Cloud Atlas de Lana Wachowski, Andy Wachowski et Tom Tykwer
J'ai toujours une grande réticence à aller voir un film tiré d'un livre que j'ai beaucoup aimé surtout si comme c'est le cas pour « Cloud atlas » un des intérêts majeurs de l'ouvrage dont il est tiré, L'atlas des nuages de David Mitchell, est son écriture. D'autant que dans le cas présent en raison de sa taille, de sa construction littéraire et du fait que l'histoire se déroule du milieu du XIX ème siècle à un futur lointain il me paraissait inadaptable. Et bien la famille Wachowski épaulé de Tom Tykwer m'ont prouvé en 2h 30 que j'avais tort.
La réussite du film doit beaucoup au fait que son adaptation ait abandonné la construction du livre qui raconte six histoires s'échelonnant sur plusieurs siècles racontées de façon chronologique pendant la première moitié du roman, puis terminées dans la seconde moitié en ordre inverse selon le schéma: « 1,2,3,4,5,6,5,4,3,2,1 ». Chaque récit étant relié à une autre par un personnage, ou plus souvent sa trace, se trouvant dans l'histoire précédente. Dans chaque segment un des personnages est marqué par un signe identique, une tache de naissance au creux de l'épaule ayant la forme d'une comète. Si le scénario du film avait respecté la géographie du roman, il aurait fallu attendre plus d'une heure que le spectateur rencontre les personnage du segment 6 qui est à mon sens le meilleur du livre. Le scénario du film a choisi judicieusement de déconstruire chaque segment et de les éparpiller dans le film en respectant néanmoins l'ordre chronologique de chacun des segments en reliant chacun des petits morceaux par un très intelligent montage. Dans le cas de « Cloud atlas » le film doit autant à son monteur qu'à ses réalisateurs, même si le montage a été pensé bien évidemment en amont au tournage.
Pour ceux qui n'aurait pas lu le roman de David Mitchell, ce que je les encourage à faire sans tarder, voilà les pitchs de chacun des segments, classés par ordre chronologique: 1849, Adam Ewing, un jeune avocat, écrit un journal de bord lors d'une traversée durant laquelle il est de plus en plus malade malgré « les soins » d'un médecin ami (Tom Hanks). Un événement inattendu va faire de lui un fervent antiesclavagiste; 1936 après avoir du fuir Cambridge où il filait le parfait amour avec son amant, un jeune compositeur Robert Frosbisher (Ben Whishaw) tente de phagocyter un célèbre compositeur vieillissant pour assoir sa future carrière. Pendant qu'il lit le journal d'Adam Ewing, il écrit des lettres à son amant Rufus Sixsmith (James d'Arcy); 1973, en Californie, la journaliste Luisa Rey enquête sur une centrale nucléaire qui pourrait être dangereuse pour la population. Elle rencontre inopinément un savant atomiste Rufus Sixmith qui relit sans cesse les anciennes lettres que lui envoyait son amant. Aujourd'hui, en Angleterre l'éditeur Timothy Cavendish (Jim Broadbent, particulièrement savoureux) lit un manuscrit qui raconte l'enquête de Luisa Rey mais bientôt une suite de péripéties drolatique le mène dans une maison de retraite-prison d'où il essaye de s'évader avant d'écrire une adaptation théâtrale de ses mésaventures; 2014 Néo Séoul, la serveuse Sonmi-451 un clone devient l'instrument d'une révolte contre l'ordre totalitaire qui domine la ville. Elle a l'occasion entre deux péripéties dangereuses de voir un vieux film qui narre l'évasion de Cavendish; 2321 Hawaii, Zachry (Tom Hanks), un membre d'une tribu revenue à l'âge de pierre sur une terre que l'on imagine dévastée vénère la déesse Somni.
La trajectoire des personnages marqués par la comète sont influencées par la philosophie bouddhiste que semble pratiquer en amateur David Mitchell un peu à la manière dont le découvreur des sources du Nil, Richard Burton pratiquait l'islam... << Dans un monde où la réincarnation est possible et dans un film où le passé, le présent et le futur s’enchevêtrent, la mort est juste un nouveau point de passage d’un univers à l’autre.>> déclare David Mitchell. La présence de la marque de la comète indique donc qu'il pourrait s'agir d'une âme passant d'un corps à un autre au fil des temps. L'âme migrante était déjà l'idée qui amalgamait différentes histoires dans « Ecrits fantômes », le premier livre de Mitchell paru en français.
Toutefois malgré son indéniable réussite cette brillante adaptation m'a encore conforté dans mon idée que la littérature est bien supérieure au cinéma. Le cinématographe oblige à une simplification du récit. Dans le cas présent nombre d'intrigues secondaires sont passées à la trappe dont celle dramatique mais néanmoins affriolante d'un mousse abusé sexuellement par un officier de marine.
Mais plus grave le cinéma force le trait ce qui était suggéré dans le roman devient une évidence. Le scénariste contraint de choisir entre les possibles qu'évoque l'auteur, gomme l'ambiguité qui faisait un des charmes et des mystères du livre. Il faut reconnaître que présentement il fait ressortir aussi combien Mitchell est un formidable raconteur d'histoires. Les fan de Mitchell pourront quitter le film 5 minutes avant la fin qui par son happy end trahi le pessimisme de l'écrivain, même si cette fin heureuse était l'une des possibilités que laissaient entrevoir les dernières pages du livre.
Ayant lu le livre et l'ayant encore bien en mémoire je suis incapable de dire comment un spectateur ne connaissant pas le roman peut recevoir le film. Je suppute que ce doit être un peu rude au début et qu'il lui faut un certain temps pour comprendre de quoi il retourne, mais en cela le film est fidèle à l'esprit de Mitchell qui n'a pas l'habitude de commencer ses livres par de longs préambules tièdes.
En élaguant la trame touffu du roman, le scénario met en avant des thèmes qui ne ressortent pas avec un tel relief dans le roman comme l'histoire d'amour entre deux hommes (si bien que je me suis demandé en raison de l'importance qu'elle prend dans le film si je ne devais pas classer « Cloud atlas » dans la rubrique cinéma gay »), le message antiesclavagiste. A l'inverse d'autres idées très présentes dans le roman sont mises au second plan comme le pessimisme sur le devenir humain (j'y reviendrais) ou le message écologiste.
Pratique peu courante dans le cinéma, ce film s'est fait à six mains! En effet la famille Wachowski se sont adjoint les services d'un troisième réalisateur, l'Allemand Tom Tykwer, à qui on doit entre autres « Cours, Lola, cours ». Les Wachowski ont réalisé les séquences sur le voyage maritime d’Adam Ewing en 1849, la révolte de Sonmi en 2144, et de la vie de Zachry en 2321. Alors que Tom Tykwer a réalisé les segments sur musicienl Robert Frobisher en 1936, celles des révélations de la journaliste Luisa Rey autour d’un complot industriel en 1973, et celles autour de l’éditeur londonien Cavendish en 2012.
A la gageure extravagante que représentait l'adaptation du roman, le triumvirat au pouvoir du film a rajouté la contrainte de faire jouer la multitude de personnages par un nombre limité d'acteurs. Si leurs performances sont réussies, elles n'empêchent pas quelques vieillissements un peu outrés ni les postiches trop voyantes. Mais cette contrainte était probablement indispensable pour attirer des acteurs célèbres comme Tom Hanks, Halle Berry, Hugo Weaving, Susan Sarandon, Hugh Grant... à rejoindre un projet aussi incertain.
Cloud atlas ne serait-ce que par son insensé culot mérite votre visite, le plaisir sera au rendez-vous même si la lecture du roman de David Mitchell dont le film est une habile adaptation vous en apportera encore plus.
Cloud Atlas - Bande Annonce Officielle (VF) - Tom Hanks / Halle Berry / Wachowski