Lucius Modestus est un architecte dans la Rome de l'empereur Hadrien dont les affaires sont au plus bas. Tous ses plans sont refusés. Il songe à se recycler dans la vente de brochettes, ce qui, même dans la Rome impériale pouvait difficilement pour un architecte passer pour une promotion sociale lorsqu'il croise un de ses amis qui lui propose, pour se détendre, d'aller au bain. Là pour fuir le bruit et un épilateur entreprenant, il s'immerge complètement et se retrouve presque immédiatement dans un bain public du Japon d'aujourd'hui. C'est donc à la page 14 que je me suis précipiter dans ma salle de bain pour me faire couler un bain. Car s'il pouvait suffire d'un bain pour réaliser un rêve de plus de cinquante ans, faire un petit tour dans la Rome impériale ou même à Tokyo en m'évitant le couteux billet d'avion et les onze à treize heures éreintantes du voyage cela valais la peine d'essayer. Je me suis entièrement immergé... Bon, ça n'a pas marché mais je vous conseille de tenter votre chance. J'ai donc repris le volume pour retrouver notre Vitruve à la manque ébahi devant les inventions techniques des faces plates, c'est ainsi qu'il appelle les japonais. Un des grands ressorts comiques de « Thermae Romae » réside dans les interprétations fantaisistes que fait notre romain, qui n'est pas malin malin, de ce qu'il voit lorsqu'il est envoyé dans le futur, mais en même temps ses déductions sont plausibles pour une personne de l'antiquité projetée dans le monde moderne, par exemple il prend La représentation du mont Fuji pour celle du Vésuve...
Un peu d'histoire, si je vais prendre comme une évidence que tout lecteur occidental connait l'importance et la sophistication des bains chez les romains, je conçois qu'il puisse ne pas en être de même pour le rôle et l'histoire du bain dans la société japonaise. Un texte chinois de 297 rapporte que les japonais pratiquaient un rituel lié au bain, sans doute rapporté de Chine, en rapport avec la religion. Le bain aurait été un moyen de se purifier lorsque l'on avait été en contact avec la mort. Dans les textes historiques ultérieurs, ainsi que dans les fouilles archéologiques il existe de nombreuses références aux bains. Les deux types de bain les plus anciens répertoriés dans l'archipel sont l'iwaburo, bain en pierre et le kamaburo, une sorte de chaudron, ils ressemblaient plus à des bains de vapeur qu'aux bains que l'on connait aujourd'hui. Les ancêtres des bains publics actuels apparaissent au XI ème siècle et le terme sentô, toujours en vigueur en 1400. C'est en 1591 que fut construit le premier sentôt à Edo. On y trouvait des cabines de bain dans lesquelles il y avait des baignoires dont l'eau était chauffée par le sol. Pour garder la chaleur ces espaces n'étaient pas muni d'une porte coulissante ni de fenêtre. Il y faisait complètement noir. On devait y entrer par une sorte de « chatière » pour humain! Ce n'est qu'au XIX ème siècle que ce système fut abandonné au profit de bâtiments mieux éclairés donnant naissance au sentôt tel que nous le connaissons aujourd'hui. Il est constitué de trois zones distinctes, la salle de déshabillage, la salle où l'on se lave (jamais se laver dans le bain proprement dit, faute devant entrainé un sepuku, même pour un gaijin) et enfin le bain proprement dit.
Ce bain est une expérience inoubliable pour un occidental amateur de crustacés, il comprend enfin ce que ressent le crabe que l'on plonge dans un court bouillon. Contrairement à la langouste qu'il faut laisser tomber dans une marmite suffisamment haute pour que le malheureux animal soit immergé entier d'un coup pour abréger ses souffrances, je vous conseille de faire l'inverse de rentrer dans votre mijotation petit à petit après avoir pris une douche très chaude. Dans les riokans on vous propose de prendre votre bain avant ou après le diner. Toujours le prendre avant sinon votre digestion risque d'être gravement mise en péril et puis cela vous permettra de faire votre petit effet en entrant dans la salle a manger commune. Les japonais seront stupéfaits de la couleur que vous aurez prise, le rouge écarlate étant assez rare chez eux pour la carnation de la peau. Je me souvient d'un jeune nippon, de huit ans environ, qui est resté médusé, me fixant de ses yeux si écarquillés qu'ils n'étaient plus bridés du tout, longtemps après mon apparition. Pour sortir du bain faites le avec lenteur, comme vous le faites lorsque vous vous levez du fauteuil où on vous a fait une prise de sang, sinon évanouissement possible.
Bien après ses quelques conseils nourris de mon expérience personnelle retournons à notre manga: Toute la saveur de Thermae Romae tient dans la confrontation entre deux univers et deux époques, à ce sujet Lucius Modestus au bout des deux premiers volumes ne semble pas complètement comprendre qu'il fait un bond dans le temps. L'auteure tire habilement parti du moindre anachronisme, pour en faire ressortir le burlesque des situations. Le comique de situation est encore renforcé par le fait du traitement graphique très réaliste. L'histoire n'est qu'une suite de malentendus et de quiproquos.
Question dessin, sans dire du mal, Mari Yamazaki n'est pas Jacques Martin et encore moins Chaillet (ce qui est amusant est que Thermae Romae est édité par Casterman, l'éditeur historique d'Alix) mais ce n'est pas mal tout de même. Elle connait bien l'histoire et les moeurs de la Rome antique. Les habitués de la bande dessinée franco-belge ne seront pas trop dépaysé formellement, car chaque planche est découpée en un sage gaufrier. Néanmoins les codes du manga sont bien présents.
Il y a une certaine rupture de ton entre le premier tome, franchement burlesque et la suite beaucoup plus grâve quand la femme de Modestus le quitte, le soupçonnant d'être l'amant d'Hadrien. Dans le manga on croise de nombreux personnages ayant existés Appolodore l'architecte de Trajan, Hadrien, bien sûr, Lucius Ceionius et le futur Marc-Aurèle.
Le plus gros défaut de Thermae Romae est la façon dont notre rénovateur des bains romain accède aux portes spatio-temporelles mieux vaut ne pas trop appesantir sur la question. Une fois s'est en découvrant la limonade que Lucius grâce à l'extase de ses papilles réintègre l'empire romain. Je me dis que si le brave japonais avait offert à ce gaijin en perdition non de la limonade mais un saké blanc pétillant, Lucius aurait été projeté sur le dos d'un dinosaure.
Chaque chapitre est séparé par une double page dans laquelle Mari Yamazaki s'épanche avec beaucoup d'érudition et de drôlerie (peut être pas toujours volontaires) sur ses deux amours Rome et les bains. Ce qui est très intéressant c'est de lire un point de vue très original sur l'histoire romaine de la part d'une véritable amoureuse de l'antiquité. Outre la ferveur qu'éprouve la mangaka pour l'empereur Hadrien surpassant en cela Marguerite Yourcenar, ce qui nous vaut des pages très gay friendly, on est parfois confronté à des considérations assez curieuses sur l'histoire comme cette notion des cinq bons empereurs dont Hadrien serait l'avant dernier. J'ignorais tout de ce concept, pour ma part je dénombre bien plus de cinq bons empereurs dans l'histoire romaine, est-il japonais? Si un de mes lecteurs a des lumière sur ce point qu'il est l'obligeance de nous les faire partager. Mais comme Mari Yamazaki est Mariée à un historien italien, on peut supposer qu’elle est bien informée sur l'histoire et les moeurs des Romains, et sur leur hygiène, toute aussi “codifiée” que celle des Japonais.
La partie qui traite des bains japonais dans ces textes est symptomatique d'un sentiment de nostalgie de plus en plus fort ces dernière années au Japon pour le pays d'avant la société de consommation dans lequel les valeurs morales passaient avant celles de l'argent, « La colline aux coquelicots » en est un bon exemple. Mari Yamazaki regrette le temps où les bains publics créaient un fort lien social entre les japonais. Pour s'en rendre compte il suffit de lire « Chroniques japonaises » de Nicolas Bouvier.
Thermae Romae a connu un succès phénoménale au Japon. Une version animé a été réalisé très fidèle tout du moins pour le premier tome car je n'ai pas vu la suite et un film live a été tourné avec de vrais acteurs*. La mangaka a obtenu le grand prix du 漫画大賞 (Manga Taisho). Ce grand prix, créé en 2008, est principalement orienté vers les libraires, qui constituent d’ailleurs le jury. Depuis Yamazaki est la co-auteure d'un manga beaucoup plus sérieux sur l'histoire romaine: Pline.
Je ne suis pas peu fier d'avoir repéré ce manga en avril 2011 lors d'une promenade dans l'une des boutiques mandarake (voir photo ci-dessous).
Les voyages dans le temps réussissent bien aux mangas. Thermae Romae ne parvient pas au sommet de « Jin » ou de « Zipang » ou encore du "Chef de Nobunaga" mais il procure un intelligent divertissement.
* J'ai consacré un billet à ce film: