Le vent se lève, un film de Miyazaki
C'est inévitablement avec un sentiment mélangé que nous découvrons « Le vent se lève » puisque c'est à la fois le nouvel opus de Miyasaki, peut être le plus grand cinéaste de films d'animation de l'Histoire du cinéma, et le dernier puisqu'il a annoncé, il y a quelques semaines, sa retraite.
Pour ce, qui sera donc vu comme son testament artistique, le cinéaste n'a pas choisi la facilité, rien de consensuel dans cette histoire qui ne s'adresse pas vraiment aux enfants et dont le sujet est la biographie de Jiro Horikoshi, certes rêvée, le film commence par une magnifique séquence onirique qui semble une sorte d'hommage à Little Nemo. Jiro Horikoshi (1903-1982) est l'ingénieur en aéronautique qui fut le père du fameux chasseur zéro qui lors de la dernière guerre s'est illustré dans l'attaque de Pearl Arbour et qui a été l'un des avions des kamikazes. Choix d'autant plus curieux chez un homme qui clame haut et fort son pacifisme. D'ailleurs tout au long du film on a l'impression que Miyasaki est un peu géné aux entournures avec sont personnage. Il force un peu le trait sur sa bonté naturelle. Il veut absolument démontrer que ce créateur d'une arme redoutable est fondamentalement bon et quasiment pacifiste...
Mais très intelligemment par des partis pris audacieux, le cinéaste montre que Jiro a gardé son innocence d'enfant. Il garde jusqu'à la fin la tête du jeune garçon qui rêvait de construire de belles machines volantes.
Eliminons d'emblée la question de l'animation, elle est sublime. Peut on faire mieux, difficile à croire. Presque tout est réalisé à l'ancienne, dessiné à la main sauf pour des objets bien particulier comme la règle à calcul et les pages imprimées des livres.
Il y a un véritable tour de force dans ce film qui est de rendre visible ce qui est invisible par essence, le vent.
Le film se divise en deux parties relativement distinctes: la jeunesse et l’apprentissage de Jiro pour son métier d'ingénieur puis son histoire d’amour avec Naoko qui va de paire avec l'apogée de sa carrière. La première est fascinante pour quelques scènes extraordinaires: le rêve de Jiro enfant, le tremblement de terre de Tokyo de 1923 et plus généralement, une description minutieuse de la vie à l’époque. Jiro vit dans un pays pauvre qui rêve de devenir l’égal des grandes puissances occidentales et il fait partie, sans en avoir conscience, de cette marche en avant qui conduira à la guerre contre les États-Unis. On voit autour de lui le pays se moderniser et s’occidentaliser petit à petit.
Si à première vue le sujet surprend, il le fait beaucoup moins lorsqu'on voit le film. Miyasaki a toujours été passionné d'aviation, son père dirigeait une usine de fabrication de pièces pour les avions, ce qui peut en partie expliquer cela. Il a déjà réalisé un film centré sur l'aviation, « Porco roso » et les machines volantes font presque toujours irruption dans ses films.
L'ingénieux ingénieur, comme dirait Boris, que je fus dans une autre vie, s'est tout de même posé des questions sur la façon de travailler d'un ingénieur et d'un bureau d'étude dans le Japon les années 30. Cette représentation devrait en interloquer plus d'un qui a sué devant une planche à dessin, planche à dessin que l'on précise d'importation! En effet ces dessinateurs nippons semblent ignorer le té et de toutes manières, ils ne fixent pas leur plan sur la planche et semblent dessiner qu'avec des équerres ou des formes (appelés escargots ou pistolets dans le jargon professionnel) dans ces conditions je ne vois pas bien comment ils peuvent tracer des parallèles et des perpendiculaires. Leur table a dessin s'apparente plus à celle d'un architecte du début du XX ème siècle qu'a celle d'un dessinateur industriel. Elle n'est pas muni d'un pantographe système qui existait depuis longtemps pourtant à cette époque en Europe. Autres bizarreries ces dessinateurs sont assis face à leur planche et ils ne portent pas de blouse. A un moment on voit le héros tracer un projet de détail de l'avion, une attache sur une aile qu'il exécute en perspective comme une vue artistique, pratique qui a été utilisée en Europe au XIX ème siècle maisplus du tout sur notre continent en 1930. Je met peu en doute l'exactitude dans le contexte japonais, surtout à l'époque où se déroule le récit, de ce que je vois à l'écran dans un film de Miyasaki quand on sait le soin qu'il apporte au moindre détail, si bien que chaque décor est un régal sur lequel on voudrait faire un arrêt sur image pour complètement en profiter. Maisj'aimerais bien que quelqu'un ayant des lumières sur la vie d'un bureau d'étude au Japon dans l'entre deux guerre m'apporte quelques explications sur les points précis que j'ai soulevés plus haut.
Pour tous les jeunots qui sont nés avec une machine à calculer dans leur couche, je voudrais les informer que la curieuse règle que manipule Jiro est une règle à calcul, instrument longtemps indispensable pour tout ingénieur et calculateur. Après un rapide apprentissage cet élégant boulier plat vous permettait de faire des calcul avec une célérité qui ébahissait le béotien moyen. On pouvait même en tirer des sons qui rappelaient un peu la trompette bouché et qui égayaient les entre-cours. Ah quand la nostalgie nous tient...
Sans doute que beaucoup de spectateurs trouveront que Jiro est un égoïste en préférant son travail à sa femme gravement malade, ou plutôt en essayant de concilier ses deux amours son aimée et sa passion de l'aviation. C'est méconnaitre la sorte de folie créatrice qui peut envahir un ingénieur. Jiro est très représentatif de ces techniciens qui, tout emplis de leur soif de créer, le plus souvent une petite partie d'un ensemble, contrairement à la vision romantique du film où Jiro oeuvre sur un avion en entier, oublient la finalité à ce quoi il travaille. Les horreurs de la guerre et la guerre elle même ne sont montrées que dans la toute dernière séquence dans laquelle Jiro erre dans un cimetière d'avion et constate que s'ils furent nombreux à partir combattre aucun n'en est revenu... Cette attitude de fixation sur un ouvrage en ne voulant pas voir son but est des plus courante mais le public en est peu informée car tout simplement parce que la fiction en France s'intéresse bien peu au travail qui pourtant occupe beaucoup du temps de chacun. C'est beaucoup moins le cas au Japon où par exemple de nombreux mangas sont ancrés dans une activité professionnelle particulière. Pour cette bel et véridique illustration du labeur, Il faut, ne serait-ce que pour cela, remercier Miyazaki.
Miyasaki démontre que l'on peut tout raconter par le biais du dessin animé. En quelques images inoubliables il évoque de grands faits de société comme la crise économique des années 30, la militarisation de son pays, la révolution industrielle qui bouleverse le Japon à cette époque, la calamité qu'était encore à cette époque la tuberculose (le roman « La montagne magique » de Thomas Mann est cité. La mère de Miyazaki était aussi tuberculeuse ce qui explique ces personnages de femmes malades dans ses films comme ici et comme la mère de « Mon voisin Totoro »). C’est une partie très émouvante et qui justifie le film à mes yeux.)... La référence à « La montagne magique » n'est pas la seule allusion littéraire européenne du film. A plusieurs reprise des personnages du film citent la phrase de Paul Valéry: << Le vent se lève il faut tenter de vivre.>>. Phrase qui donne le titre du film.
Il montre l'horreur du grand tremblement de terre du Kanto de 1923 et du gigantesque incendie qui s'en est suivi qui détruisit une grande partie de Tokyo, tout ce qui était au sud du parc Ueno (sur cet événement capital qui modifia considérablement l'Histoire du Japon, on peut considérer qu'il est le déclencheur de la marche du pays vers le militarisme, il faut lire « Le grand tremblement de terre du Kantô d'Akira Yoshimura, paru aux éditions Actes sud. On ydécouvre que de nombreux Coréens furent lynchés par la foule à cette occasion et que des membres important de la gauche nippone furent éliminés à ce moment ce qui passa presque inaperçu dans le désordre ambiants...).
La grande nouveauté chez Miyazaki est l'émergence d'une histoire d'amour pas trop édulcorée. Jiro rencontre une jeune fille Naoko dans le train qui le conduit pour la première fois à Tokyo. En quelques séquences lyriques très réussies Miyazaki orchestre cette tragique histoire d'amour. Encore une fois Miyazaki fait passer par l'intermédiaire de la relation entre Jiro et Naoko beaucoup de choses sur la société japonaise d'alors. On voit par exemple qu'il était mal vu qu'un homme et une femme (nos sommes dans la bourgeoisie) habitent ensemble sans être mariés. La valeur des films de Miyazaki tient beaucoup à l'importance que le réalisateur accorde aux détails et particulièrement à ceux des rapports entre Jiro et Naoko comme leur premier baiser ou la façon dont la jeune femme recouvre avec sa couette Jiro qui vient de s'allonger auprès d'elle.
Si le film s'inspire de la vie de Jiro Hirikoshi, il est aussi imprégné du livre de souvenirs de Tatsuo Hori (1904-1953), écrivain et traducteur de Cocteau, dans lequel il évoque la mort de sa fiancée tuberculeuse. Une autre figure historique apparaît dans le film, celle de Giovanni Battista Caproni (1886-1957), célèbre constructeur d'avions italien qui, on l'imagine a du faire rêver Miyazaki enfant; on retombe sur l'importante prégnance autobiographique du « Vent se lève ». Caproni incarne pour notre héros une sorte de mentor paternel. A ce sujet, à part sa soeur, on ne voit jamais les parents de Jiro, en faisant une sorte de Peter Pan... Caproni (et le vent) est une figure majeure dans l'oeuvre de Miyazaki car le nom de son studio d'animation Ghibli est certes le nom d'un vent chaud du Sahara mais c'est surtout le nom d'un avion de reconnaissance italien créé par... Caproni!
Le film contient de nombreuses réflexion sur la vie. Je trouve très juste cellesur le fait que les personnages soulignent qu’un homme ne peut espérer que dix années de créativité...
Le final est très mélancolique: ses Zéros ont été les avions des Kamikazes se suicider et les bombardiers américains ont ravagé son pays. Jiro n’a qu’une unique consolation: l’encouragement de Naoko à continuer de vivre. << Les avions sont des objets magnifiques et maudits avalés par l'immensité des cieux.
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Commentaires lors de la première parution du billet
lesdiagonalesdutemps04/02/2014 07:12
Sixte02/02/2014 23:01
lesdiagonalesdutemps03/02/2014 08:07
Sixte04/02/2014 00:26