Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Dans les diagonales du temps
25 juin 2020

ROMA AETERNA de Robert Silverberg

43028888_p


Faisons un rêve, si les monothéismes n’avaient pas attristé le monde, si l'Empire romain existait toujours ?  Si les paroles de Jupiter, rapportées par Virgile dans l'Enéide : << Jupiter dit ''Aux Romains, j'ai donné un Empire sans fin''>>, s'étaient vérifiées... Tel est le sujet de Roma aeterna, excellent roman uchronique signé d’un grand nom de la science fiction, Robert Silverberg . Le livre s’étale sur plus de 1500 ans (hors retours en arrière) à compter de l’écrasement des barbares germains vers 500 de notre époque jusque dans les années 1970 (selon notre façon de numéroter des ans).  Le roman nous entraîne dans un monde parallèle qui diffère essentiellement du nôtre par quelques heureuses bifurcations que malheureusement le notre n’ a pas prises et qui changent  radicalement l’ Histoire.
Dans ce continuum alternatif, le point de divergence crucial se situe au XIIIe siècle avant notre ère lorsque l'exode des juifs (à ce propos, récemment un historien israélien nous a expliqué que la notion de peuple juif était une faribole)  échoue au bord de la Mer rouge (damned ils n’avaient pas Cecil B. De Milles). A la fin du volume les juifs ne sont qu’une petite secte du moyen orient. De ce fait pas de royaume d'Israël, pas de Christianisme et pas de déclin de l'Empire romain... La thèse principale de Silverberg, juif américain, est que le déclin des romains à pour cause le christianisme et plus largement les monothéismes. Thèse développée par Gibbon au XVIIIème siècle et que je fais globalement mienne en y ajoutant le recours à l’esclavage qui a empêché tout développement technique en raison de ce qu’il apportait une main d’oeuvre en nombre illimitée et peu coûteuse. C’est la même fatale erreur qu’à fait l’Europe dans les années 1970 en favorisant à outrance l’émigration ce qui est la cause principale de son déclin et signera sa perte. Bien d’autres thèses ont fleuri sur les cause du déclin de Rome. Elles remplissent des bibliothèques entières. Bon mon maître Jérôme Carcopino, en bon vieux corse bigot, ne pouvait se résoudre à voir dans le christianisme la cause de la mort de son cher empire romain, lui accusait le plomb des marmites dans lesquelles l’empire faisait mijoter son frichti. Le plomb passant dans la nourriture aurait donné le saturnisme aux vaillantes légions et leur aurait ramollit le bulbe...
Le défaut principale du livre de Silverberg est de faire l’impasse sur l’esclavage qui est pourtant un des grands problèmes de l’empire romain.
Or donc, les juifs n’ont  jamais quitté le royaume des pharaons. Quelques siècles plus tard, un envoyé spécial de l'Empereur élimine un prophète d'Arabie avant qu'il ait eu le temps de fonder l'islam. Ce dernier événement, dont personnellement je regrette chaque jour qu’il ne se soit pas produit, nous vaut la nouvelle la plus savoureuse du livre. Domitius Cabula, un patricien romain, est exilé à La Mecque pour avoir lutiné le jeune favori de l’empereur. Dans ce coin perdu de l’empire, qui est néanmoins un carrefour commercial, il fait la connaissance d’un riche marchand illuminé, un certain Mahomet qui prêche à une poignée d’ extravagants une nouvelle religion. Notre pédéraste banni a immédiatement la prescience que ce Mahomet, qui lui fait grande impression, est un danger potentiel pour l’empire, avant que cette religion se propage Cabula fait occire Mahomet. L’idée que l’islam soit empêché par un pédéraste me  ravit particulièrement... Ainsi, l'Empire a survécu, avec ses dieux auxquels plus personne ne croit.
Dans cette histoire racontée par Silverberg, les trois religions monothéistes ne se sont pas développées.
Silverberg qui ne manque pas d’audace, nous fait assister à la désastreuse tentative des romains pour conquérir les Amériques. La raison principale de cet échec est que ces benêts d’indiens ont pris comme roi un viking (ce qui devrait beaucoup plaire à Alain de Benoist) réchappé d’une non moins calamiteuse expédition  et néanmoins scandinave. Le grand homme blond  a inculqué aux indigènes cuivrés les rudiments de la stratégie militaire. Ce qui leur permet de repousser l'envahisseur romain. Tout le livre, discrètement, nous suggère l’évidente supériorité de l’homme blanc sur les autres bipèdes. Voilà qui n’est guère politiquement correct. Il est a parier que sous une autre plume moins sémite, cela aurait causé quelques remous dans le landerneau des lettres...
Nous assistons aussi à des guerres sans merci entre Rome et Byzance pour la suprématie impériale, car curieusement, comme dans notre monde, l’empire romain c’est scindé en deux, à de nombreuses révolutions de palais et autres changements de régimes (Monarchie impériale décadente, Terreur sanglante, puis République vertueuse...).
L'Amérique, jamais conquise par les romains se développe en parallèle à l'empire. De même, Rome ne s'attaque jamais sérieusement ni à l'Inde ni à la Chine. l'Empire est déjà trop grand, trop difficile à gérer et à maintenir uni. Pourtant, un empereur entreprend de faire le tour de la Terre et y parvient. 
Nous voyons le développement d'une langue "romaine" (italienne) à partir du latin et un progrès technique un petit peu plus lent maintien de l'esclavage oblige, que dans notre monde.
Vers l'an 2650 AUC ( Ab Urbe Condita, soit ''depuis la fondation de la ville''...), qui correspond à la fin de notre XIXe siècle, le téléphone existe et l'automobile fait son apparition... A propos du calendrier, pour encore plus de plaisir de lecture, je conseille aux lecteurs de retrancher des dates proposées dans "Roma aeterna", 753 ans ( 753 Avant J.C. étant date traditionnellement admise de la création de Rome, date relevant du mythe bien sûr et non de l’histoire).
Comme presque tous les auteurs d’uchronie Silverberg profite du genre pour nous parler de notre monde. En particulier dans le chapitre “Un avant poste du royaume” dans lequel un proconsul romain explique à sa maîtresse grecque que Rome est condamné à sa politique impérialiste, est obligé de gérer le monde et ceci non par plaisir ou goût de puissance mais par devoir. Si l’on remplace dans cette diatribe romain par américain, on ne sera pas très loin des discours tenus durant des années par l’administration Bush fils... Je rappelle que le livre est  sorti en 2003 aux Etats-Unis, il aura fallu une bonne année à Jean-Marc Chambon pour venir à bout de la traduction de ce livre qui était très attendu par tous les amateurs d’uchronie et de Silverberg...
Grand connaisseur de l’Histoire, l'auteur s’inspire de l’Histoire réelle pour construire son Histoire d’une Rome éternelle. Le chapitre “Le règne de la terreur”, qui se déroulerait en 1815 selon notre comptage des années, est un démarquage assez subtile de la folie meurtrière qui s’empara de Robespierre et consort durant notre révolution. D’ailleurs comme quasiment toutes les uchronies, Roma eterna plus elle s’éloigne de son point de divergence, et plus elle se transforme en pastiche de notre réalité.
Ce qui est amusant et original est, que Silverberg porte à la fois un regard classique sur l’histoire, ce sont les grands hommes qui la font, tout en semblant acréditer la notion marxiste de sens de l’histoire!
Silverberg a eu l’intelligence de choisir ses héros, le narrateur change à chaque nouvelle qui est séparée de la précédente de plusieurs dizaines d’années, non parmi les personnages qui font l’Histoire mais il les a plutôt recruté, sans que cela soit systématique, dans la classe des témoins privilégiés proches des hautes sphères du pouvoir, ceux comme il l’écrit, qui << pendant que la plupart d’entre nous dorment, d’autres, plus futés, refont l’histoire le temps d’une nuit.>>.
Roma aeterna bénéficie d''une excellente construction littéraire; c'est plus une suite de nouvelles, écrites en une douzaine d’années, qu’un véritable roman. L'auteur greffe intelligemment des éléments imaginaires sur des situations historiques réelles, ce qui donne un ensemble crédible. Chacun des chapitres-nouvelles se situe habilement dans les périodes charnières de ce continuum parallèle. Le roman est clair et fort bien écrit. Silverberg y développe tout son grand talent de conteur. Il devrait ravir les amateurs d'histoire antique romancée (ou non). Sans oublier les joueurs frénétiques de “Civilization”, jeu permettant de prendre les rênes d’une civilisation pour la faire progresser à travers les âges, ce roman réveillera bien des échos à ceux qui comme moi se sont délecté  de ces interminables parties, au cours desquelles quelques décisions peuvent avoir d’incalculables conséquences sur le déroulement de l’Histoire tout comme dans le roman de Silverberg qui, malgré quelques facilités est une réussite.

Roma eterna, édition : Robert Laffont, Collection : AILLEURS ET DEMAIN, 2004
et aussi Le livre de poche, ISBN 9782253089889, 2009
Publicité
Publicité
Commentaires
Dans les diagonales du temps
Publicité
Archives
Derniers commentaires
Publicité