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Dans les diagonales du temps
19 décembre 2020

Tancrède d'Ugo Bellagamba

 

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J'ai connu ce roman par l'intermédiaire de l'excellent numéro spécial qu'Historia a consacré à l'uchronie, numéro que je vous conseille vivement plus que le roman de Bellagamba.

Tancrède est une uchronie, mâtinée de fantasy sur la première croisade; ce qui n'est pas banal. Les sujets des uchronies se limitant le plus souvent à quelques faits historiques bien balisés et facilement, croient, souvent à tord leurs auteurs, pouvant faire l'objet d'une alternative historique crédible. Ainsi on est pas en peine de trouver des romans dans lesquels le Troisième Reich a vaincu les alliés ou moult récits dans lesquels Napoléon a infligé une raclée à Wellington dans la cuvette de Waterloo. Mais rarissime sont les variations historiques sur le moyen-âge. La raison principale est peut être que cette époque de l'Histoire est moins connue du grand public que d'autres; car, faut-il rappeler cette évidence, que pour bien goûter une uchronie, faut-il encore bien connaître l'Histoire; ce qui en nos temps de grande ignorance est de plus en plus rare pour les lecteurs.

D'où le petit rappel historique qui suit et qui, je l'espère, ne froissera la susceptibilité de personne. En 1096, Pierre l'ermite prêche la première croisade. Des milliers de gueux se mettent en branle vers Jérusalem pour y délivrer le tombeau du christ des infidèles. Dès l'Anatolie, ils sont mis en pièces par les turcs. L'année suivante, plus sérieusement, les barons (dont Tancrède le héros du roman, un normand de Sicile) font de même mais avec de tout autres résultats ils conquièrent sur la route vers les lieux saints Nicée, Dorylée, Antioche et enfin prennent  Jérusalem. Ils en profite pour se tailler, après bien des avanies, des fiefs en Palestine en y boutant les mahométans.  Le livre décrit d'une façon convaincante une géopolitique parfois complexe de cet espace, entre Croisés, Byzantins, Turcs, Fatimides, Sunnites et Assassins. 

L'auteur, universitaire spécialisé en Histoire du droit et des idées politiques, nous présente son ouvrage comme la reconstitution des notes prises par Tancrède durant son périple. La première moitié du roman narre la campagne militaire des croisés, sans omettre, les bisbilles qu'ils ne cessaient d'avoir entre eux ni la rivalité qui les opposait à l'empereur, pourtant chrétien de Byzance. On s'immerger bien dans la 1ère Croisade avec la narration à la 1ère personne. L'auteur visiblement connait très bien cette époque. Pas d'uchronie dans tout cela du moins jusqu'au siège d'Antioche où notre chevalier, nous connaissons la progression des croisés par l'intermédiaire de son journal, ce qui n'est pas très crédible pour l'époque, est de plus en plus ulcéré par les motivations de ses compagnons d'arme qui semblent plus s'être croisés pour s'enrichir que pour délivrer le saint sépulcre. D'autre part notre chevalier normand s'aperçoit qu'on lui a menti en présentant les infidèles comme des barbares. Il les trouve bien plus civilisés que la plupart des croisés. Dans cet état d'esprit Tancréde est très habilement approché par certaines personnes qui réussissent à le déstabiliser et lui faire douter du bien fondée de la croisade. Il pense de plus en plus qu'il aurait été plus judicieux de négocier avec les infidèles dont il s'est aperçu qu'ils étaient profondément divisés. Mais le véritable tournant est lorsqu'il voit dans Maara assiégé par les musulmans, les croisés, dont son fidèle écuyer, se livrer à des actes d'anthropophagie.  Non seulement Tancréde quitte la croisade mais devient apostat! Une évolution qui me paraît totalement anachronique... A ce stade du récit il n'y a pas encore d'uchronie historique mais en quelque sorte une uchronie privée. Tancréde est un chevalier qui a bien participé à la première croisade mais dans les faits historiques, il n'est jamais passé à l'ennemi!   Après que le Tasse en a fait un modèle de chevalier dans son Jérusalem délivrée, le personnage de Tancrède a été très largement exploité par les arts dramatique et lyrique au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Le roman d'Ugo Bellagamba s'inspirant avant tout de l'opéra baroque du même nom (par André Campra, livret d'Antoine Danchet). on le découvre dans la postface que c'est le grand père de l'auteur, Clément Zaffini, qui a en fait redécouvert cet opéra... C'est au personnage de fiction plus qu'aux actes du personnage historique que le Tancrède de cette uchronie emprunte sa personnalité et sa sensibilité. Et la divergence, ici, réside entièrement dans cette différence de sensibilité, dans l'interprétation subjective par ce Tancrède-ci de faits qui restent, quant à eux, rigoureusement historiques, jusqu'au moment où son destin s'écarte objectivement de celui de son modèle. Vers la moitié du roman Apparaît alors dans le récit, un autre chevalier, Gaston, avatar de Gaston Phébus. Une sorte de superman à la fois champion de l'estoc et précurseur de Léonard de Vinci, l'inventeur de machines volantes, pas le peintre. Les efforts conjugués de Tancrède dont on ne parvient pas toujours à bien saisir la personnalité et les véritables motivations et qui se transforme de croisé un peu bourrin en fin diplomate, un personnage qui cherche à imposer la paix pour trouver la paix mais ne trouve que la guerre, et de Gaston qui invente une arme de destruction massive pneumatique et à vapeur! Font que le duo devenu sectateur d'Allah change le cours de l'Histoire.

Sur son choix de l'uchronie, j'ai pris bonnes notes des déclaration de Bellagamba qui dans la note d'intention, comme dans la postface de son livre semble assez content de lui... << Moins que des œuvres, c’est un parcours, jalonné des rencontres avec Campanella, Bacon, Rousseau, Montesquieu, Mercier, Renouvier, Toynbee, Silverberg, Jeury, Smith, Heinlein, etc, qui a déterminé mon regard et mon apprentissage des idées politiques et de l’écriture. La science-fiction est, pour moi, le prolongement de la littérature utopique née à la Renaissance, déployée au XVIIIe siècle, transformée au XIXe siècle, avec la science, la technique, les idéaux égalitaires, les rêves libertaires et premiers cauchemars totalitaires. Au cœur de la science-fiction, il y a incontestablement la démarche scientifique qui se marie, pour le meilleur et pour le pire, avec la licence de l’Imaginaire. Et l’histoire, comme la physique, est son principal champ d’expérimentation. Forcément, ne pouvant me tourner vers la physique, ou alors, de façon métaphorique, comme je l’ai fait dans "Dernier Filament pour Andromède", j’ai choisi l’uchronie.>>.

Le style de Bellagamba est dans la première moitié du roman est d'un claironnant assez pénible; seule à ma connaissance Zoé Oldenburg est parvenue à faire parler les moyenâgeux d'une façon crédible. Heureusement cela s'arrange au fur et à mesure que Tancrède perd la foi en la croisade. Le récit est découpé en courts chapitres (eux même composés de phrases courtes) que l'auteur à la très bonne idée de dater avec précision. Ce qui permet au lecteur de comparer le déroulements des évènements  racontés dans le roman avec les faits historiques qui ont eu lieu à cette même date. Un procédé que tous les auteurs d'uchronie judicieusement devraient reprendre.

Outre le fait que cette Histoire alternative soit très peu crédible, sa lecture occasionne un certain malaise. Le livre est paru en 2009 et nous parle aussi d'aujourd'hui. D'une part on peut y voir une lecture de l'Histoire un tantinet complotiste, une secte, les Assassins, dirige en sous main le monde et d'autre part Bellagamba semble plaider pour une union des musulmans qui, ainsi, pourraient bouter du moyen-orient l'intrus, qui n'est pas difficile d'identifier comme étant Israel...

 

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