait dans les différents albums, dus à plusieurs dessinateurs, permettent que difficilement de se la représenter. Ce qui n'a pas empêché un lecteur d'Alix marseillais, martinophile distingué, Loup 79 (voirhttp://lectraymond.forumactif.com/t369p45-la-demeure-d-alix) d'en proposer une vision très convaincante, mais quid de la terrasse!
Dans un même album on peut trouver des incohérences architecturales
Par exemple ces deux images de la demeure d'Alix dans "Roma roma", dessiné par Morales, ne me paraissent pas complètement raccords.
Mais plus grave à propos de ces images et des terrasses qui apparaissent dans les différents albums, la maison d'alix est représenté la première fois "La légion perdue", il y est à craindre que nous soyons là en présence d'un de ces anachronismes que pourtant Jacques Martin et ses successeurs ont de cesse de traquer. Car les villas pompéiennes types de ce que pourrait être la domus d'un patricien comme Alix ne comportent pas ce genre de terrasses, en revanche elles sont très présentes dans l'architecture italienne et méditerranéenne actuelle.
Certes on retrouve des balcons dans d'autres péplums qu'Alix dans la série SPARTACUS (peut être pas un modèle d'exactitude historique, c'est un euphémisme.) par exemple le balcon de la maison de Batiatus; mais ce n'est pas une villa ordinaire qu'habite ce laniste. C'est un ludus. On peut penser que le propriétaire d'une école de gladiateur devait disposer d'un point d'observation pour surveiller l'entraînement de ses hommes, et éventuellement y inviter de riches organisateurs de combats intéressés de lui en louer quelques uns de ses gladiateurs. Du reste, ce balcon est manifestement inspiré de la loge qui domine l'arène privée (en bois) où Peter Ustinov/Batiatus convie ses invités dans le SPARTACUS de Kubrick. Et puis en peinture Alma-Tadema affectionne particulièrement les terrasses mais d'une part je ne fais guère confiance à ce peintre en matière de vérité historique et d'autre part il ne faut pas confondre Rome et Baïes.
Jacques Martin répugnait à se laisser trop ligoter par des faits historiques trop précis qui auraient bridé sa liberté de scénariste. Sur 34 albums, 4 seulement sont clairement datés par un fait historique connu: il s'agit des albums suivant: « Alix l'intrépide », « Le sphinx d'or », « L'Ibère » et donc ce dernier opus Martin rêvait une sorte de Rome intemporelle sans trop se focaliser sur la chronologie événementielle. Rendons donc hommage a Mathieu Breda qui a su parfaitement enserrer son histoire dans une trame historique aussi serrée.
Mais cette imbrication serrée des péripéties d'un personnage de fiction avec des fait historique, si elle semble se répandre de plus en plus dans la bande dessinée et pas seulement franco-belge et aussi japonaise, je reviendrais sur ce sujet, va à l'encontre de l'un des dogmes de la B.D. classique: le non vieillissement des personnages. Dès l'instant où l'on fait mouvoir le héros dans l'Histoire cela devient impossible de même, comme c'est le cas ici lorsqu'on produit une suite à un album déjà existant, alors le facteur temps ne peut plus être nié.
S'il était possible de garder une éternelle juvénilité à Alix lorsqu'il affrontais le démoniaque et élégant Arbacéres tout aussi imaginaire que lui, la Rome de la fin de la république n'était alors qu'un décor à leur rivalité exacerbée, il en va tout autrement lorsque Alix croise Caton, Marc-Antoine et consort...
Certes il était déjà en relation avec César depuis bien des albums. A propos de ce dernier, j'ai lu quelque part que César est cogonem, autrement dit un surnom, que le divin Jules tiendrait de son arrière grand-père qui aurait tué un éléphant lors d’une des guerres puniques. Caesar serait en fait le mot punique pour désigner l’éléphant. La thèse qui veut qu'il tire son nom d’une naissance par « césarienne » du verbe latin Caedere « couper » est le fait de gens qui n'ont pas peur des anachronismes. A l’époque, beaucoup de femmes mourraient en mettant au monde leur premier enfant et notamment, en -53, Julia, fille de Jules César et épouse du Grand Pompée mais l’idée d’une césarienne à une époque où la chirurgie est balbutiante est in-envisageable. Ce ne fut qu’après sa mort et sa divinisation que « César » devint une sorte de titre qui nous donnera plus tard Kaiser, Tsar ou Chah.
On assiste dans le monde de la bande dessinée à un phénomène relativement nouveau, celui de placer des héros nés du cerveau de leur créateur dans une trame historique; ceci pas seulement pour les séries dites réalistes. Prenons comme exemple celle de Blake et Mortimer. Dans ce dernier cas on voit que le souci du scénariste du dernier album des aventures du duo so british a été de rendre cohérente la chronologies de leurs péripéties. On peut s'amuser à situer chaque histoire des héros inventés par Jacobs sur une échelle temporelle. On part ainsi de 1944 pour arriver à environ 1970 soit une période d'un peu plus de vingt cinq ans. Dans la représentation de nos deux héros on ne constate pas de changements importants dans leur physionomie dans les différents albums. Si l'on ajoute que depuis la disparition de Jacobs les repreneurs de la série situent plus particulièrement les aventures de Blake et Mortimer dans les années 50, on voit qu'au rythme des parutions nos deux compères risque d'avoir des emplois du temps très surchargés. On peut dire la même chose de cet autre duo qu'est Alix et Enak.
Autre exemple d'immersion d'un héros de papier dans l'Histoire, celle de Spirou. On aurait époustouflé Franquin, si on lui avait dit que son groom aurait à voir avec l'invasion de la Pologne par les nazis ou annoncé qu'il rencontrerait Jean Paul Sartre et Simone de Beauvoir à la terrasse des Deux magots.
On assiste bien à un changement de paradigme dans la bande dessinée dont le dernier album d'Alix est un exemple.
crayonné de Christophe Simon pour la conjuration de Baal
Un érudit en martinologie, Jacky-Charles auquel je n'arrive pas à la cheville en matière de saga alixienne a établi une chronologie des aventure du jeune gaulois qui vaut son pesant de savoir. Je vous la livre dans son jus, je n'ai fait qu'y ajouter "Par-delà le styx" ainsi que les date d'apparition des aventure, d'abord dans le journal Tintin puis en album. J'ai fait suivre cette date par le noms des auteurs en commençant par le ou les scénaristes (le je dans cette chronologie est celui de Jacky-Charles et non le mien :
1°) PERIODE « POMPEIENNE »
Repère historique : Pompée est au pouvoir, soit jusqu'au passage du Rubicon par César, en janvier -49.
Alix l'intrépide 1948-1949 Jacques Martin : entre la bataille de Carrhes ( 28 mai -53 ) et l'été -52. ( 15 )
Le sphinx d'or 1949-1950 Jacques Martin : commence avec la chute d'Alésia ( 27 septembre -52 ), l'histoire se poursuivant en Égypte dans les semaines ou les mois qui suivent, peut-être jusqu'en -51. ( 6 )
L'île maudite 1951-1952 Jacques Martin : suite du « Sphinx d'or » en -51, d'après les personnages d'Enak et d'Arbacès ; mais, page 4, Alix parle de l'offense faite à Rome et à César, donc celui-ci gouverne ; qu'aurait-il eu à faire avec Carthage en tant que proconsul de Gaule ? Nous sommes donc soit dès -49, soit après la fin de la guerre contre les pompéiens en Afrique du nord ( juillet -46 ), c'est à dire au second semestre de -46 ou bien en -45. On reparlera de Lydas dans « Le spectre de Carthage ». Je privilégie pour cette fois le romanesque sur l'exactitude historique. ( 12 )
La tiare d'Oribal 1955-1956 Jacques Martin : pas de repère historique apparent, mais Arbacès revient dans « La chute d'Icare » et Oribal meurt dans « La tour de Babel ». ( 12 )
La griffe noire 1957-1959 Jacques Martin : pas de repère historique apparent, mais on reparle de Rafa dans « Le spectre de Carthage », et Galva et Horatius reparaissent dès l'album suivant, Servio revient dans « Roma, Roma... ». ( 12 )
Les légions perdues 1962-1963 Jacques Martin : Pompée est présent, César est en Gaule, Galva et Horatius reviennent. ( 3 )
Le dernier spartiate 1966-1967 Jacques Martin : pas de repère historique apparent, mais Héraklion doit entrer en scène puisqu'on le retrouve dans des épisodes suivants, Galva et Horatius sont présents. ( 3 )
Le tombeau étrusque 1967-1968 Jacques Martin : pourrait également faire partie de la période suivante, la guerre civile n'ayant vraiment eu lieu qu'entre janvier et mars -49, mais il semble plutôt s'agir ici d'escarmouches entre partisans, qui peuvent donc avoir eu lieu avant janvier -49, seule période à retenir en raison de la présence de Brutus qui reparaîtra dans « Le spectre de Carthage ». ( 1 )
Le prince du Nil 1973 Jacques Martin : Enak retrouve son nom de Menkharâ et son titre de prince qui sera réutilisé dès « L'enfant grec », en contradiction avec l'indication qui laisse supposer que César est au pouvoir, donc en -49 ou après. ( 6 )
Le fils de Spartacus 1974 Jacques Martin : il est plusieurs fois question de Pompée au pouvoir, César est en Gaule, Héraklion et Galva sont présents, Fulgor arrive. ( 2 )
Le spectre de Carthage Jacques Martin 1976 : pas de repère historique apparent, mais Rafa et Lydas sont cités, Brutus revient et meurt, Corus Maler arrive et réapparaîtra dans « Roma,Roma... » ( 3 )
L'enfant grec 1979 Jacques Martin : Pompée apparaît page 9, Enak fait état de son titre de prince d'Egypte. ( 2 )
Vercingétorix 1985 Jacques Martin : Pompée apparaît page 4, César est en Gaule. ( 4 )
Les barbares 1998 Jacques Martin / Rafael Moralès, Marc Henniquiau : Pompée est cité par César page 9 ; mais César est « consul » ( page 10 ), alors qu'il ne retrouvera cette fonction qu'en -47 ! ( 12 )
La chute d'Icare 2001 Jacques Martin / Rafael Moralès, Marc Henniquiau : Pompée est cité par Numa page 27. Arbacès, Archéloa et Quintus Arenus reviennent, Julia arrive. ( 3 )
Roma, Roma... 2005 Jacques Martin / Rafael Moralès, Marc Henniquiau : César est en Gaule ( page 12 ), et Pompée apparaît page 16 ( « suite » du « Tombeau étrusque » avec les mêmes personnages : Octave, Lidia, Héraklion, les Molochistes, plus Julia, Quintus Arenus, Servio, Fulgor, Corus Maler ). ( 1 )
C'était à Khorsabad 2006 Jacques Martin,François Maingoval / Cédric Hervan Christophe Simon : César « doit terminer sa campagne en Gaule » ( page 48 ), Arbacès réapparaît. Nous sommes sans doute en -50. ( 12 )
La cité engloutie 2009 Patrick Weber, Jacques Martin / Ferry : se déroule en Armorique pendant la campagne de Gaule, Labienus est encore adjoint de César. Nous sommes également en -50. ( 6 )
Britannia 2014 : Mathieu Breda / Marc Jailloux paraît se situer en -54 au moment de la seconde expédition de César en Bretagne dont elle emprunte le déroulement, mais certains détails dont les noms des personnages montrent que cette expédition est une fiction qui se situe dans la continuité des aventures, toujours à la date de -50. ( 3 )
Le dieu sauvage 1969 Jacques Martin : pas de repère historique apparent. Héraklion est présent, Adréa meurt, Horatius
est encore vivant. On apprend que le voyage en Cyrénaïque se situe juste avant « La conjuration de Baal » ( 1° trimestre -49 ), donc à la fin de -50. ( 6 )
N'oublions pas les romans :
Le sortilège de Khorsabad : Pompée et Arbacès sont présents ( et toujours complices ). ( 6 )
La conjuration de Baal 2011 Michel Lafon / Christophe Simon: se situe au 1° trimestre -49, entre le passage du Rubicon par César ( 12 janvier -49 ) et le départ de Pompée pour la Grèce, au moment où Alix revient de Cyrénaïque ( 2 ).
La denière conquête Géraldine Ranouil / Marc Jailloux, Corinne Billon 2013 : commence au moment où César passe le Rubicon, l'action de cet album recouvre donc complètement celle du précédent, tout en durant nettement plus longtemps ( 24 ).
L'île maudite 1951-1952 Jacques Martin : devrait se situer historiquement à partir de -49 ou de -46, César étant au pouvoir.
Le prince du Nil 1973 Jacques Martin : Djefer dit à Alix, page 16, « César projette d'envahir l'Égypte après son retour de Gaule. » Nous serions donc entre mars -49 et septembre -48, arrivée de César à Alexandrie.
Ô Alexandrie 1996 Jacques Martin / Jacques Martin, Rafael Moralès, Marc Henniquiau : César est « consul » ( page 48 ), mais n'est pas encore arrivé en Égypte, donc même période que ci-dessus. En -48, il est nommé en fait dictateur pour un an et ne redeviendra consul qu'en -47. ( 6 )
Le fleuve de Jade 2003 Jacques Martin / Rafael Moralès Marc Henniquiau : idem ci-dessus, nous sommes toujours entre mars -49 et septembre -48. ( 12 )
Le démon du Pharos 2008 Patrick Weber, Jacques Martin / Christophe Simon : idem. ( 3
L'empereur de Chine 1982 Jacques Martin : selon Mardokios ( page 9 ) César est consul, donc en -47. ( 48 )
Par-delà le Styx 2015 Mathieu Breda / Marc Jailloux : On peut penser que l'album démarre fin 47 quand Antoine est le magister equitum de Jules César; fonction qu'il exerça en 48 et 47. Il se termine quelques jours après la bataille de Thapsus qui se déroula le 6 avril 46 av. J.C
L'ombre de Sarapis 2012 François Corteggiani / Marco Venanzi, Mathieu Barthélemi, Véronique Robin : page 47, Cléopâtre dit à Alix qu'elle se rendra à Rome pour le prochain triomphe de César, celui-ci ( en fait, il y en eut 4 ) ayant eu lieu en août/septembre -46, après son retour d'Afrique du nord le 28 juillet -46, nous sommes en juin/juillet -46. ( 2 )
Le testament de César 2010 Marco Venanzi : se situe au moment du départ de César pour l'Espagne et le début de la guerre contre les pompéiens racontée dans « L'Ibère », soit à la fin de l'année -46. ( 1 )
L'Ibère, 2007 François Maingoval, Patrick Weber, Jacques Martin / Christophe Simon : une des rares histoires datées, de -46/-45 ( guerre contre les pompéiens en Espagne, bataille de Munda le 17 mars -45 ). ( 6 )
Les proies du volcan 1977 Jacques Martin : en -45, César veut reprendre la guerre contre les Parthes pour venger la défaite de Carrhes, et envoie Alix et Enak en mission en Inde. Nous sommes en -45/-44. ( 24 )
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3°) PERIODE « OCTAVIENNE »
Après l'assassinat de César en mars -44, Octave cherche à prendre le pouvoir. Le nom donné à cette période ne veut pas dire qu'Octave est présent dans ces histoires, au contraire. Elles n'entrent pas historiquement dans une des deux périodes précédentes et peuvent donc se situer après, ce que j'ai imaginé pour respecter un peu le temps qui passe !
Iorix le grand 1971-1972 Jacques Martin : pas de repère historique apparent. ( 12 )
La tour de Babel 1981 Jacques Martin: pas de repère historique apparent. Oribal meurt, Adroclès apparaît et reviendra dans « Le cheval de Troie ». ( 3 )
Le zane noir (roman) : se situe pendant une année olympique, en -52, -48 ou -44 ( mais au moins 4 ans avant « Le cheval de Troie », cf. ce commentaire ). ( 2 )
Le cheval de Troie Jacques Martin 1988 : se déroule au cours d'une année olympique, après les Jeux, aux mois de Juillet et Août, donc, par rapport aux aventures d'Alix, soit en -52 ( impossible, on sait qu'il était en Gaule et en Égypte ), ou plutôt en -48 ( année très chargée : lutte contre Pompée et ses partisans, débarquement à Alexandrie ), ou encore en -44 ( année de la mort de César : Alix aurait-il été disponible ? ). Héraklion et Adroclès sont présents, Horatius meurt. ( 6 )
L'hydre bleue (roman) : cette aimable fantaisie est indatable. ( 1 )
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4°) PERIODE « AUGUSTEENNE »
Avec l'arrivée de la série dérivée « Alix Sénator », nous entrons de plein pied dans cette période en franchissant d'un coup au moins 32 ans ! Octave est devenu Auguste et donne une seconde fois son nom à cette période.
Alix Senator 2012 Valérie Mangin / Thierry Démarez : 1) Les aigles de sang : cette histoire est datée de -12. ( 2 )
Alix Senator 2013 Valérie Mangin / Thierry Démarez : 2) Le dernier pharaon : suite du précédent. ( 2 )
Alix Senator 2014 Valérie Mangin / Thierry Démarez : 3) La conjuration des rapaces : suite des précédents ( 1 )
Plus que dans beaucoup d'autres aventures du jeune gaulois, le scénariste a fait la part belle à la psychologie et aux doutes qui assaillent le héros, comme le montre la planche ci-dessus. En effet si Alix n'avait pas découvert la citadelle qui était l'ultime refuge des spartiates désireux de secouer le joug des romains sur la Grèce, Héraklion ne serait pas le dernier des spartiates (voir l'album éponyme sans lequel, je le répète, "Par-delà le Styx est incompréhensible.). On comprend ainsi en quelque sorte la quête d'Alix pour qu'Héraklion retrouve sont équilibre, c'est une manière de réparer le tort qu'il a causé à son jeune protégé...
Le dessin de Marc Marc Jailloux n'est pas sans quelques défauts, en particulier en ce qui concerne l'anatomie de ses personnages. Il est tout de même très convenable et se rapproche de la qualité de celui des meilleurs albums de Jacques Martin. Il bénéficie d'une belle et délicate mise en couleurs de Robin Le Gall. Il faut apprécier à sa juste valeur de documentation la ressemblance des personnages historiques dessinés par Jailloux avec qui, les statues de leur buste pour Caton, qui, leur profil frappé sur des pièces pour Juba 1er. En revanche je n'ai pas "reconnu" César. Je sais bien que l'on a quasiment pas de portrait du vivant du divin Jules mais César étant devenu un personnage récurrent de la série, il serait bon que sa représentation soit uniformisée d'album en album comme l'est celle d'Alix ou d'Enak.
De grands progrés ont été réalisés par le dessinateur depuis son premier Alix sur la représentation du décor antique. Regardez attentivement les cases ci-dessous qui mettent en valeur les ex-voto du temple d’Asclépios. Tout est reproduit d’après des vestiges archéologiques.
Marc Jailloux travaille sur du papier de format 35X67, il encre à la plume et à l’encre de Chine dans la plus pure tradition. Son implication dans la conception scénaristique est manifeste d’une étroite collaboration avec Mathieu Bréda. Le tout se fait sous la supervision de la fondation Martin qui lui fourni d’ailleurs ce fameux papier. Observez ci-dessous l’art subtil de la citation : un petit cheval de Troie proche de la main d’Enak figure à la devanture du sculpteur.
La fidélité avec le dessin du père d'Alix frôle parfois le pastiche, comme dans cette case représentant un banquet qui ouvre l'album, ou dans les deux séquences oniriques, typiquement martiniennes. Ces dernières sont particulièrement réussies. Dans la seconde Héraklios avertit Alix que Xiphos s'apprête à frapper Astyanax, Marc Jailloux met en parallèle sur deux cases successives l'irruption du songe et le réveil d'Alix. Il est frappant de constater qu'alors, le visage qui fait écho à celui du spectre d'Héraklios est celui du jeune Mapta qui ne tardera pas à mourir, comme s'il fallait qu'une victime innocente soit sacrifiée pour qu'Héraklios guérisse...
Nota
On peut écouter en cliquant sur la ligne ci-dessous une très intéressante interview de Jacques Martin
http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=5134465
TAN LINES, un film d'Ed Aldridge
Fiche technique :
Avec Jack Baxter, Lorena Arancibia, Dan Masters, Curtis Dickson, Harry Catterns, Joshua Bush, Daniel O'Leary, Luisa Hastings Edge, Mary Regan, Christian Willis et Lucy Minter.
Réalisation : Ed Aldridge. Scénario : Ed Aldridge. Musique originale :The Mares. Images : David Gacs. Montage : Rolmar Baldonad.
Australie, 2006, Durée : 97 mn. Disponible en VO et VOST.
Résumé :
Dans un petit bled de la côte australienne (dans une île ?) deux adolescents, les meilleurs amis du monde, glandent au début des vacances d’été. Les seules distractions sont pour ces jeunes le surf et la bière, pour les vieux il reste la bière ! L’un issu de la classe moyenne, Paul (Curtis Dickson) annonce à son copain Midget (Jack Baxter), qui vit dans un gourbi dans lequel il partage l’unique lit avec sa mère, que son frère Cass (Daniel O'Leary) après quatre ans d’absence revient au village.
On comprend vite que ce garçon a du fuir le pays à cause de son homosexualité. Il rentre à la maison où ses parents sont partis... en vacances. Midget, très travaillé par le sexe, tente de goûter concomitamment aux filles et aux garçons avec des bonheurs mitigés, jusqu’au moment où il s’aperçoit qu’il est amoureux de Cass...
Tan Lines (qu'on peut traduire par la limite du bronzage), où comment l’amateurisme et la précipitation peuvent gâcher un film. Je dis bien gâcher car il y avait un bon potentiel dans cette histoire située dans un microcosme inédit au cinéma, dotée d’un superbe décor (complètement sous-employé), servie par des comédiens, pour la plupart débutants, qui sont toujours très justes aidés en cela par des dialogues d’un parfait naturel.
Alors qu’il nous présente dans le bon début, Midget et Paul comme deux potes inséparables, Paul disparaît quasiment de la deuxième moitié du film, ce qui rend par contrecoup la fin artificielle. Aldridge nous assène des évidences, comme la religiosité de Cass sans explication, dans ce contexte ces évidences ne le sont plus du tout. Des personnages ne sont pas assez développés, comme le gay patenté du groupe (Midget ne l’est pas “officiellement” ou le professeur avec lequel Cass a eu une aventure quatre ans auparavant). Il y a finalement un nombre de pédés surprenant dans les trous perdus de la côte australienne !
Il faut dire une fois pour toute aux apprentis cinéastes que l’on ne fait pas un film sans éclairage. Avant le cadre, pour une belle image (et même parfois une image seulement lisible), c’est avant tout la lumière qui compte. Pour les extérieurs, le soleil ne suffit pas (surtout sans déflecteurs) et pour les intérieurs, la loupiote de la chambre ne peut en aucun cas illuminer une scène d’amour. C’est bien ce que semble ignorer Ed Aldridge.
Ce qui nous vaut des scènes de sexe pas du tout torrides comme l’indique d’une façon racoleuse la jaquette du DVD (édité par BQHL), tant elles sont mal éclairées et mal cadrées comme tout le reste, d’autant que ce sont les seuls moments où les acteurs sont peu convaincants, ne voulant sans doute pas passer pour des gays ! Le film est presque constamment sous-exposé.
Filippo de Pisis
THE HOUSEBOY de Spencer Schilly
Fiche technique :
USA - 2007, Durée : 81 mn. Disponible en VO et VOSTfr.
Depuis quelques mois, Ricky (Nick May) est un houseboy. La vingtaine enthousiaste, il est le numéro 3 d'un couple de trentenaires sexys. Il partage leur maison… et leur lit, une manière comme une autre de payer le loyer, en plus du gardiennage des lieux. En apparence, le trio est heureux. Mais un jour, Ricky s’aperçoit qu'il est passé de mode. Pour Noël, le couple part visiter la famille de l'un d'eux, laissant Ricky seul avec les animaux de la maison.
Se sentant abandonné, rejeté, notre houseboy essaie de retrouver le goût des relations humaines à travers la drague sur le Net et le sexe anonyme. Il invite de nombreux mecs et se retrouve bientôt dans des situations qu’il ne contrôle plus : partouzes imprégnées de drogues diverses, désespoirs sexuels de petits gars paumés… Au milieu de ce capharnaüm, Ricky contemple sa vie et finit par trouver un ami (Blake Young-Fountain) qui lui redonne envie de vivre et d’aimer...
L’avis critique:
The Houseboy est une sorte de « conte de Noël » gay, un peu comme John l’est aussi, un conte sur l’entre-deux… D’abord entre deux hommes, puis le héros (qui ne me semble pas tout à fait assez girond pour le rôle, ce qui au début est un frein pour compatir au malheur de « cette pauvre fille ») se retrouve entre amour romantique et sexe sans lendemain à deux voire plus, entre appétit de vivre et envie de mourir, entre brutalité humaine et douceur animale…
Ce film est le troisième long métrage de Spencer Lee Schilly après Send in the Clown etSummer Thunder, sorti en France sous le titre Le Zizi de Billy. Il est souvent dangereusement sur le fil entre grotesque et pathétique, pudeur et exhibitionnisme. On peut seulement regretter que Spencer Schilly ait voulu jouer sur autant de tableaux à la fois : une apologie et une parodie de l’univers de l’homosexualité masculine et de sa fixation sur les drogues, le sexe et la jeunesse. On voit bien que ce qui tient surtout à cœur le réalisateur c’est de dénoncer les gratifications et les plaisirs, aussi éphémères qu’instantanés, d’un certain monde gay.
Guglielmo Janni
Guglielmo Janni, Autoportrait (1937)
Guglielmo Janni, San Sebastiano, 1927 (Collezione Cerasi)
Guglielmo Janni Il pugile, 1937
Guglielmo Janni, avant Atleti en 1937
Le Venise de Proust par Carlo Naya
Carlo Naya, de son vrai nom Carlo Naja (Tronzano Vercellese, dans la province de Verceil, 25 août 1816 -Venise, 30 mai 1882) est un photographe italien du xixe siècle, qui compte parmi les pionniers de la photographie en Italie.
Naya étudia le droit à Pise, dont il sortit diplômé en 1840.
Naya s'établit en 1857 à Venise, créant un studio en association avec Carlo Ponti. Les deux hommes se brouillèrent ensuite et il ouvrit à son compte un studio important place Saint-Marc.
Naya est surtout connu pour ses très nombreux clichés de Venise, destinés aux touristes et qui lui ont assuré un revenu régulier.
Naya eut comme élève Tomaso Filippi.
Le critique Edward Wilson, en guise de nécrologie en 1882, décrivit Naya comme le créateur « du plus grand établissement jamais vu dédié à la photographie, dans un vieux palais sur l'autre rive du Grand Canal ».
Un amour à taire, un film de Christian Fauré
Fiche technique :
Avec Jérémie Rénier, Louise Monot, Bruno Todeschini, Michel Jonasz, Charlotte de Turckheim, Anne Girouard, François Arumburu, Flannan Obé.
Réalisation : Christian Fauré. Scénario : Pascal Fontanille et Samantha Mazéras, sur une idée de Pascal Fontanille. Image : Svetla Ganeva. Montage : Jean Daniel Fernandez Qundez, Jean Pierre Fénié. Décors : Sébastien Buhler.
France, 2005, Durée : 110 mn. Disponible en VF.
Dans le Paris de l’Occupation. Jacques (Nicolas Gob) aime Sarah (Louise Monot), qui aime Jean (Jérémie Rénier), qui préfère Philippe (Bruno Todeschini). Jacques et Jean sont frères. Leurs parents (Michel Jonasz et Charlotte de Turckeim) tiennent une blanchisserie prospère. Jacques trafique avec les allemands et les collaborateurs. Jean cache la juive Sarah, amie d’enfance, dont la famille a été massacrée. Philippe est résistant et obtient des faux papiers pour Sarah. Promenades à bicyclette, soirées entre amis, au son des chansons de Charles Trenet, des petits riens pour oublier la tristesse de l’époque... Philippe, Jean et Sarah c’est un peu Jules et Jim au temps du vert de gris.
Jacques, jaloux, dénonce Jean à la police sous un fallacieux prétexte. Celui-ci est accusé, à tort, d’être l’amant d’un officier de la Wehrmacht. Emprisonné, battu, torturé, il est envoyé dans un camp en Allemagne. Il se révolte lorsqu’un de ses camarades, un triangle rose est abattu par un gardien. En représailles, il est envoyé dans un camp encore plus dur où les homosexuels servent de cobayes à des médecins pour leurs expériences pseudo scientifiques. Poursuivi par la Gestapo, Philippe est assassiné. Sarah, restée seule, épouse Jacques, dont elle ignore la trahison. Elle en a un fils qu’elle appelle Jean...
L’avis critique
Un Amour à taire est une des plus belles réussites, en matière de fiction, de la télévision française depuis qu’elle existe. Et cela en grande partie grâce à son scénario dont la densité, la richesse aux multiples strates empêche que l’on enferme ce film dans un genre. Il les transcende tous. À la fois film sur la déportation, sur l’homosexualité pendant la dernière guerre, saga familiale... mais surtout Un Amour à taire est un film d’amour, amour fraternel, amour homosexuel, amour hétérosexuel... Bien des aspects de cette époque trouble sont évoqués, toujours avec exactitude et sans lourdeur : marché noir, lâcheté d’une grande partie de la population, compromission de beaucoup, enrichissement ignominieux de quelques uns par le biais du pillage ou de l’aryanisation des biens juifs... Le film aborde même des sujets très rarement, ou pas du tout évoqués dans les fictions, comme le retour des déportés et les expérimentations des médecins fous dans les camps.
La grande idée du scénario est d’avoir fait du personnage féminin le pivot de la relation amoureuse des deux garçons. Leur amour est vu par le regard d’une femme aimante.
Le scénariste, Pascal Fontanille, pour la partie se déroulant dans le camp, s’est beaucoup inspiré de Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel (Calmann-Lévy, 1994) et aussi de Bent (dvd ed. KVP). Christian Faure nous avait déjà convaincu de son savoir-faire avec Juste une question d’amour. Le film possède les mêmes qualités que Juste une question d'amour : un scénario très bien écrit, une mise en scène sobre et des comédiens parfaits. Un Amour à taire est autant une histoire de famille qu'un film historique et pourtant l'émotion ne vient pas brouiller le témoignage historique. La maîtrise technique de Christian Faure est indéniable. Son film est très bien découpé. Il ne baisse jamais de rythme. Les mouvements de caméra, toujours précis, ne sont jamais inutiles et toujours au service du scénario. La reconstitution des intérieurs est soignée, avec une mention spéciale pour celle du cabaret homosexuel, aussi juste que sans doute très surprenant pour la plupart des spectateurs. À signaler dans cette séquence la prestation du comédien (Flannan Obé) qui interprète le personnage de Raymond, sorte d’ange androgyne de la mort qui sans le vouloir précipitera le drame.
Tournage en Bulgarie oblige, la reconstitution d’un coin de Paris sent un peu trop son décor et les scènes de rue sont souvent victime de ce que j’appelle le syndrome Butte Chaumont : c’est-à-dire le passage obligé d’une charrette ou d’un vélo, selon l’époque, au premier plan dès que le héros apparaît dans la rue, mais ce ne sont là que vétilles en regard de la grande qualité du film et en particulier de la distribution. Si Nicolas Gob et Louise Monot n’ont pas volé leur prix de jeunes espoirs au festival de Luchon, la vraie révélation est Charlotte de Turckheim d’une grande sobriété. Sa poignante prestation rappelle la surprise que l’on avait eu en découvrant qu’Annie Cordy pouvait être surtout une comédienne dramatique. Michel Jonasz, avec beaucoup d'humanité et une grande retenue dans le jeu, interprète le père de Jean et Jacques. Olivier Saladin est extraordinaire en salaud ordinaire. Il serait temps que l’on s’aperçoive que Bruno Todeschini est l’un des meilleurs comédiens de sa génération.
Il est dommage qu’une scène entache la rigueur historique du film et que la jaquette du dvd renforce ce faux pas. En effet, si la persécution des homosexuels par les nazis n'est pas contestable, et doit être rappelée (voir Le paragraphe 175, dvd ed. Eklipse). Il est bon de préciser quelle était la loi en France pendant cette période et sur ce point. Le régime de Vichy a pénalisé l'homosexualité par l’intermédiaire de la loi connue sous le nom de « loi Darlan », la loi n° 744 du 6 août 1942 qui interdisait les « actes contre-nature avec un mineur de son sexe âgé de moins de 21 ans ». Il s'agit ainsi davantage d'une définition discriminatoire puisque, c'est un fait, il n'en allait pas de même pour les relations hétérosexuelles de la protection des mineurs que d'une prohibition de l'homosexualité à proprement parler. Prohibition qui existait alors dans la loi allemande mais aussi dans le code britannique. Quant à la déportation homosexuelle orchestrée par le régime nazi, en application du fameux paragraphe 175 du code pénal allemand de 1871 qui interdisait les relations sexuelles entre hommes, elle n'a concerné en France que les homosexuels d'Alsace et de Moselle, territoires, qui, après l'armistice de 1940, faisaient partie intégrante du Reich allemand. En dépit de tous les crimes dont il s'est rendu complice, le régime de Vichy n'a pas déporté les homosexuels en tant que tels. Souvenons-nous aussi que c’est le pouvoir gaulliste qui, en 1961, avec L’amendement Mirguet qualifie l’homosexualité de « fléau social » et donne au gouvernement le droit de légiférer par décret pour la combattre. Je ne peux résister au plaisir de vous communiquer un extrait significatif de l’intervention à l’Assemblée Nationale de cet éphémère député : « Au moment où notre civilisation dangereusement minoritaire dans un monde en pleine évolution devient si vulnérable, nous devons lutter contre tout ce qui peut diminuer son prestige. Dans ce domaine, comme dans les autres, la France doit montrer l'exemple. C'est pourquoi je vous demande d'adopter mon sous-amendement. Le Parlement marquera ainsi une prise de conscience et sa volonté d'empêcher l'extension de ce fléau par des moyens plus efficaces, à mon sens, que la promulgation de textes répressifs ». Il fallut attendre François Mitterrand et Robert Badinter pour que soient abolies ces lois iniques.
En conséquence, la scène de l’appel des triangles roses pour aller se faire rééduquer avec une majorité de noms français est une erreur historique. Aucun français, mis à part, répétons-le, des mosellans et des alsaciens, n’a porté le triangle rose (ce qui n’enlève rien au crime nazi). Jean ne porte le triangle rose que lorsqu’il endosse la veste d’un détenu alsacien qui vient d’être abattu par un S.S. Le scénariste, d’ailleurs, aurait du éviter d’emprunter cette scène au final de Bent (dvd ed. KVP). La confusion est renforcée par le fait que c’est justement cette scène qui a été choisie pour illustrer la jaquette du dvd et que l’on a cru bon de faire surplomber la tête de Jérémie Renier, qui interprète Jean, d’un triangle rose ! Pourtant Jean Le Bitoux, conseiller historique du film, insiste bien, dans le passionnant making of, sur le fait que Jacques n’était déporté que parce qu’il est soupçonné d’avoir eu une liaison avec un officier allemand, d’avoir corrompu la race aryenne en quelque sorte. C’est un peu la même histoire qui arrive au malheureux héros du Plus beau pays du monde.
Ce téléfilm réalisé par Christian Faure a été multi primé au Festival de Luchon 2005 : Prix spécial du jury, Prix du public, meilleur scénario, jeune espoir féminin (Louise Monot), jeune espoir masculin (Nicolas Gob). On peut regretter que Jérémie Rénier n’ait pas été distingué, magnifique acteur qui porte le film sur ses épaules.
Le dvd est paru chez Optimale. L'image est superbe. Le son bénéficie d'une piste 5.1. Le making of est un modèle en son genre d'une heure vingt, il suit pas à pas l’élaboration du film. Les interventions de Jean Le Bitoux, bien qu’un peu trop militantes, sont très intéressantes.
Trailer "Un Amour A Taire" (V.O. subs ingles)