N'oublions pas Christian Giudicelli
Le souvenir n'est pas une déploration, c'est au contraire conforter les plaisirs à venir en les asseyant confortablement sur le socle de la mémoire. C'est ce que réalise, avec légèreté et élégance, Christian Giudicelli dans son dernier ouvrage : Les Passants (éditions Gallimard). « Occupons-nous de ceux qui hantent la mémoire en déchirant le flou de nos rêves. Les passants qui répondent présent à nos appels. Les passants, détachés du passé. » La gravité, inhérente à l'exercice puisque l'auteur (par la force des choses) y parle de personnes presque toutes disparues, est sans cesse bousculée par la cocasserie des portraits de ceux qui le marquèrent ou le frôlèrent tel celui d'Alain Cuny, la notoriété de ce bègue pompeux m'est toujours restée incompréhensible. Giudicelli peut être rosse, mais c'est surtout une grande tendresse qui se dégage de ces pages dans lesquelles il ne fait pas mystère de son amour des garçons.
J'ai eu la chance de pouvoir vérifier combien l'esprit et la générosité de Christian Giudicelli n'étaient pas réservés à ses livres mais irradiaient aussi de sa personne. J'étais très ému lorsque je le rencontrai à l'occasion du tournage de son interview qui devait être un des bonus du DVD Le Garçon d'orage, DVD malheureusement jamais édité, d'après le roman de Roger Vrigny (éditions Gallimard). Ci dessus une photo de la séance de maquillage de Christian Giudicelli. Je voulais qu'il me parle de ce dernier, avec qui, pendant de nombreuses années, il avait partagé l'antenne de France Culture pour leur émission littéraire hebdomadaire qui enchanta tantôt mes matinées, tantôt mes après-midi et qui n'avait rien à voir avec sa remplaçante où une péronnelle trouve régulièrement du génie à des plumitifs abscons pourvus qu'ils soient exotiques. Ce fut pour moi une après-midi inoubliable dont il ne me reste comme seule trace physique la photo que je pris, où mon assistant d'alors, Benoît Delière, maquille l'écrivain. Durant une heure, Christian Giudicelli traça un portrait émouvant de Vrigny, qui fut à la fois son mentor et son ami.
Roger Vrigny dicutant avec le réalisateur Roger Kahane sur le tournage du téléfilm "L'ennemi de la mort" dont Vrigny avait écrit l'adaptation à partir d'un roman d'Eugène Le Roy. (je remercie beaucoup Zacharias pour l'envoi de ce document).
Sigirîya ou le rocher au lion
L'Histoire du rocher au lion
À la fin du ve siècle, Kassapa I, le fils aîné provenant d'une concubine, du roi d'Anurâdhapura Dhatusena entre en conflit avec son frère cadet Moggallana. Le trône doit revenir de droit au fils légitime mais Kassyapa ne l'entend pas ainsi. Il fomente un complot et tue son père en l'emmurant vivant puis prend le contrôle de la régence et expulse son frère Moggallana qui est contraint à un exil forcé en Inde. Moggallana, en quittant son frère, l'avertit qu'il reviendra et qu'il vengeraleur défunt père. Extrêmement précautionneux et paranoïaque, Kassapa qui sait qu’un jour ou l’autre son frère reviendra, lève son armée et quitte la capitale royale d'Anurâdhapura pour s'installer à Sigirîya en attendant le retour de son frère. Il choisit le site de Sigirîya en raison de l'immense rocher culminant à 370 mètres aux parois abruptes qui joue le rôle d'impressionnantes murailles et de la présence à dix kilomètres d'un tank, réservoir d'eau qu'avait jadis creusé son père. Les travaux d'aménagement du site sont relativement courts, comparé à la difficulté et à l'ampleur de la tâche à accomplir.
Kassapa fait bâtir au sommet du rocher une forteresse et il aménage au sol toute la partie qui s'étend au Sud et à l'Est du rocher où il fait édifier deux rangées de murailles et de fossés, le Nord et l’Ouest étant protégés par l’épaisse jungle qui empêche toute invasion massive. Kassapa fait trouer une percée souterraine depuis le réservoir situé au Nord-Est jusqu’au site de Sigirîya afin d’y amener l’eau courante, la pente de cette canalisation est très faible et l’écart d’altitude entre le réservoir et le site de Sigirîya n’excède pas 50 centimètres. Cependant cela suffit pour que l’eau jaillisse à Sigirîya et les jardins entourant le site sont parsemés de bassins et constellés de petites fontaines. Cette eau est acheminée jusqu’au sommet du rocher par un procédé de citernes sans aucune force humaine et elle s’écoule au sommet alimentant la piscine du roi, et les différents réservoirs destinés à l’arrosage des jardins et à la toilette des membres de la cour.
Kassapa poste ses gardes autour du rocher dans les jardins aménagés derrière les murailles, les constructions épousent habilement les formes géologiques du site, tantôt une grosse pierre sert de mur et de fondation, tantôt une anfractuosité dans la roche sert de soutien à une toiture… Cette utilisation ingénieuse de la nature environnante permit entre autres d’accélérer les travaux. Les gardes sont tous placés sur des promontoires à la surface exagérément petite et chaotique, toute perte de vigilance ou assoupissement entraînant la chute de la sentinelle.
Une fois les travaux de gros œuvre achevés, Kassapa s’installe dans son palais où il demeure, craintif, la plus grande partie de son temps. Il est entouré de sa cour composée de servants, de valets, d’hommes de main, de confiance et de ses courtisanes. La légende dit que le roi Kassapa était entouré de mille courtisanes, les demoiselles de Sigirîya. Il fait peindre, dans un style proche de celui d'Ajantâ, dans une large anfractuosité de la roche de la face sud du rocher, à mi-hauteur, les portraits de pied ou de buste de toutes ces demoiselles - ou plus probablement des apsarâs, au nombre de vingt-et-une - toutes différentes.
Pendant dix-huit ans, Kassapa vit reclus dans sa forteresse attendant au milieu de sa cour plutôt féminine le retour de son frère Mogallana. Durant ce temps, Mogallana réfugié en Inde, lève une armée avec l’aide d’un râja et traverse le détroit de Palk qui sépare le continent indien de Ceylan puis fait directement route vers Anurâdhapura qu’il trouve complètement abandonnée. Il obtient des renseignements qui lui permettent de retrouver son frère parricide à Sigirîya.
Alors que Kassapa séjourne tranquillement au sommet de son rocher, il voit arriver par le Sud et par l’Est des troupes qu’il identifie aussitôt : son frère est de retour. Kassapa boucle les jardins et met la garde en alerte pour le combat qu’il pense forcément gagné étant donné l’avantage que lui confère sa position. Mogallana, en fin stratège, déploie ses troupes autour du site et l’assiège, attendant que son frère descende au combat. Mais, Kassapa avait pensé à tout, sauf au ravitaillement en cas de siège. Après à peine une semaine, Kassapa épuisé par la faim descend et se livre, sans combat, à son frère aîné qui l’exécute.
Mogallana reprend la régence et Sigirîya est à jamais abandonnée.
Il faut préciser que la version exposée ci-dessus, s'inspirant de celle, rédigée seulement au xiiie siècle par des chroniqueurs bouddhistes hostiles à Kassapa1, a toujours été reconnue comme partiale et sujette à caution. Etablissant un parallèle avec le poème du « Nuage Messager » du célèbre dramaturge indien Kalidasa (Meghaduta, Les Belles Lettres, 1967), le grand orientaliste cinghalais Senarat Paranavitana a bouleversé l’interprétation du site en y voyant une figuration du Mont Kailash, demeure himalayenne du dieu hindou Kubera, dont le but aurait été de légitimer le règne de Kassapa en divinisant celui-ci2.
La grimpette pour accéder au sommet du rocher du lion équivaut à gravir 70 étages, soit environ 1300 marches. Ce monolithe rouge ocre domine la jungle du haut de ses 370 mètres, heureusement le jour de ma visite j'étais motivé pour cet effort qui n'est pas surhumain, les marches pour la plupart sont modernes et régulières, par de sympathiques collégiens sri-lankais. C'était un plaisir de les suivre.
Le rocher abandonné depuis des siècles a été redécouvert à la fin du 19 ème siècle. Le site archéologique a été restoré au milieu du 20 ème siècle.
Au tiers de l'ascension on fait une halte dans une grotte où sont peintes les demoiselles de Sigirîya, il en reste aujourd'hui vingt-et-une dont une dizaine parfaitement conservées. Ce sont les seules images féminines de la Ceylan médiévale. Elles datent du V ème siècle. Selon la légende, se sont les courtisanes du roi Kasyapa.
A mi-parcours on arrive sur une esplanade au niveau des pattes du gigantesque lion de pierres qui a donné son nom au rocher mais il n'en reste que les pattes le reste s'est effondré.
Les jardins vus de l'esplanade qui est peuplée de singes.
Les ruines du palais s'étagent ci dessous le sommet.
Les jardins vus du sommet du rocher
A la toute fin de la descente j'ai croisé cet écureuil géant pas du tout farouche.
Sri-Lanka, mars 2018
Les époques esthétiques privilégient la pédérastie
La Frontière est posée par l'apparition des poils. Le garçon imberbe, au torse lisse, est plus désirable. Les époques esthétiques privilégient la pédérastie; les époques morales (comme la notre) la proscrivent et autorisent "la réplique" (ce que nous appelons l'homosexualité entre adultes consentants).
Dominique Fernandez, Amants d'Apollon, page 91, Grasset 2015