Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Dans les diagonales du temps
10 mars 2020

25 novembre 1970, le jour où Mishima choisit son destin un film de Koji Wakamatsu

  

  

Mishima est le dernier film de l'infortuné Wakamatsu qui a eu la très mauvaise idée de se faire écraser par un taxi dans une rue de Tokyo avant la sortie de son film, triste et banale fin pour un homme à la vie bien aventureuse. Réalisateur, Marqué fortement à gauche son dernier opus, paradoxalement fait l'apologie (si on ne tient pas compte des cinq minutes finales) de l'action politique durant les dernières années de la vie de Mishima qui a eu pour épilogue son suicide retentissant. Ce film clot une trilogie dans laquelle le cinéaste a autopsié les démons politiques du Japon: Le Soldat-Dieu(2010) et United Red Army(2007), réflexion et retour sur le militarisme nippon pour le premier titre et les dérives sanglantes de l'extrême gauche radicale dans les années 1970 pour le second.

Mishima le 25 novembre 1970, accompagné de quatre hommes de sa milice privée (le Tatenokaï) a pris en otage un général pour contraire les responsables militaires à rassembler leurs hommes pour qu'ils écoutent le discours de l'écrivain. Celui-ci espérait qu'ils se révolteraient, en l'entendant, pour rétablir l'honneur du Japon en s'opposant à la fois aux communistes et aux américains, vus toujours comme des occupants. Devant son échec, il se fait seppuku (suicide par éventrement à l'arme blanche). Le coup de grâce, décapitation au sabre, lui sera porté par un de ses disciples, membre du groupuscule para-militaire que Mishima avait créé. Cet acte hautement médiatique eut à la fois un retentissement international et un effet nul sur la politique du Japon.

Pour m'en débarrasser je vais traiter d'emblée l'aspect purement cinématographique du film (celui-ci me paraissant moins intéressant que les symptômes présent dans la société japonaise qu'il révèle (mais aussi plus généralement de l'air du temps). Le film est hiératique brossant la vie de Mishima uniquement d'un point de vue politique, en une suite de scènes très dialoguées, le plus souvent à l'intérieur du local de la milice privée ou chez l'écrivain qui habite une belle villa de style occidental. Cette construction fait penser à l'adaptation d'une pièce de théâtre, j'ai parfois eu l'impression d'être devant une version nipponne et modernisée des « Possédés » de Camus. Pourtant les quelques aérations de l'action sont assez réussies, belles vues du mont Fuji. L'interprétation est remarquable de justesse. Arata est parfait dans le rôle de l'écrivain.

Mais abandodons la forme pour en venir au fond: Wakamatsu voit dans le geste d'un jeune homme, Yamaguchi Otoya qui poignarda à mort en 1960 le leader des socialistes japonais, Oyuki Dantai (le meurtrier se suicidera en prison), le point de départ de l'action politique de Mishima. Néanmoins, le véritable modèle de l'écrivain de son semblant de coup d'état est l'assassinat en 1936 du premier ministre japonais par quelques jeunes officiers bellicistes. Indirectement leur acte conduira à un renforcement de la militarisation du pays. Plus polémique, le réalisateur fait le parallèle entre les actions de l'extrême droite et celles de l'extrême gauche qui pareillement s'auto-détruisirent dans le sang au début des années 70.

  

 

Comme les militants d’extrême gauche, Mishima voulait transformer le Japon pour le sauver. Mais, avec le recul, chacun peut constater que les bases de la société japonaise n’ont pas fondamentalement changé depuis Mishima.

Le cinéaste évacue tout psychologisme pour expliquer l'acte de Mishima. Ne sont pas prise en compte des explications, qui si elles ne sont pas évidentes, sont néanmoins plausibles et ont pu entrer dans le processus de décision de l'écrivain, comme l'homosexualité, (les relations entre Mishima et son disciple préféré, Masakatsu Morita, qui dédia sa vie, et sa mort, à Mishima, et qui lui donnera le coup de grâce, sont montrées comme celles qu'entretenaient les personnages interprétés par James Dean et Sal Mineo dans « La fureur de vivre ») ou l'hypothèse d'un geste purement artistique ou enfin celle de la stérilité littéraire frappant le romancier dont l'engagement politique aurait été alors une sorte de palliatif à son impuissance littéraire. Je vois alors un parallèle à établir entre Mishima et Drieu la Rochelle par exemple... On peut aussi penser que le fait que pressenti pour le Prix Nobel, les jurés de Stockholm lui aient préféré Kawabata qui devient ainsi en 1968, le premier japonais a obtenir le Prix Nobel de littérature, a pu influer sur son jusqu'au boutisme politique. Je ne suis pas loin de penser que le « petit chose » de « Confession d'un masque » ait voulu devenir un samouraï, d'où son culte du corps et en particulier de son corps, et mourir comme tel.

Le malaise devant ce film nait de l'empathie que semble avoir le cinéaste pour la posture de Mishima et de son groupuscule, sans prendre partie sur le bien fondé de son action, alors qu'elle paraît pour le spectateur relever d'une méconnaissance totale de la politique et de la chose militaire, d'une faiblesse idéologique criante, Mishima ne s'appuie sur aucun corpus philosophique, il prône l'action avant la réflexion, ce qui est tout de même curieux pour un intellectuel. Car sur l'écran on ne voit qu'une secte totalement coupée de leur environnement et du contexte historique. Ce dernier nous est rappelé par des bandes d'actualités de l'époque, malheureusement d'une piètre qualité technique, (artifice probablement utilisé par Wakamatsu pour pallier aux limites de son très petit budget) qui montrent les affrontements d'une extrême violence entre les gauchistes japonais et la police dans le quartier de Shibuya. La grève des étudiants à Tokyo a durée en 1969, cinq mois. Je crois que la plupart des français ont oublié la violence politique qui régna au Japon de la moitié des années 60 jusqu'au début de la décennie suivante. Ce film nous la remet en mémoire. Il y avait toute une tradition de violence dans la société japonaise moderne (ce n'est guère différent dans la société française ou américaine par exemple) des attentats anarchistes du début du XX ème siècle (à ce sujet on peut se plonger dans ce chef d'oeuvre du manga qu'est « Botchan » de Taniguchi) aux massacres des coréens pris comme boucs émissaires du tremblement de terre du Kanto de 1923 (sur ces évènements il faut lire le livre somme et terrifiant d'Akira Yoshimura, Le Grand Tremblement de terre du Kanto, éditions Acte sud.).

Une scène devrait nous interpeler et pour les férus d'Histoire rappeler un épisode de l'Histoire de France. On y voit Mishima devant une assemblée d'étudiants gauchistes leur disant que leur combat ne diffère pas du sien et qu'il est prêt à les rejoindre. Si l'union capote c'est qu'elle achoppe uniquement sur la divinité de l'empereur, qui est pour Mishima un des fondement de la culture japonaise ce que les gauchistes réfutent. Ce renoncement pour ce qui peut paraître un point de détail (mais essentiel pour Mishima) n'est pas différent de ce qui se passa en France en 1871, lorsque le prétendant au trône ne fut pas roi car il ne voulait pas abandonner le drapeau blanc! Ces mouvements violents de droite de gauche ou d'ailleurs (on peut penser aux sectes) n'ont pas réussi à entrainer la société nippone qui venait depuis peu de sortir de la misère de l'après guerre, elle était en pleine ascension économique, connaissait le plein emploi et avait surtout l'envie de consommer. Mais qu'en serait-il aujourd'hui si de telles alliances apparemment contre nature réussissaient dans une société en plein délitement; vous avez compris que je ne pense pas cette fois au Japon...

Ma surprise fut grande, quand cherchant à voir ce film, je me suis aperçu qu'il n'était diffusé à Paris, et je crois en France, que dans une seule petite salle. Il me semble pourtant que cette histoire peut intéresser un large public même si son traitement est un peu trop hiératique. Surtout que le Japon fascine de nombreux jeunes amenés à ce pays, entre autre par le biais des mangas (ce fut mon cas après avoir été conquis par son cinéma). Est-ce que le nom de Mishima ne dit plus rien? Est-ce Qu'on ne lit plus ses livres ou qu'on ne lit peut être plus de livres?

La dernière séquence se passe cinq ans après la mort de l'écrivain; dans un petit bar de Tokyo, sa femme, demande au garçon qui a achevé son mari, ce qu'il a laissé derrière lui lorsqu'il a abandonné le corps de Mishima. Le garçon se tait et ouvre les mains, les paumes tournées vers le ciel. Sur cette image défilent les titres des romans de Mishima...  

  

  

  

 

 

11.25 Le Jour Où Mishima A Choisi Son Destin - Bande-annonce (VOST-HD)

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Dans les diagonales du temps
Publicité
Archives
Derniers commentaires
Publicité