Envoyé spéciale de Jean Echenoz
Des barbouzes de second choix, bien de chez nous, cherchent une innocente pour monter un coup tordu, au moins en trois bandes, comme au billard, pour, excusez du peu, déstabiliser la Corée du Nord. Leur choix se porte sur Constance une jeune femme oisive et pas farouche qui a la chance de vivre des largesses d’un compositeur hasbeen qui eu la bonne idée d’être l’auteur d’un tube mondial dont les retombées lui assurent le gite, le couvert et plus, jusqu’à la fin de ses jours…
En gros l’argument du roman est le même que celui du scénario du « Grand blond avec une chaussure noire », film épatant que j’ai revu, il y a peu. Et bien en livre cela marche beaucoup moins bien, surtout sur 300 pages. Même si l’on a pas une très haute idée des services secrets français, on s’aperçoit dés les premières pages que nous sommes pas dans le roman d’espionnage classique et réaliste, on est loin de John Le Carré; ce n’est pas d’ailleurs ce que j’attendais d’Echenoz. On se situe plutôt dans le roman populaire rigolard, un peu du côté de San Antonio mais avec beaucoup moins de faconde. J’ai lu quelque part que ce livre était désopilant, il y en a qui se désopile avec peu; certes on sourit mais à la longue on se lasse de ses adresses au lecteur et des bourdes de ces pieds nickelés de la barbouzerie. Comme l’écrivait justement il y a quelques temps ce bon Prosper Mérimée au sujet des nouvelles de Gogol, la satire ne doit pas dépasser vingt pages pour être plaisante, s’il était encore de ce monde il écrirait la même chose sur ce roman d’Echenoz. Pourtant l’auteur ne ménage pas sa peine avec l’ajout régulier de nouveaux personnages, procédé ô combien classique, pour relancer une intrigue qui s’essouffle. Il prend soin aussi de faire voyager son lecteur d’abord avec un arpentage minutieux de la géographie parisienne tant en surface que souterraine, puis de nous aérer avec un intermède dans la Creuse pour finir par nous envoyer en Corée du Nord. Sur ce dernier point je ne peux m’empêcher de m’apercevoir que certaines pages sur le pays des Kim sont quasiment extraites de « Nouilles froide à Pyong Yang » de Jean-Luc Coatalem livre qui raconte de manière drolatique une escapade de deux zozos français en Corée du Nord… A ma connaissance les critiques capés de nos gazettes ne se sont pas aperçus de cet emprunt, n’en doutons pas involontaire, ils sont excusables puisque la plupart du temps ils ne font que survoler, à très haute altitude, les livres dont ils causent…
Pourquoi le genre espionnage parodique fonctionne moins bien en roman qu’au cinéma du moins quand c’est Yves Robert qui est aux commandes? Tout d’abord ce genre de film demande rythme soutenu que le roman peine à maintenir. L’auteur y est obligé de décrire, d’expliquer ce que le cinéma fait comprendre en un plan et surtout l’immense avantage d’un film, c’est parfois d’être servit par des acteurs de la trempe de Jean Rochefort, Bernard Blier ou encore Jean Carmet et consort, autant de comédiens qui donnent une incarnation inoubliable à des personnages qui sinon resteraient comme ceux d’ « Envoyée spéciale » guère plus que des silhouettes pittoresques.
Echenoz pour nous convaincre de l’existence de ses créatures n’a pour que seule arme son style. En dépit de quelques longueurs, on ne s’ennuie pas grâce à sa phrase bien balancée dans laquelle se mêlent mots rares et expressions argotiques. Mais ce n’est pas du Michel Audiard, ni du Jean-Loup Dabadie pas plus que de l’Alphonse Boudard. « Envoyée spéciale » se lit donc sans ennuie et provoque quelques sourires mais ne nous émeut jamais, les personnages n’ont pas assez de vérité pour cela, même si les milieux décrits, avec juste ce qu’il faut d’exagération pour flatter le lecteur, paraissent bien observés.
A la fin d’un tel roman, on se dit quelle est la raison d’un livre comme celui-ci. Ma critique pourra paraitre sévère mais Echenoz passe pour un de nos rares grands écrivains français contemporains, disons juste derrière Modiano et Houellebecq, je fais l’impasse sur Le Clezio, l’erreur suédoise, je me demande si sa place n’est pas surévaluée mais il est vrai que nous sommes dorénavant le pays des humoristes, denrée qui semble malheureusement peu exportable…