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Dans les diagonales du temps
13 avril 2020

Le chef de Nobunaga de Takurô Kajikawa & Mitsuru Nishimura

 

Le chef de Nobunaga de  Takurô Kajikawa & Mitsuru Nishimura
Le chef de Nobunaga de  Takurô Kajikawa & Mitsuru Nishimura

Le voyage dans le temps est un ressort scénaristique qu'il n'est pas rare de rencontrer dans les mangas. Il a même donné quelques chef-d'oeuvre comme "Zipang", "Jin" ou encore le très célèbre "Quartier lointain" de Taniguchi.  Cette fois c'est un cuisinier qui se trouve propulsé, comment et pourquoi on ne le sait pas, à la période Sengoku (XVIe siècle de notre ère) période dite du pays en guerre. Elle porte bien son nom. Le Japon n’est pas encore unifié et le terrible Nobunaga va jouer un rôle capital pour la création de l'état japonais. Sa rencontre avec un cuisinier venant du futur va changer le cours de l’histoire.

 

La recherche des aliments est cruciale.

La recherche des élements qui vont permettre au chef d'élaborer ses plats est est cruciale.

 

 

le chef de nobunaga bataille

 

 

L’histoire débute alors que deux hommes en costume de cuisiniers, semblant sortir d’un grand hôtel contemporain, sont poursuivis par des soldats du moyen-âge japonais. L’un y perdra la vie alors que l’autre, plus jeune, réussira à se sauver en plongeant dans l’eau d’une rivière. L'infortuné est recueilli par un jeune forgeron. Il se rend compte rapidement qu’il a perdu la mémoire. Les seuls souvenirs qui lui reviennent en tête sont liés à la cuisine. Ayant instinctivement attrapé une anguille lors de son bain forcé, il se met à la cuisiner. Il réussit à rendre ce met succulent en le travaillant selon une recette contemporaine, et donc novatrice pour l’époque. Ce don pour les techniques culinaires finit par s’ébruiter et Oda Nobunaga, seigneur de la région, décide de l’employer comme chef cuisinier en remplacement de sa propre équipe.

 

 

 

 

 

Bien que la trame de départ soit basée sur le voyage dans le temps de cet homme ordinaire, ce fait est rapidement occulté. Aucune explication n’est donnée. En effet, quoi de plus naturel que de se retrouver 500 ans en arrière. Ce préambule farfelu passé, l’histoire se concentre sur la cuisine et son évolution à travers les âges. Mais on ne reste pas non plus toujours derrière les fourneaux, les représentations des bataille sont impressionnantes de réalisme. Un peu comme comme le Lucius de « Thermae Romae » qui amène les bienfaits des bains modernes dans la Rome antique, Ken amène le savoir-faire de notre époque en matière de raffinement gastronomique à ces peuplades barbares qui sont ses ancêtres. En plus de parfaitement connaître de nombreuses techniques de cuisine, il a, semble-t-il, un attrait tout particulier pour l’Histoire. Il peut même anticiper ce qu’il va se passer, puisque l’unification du Japon par Nobunaga est une période extrêmement importante pour ce pays. A mesure que ce déroule l'histoire, il se pose la question récurrente dans ce genre de récit: va-t-il changer l'Histoire. Toutefois il semble moins angoissé par cette question que le médecin de "Jin", il faut bien admettre qu'il est plus difficile pour un cuisinier d'influer sur le cours de l'Histoire que pour un médecin. Le seul défaut important de ce manga passionnant est instructif est qu'il fait tout de même beaucoup penser à Jin et que ce dernier lui est supérieur. Outre le fait que chacun des héros de ces deux mangas sont projeté dans le passé, il le sont tous deux à des périodes troublées pour le pays du soleil levant. Jin à la fin du shoguna et notre cuisinier au moment de l'unification du Japon.

 

 

 

 

Il est amusant de voir comment la cuisine peut avoir un rôle aussi primordial dans le moral des troupes et la diplomatie. Nobunaga, dans cette histoire, semble avoir compris que les hommes se manipulent également par le ventre. Il arrive ainsi à découvrir les intentions sincères de missionnaires portugais venus évangéliser le Japon. Il fera succomber le shogun grâce à ses mets délicats et, surtout, travaillés de manière novatrice avec le peu d’ingrédients disponibles à l’époque. Chaque combat, culinaire, auquel Ken participe est un moyen de mettre en avant une technique ou des ingrédients banals, transcendés par son savoir-faire. Ken est un véritable McGyver  de la cuisine. Il doit composer avec le fait que certains ingrédients (comme la pomme de terre) ou certaines techniques (la découpe d’anguille par exemple) ne sont pas encore connues à l’époque où il se trouve. Mais Lorsqu'il lui manque un ingrédient, il réussit toujours par le remplacer par des subterfuges sidérants.

 

 

 

 

En plus d’être un bon divertissement, ce manga regorge de faits historiques et de conseils culinaires. Chaque plat est détaillé dans ses ingrédients, sa technique, ses termes et surtout son évolution à travers le temps. On est cependant loin d’un livre de recettes, le propos n’est absolument pas de reproduire la cuisine de ce jeune chef. Très riche en informations, la traduction française apporte en plus de nombreux hors-textes permettant d’en savoir beaucoup plus sur les spécificités de la cuisine japonaise et sa culture culinaire atypique, pour nous occidentaux.

 

 

 

 

En plus de s’inspirer de faits historiques, Takurô Kajikawa a également apporté un soin tout particulier aux représentations de cette époque. Les protagonistes, souvent des figures historiques, sont fidèlement dessinées. Son dessin réaliste donne vie à ces héros du passé dont nous ne connaissons les traits que par le biais de gravures d’époque. Il en est de même pour les bâtiments, la campagne ou les vêtements. L’importante recherche historique des auteurs est à souligner.

 

 

Si on fait abstraction du côté surréaliste du déplacement temporel, ce manga se révèle être une histoire extrêmement prenante et riche. La construction dramatique du scénario sait tenir le lecteur en haleine avec, pourtant, un postulat de base assez commun : la préparation culinaire. Il faut préciser que le scenariste est aussi cuisinier. Il s'agit de Mitsuru Nishimura également scénariste de Hell’s Kitchen. Les dialogues sont aussi un des points forts du titre: percutants et chargés de sens, ils colorent le récit avec un rythme idéal entre les moments de tension et les respirations où l'on découvre un peu mieux les protagonistes, leur passé, leur volonté et leurs espoirs. 

 

 

L’art de faire un dessin qui donne faim !

L’art de faire un dessin qui donne faim !

 

Le Chef de Nobunaga est donc un habile mélange entre fiction et réalité. Suite à son succès retentissant (1,2 million d’exemplaires sont déjà vendus au Japon! Le premier tome y est sorti en 2011. A ce jour 11 volumes sont parus au Japon alors que la France n'en est qu'au tome 5), cette série a été adaptée en série à la télévision japonaise. Une seconde saison est d’ores et déjà prévue pour le mois de juillet 2014, fait rare pour un titre de ce genre. 

 

le chef de nobunaga live

 

Ce titre permet une immersion passionnante et instructive dans le Japon d’autrefois. On ne peut que souligner l’imagination de l’auteur et l’imprévisibilité du scénario : impossible de ne pas être passionné ou de s’ennuyer ! Son ton, son graphisme et sa mise en scène permettent à tout type de lecteur de pouvoir s’y plonger sans a priori. Une œuvre à conseiller à tout amateur de culture japonaise.

 

Le voyage dans le temps est un thème régulièrement employé en mangas. Une personne de notre époque revient généralement aux alentours de l’époque Edo afin d’utiliser son savoir-faire contemporain et enrichir le passé. Cette histoire se situe juste avant, à la période Sengoku (XVIe siècle de notre ère). Le Japon n’est pas encore unifié et le terrible Nobunaga va jouer un rôle capital pour la politique du pays. Sa rencontre avec un cuisinier venant du futur va changer le cours de l’histoire.

L’histoire débute alors que deux hommes en costume de cuisiniers, semblant sortir d’un grand hôtel contemporain, sont poursuivis par des soldats du moyen-âge japonais. L’un y perdra la vie alors que l’autre, plus jeune, réussira à se sauver en plongeant dans l’eau graliable d’une rivière. Recueilli par un jeune forgeron, il se rend compte qu’il a malheureusement perdu la mémoire. Les seuls souvenirs qui lui reviennent en tête sont liés à la cuisine. Ayant instinctivement attrapé une anguille lors de son bain forcé, il se met à la cuisiner. Il réussit à rendre ce met succulent en le travaillant selon une recette contemporaine, et donc novatrice pour l’époque. Ce don pour les techniques culinaires finit par s’ébruiter et Oda Nobunaga, seigneur de la région, décide de l’employer comme chef cuisinier en remplacement de sa propre équipe.

 

 

Bien que la trame de départ soit basée sur le voyage dans le temps de cet homme ordinaire, ce fait est rapidement occulté. Aucune explication n’est donnée. En effet, quoi de plus naturel que de se retrouver 500 ans en arrière. Ce préambule farfelu passé, l’histoire se concentre sur la cuisine et son évolution à travers les âges. Un peu comme comme le Lucius de « Thermae Romae » qui amène les bienfaits des bains modernes dans la Rome antique, Ken amène le savoir-faire de notre époque en matière de raffinement gastronomique à ces peuplades barbares qui sont ses ancêtres. En plus de parfaitement connaître de nombreuses techniques de cuisine, il a, semble-t-il, un attrait tout particulier pour l’histoire. Il peut même anticiper ce qu’il va se passer, puisque l’unification du Japon par Nobunaga est une période extrêmement importante pour ce pays.

 

 

 

 

Il est amusant de voir comment la cuisine peut avoir un rôle aussi primordial dans le moral des troupes et la diplomatie. Nobunaga, dans cette histoire, semble avoir compris que les hommes se manipulent également par le ventre. Il arrive ainsi à découvrir les intentions sincères de missionnaires portugais venus évangéliser le Japon. Il fera succomber le shogun grâce à ses mets délicats et, surtout, travaillés de manière novatrice avec le peu d’ingrédients disponibles à l’époque. Chaque combat, culinaire, auquel Ken participe est un moyen de mettre en avant une technique ou des ingrédients banals, transcendés par son savoir-faire.

 

 

 

 

En plus d’être un bon divertissement, ce manga regorge de faits historiques et de conseils culinaires. Chaque plat est détaillé dans ses ingrédients, sa technique, ses termes et surtout son évolution à travers le temps. On est cependant loin d’un livre de recettes, le propos n’est absolument pas de reproduire la cuisine de ce jeune chef. Très riche en informations, la traduction française apporte en plus de nombreux hors-textes permettant d’en savoir beaucoup plus sur les spécificités de la cuisine japonaise et sa culture culinaire atypique, pour nous occidentaux.

 

 

 

En plus de s’inspirer de faits historiques, Takurô Kajikawa a également apporté un soin tout particulier aux représentations de cette époque. Les protagonistes, souvent des figures historiques, sont fidèlement dessinées. Son dessin réaliste donne vie à ces héros du passé dont nous ne connaissons les traits que par le biais de gravures d’époque. Il en est de même pour les bâtiments, la campagne ou les vêtements. L’importante recherche historique des auteurs est à souligner.

 

Si on fait abstraction du côté surréaliste du déplacement temporel, ce manga se révèle être une histoire extrêmement prenante et riche. La construction dramatique du scénario sait tenir le lecteur en haleine avec, pourtant, un postulat de base assez commun : la préparation culinaire. Une œuvre à conseiller à tout amateur de culture japonaise.

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12 avril 2020

humour confiné

Capture d’écran 2020-04-12 à 13

11 avril 2020

I am a Hero de Kengo Hanazawa

 

 I am a Hero  de Kengo Hanazawa

 

Les zombies pullulent. La vogue en a été lancée outre Atlantique par Walking dead. Heureusement pour notre survie l'auteur de World war Z, Max Brooks qui n'est autre que le fils de Mel Brooks a écrit un fort utile "Guide de survie en territoire zombie (les deux livres sont édités au Livre de poche) d'autant plus utile que l'épidémie de zombie a atteint le Japon.  avec I am a hero de Kengo Hanazawa, auteur complet puisqu'il est responsable à la fois du dessin et su scénario. Autre tendance dans l'air du temps les mangas et bandes dessinées mettant en scène, depuis Bakuman, des mangakas. Hanasawa a du se dire pourquoi ne pas rassembler ces deux courants. Mais le tour de force de notre auteur est de distordre les clichés des deux genres. Ce qui donne une série totalement décalée par rapport à ce quoi on pourrait s'attendre. I am a hero est très différent de Walking dead  le travail d’Hanazawa prend d’autant plus de force qu’il semble à l’opposé du récit épique américain des nouvelles frontières où le héros imposerait avec force et courage son mode/droit de vie dans un monde hostile.

 

 

 

Dans le premier tome on fait connaissance avec le héros ou plutôt l'anti-héros tout le contraire du titre mégalomane. Titre qui rend hommage au titre original du chef d'oeuvre de Richard Matheson "Je suis une légende".  Hideo Suzuki est un assistant mangaka paranoiaque  dont la petite amie, Tekko, est elle-même mangaka en devenir. Les 11 premières pages sont muettes. On y voit seulement un homme, le héros (?), arriver chez lui. Il ouvre méticuleusement les nombreux verrous de sécurité de son appartement. Il entrouvre délicatement la porte, se livre à une danse exorcisante bien étrange et fini par traverser le couloir et actionner le bouton de la lumière de la pièce principale, avec un luxe de précaution. On apprendra bientôt que la paranoia de notre mangaka l'a conduit à prendre comme hobby le tir sur cible. Activité qui lui permet d'avoir une arme chez lui, fait extrêmement rare au Japon. Dans le tome 7 il parvient à faire de ce simple fusil, qui serait dans une œuvre américaine une arme parmi tant d’autres, l’élément central de l’intrigue. Dans un Japon, où les armes à feu sont très peu présentes dans la population civile,

 

 

Après avoir ouvert laborieusement sa porte il vérifie que tout identique à ce qu'il avait laissé en quittant son appartement : les fenêtres, les toilettes, le frigo… Avant de manger un repas frugal en regardant les informations à la télévision. Le premier tome de la série nous dépeint un personnage mal dans sa peau, complètement déconnecté des réalités, dans la crainte d'un complot mondial qui le viserait (ce premier volume fait craindre un manga complotiste mais jusqu'à aujourd'hui, nous en sommes au volume 12, 15 au Japon, rien confirme cette crainte), il est dans la hantise d'une catastrophe naturelle sans précédent, voire même à la fin du monde (Ce qui est amusant c'est lorsqu'elle sera là, il mettra beaucoup de temps à s'en apercevoir alors que le lecteur le plus distrait aura compris depuis longtemps). Hideo Suzuki passe le temps en discutant avec Yajima, un petit personnage issu de son imagination. Il n’arrive pas à dormir, voit les heures qui défilent et lorsque, au réveil, le soleil se lève de nouveau, c’est pour lui une délivrance : « j’ai gagné », s’exclame-t-il avant de défier les spectres et autres esprits malins. Dans cette histoire de zombies, le premier mort vivant réellement agressif se paye le luxe de n’apparaître que dans les toutes dernières pages du tome 1. Pourtant, dans un chapitre précédent, une jeune femme renversée par une voiture se relevait, le coup cassé, et repartait nonchalamment. Ce qui ne trouble nullement Suzuki (on pense alors à l'hilarant film "Shaun of the dead")...

 

 

 


 

La vie d'Hideo n’est  glorieuse. A 35 ans c'est un dessinateur de deuxième ordre, il n’est qu’assistant d’un grand mangaka réalisant des œuvres cochonnes. Ses collègues de travail sont tout aussi étranges. Il ne les apprécie pas vraiment mais, fataliste, il sait qu’il doit composer avec. Le soir, il rentre voir sa copine, bipolaire et ayant l’alcool mauvais. Pourtant, il aimerait bien s’en sortir. Il essaie de proposer ses planches à divers éditeurs, sans réel succès. Il se fait balader de bureau en bureau, mais ne perd pas espoir. On sent qu’il a de la volonté et qu’il aspire à une reconnaissance dans la vie.

 

 

 

 

Le premier volume s’attache donc à dépeindre la personnalité et l’environnement de Hidéo. Il ne se passe pas grand-chose et, pourtant, tous ces passages anodins nous en disent beaucoup sur ce qu’il est et sur ce qu’il va devenir. Le premier tome, extrêmement pessimiste, apporte aussi son lot d’humour noir. Dès le second les zombies, qui ne sont jamais nommés, ont envahi la ville. Ils mordent tout ce qui passe à leur portée afin de les transformer en morts-vivants. On passe de la réflexion à la catastrophe où l’humour, omniprésent, détend le lecteur. Les gens meurent, se font arracher un membre, voient leur famille décimée. Tout cela dans une ambiance plutôt bon enfant. Les personnages secondaires sont excellents, leurs répliques bien cinglantes sont décalées et renforce l’absurdité du genre humain. Le personnage principal devient presque le héros du titre.

Un des ressorts comiques (humour noir, très noir) du premier tome est que Suzuki ne remarque pas les prémices d'une épidémie qui transforme les personnes en monstres sanguinaires. Alors que l'infection se répand à travers le Japon, peut-être même le monde entier, Hideo tentera de survivre à l'épidémie et assistera à la destruction de la société japonaise sous la horde d'infectés et des survivants qui ont pour la plupart abandonné eux aussi toute humanité. Autre élément comique, bien utile pour soulager l'angoisse qui étreint parfois le lecteur plongé dans ce monde apocalyptique est le constant dilemme dans lequel Hideo se retrouve, absurde dans cette atmosphère de fin de l'humanité, par exemple, à cheval entre la peur de braver la loi en confiant son arme à quelqu’un qui n’est pas habilité à la manier et la conscience que le fusil est un gage de survie pour lui. Cette ambiguïté pousse le lecteur à s’impliquer d’autant plus dans le sort de son héros et l’absurdité qui émane de certaines réactions d’Hidéo est toujours agréable. Suzuki va bientôt rencontrer Hiromi Hayakari. Il s'agit d'une lycéenne timide, bizutée par ses camarades de classe mais pleine d'esprit et d'humour. Elle se lie d'amitié avec Hideo avant d'être infectée par le ZQN, après avoir été mordue par un nourrisson infecté (ah le bébé vampire un grand moment, et à ma connaissance assez faible je l'avoue en zombilogie, une nouveauté dans le domaine) Elle ne développe néanmoins pas tous les symptômes du virus et elle semble même "obéir" à Hideo et comprendre, dans une certaine mesure, ce qui se passe autour d'elle. Une zombie mutante en quelque sorte. L’infection d’Hiromi permet au mangaka de ponctuer le récit de scènes admirables où l’on voit le monde tel qu’Hiromi le perçoit tout en restant très mystérieuse sur la condition réelle de la jeune femme : pourquoi n’attaque-t-elle pas Hideo ? Peut-elle réellement être l’origine d’une solution au fléau qui frappe le Japon ?

 

 

 

Le dessin d'Hanasawa est réaliste et même hyper réaliste en ce qui concerne les décors. Pour ces derniers on y sent un peu trop directement la copie de photographies. Les images de repérage sont moins habilement transmutées que dans "Sprite" par exemple. Il reste que les amoureux des paysages japonais, principalement urbains seront comblés. Typique de l'esthétique du manga, les physionomies humaines sont représentées avec un peu moins de réalisme, avec une touche de caricature. Ce rendu renforce la lisibilité du manga. Les personnages se détachent bien sur les fonds. Ce réalisme aide grandement à captiver le lecteur. Les zombies sont bien là, mais ils ne sont pas effrayants gratuitement. Un grand travail a été fait dans le découpage des cases, chaque planche est pensée comme une entité complète : tout est fait pour que le lecteur se sente à l’aise face à ce  héros borderline. Chaque volume repend de l'édition japonaise les pages en couleurs qui sont de toute beauté. On sent qu’un travail méticuleux est apporté à chaque détail. En revanche, certains défauts de proportion apparaissent de temps en temps, notamment dans les scènes d’action. Tous les protagonistes sont soignés. Loin d’être des canons de beauté, ils ont une « gueule » qui les identifie immédiatement. Leur morphologie ou leur caractère, rien n’est laissé au hasard ! Le mangaka s’est appliqué à les ancrer dans la réalité.

 

 

 

 

 

Partant d’un personnage enfermé dans la paranoïa, ce manga s’ouvre rapidement sur un autre monde. Il bascule de la monotonie de la vie tranquille d’un gars paumé à une explosion de corps et de chairs ensanglantées. Hanazawa alterne des scènes d'angoisse profondément malaisantes, comme celle du taxi avec ses passagers contaminés, avec d'autres tempérées d'un humour absurde revigorant, puis avec de brèves explosions gore assez insupportables, quelques magnifiques passages introspectifs, comme cette nuit de terreur que notre piètre héros passe dans la forêt des suicidés...  Si le lecteur se laisse porté dans le premier volume, il ne peut que subir les agressions présentes dans la suite du récit. Tout comme Hideo Suzuki qui nous montre qu’il est loin d’être le héros qu’il aimerait devenir. Pour ma part je regrette qu'Hanazawa est abandonné (pour combien de tome?) Hideo avec lequel l'identification du lecteur fonctionnait à plein, pour d'autres personnage intéressant peut être plus charismatique que notre hésitant Hideo mais avec lequel on se sent moins de plein pied même si l'un d'eux émet l'idée certainement riche en rebondissement et qui sera sans doute fort utile pour clore une histoire dont on ne voit pas bien comment elle pourrait se terminer, mais ce n'est pas son moindre intérèt, que  les zombies semblent mûs par des sentiments rémanents de leur "vie" antérieure, conservant des réflexes inculqués avant leur mort / contamination. I am a hero a  un côté Murakami Haruki] à la fois pour les surprises narratives, mais aussi pour les qualités dialogiques. Un manga à ne pas laisser entre toutes les mains, mais devrait plaire au non-amateur du genre zombies, grâce à son ton complètement décalé. 

 

 

 

 I am a Hero  de Kengo Hanazawa
10 avril 2020

Jari de Raymond Reding

 

Jari  de Raymond Reding

 

 

Il n'est pas bien sorcier de se douter qu'enfant, la B.D Jari de Raymond Reding, que je lisais chaque semaine dans le journal de Tintin, était une de mes séries favorites puisqu'elle mettait en scène un champion de tennis ce que j'espérais devenir. Ces aventures à la relecture procure le même plaisir que celui qui consiste à se repasser un de ces vieux films mélodramatiques parsemés de touches humoristiques comme il y en avait tant dans les années 1950 ou 1960. Après la publication de seulement quatre épisodes aux éditions du Lombard, de huit albums en noir et blanc aux éditions Bédescope et d’une tentative manquée chez Claude Lefrancq, près de 60 ans après son apparition, voici enfin l’édition complète de la série disponible chez BDMust. Soit les dix grandes aventures et l’ensemble des épisodes complets réunis dans une collection de douze albums à la présentation enfin digne du travail de Raymond Reding !

 

 

 

 

Le 28 août 1957 (Tintin Belgique n° 35) et le 10 octobre de la même année (Tintin France n° 468), un nouveau héros est annoncé en couverture de l’hebdomadaire des éditions du Lombard : Jari Lorrain, jeune espoir du tennis et orphelin, croise la route de Jimmy Torrent, chirurgien et champion de tennis. lorsque le jeune garçon est frappé violemment par une balle qui risque de lui faire perdre la vue. Le sympathique chirurgien-tennisman prend sous son aile le garçon qui se révèle être un surdoué de la raquette, jusqu’à en faire un joueur de premier plan. Soutenus par le richissime Monsieur Berthault, les deux nouveaux amis vivent des aventures passionnantes, à la fois sportives et policières. Ils seront les héros de 10 longs épisodes de 30, 62 et 46 planches et de courts récits notamment proposés par Tintin Sélection.

 

 

 

A l'ére du richissime et très talentueux Féderer la lecture des aventures de Jari qui nous entraîne dans les coulisses du tennis, sans pour autant négliger l’action et le suspense. fait renaitre, un peu en contrebande, le tennis des années 50 et 60. Un sport d'amateurs et de gentlemen où il était inconvenant de parler d'argent ,tout comme dans la bonne société, celle d'avant le bling bling et des révélations hebdomadaires sur les pratiques sexuelles de nos hommes politiques. Vous avez compris que je suis un nostalgique de ce temps là où à Roland Garros on pouvait laisser sa veste sur le central, qui ne s'appelait pas encore Chatrier, pour marquer sa place et aller follâtrer sur les courts anexes.  

Raymond Reding (1920/1999) était un passionné de sport. En 1957 il imagine ce duo efficace dans la foulée de son confrère Jean Graton qui vient de lancer « Michel Vaillant ». 

Ce sont d’ailleurs les premiers héros de l’hebdomadaire à évoluer dans des compétitions sportives, un cadre jusqu’à lors très peu utilisé par la bande dessinée franco-belge (a l’exception de quelques récits dus à René Pellos ou à Mat), contrairement aux USA où sports et bandes quotidiennes furent étroitement associés dès l’origine du média. Amusant alors de constater que les auteurs respectifs de ces deux séries, aux styles réalistes quand même assez proches, feront rencontrer leurs héros dans « Jari dans la tourmente » pour ce qui est de Raymond Reding et dans « Le Pilote sans visage » en ce qui concerne Jean Graton (lequel sera aussi caricaturé par Reding dans « Jari et le plan Z »), le temps d’une même séquence avec des points de vue différents.

 

 

 

 

 

 

La bande dessinée sportive devient un cheval de bataille du journal Tintin. C’est après avoir signé de nombreux récits basés sur des faits vrais dans Tintin, un peu similaires aux belles histoires de l'oncle Paul chez Spirou, le grand concurrent de Tintin  que Raymond Reding obtient le feu vert de la rédaction pour créer une série récurrente. Hélas, contrairement à « Michel Vaillant », et bien que caracolant à la tête des référendums (il sera même premier), « Jari » ne connaît pas le même succès en librairie, victime d’une politique d’albums déplorable. Jusqu’à ce jour, il n’existait pas de collections permettant de suivre de manière cohérente les aventures de Jari et de son mentor Jimmy Torrent.

 

 

 

Jari connaitra pourtant dix grandes aventures de 30 puis 62 ou 44 planches, avec la note nécessaire d’humour apportée par le personnage du richissime mécène et mentor Monsieur Berthault, Malgré le succès rencontré (le premier album édité par le Lombard en 1960 fit l’objet d’une adaptation radiophonique et la carrière du jeune tennisman sera même couronnée par une première place au référendum du journal), « Jari » ne réapparaîtra alors que dans trois récits complets dans Tintin (« Le Petit bruit de Monsieur Berthaut » en 1970, « Le Singe noir » en 1971 et « Cet as de Caro » en 1977), dans cinq autres courtes histoires dans Tintin Sélection « Le pneu magique » en 1969, « Jari et l’Invincible Gérard » en 1970, « Une Machine appelée machin » et « Le Knack » en 1971, puis « Souricière grand format » en 1972), et comme personnage secondaire pour d’autres créations de Reding (dans « Vincent Larcher », notamment).

Déçu, Reding abandonne ses personnages en 1978 pour se consacrer à d’autres séries, situées elles aussi dans le monde du sport : « Vincent Larcher », « Section R », « Fondation King »… et surtout « Éric Castel », le footballeur de Barcelone flanqué de son ami le jeune Pablito.

L’édition complète de la série est donc désormais disponible chez BDMust dans une collection de douze albums à la présentation soignée : couleurs retravaillées, un ex-libris numéroté dans chaque volume et un tirage limité à 1 000 exemplaires imprimés sur un excellent papier d’art Munken.

 

 

 

L’ensemble est présenté accompagné d’un dossier érudit de seize pages reprenant les couvertures de Tintin, des documents inédits et un texte passionnant de Gilles Ratier.

Le même éditeur a déjà publié les intégrales de « Barelli », de « Pom et Teddy », du « Chevalier blanc », de « Cori le moussaillon ». La qualité de ces albums est indéniable, en général leur prix est correct environ  20 euros l’exemplaire. Le problème c'est que pour la série Jari, il n’est pas possible de se procurer les albums indépendamment, mais que le tout est proposé à 199 euros jusqu’au 31 décembre (239 euros à partir du premier janvier 2015) ; voir www.bdmust.be.

Il y a quelques années les éditions du Lombard ont proposé de redécouvrir les trois premiers épisodes de cette saga sportive et policière (« Jari et le champion », « Jari dans la tourmente » et « Le Secret de Jimmy Torrent»), compilées dans un bel album de 168 pages reliées à l’ancienne et agrémentées d’un trop court dossier sur la série et l’auteur. C'est album qui doit toujours être assez facilement trouvable. Malheureusement les meilleurs épisodes sont certainement ceux qui, chronologiquement, viennent ensuite : « Jari et le plan Z », « La Dernière chance de Larry Parker », «Le Troisième goal », « Jari au Pays Basque », « Jari et le diable rouge », « Guitare et dynamite », «Le Justicier de Malagne »

Il faut préciser, qu’en 1967, Raymond Reding est malheureusement victime d’un très grave accident de la route et failli être perdu pour le sport et la bande dessinée. A force de courage et après des mois de rééducation, il retrouve pourtant, peu à peu, le chemin de sa planche à dessin et des courts de tennis… Seulement quatre albums des péripéties sportives de « Jari » ont été édités par Le Lombard, de 1960 à 1964, et il faudra attendre les années 1978-1979 pour que la petite structure qu’était Bédescope propose huit nouveaux albums en noir et blanc (puis en couleurs, pour certains titres, sous le label Récréabull). En 1997, les éditions Lefrancq tenteront elles aussi de rééditer deux épisodes, sans grand succès, malgré des couvertures redessinées et des illustrations inédites. Pourtant, ces passionnantes aventures, où notre héros exemplaire était plus souvent confronté à des problèmes moraux qu’à ses adversaires de compétition, étaient souvent en avance sur le temps, dénonçant déjà les fléaux que sont encore aujourd’hui les drogues et le dopage.

 

 

 

Français de naissance alors que son père avait la nationalité Belge, le Normand Raymond Reding (1920-1999) était lui-même un athlète accompli, ayant pratiqué de nombreux sports comme la natation et le tennis, et la plupart de ses séries se déroulent dans ce milieu. Comme ses parents, installés en Belgique depuis 1931, n’avaient plus les moyens de lui permettre de continuer ses études, il multiplie les petits boulots : marchand de journaux, pianiste de jazz, enseignant d’anglais, comédien…, et écrivain le temps de quelques pièces de théâtre, romans et contes pour enfants. C’est ce qui l’amène à se présenter, en 1944, à la rédaction du journal belge Bravo ! dont la rédaction accepte de publier quelques-uns de ses contes et où le directeur artistique (Jean Dratz), ayant remarqué une certaine patte dans les croquis que le jeune Reding lui avait aussi présentés, lui propose d’illustrer par lui-même.

 

 

Tout en réalisant des travaux publicitaires (particulièrement pourL’Aiglon en 1949), il fait ses premières incursions dans la bande dessinée avec le strip « Monsieur Crô » destiné au quotidien La Dernière Heure (1947)

 

Raymond Reding renouera avec sa passion pour le tennis grâce au «Grand chelem » (les aventures de « Chris Larzac ») publié en 1990 dans Hello Bédé : sa dernière grande bande dessinée après la «Fondation King » qui intervient de façon caritative dans tous les domaines touchant au sport moderne (avec un album aux éditions Dargaud en 1977), le footballeur « Éric Castel » ‘après le sitehttp://lambiek.net, les lecteurs allemands connaissaient déjà « Éric Castel » (« Ronnie Hansen » pour les Hollandais) depuis 1974, sous le nom de « Max Falk » dans Wham ; il fut rebaptisé « Kai Falke », lors de sa reparution dans le magazine Zack, point de départ de l’éphémère aventure Super As.]] en 1979 (dans Super As), le chien «Pytha » qui évolue lui aussi dans une ambiance tennistique (un seul album chez Novédi en 1987)… ; des créations où l’apport de sa fidèle collaboratrice François Hugues, qui assumait aussi bien les décors, l’encrage, le lettrage que les couleurs (depuis le début des années 1970), est indéniable.

 

 

 

Certes, Raymond Reding ne figurera peut-être pas au panthéon du 9ème art franco-belge, mais il fit quand même partie de cette deuxième génération de dessinateurs apparue dans les années cinquante (avec Jean Graton, François Craenhals, Tibet, Albert Weinberg, Dino Attanasio, Berck, Mittéï, Édouard Aidans et quelques autres) qui renouvela le vénérable journal Tintin enfermé dans une ligne claire un peu trop sage. Et rien que pour cela, il mérite honneurs et respect, d’autant plus que son style réaliste et dynamique, sa parfaite connaissance des sujets exploités et son efficacité imaginative à mêler habilement sentiments et intrigues, a su toucher bien des lecteurs et susciter nombre de vocations sportives.

9 avril 2020

Les scouts de Mitacq

 

Les scouts de Mitacq
Les scouts de Mitacq
Les scouts de Mitacq
Les scouts de Mitacq
Les scouts de Mitacq
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9 avril 2020

Zappy Max, ça va bouillir mis en image par Tillieux

 

Zappy Max, ça va bouillir mis en image par Tillieux

C'est tout à fait par hasard, en musardant dans une librairie, le vice que je pratique le plus, que je suis tombé sur la mise en images par le grand et très regretté Tillieux, des aventures de Zappy Max, écrites par St. Julien (pseudonyme de l'écrivain Hugo de Haan), dans "ça va bouillir". Je ne vais pas vous dire que c'est un chef d'oeuvre de la bande dessinée, ni même que c'est celui de Tillieux (La couverture est dessinée; par François Walthéry), l'inoubliable père de Gil Jourdan, entre autres. Et pourtant mon coeur n'a fait qu'un bon. Que de souvenirs se sont précipités sur ma pauvre personne, la madeleine et les pavés de Venise en même temps. Cet album m'a bien sûr rappelé les premiers temps du journal Pilote avec ses beaux Pilotoramas en pages centrales, mais m'a surtout fait me remémorer le feuilleton radiophonique que j'écoutais tous les jours avant de partir à l'école puis ensuite avant d'aller au collège (je ne sais pas quand cette émission a commencé, mais en revanche je me souviens que ce feuilleton s'est terminé brusquement en 1966, quand soudain Radio-Luxembourg s'est mué en RTL. "Ca va bouillir" était donc diffusé sur les ondes de Radio-Luxembourg, l'ancêtre de R.T.L., vers 13 heure, juste avant il y avait quelques minutes dévolues au chansonnier Pierre-Jean Vaillard. C'était délicieux et raffiné. Rien à voir avec nos humoristes graveleux qui encombrent désormais scènes, écrans et radios. Patrice Delbourg dans son beau roman, "Un soir d'aquarium" a consacré quelques savoureux passages à Pierre-Jean Vaillard...
Je me rappelle que vaguement de l'intrigue aux incessants rebondissement abracadabrantesques de "Ca va bouillir". Zappy, le héros était joué bien entendu par Zappy Max, alors animateur vedette de la station (Il est le 373 ème des 480 souvenirs de Georges Perec dans "Je me souviens"). Or donc Zappy était un courageux jeune journaliste qui devait toujours sauver des griffes du très méchant et asthmatique Kurt von Straffenberg, alias le tonneau, sa jolie fiancée, Edith... L'émission était financé par la lessive Sunil d'ou son titre "ça va bouillir", expression qui un temps est passé dans le langage courant dans le sens de ça va barder... D'une façon assez surréaliste la lessive faisait souvent une intrusion inopinée dans l'histoire; par exemple lorsque Zappy embrassait Edith soudain il disait que ton chemisier sent bon, la jeune femme lui répondait: << C'est normal, il a été lavé avec Sunil. >>.

Si vous avez un enregistrement ne serait-ce que d'un épisode de "Ca va bouillir" ne m'oubliez pas. Merci d'avance.
 

 

Zappy Max, ça va bouillir mis en image par Tillieux
9 avril 2020

La mélodie de Jenny de Tsukasa Hôjô

 

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Les éditions Ki-oon ont l'excellente idée d'éditer les histoires courtes de Tsukasa Hôjô fort célèbre dans nos contrées pour être l'auteur de "City Hunter" sous le titre: "Les Trésors de Tsukasa Hôjô". Un titre qui n'est pas usurpé car à lire le premier volume, "La Mélodie de Jenny" ces histoires courtes me paraissent beaucoup plus intéressante que la série qui l'a rendu mondialement célèbre. Ces mangas, loin d’être des œuvres de jeunesses sans intérêt, sont des histoires courtes, souvent émouvantes et touchantes. Le dessin est égal à celui que l’on connaît, mélange de réalisme et de mimique comiques, ce qui est très courant dans le manga et desarçonne souvent le public occidental.. Dans la plupart, Tsukasa Hôjô y adopte un ton bien plus sérieux que dans « City Hunter », même si certains passages ont des ressorts comiques éculés (enfin pour moi assez hermétique à l'humour en général et très souvent à l'humour japonais) qui permettent de ne pas se couper des fans de la première heure.

 

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Premier titre de la collection sortie en juillet 2013, « La Mélodie de Jenny » nous plonge au cœur des tragédies liées à la Seconde Guerre mondiale. Le livre est composé de trois histoires courtes.

 

« Aux confins du ciel, dans la tourmente de la guerre »

« Aux confins du ciel, dans la tourmente de la guerre » : le destin tragique d’un jeune garçon voulant devenir pilote tout comme son frère. La guerre en décidera autrement, sa première mission, devenir kamikaze et donc sacrifier sa vie, en vain, pour son pays.

« La Mélodie de Jenny » est la nouvelle qui donne le titre au recueil. C'est un chef d'oeuvre du manga. Il s'inscrit dans la lignée de cet autre chef d'oeuvre, au cinéma cette fois, "Le tombeau des luciole". Nous sommes à la toute fin de la guerre, le Japon subit les bombardements intensifs des américains. un musicien américain marié à une Japonaise depuis 10 ans tente de regagner sa famille à Tokyo. Il s'est évadé du camp où il était relégué Il a taillé une flûte dans un bambou, afin de jouer le morceau qu’il a composé pour les sept ans de sa fille jenny. Accompagnés de quatre enfants errants, ils longent la voie de chemin de fer pour arriver à leur destination...

Les manga prenant comme thème ou décor la deuxième guerre mondiale ne sont pas très nombreux en raison de la culpabilité japonaise vis à vis de cette période. Ils sont encore moins nombeux en France car les mangas "révisionistes", il y en a, comme existe des bandes dessinées chinoises violemment anti japonaises, ne sont pas traduites. On peut citer néanmoins, Zipang,  Tsubasa, L'ile des téméraires ,  Zéro pour l'éternité.

« American Dream » : un jeune japonais, champion de baseball, rêve d’une carrière américaine. De passage aux USA, il va voir son rêve se réaliser, mais la haine envers les Japonais, déjà présente, compromet son destin.

Ces trois histoires nous montrent bien comment des destins prometteurs peuvent être brisés par la guerre. Tsukasa Hôjô, avec son trait réaliste, arrive à nous émouvoir et sait évoquer avec justesse ces morceaux de vie.

 

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9 avril 2020

Sans Famille d’Hector Malot vu par Pierre Frisano

 

 Sans Famille d’Hector Malot vu par Pierre Frisano
8 avril 2020

Le baton de Plutarque de Juillard et Yves Sente

 

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Sous le titre énigmatique « Le bâton de Plutarque », pas très bon ce titre malgré sa caution historique, Yves Sente, scénariste de la nouvelle aventure de Blake et Mortimer, a eu l'ingénieuse et courageuse idée de concocter une préquelle à la Saga jacobsienne. Il l'a située chronologiquement immédiatement avant « Le secret de l'espadon ». Le bâton de Plutarque commence très précisément au printemps 1944 (avant le débarquement allié). Nous sommes donc à la fin de la deuxième guerre mondiale, avant la troisième qui verra nos héros se mesurer au redoutable tyran asiate qu'est Basam Damdu. Ce nouvel album se termine 90 minutes à peine avant le début du "Secret de l'Espadon". Il devient ainsi le premier à lire si l'on veut respecter la chronologie de la geste jacobsienne. L'idée de cette gageure est venue à Yves Sente, redoutable analyste et connaisseur de l'univers de Jacobs, quand il s'est aperçu qu'il y avait des incohérences dans la saga des deux héros, en particulier dans « Le secret de l'espadon » diptyque dessiné dans l'urgence. Sente a remarqué par exemple qu'il n'y est pas expliqué pourquoi Olrik identifie immédiatement l'Espadon dès qu'il le voit. De même, plus loin dans le récit, on découvre qu'Olrik connait déjà Blake mais on ne sait pas dans quelles conditions ils se sont rencontrés. Pas plus qu'on ne sait d'où vient le capitaine Asso qui espionne Olrik pour le compte de Blake et Mortimer? On en apprendra aussi plus sur les origines d'Olrik, le méchant récurrent. Les interrogations d'Yves Sente sont allées très loin ainsi d'après ses déclarations il s'est toujours demandé comment avec leur salaire les deux compères pouvaient vivre à Hyde Park (je me demande si dans cette question ne se glisse pas un peu de jalousie de la part d'Yves Sente, pourtant avec les royalties que lui procurent ses albums de Blake et Mortimer, il pourrait dorénavant y loger sans peine...). Et bien la réponse est dans le bâton... Vous que ces questions tarabustaient, que dis-je angoissaient depuis la parution du « Secret de l'Espadon », soit depuis 1946, vous allez enfin avoir les réponses dans ce nouvel opus des pérégrinations du duo so british et... pouvoir mourir tranquille. Cet album quasiment ordonne qu'immédiatement après avoir dévoré « Le bâton de Plutarque » vous êtes mis en demeure de redécouvrir « Le secret de l'espadon » à la lumière de toutes ces révélations. 

 

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Aventure échevelée ne veut pas dire aberration historique. C'est dans les lieux les plus mythiques de la résistance britannique au Troisième Reich que nous entraine ce bâton de Plutarque, à commencer par la Station X, la fameuse base secrète située à Bletchley Park dans le Buckinghamshire où travaillaient les casseurs de code dont le fameux Turing (qui malheureusement ne passe pas dans l'album) chargés de décrypter les messages échangés par les allemands grâce à leur machine Enigma. On visite également le fameux Cabinet of War de Winston Churchill). Bletchley Park, ce lieu crucial pour l'issue de la seconde guerre mondiale (ici la deuxième) est très bien décrit dans cet énorme roman qui ne ressemble à aucun autre qu'est « Blitz » de Connie Willis. Par ailleurs Turing a inspiré une formidable bande dessinée méconnue: « Le théorème de Morcom » de Goffin et Peeters, parue en 1992 aux Humanoïdes Associés... Lors de la visite de Blake à Bletchley Park on apprend ainsi que les alliés on sciemment laisser certains de leurs bateaux être coulés par les sous-marins ennemis pour que les allemands ne s'aperçoivent pas que les anglais avaient décrypté leur code. Yves Sente brouille constamment les pistes mêlant les faits des lieux et des personnages historiques (Churchill) à de la pure fiction ainsi, si le prototype allemand a bien existé en revanche l'avion de Blake qui l'affronte en un spectaculaire combat aérien au dessus de Londres est une pure invention. Juillard est devenu un maitre de la bande dessinée d'aviation depuis le remarquable « Mezek ».

 

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Quant au bâton de Plutarque du titre il vient de l'antiquité. Chez les Spartiates, le bâton de Plutarque, également connue sous le nom de scytale, était un bâton de bois utilisé pour lire ou écrire une dépêche chiffrée. Considérée comme le plus ancien dispositif de cryptographie militaire connue, elle permettait l'inscription d'un message chiffré sur une fine lanière de cuir ou de parchemin que le messager pouvait porter à sa ceinture. Après avoir enroulé la ceinture sur la scytale, le message était écrit en plaçant une lettre sur chaque circonvolution. Pour le déchiffrer, le destinataire devait posséder un bâton d'un diamètre identique à celui utilisé pour l'encodage. Il lui suffit d'enrouler la scytale autour de ce bâton pour obtenir le message en clair. Il s'agit de l'un des plus anciens chiffrements de transposition ayant été utilisé. Plutarque raconte son utilisation par Lysandre de Sparte en 404 av. J.-C.

Il est amusant de constater que dans la saga de Blake et Mortimer la Grande Bretagne semble être toujours (et pour toujours) la première puissance mondiale. On trouve cette même configuration géopolitique dans la perle de la bande dessinée britannique qu'est « Ministère de l'espace » de Warren Ellis et Chris Weston. Il n'est jamais question de l'URSS et de son bon petit père des peuples quand à l'Amérique, elle est citée une fois comme fournisseuse de Matériels. Puis à la toute fin par coupures de presse pour avoir lancé la bombe sur Hiroshima. 

 

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Plus qu'une aventure classique de notre cher duo « Le bâton de Plutarque » nous informe de leurs faits, héroïques certes, il ne pouvait en être autrement, durant la deuxième guerre mondiale. Ce qui relève proprement de l'aventure, un épisode d'espionnage, est, tout en se fondant parfaitement dans la grande Histoire, puisqu'elle se greffe fort habilement sur des faits authentiques, est très archétypale pour ne pas dire caricaturale des prouesses habituelles du duo; en outre elle n'instille aucun suspense, contrairement par exemple au serment des cinq lords par exemple.

Le bâton de Plutarque est un véritable tournant en ce qui concerne les scénarios des albums de Blake et Mortimer. « Le secret de l'Espadon », premier album dessiné par Jacobs se situait dans un autre monde que le notre. Avec cette vingt troisième aventure on est sciemment dans notre univers ou plutôt un univers uchronique. Une des règles de l'uchronie est de présenter clairement le point de divergence avec l'Histoire que l'on connait. Ce n'est pas le cas dans le bâton de Plutarque. Alors comment expliquer l'émergence de ce dictateur asiate, certes on peut l'envisager par les troubles dans la Chine des années Trente, ce serait un seigneur de la guerre qui aurait réussi mais où sont passé Mao et Tchang. Comment imaginer que le Japon impérialiste d'alors ne se soit pas intéressé à ce tyran? En introduisant des personnages historique Yves Sente a fait entrer le facteur temps dans la saga. Ce qui me paraît très problématique ne serait-ce que pour deux raisons, la première est que le temps n'est pas élastique; la concentration sur vingt ans des prouesses du duo devrait en toute logique en limiter le nombre, la seconde est qu'il faudrait pour être cohérent faire vieillir les personnages alors que jusqu'à présent ils sont identiques de 1945 à 1967, date à laquelle Yves Sente et la rédaction de la très intéressante revue Casemate situent la fin des « 3 formules du professeur Sato ».  

 

 

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Le dessin de Juillard (je reviendrai sur cette attribution) est très réussi. On voit que chaque case est extrêmement soignée, qu'elle est pensée pour elle-même mais qu'aussi elle s'inscrit dans l'esthétique très géométrique de chaque double pages. La mise en couleur très recherchée aux tons subtils et cassés fait que chaque double page peut être vu comme une unité fragmentée, une sorte de cubisme appliqué à la bande dessinée. Les textes très nombreux dans l'esprit de ceux que l'on trouvait dans les albums dessinés par Jacobs équilibrent le tout. Les dialogues sont dans des philactères à fond blanc alors que les récitatifs sont posés sur des fonds colorés toujours en harmonie avec la case et la page dans lesquelles ils s'insèrent.

 

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Le choix comme couverture du combat aérien au dessus de Londres est peu représentatif du contenu réel de l’album. Il semble essentiellement guidé par la filiation voulue avec le cycle de l’Espadon, également doublement illustré par les deux appareils créés par Jacobs le Golden Rocket et l'Espadon qui illustrent couverture de chacun des albums qui compose le diptyque du « Secret de l'Espadon. La couverture de la 23 ème aventure de Blake et Mortimer n'est pas sans rappeler celle de « La grande menace » signée Jacques Martin en 1954.

Au risque d'être accusé de lèse majesté on ne peut que constater pourtant que le rendu des pages dessinées par Juillard et son équipe est supérieur à ceux dessinés par Jacobs. Quand on y réfléchit rien de plus normal à cela. Les moyens mis en oeuvre pour réaliser un album de Blake et Mortimer sont bien supérieurs à ceux dont disposait Jacobs qui travaillait seul. Si on regarde attentivement les pages de garde du « Bâton de Plutarque » outre les noms d'Yves Sente et d'André Juillard on voit apparaître ceux d'Etienne Schréder pour l'encrage des décors et de Madeleine Demille pour les couleurs, de Marie Aumont pour le lettrage... Il n'est donc pas étonnant que nous soyons en présence d'un bel ouvrage...  

 

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6 avril 2020

Névé de Lepage et Dieter

 

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Névé est une bande dessinée tout à fait exceptionnelle à bien des égards. Aussi bien que par son magnifique dessin, que par les thèmes qu'elle aborde et par sa construction intelligemment lacunaire.

Névé conjugue deux postures habituellement antinomiques dans la bande dessinée. Celle de l'héroïsme et celle du vieillissement des personnages. Lorsque nous faisons la connaissance de Névé, le garçon a douze, treize ans. Nous le quitterons aux approches de la trentaine. Il faudra à Lepage au dessin et à Dieter au scénario (même si à la lecture on se doute que Lepage a aussi mis beaucoup de lui même dans cette histoire) environ 230 pages pour nous raconter cette métamorphose. 

 

 

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Le chemin de Névé est divisé en 5 chapitres qui furent autant d'albums parus entre 1991 et 1997. Ils sont rassemblés en une intégrale éditée en 1998. Nous suivons donc Névé et son entourage sur environ 17 ans. Si nous l'abandonnons (avec regret) en 1997 cela signifie que le premier chapitre se déroule en 1980. Comme toujours il me paraît important de borner chronologiquement ce morceau de vie qui nous est proposé, tant les multiples innovations technologiques ont bouleversé nos quotidien dans les 30 dernières années. Ainsi cette existence, lorsque nous la découvrons n'est plus complétement contemporaine à bien des habitudes et des gestes d'aujourd'hui...

 

 

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L'histoire commence par une tragique aventure de montagne, cadre très présent dans presque tout le récit. Le dessin évoque dans ce premier chapitre les mangas d'escalade de Taniguchi. Le père de Névé, un alpiniste professionnel, a emmené sa famille au Chili pour faire une voie difficile, l'Aconcagua par la face Sud. Il y entraîne deux jeunes femmes, sa compagne et Marlène la jeune tante de Névé. Ce dernier restera avec Laurent, son oncle, au camp de base. La folie du père de Névé à vouloir vaincre le sommet à tout prix, va entraîner deux morts, dont la sienne. Marlène se sent responsable de l'accident. Ce drame marquera pour toujours Névé. Son oncle, un jeune médecin devient sont tuteur. La suite de l'existence du garçon nous entrainera à La Réunion, en Irlande, au Népal pour se clore dans la vallée de Chamonix, toujours la montagne. Il y a du Tintin chez Névé. Si Névé nous fait beaucoup voyager on peut noter que chaque épisode possède grosso modo une unité de lieu et se déroule sur une période courte. Mais le plus grand voyage que fera Névé c'est la plongée qu'il fera en lui-même durant les quinze ans sur lesquels s'étalent cette histoire.

 

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Névé est une véritable bande dessinée pour adulte alors que ce qualificatif est généralement attribué à un album dès l'instant que l'on y trouve des images sexuellement explicites, dans Névé on peut dire que cette série est adulte surtout parce qu'elle demande à son lecteur de remplir les blanc du récit.

De savants sémiologues se sont interroger sur pourquoi la bande-dessinée laissait une empreinte souvent plus forte que la même histoire délivrée par le biais d'un roman ou d'un film. Ils en ont conclu que c'est parce que le lecteur d'une bande dessiné était moins passif que le lecteur d'un roman et surtout que le spectateur au cinéma car il lui faut imaginer ce qui se passe entre deux cases. Ici l'exercice est autrement plus complexe et permet des échappées d'une toute autre ampleur. Le lecteur peut rêver à ce qu'a été la vie de Névé entre les chapitres. Cet intervalle va de quelques mois à plusieurs années.

Il n'y a guère plus de six mois à un an qui sépare le premier chapitre, «  Bleu regard » qui se déroule au Chili de « Vert solèy » qui lui, mis à part son préambule savoyard, se passe presque intégralement à La Réunion. Au moins deux ans séparent les vacances réunionnaises mouvementés de Névé et de son oncle, du troisième opus, « Rouge passion » dans lequel Névé tombe amoureux... d'une fille. L'age de Névé n'est mentionné que dans l'album final. Auparavant, il faut se fier à son aspect et à quelques détails narratifs. Dans le quatrième épisode, le népalais, on peut estimer que Névé a environ dix huit ans. Ce qui voudrait dire qu'il y a dix ans d'écart entre le quatrième épisode et le dernier. C'est dans cette grande distance entre les deux derniers albums, qu'à mon sens, réside la principale faiblesse de la série. Il aurait fallu un ou deux chapitres supplémentaires, pas nécessairement formant des albums entiers pour que le lecteur soit un peu éclairé sur le parcours de Névé durant ces dix ans; car lorsqu'on le retrouve dans « Noirs désirs », ce n'est plus le même personnage (au dessin près, je reviendrai sur cette question) que celui que l'on a quitté dans « Blanc Népal »; ce qui est naturel, puisque dix années ont passé entre ces deux morceaux de vie mais ce qui est déstabilisant, surtout lorsqu'on lit tous les chapitres à la suite. L'ellipse est une construction littéraire propice à l'imagination du lecteur encore faut-il qu'elle soit d'une taille raisonnable.

 

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Petite incise familiale, on pourra remarquer une fois de plus avec Laurent, combien les oncles sont utiles à la bande dessinée voir Donald, Pim Pam Poum, Modeste et Pompon et j'en oublie assurément; trêve de galéjades revenons aux choses graves où est passé la mère de Névé. Il n'y a aucune allusion à cette dernière tout au long des cinq albums. Pourtant le garçon à le sens de la famille. Dans le deuxième chapitre, il est même inconsolable de la perte de son père. Pourtant je n'aurais pas hésité à ranger celui-ci dans la catégorie des sales cons. J'avance que sans la fatale glissade du père le joli Névé aurait eu beaucoup de peine à s'affirmer d'où la chance pas assez reconnue et chantée d'être orphelin.

L'élaboration de Névé s'est déroulée sur plus de six ans. La lecture des chapitres à la suite fait naitre plusieurs interrogations dont celle-ci: Les auteurs avaient-ils, dès le premier épisode, prévu l'évolution de leur héros? La réponse n'est pas évidente et pour ma part j'aurais envie d'en faire une de normand à cette question. J'aurais tendance à penser que paradoxalement le dessinateur avait plus anticipé l'avenir de Névé que le scénariste. Comme le disait le regretté Pierre Décargue, Lepage, dans ses dessins, a laissé des petits cailloux blancs qui peuvent, une fois la dernière page tournée, faire que le lecteur puisse se dire que, s'il avait été plus vigilant, plus observateur, il aurait été moins surpris par la découverte de l'homosexualité de Névé à la fin du dernier chapitre; car scénaristiquement, avant « Noir désir » pour ma part je n'avait rien vu qui puisse annoncer ce virage; sinon donc quelques cases dans lesquelles l'attitude de Névé, ou le décor dans lequel il évolue (on peut penser que certaines scènes sont vues par les yeux de Névé) peut donner l'intuition que le garçon n'est pas insensible à la beauté du corps masculin (en voici quelques unes immédiatement ci-dessous). Mais peut être aussi qu'il y a dans cette lecture une sur-interprétation à postériori... Sur le changement d'orientation sexuelle de Névé le scénariste ose l'audace de commencer le cinquième chapitre par une planche qui restera énigmatique jusqu'au trois quarts de ce dernier épisode.

Plus significatives sont peut-être les scènes muettes et les jeux des regards et des non-dits, dans lesquels excelle Emmanuel Lepage. On peut en tirer bien des récits ou des dialogues intérieurs.

 

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Ce qui me fait dire que ces cases sont dues au dessinateur et n'ont pas été impulsées par le scénariste, c'est qu'elles ne modifient en rien le déroulement de l'histoire.

Si malgré cette surprise finale le caractère et l'évolution de Névé sont possibles et plausibles, moins cohérentes sont celles de deux autres personnages importants de cette saga. Si l'on admet aisément que le traumatisme qu'a subi Marlène après l'ascension meurtrière l'ai profondément pertubée, on comprend moins les hauts et les bas de son état psychique au fil des histoires et des années. Dans l'épisode népalais, son instabilité et sa vulnérabilité ne semblent là, que comme prétexte à introduire une dénonciation, d'ailleurs efficace et bien troussée, des sectes et des gourous. Dans ce pan du récit, Névé est plus spectateur qu'acteur. Position qui est plus ou moins également la sienne dans le chapitre irlandais, le plus noir de tous, dans lequel le scénariste n'hésite pas à mettre en scène l'inceste d'une manière très profonde et délicate et où Névé est plus instrumentalisé que partie prenante du drame familiale qui se joue en sa présence.

 

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S'il n'y a pas de hiatus entre le premier album et le dernier en ce qui concerne Laurent, l'étudiant en médecine est devenu un médecin en Savoie, pays d'ancrage de Névé et de ses proches. On ne comprend pas bien dans le cadre de ses études que dans le deuxième opus Laurent fasse une maitrise sur les petits blancs réunionnais ou alors aurait-il fait une embardé vers la sociologie!

Lepage est un dessinateur qui possède le don rare de dessiner aussi bien les corps, avec une volupté non dissimulée (est-ce l'enseignement de Pierre Joubert?) que les paysages. Contrairement aux albums qu'il fera plus tard dans lesquels la couleurs est apposée directement sur la page dans Névé, Lepage dont c'était les quasi débuts utilise la méthode classique du crayonné suivi de l'encrage puis une tierce personne appose la couleur, ici Marie-Paule Alluard qui le fait avec beaucoup d'à propos sur un transparent. Le résultat est de toute beauté en particulier dans les scènes de glace et de neige dans lesquelles le dessinateur excelle.

 

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Le style réaliste de Lepage fait que l'on entre dés les premières pages en empathie avec le jeune héros. Le trait du dessinateur ancre Névé dans une veine adulte et résolument contemporaine. Le scénario de Dieter traite des sujets aussi graves que la découverte de l'homosexualité, l'inceste, la perte du père, la difficile acceptation de soi, la maladie mentale. Dans le second chapitre il aborde le sous développement d'un département d'outre-mer en l'occurrence La Réunion. Rien que du sérieux que le frais minois de Névé fait passer avec grâce.  

 

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Essai de biographie express d'Emmanuel Lepage:

Il est né en 1966 à Saint Brieuc. Possédé extrêmement tôt par l’amour de la BD, il a la chance de rencontrer Pierre Joubert qui devient un peu son mentor. Emmanuel Lepage fait son apprentissage adolescent. Il arrive à vite publier. Après une série de cinq albums écrits par Dieter, Névé (Glénat, 1991-1998), le succès arrive en 1999 avec La Terre sans mal (Dupuis), un scénario d’Anne Sibran avec lequel Lepage expérimente pour la première fois la couleur directe. L’album reçoit plusieurs prix et figure parmi les candidats de la liste pour l’Alph’Art du meilleur album à Angoulême, obtenant celui des libraires. En 2004, Lepage se lance dans un projet en tant qu’auteur complet. Muchacho, l’histoire d'un jeune peintre séminariste Gabriel qui se retrouve au coeur de la révolution nicaraguayenne. Muchacho est entre autres primée en 2007 à Monaco (Prix de la meilleure BD adaptable au cinéma et à la télé). Lepage part arpenter le monde avec ses pinceaux, il revient avec des carnets de voyage (Casterman, 2003) et retrouve Anne Sibran pour raconter Les Voyages d’Anna, édités par la galerie Maghen en 2005. Puis il dessine , Oh les filles !, avec Sophie Michel pour lequel il change complètement de registre pour suivre l’évolution de trois copines dans un Paris contemporain. Emmanuel Lepage est aussi l’auteur (avec Gildas Chasseboeuf ) d’un livre de voyage à Tchernobyl (« les fleurs de Tchernobyl » aux Dessinacteurs). En 2011 paraît « voyage aux iles de la Désolation », récit autobiographique d’un voyage dans les terres australes françaises (Kerguelen , Crozet…) à bord du navire ravitailleur Marion Dufresne. Un livre au carrefour de la bande dessinée et du carnet de voyage qui associe illustrations, croquis et bande dessinée. En 2012 est sorti, dans cette même veine du récit du réel « Un printemps à Tchernobyl ». En 2011, Yves Frenot, directeur de l’Institut polaire français, invite Emmanuel Lepage et son frère François, photographe, à intégrer une mission scientifique sur la base française antarctique Dumont d’Urville, en Terre-Adélie. Le but ? Réaliser un livre qui témoignerait du travail des savants. A l'automne 2014, l'album parait: c'est "Chronique, La Lune est blanche"

​La carrière d’Emmanuel Lepage est retracée par Serge Bluch dans une monographie chez Mosquito.

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