Histoire de prose de Pierre Gripari (Rose Londres)
On se demande souvent pourquoi il y a si longtemps que l'on a pas ouvert un livre d'un auteur que l'on aime; certainement à cause de la dictature de la nouveauté qu'insidieusement l'air du temps impose. Je remercie donc Mickaël S. un doctorant en Histoire qui venu m'interviewer sur l'homosexualité et l'extrême droite, allez savoir pourquoi, d'avoir rappelé à mon mon souvenir le nom de Pierre Gripari et en particulier de m'avoir parlé d'Histoire de prose qui a la curieuse particularité de n'être pas signé de Gripari mais d'une certaine Rose Londres. La couverture signale néanmoins en lettres aussi grosses que celles du nom de l'auteur qu'il est présenté par Pierre Gripari. En réalité ce dernier en est le seul auteur et Rose Londres n'est qu'une journaliste à laquelle Gripari raconterait son enfance et sa jeunesse. Par un tout autre auteur les premières années du futur romancier vous tirerait des flots de larmes mais par Gripari c'est constamment drôle et vivifiant. Voilà se présente ce double d' l'auteur des « Contes de la rue Broca »: <<Je me propose d'y raconter mes propres expériences amoureuses, en commençant par ma petite enfance pour terminer par... ma foi, quand vous le jugerez désirable.Je m'appelle Parmenon, Roger Parmenon, et je suis né le jour des Rois, c'est-à-dire le 6 janvier 1930, dans le XVe arrondissement de Paris...>>
Prose est un roman d'initiation largement autobiographique, mais une initiation où le sexuel, plus précisément l'homosexuel, est mis au premier plan et énoncé avec une franchise, un coté franc du collier que je n'ai jamais lu ailleurs. Il faut d'emblée expliciter le titre. Prose n'est ici ni une forme littéraire, ni au féminin. Il s'agit d'un prose en argot le cul. Et l'on peut dire sans exagérer que le trou de celui-ci est au coeur du récit de la vie de cet orphelin épris de littérature et de... prose.
Dans un aparté à sa prétendue interlocutrice Gripari définit bien ce qu'est son roman: << Vos lecteur ma chère Rose, sont peut être déçus. Ce roman, qui se veut libertin, ne contient en réalité qu'un nombre limité de scènes proprement sexuelles, et un chapitre sur deux, ou presque, pourrait être mis entre toutes les mains. Je n'ai pas voulu que mon récit soit une pure et simple enfilade de scènes pornographiques, mais qu'il soit un roman, un vrai avec des personnages, des situations, un contenu philosophique, une expérience humaine.>>.
L'écrivain a presque tenu son cahier des charges même si le contenu philosophique m'a un peu échappé. Il y a en revanche en plus des réflexions politiques et une dose de roman feuilleton façon Ponson du Terrail. Il faut prévenir le lecteur que si le roman n'est pas qu'une suite d'enfilades c'est tout de même du brutal. La scène d'initiation du narrateur par son ami Thèo est décrit d'une façon clinique et dégagé à la fois. Qu'on en juge par ce passage: <<... J'ai besoin c'est évident qu'on me viole un peu. De nouveau il m'écarte les cuisses , il m'oblige à m'offrir et me fait, cette fois quelque chose de parfaitement inattendu: après avoir mouillé ses doigts de salive, il m'en masse le filet, glisse le long du canal jusqu'à la base du membre et remonte. Ce que je sens n'a plus rien de commun avec tout ce que j'ai pu ressentir jamais: c'est un toucher superficiel et frais, mais qui me remue jusqu'aux entrailles, m'échauffe, m'agite, m'exténue. Je me met à gémir tout haut...>>. Encore à ce stade de la confession du narrateur à la pseudo Rose, on reste dans le classique, mais notre jeune écrivain putatif rencontre bientôt un certain Robert Bivor, directeur d'une revue littéraire et adepte des lavements. Il va mettre le pied à l'étrier littéraire à notre futur Goncourt en puissance et l'initier aux joies de cette pratique intime. Il y a deux chapitres consacrés à cet exercice d'hygiène interne qui, s'ils ne m'ont pas donné l'envie de tenter l'expérience, sont incontestablement des curiosités littéraires.
Le livre étant largement autobiographique, je serais curieux de savoir qu'elle est cette éminence grise du marigot littéraire parisien qui est dissimulée sous le pseudonyme de Bivor...
Il faut espérer que la jeunesse de l'écrivain a tout de même été un peu moins triste que celle qu'il nous narre dans Histoire de prose. Sa principale médication pour s'échapper de sa calamiteuse condition était la lecture. Avec la même franchise qu'il nous parles de ses histoires de... prose. Pierre gripari, alias Roger Parmenon nous fait par de ses admirations et de ses détestations littéraires. Elles ne sont pas, vous vous en doutez, dans l'air du temps pas plus de celui du début des années cinquante, époque à laquelle se déroule le récit que de celui de 1984, date de parution du livre ou que de notre air ambiant. << Je cite mes préférés: le Claudel du « Pain dur, Colette, Montherlant, Mauriac, Céline, Marcel Aymé >>. Plus loin, il juge que James Joyce, Antonin Artaud, Jarry, Gide, Malraux et Lautréamont sont bidons.
Par l'intermédiaire du narrateur l'auteur nous fait part de sa détestation du milieu littéraire parisien et de sa répugnance à faire une quelconque correction de ses texte, surtout si elle suggérée par un éditeur. En lisant « Histoire de prose » on se dit qu'il est dommage que Gripari ne soit pas revenu sur cette phobie cela lui aurait évité certaines facilités.
Lire Gripari est aujourd'hui une expérience unique tant son ton d'une franchise absolue est celui d'un homme qui ne connait aucune autocensure.