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Dans les diagonales du temps

19 mars 2020

L'enfant de l'étranger d'Alan Hollinghurst

 

  

  

  

  

Je vous conseille vivement la lecture de ce roman. Mais pour ne pas le déflorer, il me semble qu'il vaudrait mieux prendre connaissance de ce billet seulement après avoir lu « L'enfant de l'étranger ».

Le texte qui suit n'est pas véritablement une critique, cela serait bien présomptueux pour un roman qui a tout de même obtenu en France le prix du meilleur livre étranger 2013 et qui est un véritable chef d'oeuvre, je ne suis pas loin de donner raison au « Gardian » quand il y est écrit: << Hollinghurst mérite incontestablement la place du meilleur romancier anglais contemporain. Éblouissant. ». Il s'agit plutôt un journal de lecture, il a plus été écrit pour m'aider dans celle-ci, non qu' elle présente véritablement des aspérités, mais la construction du roman est complexe et très habile. Les nombreux sous entendu qu'il recèle, émis par de nombreux personnages font, qu'encore plus que d'habitude, j'ai éprouvé le besoin de lire ce roman « un crayon » à la main.

  

Cela commence comme « Le messager » de Leslie Poles Hartley ou un roman de Forster ou encore comme un pastiche d'une oeuvre tardive d'Henry James (Hollinghurst avait mis son précédent roman sous les auspices de James). Dans le premier chapitre, intitulé « Deux arpents », nom de la résidence de la famille Sawle, à Stanmore, dans le Middlesex (on pense à Howards End) chez qui nous sommes, nous faisons connaissance de ces grands bourgeois qui ont connu financièrement des jours meilleurs. Il y a Freda, veuve depuis dix ans d'un homme d'affaire et mère de trois grands enfants. Nous rencontrons d'abord Daphné, la plus jeune du trio âgée de 16 ans, elle lit allongé dans un hamac au jardin despoèmes de Tennyson (d’où vient le titre « L’Enfant de l’étranger » que je persiste à ne pas comprendre le choix) puis ses deux frères, l'ainé Hubert, 22 ans qui paraît assez benêt et pose au chef de famille et surtout George qui amène à la maison, pour passer quelques jours, son ami Cecil Valance, un jeune aristocrate à peu près de son âge (page 250, Freda révèle que Cecil à 6 ans de plus que Daphné soit 22 ans, le même âge qu'Hubert) étudiant comme lui à Cambridge. On subodore assez vite que George et Cecil ne font pas entre eux que disserter sur Aristote... Si bien qu'à la soixantième page, on a le sentiment d'être du coté de l'Evelyn Waugh (d'ailleurs Paul Bryan, personnage capital de la deuxième moitié du roman achète le volume de la correspondance d'Evelyn Waugh) du « Retour à Brideshead ». A noter que le narrateur de « La piscine bibliothèque », le premier roman d'Hollinghurst la qualifie de « déplorable ». Nous est présenté également Jonah 15 ans, petit pour don âge mais robuste, domestique des Sawle qui devrait faire fantasmer plus d'un lecteur...

Pendant les quatre vingt premières pages, si nous savons où nous sommes, nous ignorons quand nous sommes. Ce n'est que lorsque Harry Hewitt, invité pour diner chez les Sawle, un homme d'affaire qui aurait des vues sur madame Sawle, évoque la proximité d'une guerre avec l'Allemagne que nous découvrons que l'histoire a pour cadre les mois qui ont précédé la première guerre mondiale. Cet Harry nous fait nous remémorer à la fois « La saga des Forsyte » de Galsworthy (comme dans cette saga, où un des volumes se nomme « Le propriétaire », les demeures ont une grande importance dans « L'enfant de l'étranger ») et par la posture de Cecil lorsque Harry tient des propos bellicistes, le Saint Loup de « La recherche » du divin Marcel et il y a aussi de la madame Verdurin en Freda.

Imaginons que le lecteur n'ait rien lu sur cet ouvrage et n'ai pas la curiosité de regarder l'année de la première parution du roman, à cet endroit de sa lecture, la péroraison d'Harry à la page 80, il aura bien du mal a définir la date à laquelle le livre aurait été écrit. Il penchera probablement pour le début des années 20, tout en étant surpris que ce britannique ait si bien retenu les leçons proustiennes et de son l'adresse à distiller avec parcimonie les informations sur ses personnages, si bien que ce premier chapitre, très statique, est pourtant un parfait « page-turner ». Mais la fluidité de l'écriture et surtout son découpage cinématographique (on s'imagine être dans un film de James Ivory) lui fera penser in fine que l'ouvrage est plus récent que ce qu'il pensait en l'abordant.

Lorsque Harry questionne Cecil sur Rupert Brooke,* on ne peut saisir tout le sel de cette allusion, étant encore au début de l'ouvrage, c'est bien plus tard que nous nous apercevrons que le personnage de Cecil est en parti inspiré par Rupert Brooke, jeune poète à la beauté d'adonis, comme le déclare Freda. D.H. Lawrence, dans son panégyrique dédié à Brooke, le décrira comme un dieu grec lisant ses poèmes, vêtu d'un pyjama, à l'abri d'une ombrelle japonaise... Brooke mourut à la guerre sur le bateau qui le conduisait vers la boucherie que sera la bataille de Gallipoli, des suites d'une piqure de moustique! Autre ironie, alors qu' Il n’avait que dix-huit ans, il répondit à une question de son ami James Strachey; lefrère de Lytton Strachey, dont il est question dans le premier chapitre, du Bloomsbury Group, qui était tombé profondément amoureux de Brooke etqui lui demandait s’il approuvait la guerre: « Certainement, elle tue ce qui est inutile. ». Ce membre du groupe des Néo-païens était proche d’une forme de renoncement aux complications de la vie amoureuse. Les néo-paiens privilégiaient incontestablement l’amitié par rapport à l’amour. Ce qui n'empêcha pas Brooke d'avoir probablement des amants dont Charles Lascelles, qui selon certains critiques aurait été son seul amour. Cet ami de Brooke, qu'il connu dés l'adolescence, s'est plaint que le mythe héroïque du dévouement patriotique de Brooke ait été délibérément exagéré pour encourager plus de jeunes hommes à s'enrôler. Des générations d'écoliers ont appris les premiers vers de son poème le plus célèbre: The soldier. Brooke, comme Cecil Valance, a eu l'honneur de voir un de ses poèmes cité par Winston Churchill dans le Times... Comme « The Soldier » de Rupert Brooke le poème de Cecil Valance s'illustre comme une évocation d'un pays au bord d'un grand changement: « Un excellent exemple d'un poète médiocre qui entre dans la conscience commune plus profondément que plusieurs grands maîtres. »

La construction du deuxième chapitre, titré mystérieusement Revel, est identique à celle du premier. Là encore, le lieu est immédiatement défini. Nous sommes à Corley, la luxueuse demeure de la famille Valance. Mais l'on comprend vite que les cartes ont été rebattues depuis la fin du premier chapitre. Daphné est dorénavant la maitresse des lieux et mère de deux enfants dont l'ainée Corinna, doit avoir une dizaine d'années et, Wilfrid, le cadet, six ans (son attitude et ses réflexions fait penser pourtant qu'il est plus âgé). Une allusion à un hommage à Cecil apprend que celui-ci n'est plus de ce monde. On en déduit donc que Daphné a du épouser Duddley le jeune frère de Cécil que ce dernier avait rapidement évoqué au début du récit. Dès l'apparition de Duddley, le talent de l'écrivain, fait qu'assez inexplicablement on éprouve envers lui de l'antipathie.

Un long laps de temps s'est donc écoulé depuis que nous avons quitté les personnages du roman. Ce qui oblige, malin subterfuge de la part d'Hollinghurst, le lecteur a être attentif au moindre détail pour savoir quand se passe ce deuxième épisode; il l'apprendra progressivement. Dans les premières pages de cette seconde période qui sera comme la première autour d'un événement familiale. Réapparaissent Freda (59 ans à ce moment là) et Carla sa cacochyme amie allemande. Dés le début du chapitre George est évoqué. Mais que sont devenus les autres protagonistes et en quelle année sommes nous? Presque inopinément, au détour d'une phrase on apprend que Duddley qui paraît hésiter entre le statut d'écrivain et celui de gentleman farmer, est revenu blessé de la guerre, d'où sa claudication et que Daphné y a perdu un frère. George étant attendu pour la réunion familiale on en déduit que c'est ce pauvre Hubert qui est mort au champ d'honneur.

De nouveaux personnages apparaissent: Eva Riley, la décoratrice d'intérieur qui modernise Corley (Elle a le même nom que Charles Ryley, le narrateur de "Retour à Brideshead" qui lui aussi, à sa manière, décore Brideshead). Sa proximité avec Duddley peut faire penser qu'elle ne fait pas que redécorer le salon... La description de sa tenue permet de dater le chapitre. On se situe aux alentours de 1925, soit une douzaine d'années depuis l'instant où nous sommes entrés dans l'intimité des Sawle. Plus loin on nous apprend que nous sommes dix ans après la mort de Cecil, ce qui situerait cette réunion commémorative entre 1924 et 1928. Puis à la page 207 grâce à l'inscription sur le monument funéraire de Cecil, nous apprenons que le « héros » a été tué en juillet 1916. Le chapitre 2 se déroule donc en 1926 soit très probablement treize ans après les évènements narrés dans le premier chapitre. En conséquence Daphné a 29 ans et George, maintenant universitaire à Birmingham 33, 34 ans. Décrit comme une mère terrifiante par Cecil au début du roman nous rencontrons également Louisa Valance que les deuils semblent avoir adoucie. George, qui selon Cecil, son amant, avait le con de la femme en horreur s'est pourtant marié avec Madeleine; alors que Freda, elle, n'a pas convolé avec Harris comme il était envisageable au premier chapitre. Le pivot de cette réunion, elle a été organisée pour lui, est Sebby Stokes, la cinquantaine élégante et efféminée. Il est l'exécuteur testamentaire de Cecil. Stroges l'a pourtant rencontré que furtivement lorsque Cecil était étudiant à Oxford puis à Londres quelques jours avant sa mort. Stroges désire lors de cette réunion interrogé tous ceux qui ont connu Cécil en vue d'écrire sa biographie. George tremble de crainte que lors des investigations de Stroges la véritable nature de sa relation avec Cecil soit découverte. Mais on peut penser que la venue la plus importante est celle de Revel (puisqu'il donne son nom à ce deuxième chapitre), un très jeune (il a 24 ans) décorateur de théâtre lancé qui ne laisse pas indifférente Daphné... et peut être George (il y a du Duncan Grant, le peintre du groupe de Bloomsbury chez Ralph). Il y a enfin Wilke le fidèle majordome des Valance qui en sait long sur Cecil...

  

  

La troisième partie dans son entame désarçonne complètement le lecteur qui se retrouve parachuté bien loin de Corley qu'il vient de quitter. Il se retrouve dans une agence bancaire où travaille un certain Paul Bryan, jeune guichetier (23 ans) fraîchement embauché, à qui on demande, assez inexplicablement, de raccompagner son nouveau patron, monsieur Keeping, jusqu'à son domicile. Keeping depuis la guerre souffrirait d'agoraphobie. Sauf grande distraction de ma part avant cette page 325 nous n'avions pas fait leur connaissance! Dix pages après le début de « Hardi, les gars hardi », c'est ainsi que ce nomme le troisième chapitre, je ne suis pas certain qu'Hollinghurst est un grand sens des titres, nous avons un indice indiquant l'époque où nous nous trouvons puisqu'il est question d'un meuble à télévision en teck. On peut envisager qu'au moins trente ans sont passés depuis que nous avons quitté Corley. Nous avons un petit pincement au coeur réalisant cela, car nous aurions bien passé un peu plus de temps avec certains d'entre eux... Le seul point qui nous rattache dans un premier temps à la précédente narration, est que j'ai cru comprendre que le jeune Paul Bryant est plus intéressé par les hommes que par les femmes... D'autre part, ce n'est qu'une intuition mais peut-être que la maison des keeping n'est autre que les « Deux arpents » du premier chapitre qui aurait été rattrapé par l'urbanisation de la banlieue... A moins que les deux portraits victoriens sur dimensionnés par rapport au salon des Keeping soient ceux qui ornaient le hall de Corley et que cette madame Keeping à la taille épaisse ne soit autre que, des années plus tard, la petite Corinna Valance que nous venons de quitter? Voilà un exemple qui montre que « L'enfant de l'étranger » fait travailler l'imagination de son lecteur à la recherche de repère à chaque changement de chapitre. Bingo pour la deuxième hypothèse! Page 339, le prénom de madame Keeping est lâché et c'est...Corinna. On a appris avant que cette dame avait une nièce, Jenny Ralph, fille de son demi-frère: déduction Daphné a eu un deuxième mari (est-ce Revel? Mais ce dernier aimait également les hommes, comme semble-t-il la quasi totalité des mâle des ce roman). De son coté Corinna Keeping (Valance), au moment où nous la retrouvons, à deux grands fils étudiants, John et Jullian. Elle est par ailleurs professeur de piano, ce qui ne paraît pas être une progression sociale pour la fille de la maison Valance, d'autant qu'elle est mariée à un directeur d'une modeste agence bancaire. Cette madame Jacobs mère de madame Kitting n'est autre donc que Daphné dont on est à la veille de fêter ses soixante dix ans. Comme elle est née en 1897, nous sommes donc en 1967, soit 41 ans après la deuxième partie. Ce qui veut dire que bien des personnes que l'on y a croisées , ont disparues. Auparavant Jenny a fait la confidence que sa grand mère s'est marié trois fois. Page 345 on sait que le grand père de Jenny n'est autre que Ralph Revel, ce qui confirme qu'il a été le deuxième mari de Daphné. On a également des nouvelles d'un autre peintre, Mark Gibbon qui était l'un des invités de la sauterie à Corley en 1926 et qui est toujours de ce monde contrairement à Ralph Revel qui a été tué à la guerre (39-45). La trajectoire et ce qui est écrit des tableaux de Revel peut faire envisager que Rex Whistler pourrait être un modèle du personnage.

Tout aussi abruptement qu'a surgi Paul Bryant, voilà maintenant Peter Rowe, qui semble être professeur de son état... à Corley devenu un pensionnat. En ce qui concerne sa situation géographique, il faut attendre la page 373 pour savoir qu'il se trouve entre Londres et Oxford et à 20 km de cette dernière ville. La maison des Keeping ainsi que la banque de où travaille Bryant se situent non loin de Corley. Les deux jeunes hommes tomberont en sympathie (et même un peu plus que cela) lors d'une fête organisée chez les Keeping pour les soixante dix ans de Daphné. Dans cette réunion nous auront des nouvelles, bonnes de George et de Madeleine vieux couple d'universitaire retraité qui semble heureux. Ils ont écrit un ouvrage sur la vie quotidienne en Angleterre au XX ème siècle qui a eu une audience importante, et un peu moins bonne de Wilfrid qui a 47 ans semble le parfait looser.

Peter saisit le fait que Paul soit un grand admirateur de l'oeuvre de Cecil Valance pour l'inviter à lui montrer le tombeau du poète, ce qui vaut bien des estampes japonaises pour arriver à ses fins... Cette visite nous vaut un dialogue où transparait bien un certain cynisme de la part de Peter qui demande à Paul s'il connait le mémorial de Shelley à Oxford. Paul répond par l'affirmative ce qui entraine cette remarque de Peter: << Sans doute le seul portrait d'un poète qui nous montre sa queue.>>.

  

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le mémorial de Shelley à Oxford

    

Cette fois au début de la quatrième partie nous savons immédiatement où et quand nous sommes et connaissons les deux personnages que nous y rencontrons d'emblée. Nous sommes en 1979 à Londres. Paul, qui écrit sur Cecil, sort d'un cocktail littéraire. Il pleut. Il tombe sur Daphné qu'il n'avait pas revue depuis dix ans et qui lui paraît bien miteuse. Il évoque une double tragédie dont une des victimes est Corinna. Mais la plus grande surprise pour le lecteur dans cette entame, est d'apprendre que c'est Paul qui écrit sur Cecil alors que c'est ce que projetait de faire Peter dans les dernières pages de la troisième partie. Par rapport aux trois précédentes parties dans lesquelles les informations arrivaient au lecteur avec parcimonie, cette fois elles crépitent: Corinna Keeping est morte, il y a 3 ans, donc en 1976. Son mari s'est suicidé peu de temps après. Paul a quitté la banque. Il est devenu critique littéraire et ambitionne de devenir écrivain. Il habite Londres. Contrairement aux trois premières parties qui étaient construites autour d'un événement festif et ne débordait guère la durée de celui-ci, la quatrième a une construction plus lâche et se déroule sur un laps de temps plus long. On y suit les recherche de Paul pour la rédaction de son livre sur Cecil. On y trouve un livre dans le livre avec des extraits des mémoires de Duddley auxquels s'ajoute divers documents dont des lettres de Cecil.

Les investigations de Paul font réapparaitre le personnage de Jonah, âgé cette fois de 81 ans et lors de leur entrevue celui de Harry Hewitt mort depuis longtemps. Toujours à la faveur de son enquête sur Cécil, c'est Duddley qui surtout se révèle dans cette séquence dans laquelle le romancier ne manque pas de faire une satire des milieux universitaires et littéraires, en particulier en décrivant les affres des biographes... A chaque fois que Paul est sur le point d'apprendre un détail croustillant sur la vie du poète, un importun vient stopper les confidences de son interlocuteur. Par le biais de cette situation récurrente l'humour prend place dans la saga.

  

  

La cinquième et la dernière partie est beaucoup plus courte que les autres. Elle reconduit la construction des trois premières. Elle s'articule, encore une fois, autour d'une réunion. Celle en hommage à Peter Rowe (1945-2008) quatre mois après sa disparition (nous sommes donc en 2008). Peter Rowe est devenu, depuis que nous l'avons quitté, un célèbre homme de télévision, producteur et présentateur d'émissions culturelles. La cérémonie funèbre a lieu dans la salle d'apparat de son club. Le lecteur la vit à travers le regard de Rob, libraire en bibliophilie que nous avions aperçu dans la partie précédente. Rob est assis à coté de Jenny, devenue une universitaire réputée, spécialiste de la littérature française du XIX ème siècle. Quant à Paul, On découvre qu'il a écrit sa biographie de Cecil Valance qui a fait scandale. Sur sa lancée il en a écrit de nombreuses autres. Il est désormais âgé de 64 ans. La cérémonie donne l'occasion aux anciens amis de Peter de s'exprimer publiquement sur le défunt et par cette entremise Hollinghurt raille le milieu intellectuel britannique qu'il connait si bien, nous sommes alors du coté de David Lodge... La fin est assez démoniaque et instaure un suspense haletant que les thèmes du roman ne pouvait laisser prévoir. Il témoigne d'une extaordinaire habileté de la part du romancier.

  

Comme je vous l'ai déjà écrit au début de ce billet, tout ce que vous avez lu ci-dessus est un journal de lecture rédigé au fur et à mesure que je découvrais le roman. Je n'y suis plus revenu ensuite. Ce qui vient maintenant relève plus de la critique et de l'analyse.

  

Le roman est divisé en cinq parties. Elles même découpées en chapitres. Chacune de ces parties emmène le lecteurs à différentes époques, successivement: 1913, 1926, 1967, 1979, 2008. Chacune est un petit roman qui pourrait se lire séparément. Chaque histoire a des personnages communs avec les autres et nous donne des informations lacunaires sur leurs devenir ainsi que sur celui d'autres personnes pendant les laps de temps qui séparent les parties entre elles. C'est pendant les intervalles qu'a lieu la plupart de « l'action », décès, mariages, naissances... Ils surviennent comme en coulisses, entre deux « époques ». Cette construction n'est pas sans rappeler celle de « La cartographie des nuages » de David Mitchell. Curieusement Hollinghurst a été en compétition avec Mitchell par deux fois pour l'attribution du Booker price. On peut également penser quant à la structure du roman à celle des pièces du théâtre classique français. On retrouve les cinq actes et le quasi lieu unique tout du moins pour les trois premières parties du roman. Ce qui n'est peut être pas fortuit puisque Hollinghurst est un traducteur en anglais de Racine...

Si le temps et la perception des êtres à travers son sasse est le thème principal de ce formidable travelling sur le XXème siècle anglais, il en aborde en mineur bien d'autres, comme la place des femmes, les rapports de classe, la difficulté de reconstruire une existence après les traumatismes de la guerre, la difficulté dans la recherche d'une vérité qui se refuse à être dévoilée, l'évolution de l'acceptation de l'homosexualité (En 1913, au début du roman Cecil et George sont obligé de cacher leur relation, alors que dans la dernière partie lors de l'hommage funèbre rendu à Peter, son compagnon prend la parole en public), le vécu de l'homosexualité (il est bien évident que l'attraction entre George et Cecil est amplifiée par son illégalité d'une manière qui ne fait que la rendre plus puissante), la transmission, le poids d’un héritage familial, les secrets de famille... A propos du secret, dans la quatrième partie, le lecteur en sait plus que Paul qui interroge les derniers témoins pour écrire sa biographie de Cecil, par exemple nous savons ce qui s'est passé entre George et Cecil, en revanche nous ignoreront jusqu'à la fin qui est le véritable père de Wilfrid. Cette différence de position du lecteur au sujet de certains points du récit où tantôt il en sait plus qu'un personnage et tantôt il en sait moins, est tout à fait original et donne un tremblé au roman, instaurant un doute permanent sur la véracité des propos tenus par les différents protagonistes.... Le mensonge, la manipulation, la vérité travestie sont très présent dans cette histoire. Que reste-t-il d'une vies quand les années ont passé: << Il exigeait des souvenirs, trop jeune qu'il était pour savoir que les souvenirs n'étaient que des souvenirs de souvenirs.>>.

La question de la mémoire est au coeur du livre, dans l'extrait qui suit, Hollinghurst fait preuve d'une lucidité sur son art qui n'est pas courante: <<"Elle éprouva un sentiment identique mais pire, d'une certaine façon, à propos des centaines et des centaines d'ouvrages qu'elle avait lus, romans, biographies, quelques livres sur la musique ou la peinture: elle avait tout oublié, de sorte qu'il devenait vain de même dire qu'elle les avait lus; les gens accordaient beaucoup de poids à ce genre de prétention mais elle se doutait bien qu'ils ne se appelaient pas davantage qu'elle-même. Il arrivait qu'un livre subsiste à la périphérie de sa vision, comme une ombre colorée aussi floue et irrécupérable que ce que l'on voit depuis la vitre d'une voiture sous la pluie.>>. L'histoire peut se lire comme une sorte de méditation ironique sur l'évolution de la mémoire littéraire. Il montre comment un poème nait et comment l'incident original qui aurait provoqué son écriture est « mythologisé » et comment ce mythe est officialisé. Vient ensuite la version révisionniste...

Ceux qui comme moi se désole de la décomposition de cette upper-class qui perd peu à peu une partie de ses privilèges et de ses maisons ne peuvent qu'adorer ce roman.

La continuelle apparition ex abrupto de nouveaux personnages est l'habile moyen qu'a trouvé l'auteur pour relancer l'intérêt du lecteur. Quand ils surgissent, ils sont tous mis sur le même plan et traités de la même façon, si bien que l'on ne peut prévoir s'il s'agit d'un personnage qui aura une grande importance dans la suite de l'histoire ou si il n'en est qu'un comparse éphémère.

De même le parti pris de le laisser dans le flou sur l'époque à laquelle se déroule les évènements, pour les situer on doit se contenter d'indice disséminés comme la description d'une tenue féminine par exemple, oblige a une lecture très attentive.

Cette fréquente indétermination du temps, alors que la saga de la famille Sawle se déroule sur fond de faits historiques qui bouleversent grandement son Histoire n'est pas sans rappeler le traitement du fleuve-temps par Proust. S'il est question dans « La recherche » de l'affaire Dreyfus ou de la Grande Guerre... aucune date précise y apparaît. Le temps est au centre de « L'enfant de l'étranger » puisque le thème principal en est l'altération que fait subir le temps à la perception que l'on a du passé, y compris pour ceux qui l'ont vécu.

J'ai été surpris par le patronyme de Valance et encore plus par le prénom de Louisa (de même que Freda) qui sonnent bien peu anglais, surtout pour une famille présenté comme aristocratique mais l'on comprend au deuxième chapitre que ce doit être une aristocratie de fraiche date, puisque Corley le manoir de la famille a été construit que vers 1875...

Le principal talent d'Hollinghurst est son habileté à construire son roman, déjà remarquable dans « La piscine bibliothèque » (Christian Bourgois, 1991, plongée sans fard dans le monde gay londonien de la fin des années 1980 ) et « La ligne de beauté » (on peut aller voir le billet que j'ai consacré à ce dernier roman: La ligne de beauté d'Alan Hollinghurst (réédition actualisée)), (deux de ses romans sont encore inédit en français. Messieurs les éditeurs...) même s'il abuse du principe qui est de construire chacune des partie de son roman, autour d'une grande réunion et d'en faire le climax de celle-ci. C'était déjà peu ou prou ainsi que s'organisait « La ligne de beauté » mais d'une manière moins flagrante.

Le plaisir rare que l'on a à lire un roman d'Holighurst est peut être du au fait qu'il est à la fois un fresquiste. Il balaye un siècle de l'histoire de l'Angleterre et met en branle une foule de personnage et qu'en même temps il est un miniaturiste qui décrit au plus près aussi bien une passion amoureuse qu'un détail d'architecture.

En ce qui concerne l'écriture proprement dite, elle est fluide mais un peu plate. Hollinghurst ignore comparaisons et autres métaphores. L'ensemble est un récit écrit classiquement à la troisième personne dans lequel s'intercalent des dialogues en quantité raisonnable pour un roman anglo-saxon dans lequel souvent ils prennent presque tout l'espace. Les narrateurs changent à chaque partie et même dans la partie elle même. Par rapport à l'écriture de ses deux autres romans (je ne considère que ceux qui sont traduits en français) il semble qu'Hollinghurst a cherché à réfuter les critiques qui ont été le plus souvent faites à son œuvre : qu'il n'est pas très intéressé par les femmes ; qu'il y a trop de sexe ; que son écriture est trop luxuriante ; que ses personnages ne sont pas sympathiques. Je regrette en ce qui me concerne qu'il soit resté si chaste et qu'il est abandonné le coruscant de son écriture. D'autre part je jamais trouvé ses personnages antipathique et pourquoi faudrait-il que des personnages de roman soient sympathiques?

Outre l'habileté de sa construction une autre force du roman est que le vieillissement de ses personnages, dans la suite des parties, illustre bien cette réflexion de Simone de Beauvoir qui écrit que lorsqu'un homme meurt, meurt à la fois, un enfant, un adolescent, un adulte et un vieillard. Sous entendant que le défunt a été des personnes différentes au fil des ans. Ce qui est pour moi patent et que pourtant on retrouve rarement cela dans les romans où le vieillissement d'un personnage ressemble souvent à ce que l'on voit dans les films qui retracent la vie d'une célébrité sur des décennies, soit un mauvais maquillage. La croyance dans la permanence d'un même être dans un corps qui ne cesse de se transformer durant toute la vie est une des grandes illusions de l'homme; la mettre en question est un des tabous de notre société. Mais combien d'adultes reconnaitraient l'enfant qu'ils furent s'ils le croisaient dans une rue? Comment prévoir que Wilfrid le perspicace garçon de six ans dans la deuxième partie deviendrait quarante ans plus tard, dans la troisième, ce paumé le nez fiché dans les étoiles ou que Daphné la jeune fille romantique convoitant l'autographe d'un poète en devenir serait au crépuscule de sa vie cette vieille femme perdue dans une rue de Londres. Mieux que Proust dans son « Temps retrouvé » Hollighurst qui décrit admirablement les métamorphoses de l'homme, fait ressentir combien on peut devenir étranger à celui que l'on a été...

  

Wilfred Owen

 

Il serait absurde et réducteur de réduire « L'enfant de l'étranger » à un roman à clés d'autant que mes connaissances font que je ne serais pas à même d'ouvrir de nombreuses serrures même s'il en était ainsi. Néanmoins il est difficile de penser que le personnage de Cecil soit sorti entièrement de l'imagination de l'auteur sans que celle-ci soit solidement nourri de figures historiques. Hollinghurst lui même nous met sur la piste de plusieurs modèles possibles. Si comme je l'ai écrit plus haut c'est celui de Brooke qui s'impose le plus naturellement en raison de la similitude de son parcours avec celui de Cecil (page 570, Hollinghurst prête malicieusement à Evelyn Waugh cette remarque sur Cecil: << Un épigone moins névrosé et moins talentueux que Brooke.>>). En revanche pour le devenir de l'oeuvre du poète et l'attitude de sa famille envers son homosexualité c'est plus à Wilfred Owen que l'on pense. D'ailleurs le romancier a fait un clin d'oeil à son lecteur en donnant comme deuxième prénom au malheureux Hubert, homosexuel honteux (?), celui d'Owen! Dans la quatrième partie Paul Bryan rencontre à l'occasion d'un cocktail le professeur Stallworthy (qui est effectivement dans la réalité le biographe d'Owen) dont il est dit: << dont la biographie de Wilfred Owen s'arrêtait en deçà des sentiments qu'Owen portait aux hommes>>. Wilfred Owen (1893-1918) est lui aussi un jeune poète anglais tué à la guerre. Après sa mort sa famille chercha à dissimuler son homosexualité, et détruisit de nombreux documents, notamment la majeur partie de sa correspondance. Alors qu'il n'avait eu que quatre de ses poèmes publiés de son vivant, il fut célébré comme l'un des grands poète de guerre. Le compositeur anglais Benjamin Britten lui rendit hommage en 1961 dans son « war requiem ». Quand on arrive à la quatrième partie qui est ancrée dans la vie et les pratiques littéraires des années 70-80, on se souvient que le livre est dédié au poète Mick Imlah, époque durant laquelle Imlah était très actif sur la scène littéraire Londonienne. Il est alors difficile de ne pas tripoter son petit trousseau de clés... la dernière partie du roman a pour épigraphe « personne ne se souvient vous, du tout » du poème d'Imlah « In Memoriam Alfred Lord Tennyson ». C'est Tennyson que lisait Daphné allongé dans son hamac dans le jardin des « Deux arpents »...

Cette fois ce n'est pas dans l'Histoire qu'il faut chercher des similitudes avec le personnage de Paul mais dans le précédent roman d'Hollinghurst « La ligne de beauté » dont le héros, Nick Guest à la même candeur, le même respect un peu envieux et la même admiration que Paul Bryan, du moins au début du livre, pour l'aristocratie. Malheureusement Paul est plus timoré que Nick ce qui devrait agacer quelques lecteurs...

Comme vous avez pu le lire ci-dessus, « L'enfant de l'étranger » contient de nombreuses allusions et parentés avec plusieurs oeuvres de différents écrivains. Certains sont nommément cités comme Ian Fleming, Angus Wilson, la lecture de cet auteur par Paul Bryants confirme qu'il est pédéraste << Il avait emprunté à la bibliothèque le dernier Angus Wilson, qu'il lisait à sa manière, son oeil inquiet sautant vers les passages où apparaissait Marcus, le fils pédéraste...>>. Mais il faut préjuger de rien sur l'avenir de Paul à ce stade du récit, tant les pédérastes dans « L'enfant de l'étranger » ont une forte propension à ce marier. On trouve aussi Agatha Christie, d'une façon amusante dans la deuxième partie. Hollingursth à ce propos n'est pas loin de l'anachronisme mais en 1926, la reine du crime a déjà publiée quatre romans. La parution du premier, La Mystérieuse Affaire de Styles date de 1920. Les protagonistes de ce deuxième chapitre sont attentifs aux nouveautés littéraires... En revanche, il est douteux que la pédagogue Margaret Ingham (1910-1999) ait pu inspirer un poème d'amour à Cecil. Elle avait six ans lorsqu'il est mort. Mais est-ce bien un anachronisme puisque c'est le très vieux George perdant la mémoire qui confie ce détail à Paul et puis c'est peut être une autre Margaret Ingham... On pourrait parfois croire que ce roman a été écrit d'outre tombe par Evelyn Waugh que c'est une sorte de « revisitation » de Brideshead cela ne commence-t-il pas commeune inversion du thème du célèbre roman de Waugh? L'outsider, l'enfant de l'étranger, est un aristocrate, Cecil, reçu dans une maison bourgeoise « Les deux arpents », une agréable villa victorienne à Stanmore Hill, dans la banlieue de Londres et il séduit toute la famille qui y réside, les Sawles.

Toujours traquant les anachronismes, à propos de Madeleine, l'épouse de George, je suis surpris qu'en 1926, en Angleterre, il y ait des femmes universitaires. Conscient du machisme de ma remarque j'aimerais, là encore, avoir des informations sur la place des femmes dans l'université anglaise dans les années 20...

Une question hautement littéraire et philosophique me tarabuste après avoir refermé ce livre: les membres de la gentry anglaise ont-!ls autant l'habitude que dans cet ouvrage de s'interpeler quelque soit l'âge et le sexe par le terme de « vieille branche » (old sheap en V.O, expression que les lecteurs de Black et Mortimer connaissent bien) qui sonne à mes oreilles d'une façon assez ridicule, surtout après la cinquantième fois, ou est-ce un tic de langage de l'auteur ou de son traducteur, Bernard Turle. Je ne sais d'ailleurs pas l'origine de cette expression. Peut-être qu'un fin connaisseur de la civilisation anglaise moderne doublé d'un linguiste, de passage en ces lieux, pourra répondre à mes interrogations en la matière? La vieille branche disparaît quasiment après la deuxième partie, ce qui voudrait qu'elle n'a pas survécu au Blitz!

En refermant ce livre de plus de 700 pages on se dit qu'il est trop court et que l'on serait bien resté un peu plus avec quelques personnages comme Harris ou Peter par exemple, j'aurais mieux aimé connaître Jullian, même si en quelques mots, il parvient à donner chair à chacun de ses protagonistes, le sens de l'ellipse d'Hollinghurt invite son lecteur à compléter la biographie de ses personnages. Beaucoup d'écrivain ce serait contenté d'exploiter la première partie où enseulement une centaine pages Hollinghurst réussit à jeter les bases de ce qui pourrait potentiellement devenir un roman enthousiasment autour de tensions familiales et sexuelles dans l'Angleterre du début du XX ème siècle. Mais, au lieu de se contenter d' explorer ces thèmes, Hollinghurst projette son roman dans le temps à un rythme étourdissant. C'est un bel exemple d'ambition littéraire.

Dans le chapitre « Revel », George répond à Sebby Strokes qu'il est historien et non un critique littéraire sur quoi, le biographe lui répond: << Je ne suis pas certain qu'il existe entre les deux une distinction si nette.>>. Il est bien évident qu'en cette réplique Hollinghurst parle de lui-même. N'est-il pas un critique régulier au Times Literary Supplement( comme Paul Bryan!) et cela depuis 1982!On peut considérer que le romancier fait aussi oeuvre d'historien en ressuscitant un siècle de l'Histoire de l'Angleterre par le biais de cette interrogation sur les manipulations historiques et ses faux-semblant. Mais il en était déjà ainsi avec « La ligne de beauté » (pour lequel Hollinghurst a eu le Booker Prize2004) qui est un saisissant tableau des années Thatcher.

  

  

* sur Rupert Brooke on peut lire le texte de Christian Soleil à cette adresse: http://www.monpetitediteur.com/librairie/images/425d.pdf

 

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19 mars 2020

John Minton Painter and Model 1953

 

John Minton  Painter and Model  1953
19 mars 2020

Michael Huhn

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“By Michael Huhn.
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19 mars 2020

Troca, mai 1985

 

Troca, mai 1985
Troca, mai 1985
Troca, mai 1985
Troca, mai 1985
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Troca, mai 1985
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Troca, mai 1985
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Troca, mai 1985
Troca, mai 1985
Troca, mai 1985
Paris, mai 1985

Paris, mai 1985

19 mars 2020

Robin F. Williams

 

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19 mars 2020

Un si long orage, Les enfants trahis de Jean-Louis Foncine

    longorage

  

  

Avant que mes rares lecteurs lisent cette recension des souvenirs de Jean-Louis Foncine (1912-2005), il me semble utile de leur raconter quels ont été mes rapports avec le Signe de Piste, collection de romans pour la jeunesse qui est indissociable du nom de Foncine.

Contrairement à nombre d'entre-vous, je n'ai connu les gestes du « Pays perdu » et du « Prince Eric » que tardivement, mes vingt ans révolus, à un âge auquel on n'est plus censé lire ce type d'ouvrages (bien que cette histoire d'âge pour aborder tel ou tel livre me paraît une belle foutaise tant cela est, en définitive, peu dépendant de notre volonté mais doit beaucoup aux hasards, aux rencontres, aux opportunités, au parcours de chacun...). A la fin de l'enfance je ne lisais pas le « Bracelet vermeil » mais dévorais les aventures de Bob Morane. Il y avait pourtant un lien entre la collection Signe de Piste et les romans d'Henri Verne; ces ouvrages avait un illustrateur commun, Pierre Joubert. Mais à l'époque, où l'Ombre jaune me terrifiait, j'ignorais jusqu'au nom de l'artiste. Je prêtais d'ailleurs peu d'attention à ces pourtant belles couvertures.

  

  

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C'est curieusement Maurice Bardèche, alors que j'oeuvrais sporadiquement pour la revue « Défense de l'occident », dont Bardèche était le directeur, qui me fit connaître le Signe de Piste. Un jour, il me proposa d'écrire un article sur cette collection, comme quoi il était fin psychologue. Il fut très surpris quand je lui répondis que je n'en avais jamais entendu parler. Ce qui ne le rebuta pas. Il pris son téléphone et m'organisa un rendez vous avec un responsable de la collection: Jean-Louis Foncine. C'est ainsi que je rencontrais ce personnage. Auparavant comme un bon petit soldat, pour préparer la rencontre, j'avais en quelques jours lu plusieurs romans de la collection et en particulier deux de Jean-Louis Foncine. Me voici donc par un matin d'été au siège des éditions Alsatia, rue de Fleurus. Le décor était cosi avec des bibliothèques vitrées le long des murs de la grande pièce dans laquelle j'avais débouché. A son centre une grande table sur laquelle en piles étaient disposés des romans de la série Signe de Piste. Une femme, très dame patronnesse du VII ème arrondissement, les rangeait. Elle m'indiqua un bureau au fond de la pièce où Jean-Louis Foncine m'attendait en me voyant arriver il se leva de derrière un bureau fort encombré. Je me souviens très bien de ma première impression. Je fus stupéfait par son physique, sans doute d'une manière assez imbécile je m'attendais à voir, certes peu vieilli, un physique à la Joubert et j'avais devant moi une sorte de caricature de paysan matois au visage mangé par un grand nez que valorisaient des oreilles décollée. L'oeil était pétillant de malice, le dos un peu vouté. Je le trouvais très laid. Il se précipita pour me serrer chaleureusement et vigoureusement la main. Puis sans guère de préambule il me débita avec beaucoup d'allant toute l'Histoire du signe de piste. Il m'avait préparé un grand sac qui contenait beaucoup de romans de la collection. En partant, sans oublier d'une manière aussi inattendue qu'incongrue de me préciser qu'il portait à son âge toujours des jeans de taille 14 ans, ce qui me laissa coi, il m'invita chez lui pour un diner pique nique où dit-il, il me présenterai un jeune auteur très prometteur de la collection. C'est ainsi que je connu Dominique Mauries qui me fit ensuite connaitre Michel Gourlier, mais ceci est une autre histoire... qui fut riche de conséquences...

  

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Quelques uns de mes Signe de piste, je précise qu'ils sont sur deux couches et qu'il y en a plein derrière!

 

Jean-Louis Foncine a sous-titré « Un si long orage », Chronique d'une jeunesse. Il y a ramassé ses souvenirs en deux tomes. Dans le premier, « Les enfants trahis » Il va de sa naissance au funeste jour de 1940 où il est fait prisonnier par l'armée allemande. Il commence par y narrer son enfance: Il est le fils unique d'un ingénieur sidérurgiste et d'une mère lorraine, il est né à Homécourt, en Lorraine à quelques kilomètre de la frontière, d'ou son tropisme allemand, avant la Grande guerre. Vient ensuite sa première adolescence, son existence d'étudiant et son entrée dans l'âge adulte. Tout ceci est écrit avec beaucoup de verve et de vivacité, dans une langue extrêmement fluide et agréable à lire. Cette alacrité du style vient probablement qu'il a été toute sa vie à l'école de la littérature pour la jeunesse dans laquelle il faut immédiatement conquérir l'attention du lecteur. Cette contrainte, chez Foncine ne lui fait pas exclure l'emploi de l'imparfait du subjonctif et un vocabulaire choisi, ainsi que des expressions imagées, savoureuses mais qui parfois avouent un millésime près de la date de prescription. « Un si long orage » est écrit à la première personne comme le veut le genre des souvenirs. Cette écriture sans aucun gras nous prive cependant de ces belles échappées romantiques que l'on trouve dans ses autres ouvrages quand il décrit par exemple la forêt ce fait entendre alors une langue semblable à celle d'un Genevoix ou d'un Louis Pergaud.

  

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Pour le lecteur qui n'est pas confit en vénération pour la personne de Jean-Louis Foncine (pour une petite cohorte de laudateurs fanatiques, la mémoire de Foncine, comme celle de Dalens et de Joubert sont intouchables) l'intérêt pour toutes les petites aventures du jeune Pierre, appelons le ainsi (le véritable nom de Jean-Louis Foncine est Pierre Lamoureux, on apprend dans « Les enfants trahis » d'où vient son pseudonyme.), achoppe sur le contentement de soi manifeste de l'auteur; ce qui devient assez vite horripilant. Ce bonheur a être ce qu'il est et la propension à se donner le beau rôle sont aggravés par le fait que l'entourage humain du garçon dans le livre, n'est jamais plus qu'un décor, semble-t-il campé que pour le mettre en valeur. Mais le malheureux auteur est bientôt pris en flagrant délit de vantardise. En voici un exemple parmi bien d'autres. Dans le passage qui suit,  il raconte qu'il est victime des assiduités suspectes d'un de ses camarades: << Ce Robinard, sans doute alléché par mes cheveux blonds, mes longues jambes nues – j'ai porté des culottes courtes jusqu'à ma rhétorique – me poursuivait et me coinçait dans l'angle de la cour le plus éloigné possible de l'oeil du surveillant. Il était terriblement musclé. Quand il m'avait fixé, plié en deux sous son coude droit, il se livrait alors, de la main gauche, à des explorations dont je comprenais mal le but mais qui m'étaient parfaitement odieuses. Son visage alors s'empourprait et il se mettait à saliver comme un goret. Je me tirais finalement de ses prises en m'agitant comme une anguille, couvert de griffures et de bave. Je n'avais pourtant jamais osé engager un combat brutal. >>. Vous m'objecterez avec raison que dans ce texte le narrateur ne fanfaronne pas, et qu'en outre, s'y déploie son talent pour décrire une action que l'on visualise immédiatement dans ses moindres détails. Un dessin de Joubert nous apparaît (j'y reviendrais) et même un de Gourlier, ce dernier étant plus à même d'illustrer ce genre de sensualité trouble. Mais contrairement à ce que le texte suggère, comme je l'ai écrit en préambule Jean-Louis Foncine était fort laid; mais me direz vous, il était peut être mignon vers sa douzième année? Il ne manque pas de jolis agneaux qui se transforment en vilains boucs. Malheureusement pour notre auteur il est démasqué par le cahier de photos que l'éditeur a eu la judicieuse idée de glisser au centre du volume (ce que devrait faire tous les auteurs et éditeurs de journaux intimes, de souvenirs ou de correspondance par exemple un cahier de photo serait le bien venu dans les journaux de Cluny et de Renaud Camus, en outre ce dernier est un excellent photographe. N'oublions pas l'auto-fiction, la collection Quarto des éditions Gallimard a eu la bonne idée d'en mettre un dans les volumme consacrés à Annie Ernaux et Patrick Modiano) . Or donc, on découvre dans ces images, un jeune Foncine un peu rondouillard de visage, tout en nez et en oreilles (déjà!), bien vilain. Le dénommé Robinard avait vraiment des goûts pervers... Ce qui est assez rigolo c'est que le talentueux Joubert a représenté certaines scènes du récit, dont une qui suit immédiatement l'extrait que j'ai cité plus en avant. Ce dessin est particulièrement cruel pour l'auteur lorsqu'on le compare aux photos. Joubert a fait de notre vilain petit galapiat, un Joubert Type: un sémillant blondinet au petit nez retroussé. A propos ces dessins mettent aussi en évidence l'incapacité que Joubert avait graphiquement à sortir de son archétype d'adolescent.

 

  

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On en arrive à la puberté de notre petit fier à bras et là il faut rendre hommage aussi bien au talent de plume qu'a la franchise de Foncine (franchise qui ailleurs ne me paraît pas être toujours le point fort du récit) dans la séquence particulièrement brillante dans laquelle il décrit sa première éjaculation. Dans lequel il s'imagine en prisonnier entravé et c'est justement le fait d'être attaché qui le fait jouir. On comprend avec ce passage les scènes récurrentes de garçons attaché dans l'oeuvre de Foncine dans laquelle le sado-masochisme n'est pas absent (cela est valable pour presque tous les romans du Signe de piste). Le premier sperme est un épisode que chaque jeune mâle a connu et qui pourtant est bien mal documenté par la littérature (Si des lecteurs sur cet épisode peuvent me communiquer les titres d'oeuvres dans lesquels on le retrouve, ils en sont remercier d'avance.).

 

  

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L'âge du héros avançant, bientôt la politique pointe son nez et ces souvenirs sont éminemment politiques. Ils sont dans l'esprit de ceux de Robert Brasillach dans « Notre avant guerre ». Ils décrives la jeunesse d'un fascisme français... si celui-ci avait existé. Une remarque donne une piste pour comprendre pourquoi cet avènement n'a pas vraiment eu lieu: << En ce temps-là l'avantage était à la réaction, dans le monde étudiant. Dans les quartiers populaires et banlieues, il en allait différemment. Cette tactique du « chacun pour soi » permit jusqu'en 1939 à la France du Front populaire de coïncider avec une France patriotarde d'égale importance.>>.

  

  

On peut considérer que l'échec d'un fascisme français dans les années 30, est du à son incapacité à se diffuser dans les couches populaires contrairement à ce qui s'est passé en Italie (lire à ce sujet « Ils y ont cru » de Christopher Duggan). Cette imperméabilité a deux raisons principales d'une part du fait essentiellement de la forte implantation du Parti Communiste dans la classe ouvrière, implantation facilitée par l'encadrement financier et intellectuel de Moscou et d'autre part que la force la mieux organisée de « la réaction » était l'Action Française dont le chef, Charles Maurras n'était en rien un homme d'action. Ces deux réalités ont été grosses de conséquences. On a un équilibre des forces politiques vives. Jamais peut être autant qu'à cette époque on peut constater le divorce entre le pays réel et le pays légal. Cette partition de la France en deux, avec chacun son territoire social est ce que Jean Louis Foncine constate avec pertinence. Ce partage est certes un facteur de relative paix civile du par un processus d'équilibre des forces mais il débouche aussi sur un immobilisme. D'où la conclusion assez décoiffante qu'en tire Foncine: << L'abandon du soutien à l'Espagne républicaine fut le fruit de ce compromis. Mais la débandade de 1940 fut le produit des lâchetés accumulées par les deux tendances.>>.

Je crois qu'il n'est pas abusif de qualifier le jean-Louis Foncine, au moins aux alentours de sa vingtième année, de fasciste (ce n'était pas alors une injure. C'était un espoir pour une phalange très minoritaire de la jeunesse française, comme l'était le communisme pour une partie beaucoup plus importante et le trotskisme pour quelques uns). On retrouve chez Foncine le culte de la jeunesse typiquement fasciste (qui s'est transformé aujourd'hui en occident en un jeunisme mercantiliste pas plus réjouissant), un culte du chef, une constante référence à l'Histoire et à ses mythes et un souci social, autant de composantes du fascisme. Dans cet entracte de l'entre deux guerres, comme le nomme l'auteur, le bolchévisme n'était pas non plus indemne de cette fascination pour les jeunes, curieusement le régime deviendra celui des barbons... Autre caractéristique du fascisme, l'antiparlementarisme que partage largement Foncine, en témoigne cette diatribe contre la troisième république: << Le vieux radicalisme, aidé par une franc-maçonnerie sectaire et rétrograde, tenait le haut du pavée (…) On se gargarisait d'un pacifisme bêlant. On traitait le drapeau, à peine sec du sang des morts, de torche cul. Les professionnels de la politique les plus éteints, et parfois les plus tarés, étaient ceux qui avaient le plus de chance d'accéder à un pouvoir qui n'avait de réel que le nom (…)Jamais régime ne fut plus séparé de sa jeunesse que celui-là.>>.

En lisant ces phrases on ne s'étonnera pas que notre auteur ait adhéré au Mouvement social révolutionnaire parti fondé par Eugène Deloncle, ancien chef de La Cagoule (sur la cagoule je ne saurait trop conseiller de voir le film de Bluwal auquel j'ai consacré un billet:  A propos d'A droite toute de Marcel Bluwal), et Eugène Schueller, propriétaire du groupe L'Oréal, le mouvement regroupait nombre d'anciens cagoulards (Jean FilliolJacques Corrèze, etc.), mais aussi de personnalités venues d'autres horizons, commeJean Fontenoy. Son orientation était d'inspiration fasciste et plutôt collaborationniste que purement vichyste. Bien des années après Foncine restait fidèle à ses idées de jeunesse comme le rapporte Gabriel Matzneff: << Je fais la connaissance de Jean-Louis Foncine, à qui je dis d’emblée mon admiration pour le relais de la Chance au Roy. Nous parlons de cette nostalgie d’une chevalerie adolescente qui joue un si grand rôle dans ses livres. - Je lutte de toutes mes forces contre la termitière, me dit-il, et comme je crois qu’un groupe peut lui résister plus efficacement qu’un homme seul, je cherche à former des groupes, à faire naître des rêves dans l’âme des garçons. C’est pourquoi j’emploie souvent un langage fasciste. Le malheur du fascisme est d’avoir été dans les mains de primaires et de fous qui l’ont discrédité. ».

Dans ces années 30 je trouve qu'il est intéressant de comparer l'itinéraire de Foncine avec celui de Brasillach. Ils sont semblables par leur refus de la III ème république qu'ils honnissent, mais Brasillach est politiquement plus structuré et se tourne en ces années vers le fascisme abandonnant petit à petit l'Action Française, puis vers le nazisme, fasciné qu'il sera par les rites nazis, alors que Foncine entonne un discours populiste qui ferait encore flores aujourd'hui. On songe, en faisant le parallèle avec Brasillach, je le rappelle fusillé en 1945, que peut être ce qui a paradoxalement sauvé Foncine est son attirance pour les « lolitos » (véritable cadavre dans le placard de ces mémoires) alors que Brasillach admirait la classe d'âge supérieure... A ce propos il est bon de se souvenir de ce que Jean-Louis Foncine confiait à Gabriel Matzneff en 1959 et que ce dernier rapporte dans le premier tome de son journal, « Cette camisole de flammes »: << Evidemment, les dessins de Joubert ont un coté sensuel, mais c'est la vie qui est sensuelle. D'un beau gosse de douze-treize ans qui se promène dans la rue, on peut aussi bien dire qu'il est un péché ambulant.>>.

Ce qui est étonnant dans ces mémoires d'un écrivain c'est l'absence de références littéraires (grande différence à ce propos avec Notre avant guerre de Brasillach avec lequel Foncine partage néanmoins l'amour du théâtre) tout du moins avant la page 204. On apprend alors que, sans surprise, l'auteur favori de Jean-Louis Foncine est Alexandre Dumas. Plus inattendu est sa prédilection pour Jean de La Hire qu'il rencontre. Foncine nous met l'eau à la bouche en évoquant cet auteur jadis populaire qui semblait assez extravagant, mais malheureusement encore une fois, il nous laisse sur notre faim. L'auteur nous fait peu entrer dans son atelier littéraire. Seul est évoqué en quelques pages émouvantes les conditions de l'écriture de « La bande des Ayacks ». S'apercevant que la littérature avait bien peu de place dans ses souvenirs, Jean-Louis Foncine a cru bon de rajouter à la fin du livre, en appendice cinq pages sous le pompeux titre « Mes enfances littéraires » qui ne nous en apprennent pas beaucoup plus sinon qu'un de ses auteurs préférés était Drieu La Rochelle. On trouve en effet dans les pages politique de l'ouvrage l'influence de l'auteur de « Gilles ». Mais tout cela est bien pauvre et attendu si on le compare au même exercice auquel s'est livré un autre écrivain, François Rivière qui parle avec un enthousiasme communicatif pour ses lectures d'enfance dans « Un personnage de romans » (Pierre Horay éditeur, 1987). Rivière s'étant arrêté à sa douzième année, cela fait plus de vingt cinq ans que j'attend la suite...

  

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C'est sans doute aussi son intérêt pour les jeunes personnes qui lui ont évité les dérives d'un autre brillant journaliste, Fontenoy, ce presque Tintin... (On peut lire sur Fontenoy  le livre que Guégan lui a consacré)

De même qu'il était intéressant de lire dans la correspondance Morand-Chardonne le point de vue d'un vaincu, il en va de même ici (pas toujours car lors du déclenchement de la guerre d'Espagne Foncine se réjouit que les révolutions ne fussent point l'apanage des partis populaires). on peut dire que Foncine, lui a été en quelque sorte doublement vaincu, politiquement et militairement. C'est ce qu'il ne faut pas oublier lorsqu'on lit les chapitre sur février 34 et la Cagoule. Mais encore une fois on a un témoignage extrêmement superficiel sur ces deux épisodes majeurs de l'avant guerre, si superficiel qu'il en devient suspect. C'est Bibi Fricotin chez les cagoulards! Car le non dit de l'auteur sur ces évènements est patent. Il tient certes à sa légèreté naturelle mais aussi parce que Foncine à postériori, est gêné par ce qu'il pensait alors, par exemple sur le 6 février 34 qui n'était pas différent à ce qu'écrivait Lucien Rebatet quelques années plus tard dans « Je suis partout »: << Au moment de l’action, la foule réapprit les gestes du combat et de la barricade, avec des morceaux de plâtre, des poignées de gravier et quelques lames Gillette fichées au bout d’un bâton. Les chefs, qui les avaient jetés poings nus contre les armes automatiques, s’étaient volatilisés, les uns sans doute par calcul (je pense à l’abject La Rocque), les autres, saisis peut-être de vagues et tardifs remords, n’ayant plus guère qu’un souci : nier la gravité de l’événement qu’ils avaient criminellement engendré. Cette nuit là, j’entendis Maurras dans son auto, parmi les rues désertes, déclarer avec une expression de soulagement : « En somme, Paris est très calme ! » Oui, mais c’était le calme d’une chambre mortuaire. La suite de l’histoire ne faut pas moins déshonorante. Les « chefs » de la droite firent un concert de clameurs. Certes, les « fusilleurs » étaient ignobles. Mais que leur reprochaient les « chefs » des ligues ? Ils leur reprochaient d’avoir triché en faisant tirer. ». Le poulet de Rebatet amène une précision: Rebatet comme Foncine et plus tard la plupart des historiens font une erreur en pensant que de La Rocque ait été fasciste. Son modèle n'était en rien Mussolini mais Salazar faire l'amalgame entre ces deux régime est une grave erreur historique qui fausse bien des jugements (sur de La Rocque il faut lire la somme quasi définitive que lui a consacré Jacques Nobécourt, Le colonel de La Rocque, 1885-1946 ou les pièges du nationalisme chrétien parue aux éditions Fayard).

Contrairement à Brasillach ou à Simone de Beauvoir ou encore à Michel de Saint-Pierre dans « Ce monde ancien! », Jean-Louis Foncine échoue à nous restituer la chair de cette avant-guerre.

S'il est beaucoup question de politique dans ces souvenirs l'autre grand sujet est l'amitié. Mais c'est un grand sujet comme en creux, autour duquel l'auteur tourne pour en définitive mieux l'esquiver. Il s'agit dans ce premier tome plutôt plus des amitiés dans un groupe que des relations entre deux garçons; l'amitié n'est considérée chez Foncine, grand pourfendeur de la mixité, qu'entre garçons. C'est à vrai dire plus la camaraderie qu'il met en scène dans ses livres que des relations personnelles. Celles-ci sont parfois reléguées en note de bas de page, comme la très intrigante de la page 118 où un Louis apparaît brusquement pour mieux disparaître définitivement ensuite: << La correspondance « démentielle » échangée avec Louis, de notre seizième à notre vingt deuxième année a, m'est resté très chère. Une grande amitié dans l'adolescence est un bienfait des dieux.>>. Dans d'autres passage 'est comme subrepticement comme l'évocation de ses occupations estivales: << Au pays perdus m'attendait maintenant chaque été un petit groupe de garçons auquel je consacrais tout le temps dérobé à la littérature, trois jeunes cousins qui venaient de grandir à la bonne taille pour former une patrouille de vacances...>>.

  

  

 

Toutefois ces « relations personnelles » me semble être l'encombrant cadavre dans le placard qui empêche Jean-Louis Foncine de s'étendre plus complètement sur certains épisodes de sa vie qu'il mentionne comme par inadvertance. J'insiste sur le fait qu'il me paraît impossible de dissocier ces deux tomes de mémoires de la collection Signe de Piste, fondée en 1937, dans laquelle La Bande des Ayacks de Jean-Louis Foncine est publié en 1938. Pour information la vente de ce titre du jour de sa parution à aujourd'hui est estimée à 1 000 000 d'exemplaires.Il me parait utile de rappelé au sujet de la collection Signe de Piste la fine analyse que faisait Bertrand Poirot-Delpech le 6 avril 1978 lors du « Magazine » de Pierre Bouteiller, sur France Inter au sujet des racine littéraires de Tony Duvert: << Avez-vous été scout, Pierre ? Alors, en tout cas vous avez sûrement lu les romans de la collection “Signes de piste” […]. Cela fait quarante ans que garçons et filles au bord de la puberté rêvent de ces ancêtres du “Club des cinq“ que sont le Bracelet de vermeil et Prince Éric. Rêve innocent ? Cela est moins sûr. Il y a quelques années, la revue [Recherches] a démontré très finement que les amitiés transies du bel Éric n’étaient qu’un tissu et une mine de fantasmes homosexuels […]. Moi qui ai un peu connu ces gens […] je peux vous dire qu’en effet, le scoutisme mielleux dont sont sorties ces images étaient à l’homosexualité ce que furent à Vichy ses écoles de cadres… Si on en doutait, un auteur de cette tendance mais affiché, lui, le prouve avec fracas depuis quelques livres. Il s’agit de Tony Duvert aux Éditions de Minuit. Profondément, Duvert est un pur produit de “Signes de piste“. Il en a l’innocence perverse, mais non l’hypocrisie. Cela donne la littérature la plus sauvagement érotique qu’on puisse lire depuis longtemps. ». Patrick Buisson écrit dans 1940-1945 Années érotiques (Albin Michel) que la collection “Signes de piste”,offrit non seulement l’esthétique, mais l’éthique de toute une génération embrigadée dans un scoutisme. Où comment l'érotisme s'invitait en contrebande dans le métapolitique...

La faiblesse et la force à la fois d' « Un si long orage » est que l'on a parfois l'impression qu'il n'a pas été écrit dans les années 90 comme le stipule le copyright mais que c'est une retranscription un peu arrangée d'un journal qui aurait été écrit à chaud, au plus près des péripéties qu'il raconte.

Ce sentiment corrobore ce que l'on ressent aujourd'hui à lire la quasi totalité des romans de la collection Signe de Piste: Un refus de voir l'évolution de la société autrement qu'en termes de désordre (la prégnance du modèle fasciste). La série au début des années 60 s'est trouvée confrontée aux prémisses des modifications sociales et culturelles qui conduiront aux bouleversements d'après 1968. On voit bien dans beaucoup des romans parus à l'époque une crispation face aux changements qui se produisent: Emancipation des jeunes, ouverture aux "nouvelles idées", développement de la consommation, relations facilitées entre garçons et filles... Autant de changements et d'attitudes systématiquement condamnés par les ouvrages et reformulés dans une perspective tératologique et bigote: un garçon émancipé devient un jeune livré à lui-même (drogué, voyou, blouson noir); un jeune qui consomme est un poseur, un snob, un idiot; une fille qui fréquente les garçons est une "fille fardée", superficielle, narcissique et, si elle ne rentre pas dans le droit chemin, une fille qui risque d'être perdue (même si cela n'arrive pas dans ces récits, étant donné leur public, le risque est sous-entendu ou métaphorisé). Souvent, la structure même des récits impose de telles idées, sans qu'elles aient à être même explicitement formulées dans le discours (mais elles sont par ailleurs formulées...). Lorsque les Signe de Pistes abordent la société, c'est généralement en opposant des jeunes "livrés à eux-mêmes" (lire: "indifférents aux valeurs chrétiennes") à de vrais scouts (lire: "enracinés dans une lecture morale du monde fondée sur les valeurs christianisme"). Cette incapacité à intégrer les nouvelles idées (en fait à voir les changements qui se produisent après la guerre autrement qu'en termes de désordre) explique l'effondrement des Signe de piste après les années 1970, puisque leur monde était devenu très minoritaire. On peut aussi qualifier les romans du Signe de Piste comme romantiste ou/et vitaliste. Comme Foncine, Larigaudie, Ferney, Leprince peuvent être rangés dans les vitalistes. D’autres sont en revanche totalement romantiques, tel Paul Henrys qui est emblématique de cette tendance et Dalens lui-même la frôle à plusieurs reprises. La plupart mélangent les deux. Mais dans cette production, celle de Foncine faisait entendre une voix autre. Il est évident que l'homme a toujours été en délicatesse avec l'éthique chrétienne et ses valeurs. Sous parfois un vernis catholique, toute l'oeuvre de Foncine fait entendre un chant païen. Ce qui explique que si aux alentours de 1990, son compère Serge Dalens (1910-1998) rejoint le Front National, Jean-Louis Foncine est proche du G.R.E.C.E, qui sous l'égide d'Alain de Benoist sera l'inventeur de la Nouvelle Droite une nébuleuse fortement irriguée par le paganisme. A ceux qui me reprocherait de chercher une couleur politique dans les romans de la collection je leur rétorquerais n'est pas absurde dans la mesure où ces romans se sont explicitement proposés d'offrir un modèle de lecture du monde, et se sont donnés comme un guide pour les lecteurs.

  

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La sociologie ne passe pas pour être une pratique de droite, pourtant Jean-Louis Foncine avec la "Bande des ayacks" puis avec "Le foulard de sang" a probablement été l'un des premiers écrivains à se pencher sur le phénomène des bandes caractéristique de l'adolescence. Mais il est rare encore aujourd'hui de lire un roman ou un récit qui montre le groupe de l'intérieur sans une parole ou un regard d'adulte. Comme le remarque justement Alain Jamot, l'auteur des textes du tome 1 des dessins de Joubert, la culture germanique de Foncine ne fut sans doute pas étrangère à cet intérêt pour les bandes et son idée de créer une chevalerie secète, car l'Allemagne qui est la terre d'élection des sociétés secrètes, regorge de récit et de pratiques dans la jeunesse comme les sociétés d'étudiants avec leurs fameux duels... 

  

 

On se doute qu'avec son parcours chaotique, Jean-Louis Foncine a du rencontrer bien des gens intéressants mais tout occupé de sa personne, il n'en parle guère.

A la fin du livre, l'auteur se fait lyrique lorsqu'il évoque les années à la sortie du service militaire qu'il semble vouer presque exclusivement au scoutisme en compagnonnage avec Pierre Joubert. Mais il faut attendre les deux derniers chapitres pour entrer dans la grande littérature avec l'évocation poignante d'un de ses jeunes protégés massacré par les allemands dans un maquis. Ce tombeau littéraire s'ouvre par ce terrible cri sorti du coeur: << Ils l'ont tué>>. Puis sa narration pleine de vie... et de mort sur sa campagne de France. On quitte le narrateur, prisonnier des allemands en route vers Bastogne... Dans ces deux morceaux de bravoure Foncine montre tout le talent qui était tapi en lui, trop souvent dans ces souvenir, escamoté par une narration certes brillante et fluide mais en pilotage automatique d'un homme qui pour la énième fois récite les hauts faits de sa légende.

J'en arrive à un chapitre qui bien évidemment a retenu mon attention, la pratique de la photographie par Jean-Louis Foncine sur laquelle j'aimerais en savoir et surtout en voir plus. Voilà comment il décrit sa pratique photographique: << A l'époque, je taquinais la photographie comme je taquinais les muses, avec le même éclectisme. Tel Nadar je travaillais avec une énorme chambre à soufflets (…) La mise au point sur verre dépoli pouvait être opérée à la perfection. L'appareil donnait directement sur plaque de verre 18x24 des clichés presque parfaits (…) j'installais mon matériel dans une petite clairière où le jeu des ombres et des lumières me plaisait (…) Vite un pagne de verdure ou de frange de fauteuils, des arcs, des flèches, des sagaies... Et c'était la Malaisie! Aucun instantané mais des poses savamment étudiées pour donner l'illusion de la vie. >> (bien sûr si un lecteur a une photo signée Foncine Lors du diner que j'ai évoqué au début de ce billet, Jean-Louis Foncine m'avait montré quelques une des photos qu'il avait prises jadis, mais à l'époque j'étais peu photographe moi-même et je ne connaissais ni Egermeier, ni Robert Manson, ni Simonet, ni Jos Le Doaré, ni Jacques Simonot et pas plus Dachs (je cherche bien sûr des images de tous ces gens là pour le blog), je n'ai pas donc gouter ces trésors comme ils le méritaient. Néanmoins une image s'est gravée dans ma mémoire, celle d'un jeune garçon, presque nu grimé en peau rouge et attaché à un poteau de torture...

  

Jean-Louis Foncine a été l'instigateur d'un ordre secret celui du foulard de sangun ordre de chevalerie adolescente. On retrouve dans un autre roman du Signe de piste de Pierre Labat, "Le manteau blanc", une société secrète semblable. L'ordre du foulard de sang est l’un des derniers flamboiments du mythe de la chevalerie à la scoute. Je crois que rien résume mieux le crédo de Jean-Louis Foncine que la phrase de Jean-René Huguenin: « pour un homme, aucun acte n’était plus important que la fondation d’un Ordre secret d’adolescents.».

  

Nota:

Ce premier tome des souvenir de Jean-Louis Foncine est paru une première fois sous le titre "Entracte, chronique d'une jeunesse 1918-1940 en 1981 aux éditions épi dans la collection "Ruban noir". Le texte en est assez peu différent de celui paru quatorze ans plus tard qui est le sujet de ce billet. Cependant les dernières lignes de la première édition sont différentes de celles de la seconde. Les voici: << Je crois l'avoir assez fait comprendre: l'humanité, dans son ensemble, n'est susceptible d'aucune amélioration. Elle ne retient rien, n'apprend rien. De nouveaux tyrans sont déjà là qui, s'ils ne sont plus allemands, sont aussi impitoyables, aussi déterminés, aussi inhumains que ceux de 1940. S'il le faut, ils ravageront la boule terrestre pour le triomphe de leurs idéologies. N'en doutez pas! Cette histoire, je ne l'écrirai pas. Des enfants l'écrivent déjà tous les jours, non avec de l'encre, mais avec leur sang! Mais sur leur tombe, comme sur la tombe de Manolo, comme sur la tombe de Furet, fleuriront peut-être des pervenches et des bleuets. Et d'autres enfants - un peu plus tard ou beaucoup plus tard- ayant oublié qu'il s'agit d'un cimetière, joueront aux gendarmes et aux voleurs, riront à perdre haleine, se pourchasseront sur un fragment de planète tout neuf. Le soir, ils se dresseront sur un rocher élevé, face au soleil couchant, tels des dieux invincibles et immortels!>>.

  

  

couvertures  

 

19 mars 2020

Gustave Roud

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 

 

 

 

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Chambre du poète Gustave Roud  dans sa maison de Carrouge Haut-Jorat, canton de Vaud, photographie de Mme Jacqueline Voillat. 2010

 

19 mars 2020

John Brigg Potter

 

 

John Brigg Potter
19 mars 2020

Light from a Window (studio nude) par Ron Griswold

 

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Capture d’écran 2022-02-10 à 13

19 mars 2020

Cowboys & angels un film de David Gleeson

Cowboys &amp; angels un film de David Gleeson

  

 

 

Fiche technique :

 
Avec Michael Legge, Allen Leech, Amy Shiels, David Murray et Frank Kelly. 

 

Réalisation : David Gleeson. Scénario : David Gleeson. Image : Volker Tittel. Montage : Andrew Bird. Décors : Jim Furlong. Costumes : Grania Preston. Musique : Stephen McKeon.

 
Irlande, 2002, Durée : 89 mn. Disponible en VO et VOST.

 

 

Résumé :

 
Shane (Michael Legge), 20 ans, trop sage, cherche un appartement au centre de Limerick, Irlande, pour sortir des jupons de sa mère et ne plus arriver en retard à son travail. Il ne se doute pas que d’accepter de cohabiter avec Vincent (Allen Leech), un gay extraverti, va radicalement changer sa vie. Shane, hétéro, timide et passionné de dessin, travaille dans la fonction publique pour vivre. Il va se trouver confronter à un nouvel environnement détonnant. Vincent, son nouveau colocataire, veut à tout prix le faire sortir de sa carapace, le décoincer. Et puis il y a Keith (David Murray), le voisin dealer qui s'attache étrangement au jeune homme qu’il rencontre lorsque Shane découvre accidentellement sa cache où il entrepose la drogue qu’il vend. Keith recrute habilement le naïf Shane pour récupérer de l’héroïne à Dublin. Shane se laisse entraîner dans toute une série de problèmes, mais Vince est toujours là pour lui donner un coup de main et le sortir des difficultés…


 

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L’avis de critique

 
Une comédie romantique gay qui se déroule à Limerik, Irlande, où je ne soupçonnais pas qu’il y eût une vie gay, ni une école de mode. Voilà un long métrage qui, au moins, vous l’apprendra et vous fera sortir des clichés habituels sur l’Irlande. Cela fait plaisir, un cinéaste d’une telle fraîcheur qui filme avec élégance cette histoire tellement simple et claire (mais pas si rose que cela) que l’on pourrait aimer quelle soit la notre, de ce garçon qui sort des jupes de sa mère et qui se « dessale » au contact de ses voisins... Mais comme dans toute vie ordinaire, dans celle de Shane il se passe plein de choses extraordinaires, certaines pas jolies, qu’il voudrait oublier et d’autres formidables, qu’il espère que ceux qu’il aime n’oublieront pas. Il n’est pas difficile de s’identifier à Shane ; on tremblera pour lui tout le long du film, tellement il est attendrissant.
 

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Ils sont vraiment mimi ces deux colocataires, peut-être un tout petit peu trop caricaturaux, mais des caricatures comme cela nous en connaissons tous, mais malheureusement en moins mignons... Ce n’est pas un film pour les malins et les cyniques, mais il y a peut-être un peu trop de malins. C’est une histoire pour ceux qui croient encore en l’Homme, que la vie n’est pas écrite, qu’il faut un peu de chance, pas mal d’opiniâtreté et beaucoup de générosité, et que peut-être alors… les rêves peuvent devenir réalité…
 

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Le film sonne toujours juste. Les scènes entre les deux garçons sont remarquablement justes et souvent émouvantes, elles sentent le vécu. En écrivant ce mot « vécu », je pense que c’est ce qui manque à bon nombre de jeunes cinéastes-scénaristes de nos contrées qui se veulent cinéastes qui tournent avant d’avoir eu une quelconque expérience de la vie.Cowboys and Angels est le premier long métrage, largement autobiographique de David Gleeson, âgé d’une quarantaine d’années. « J’ai basé l’histoire sur mon expérience personnelle et le personnage principal travaille dans le département où moi aussi je travaille. Il partage l’appartement avec un jeune étudiant d’Art comme je l’ai fait. »
Il a été difficile à monter. Il a fallu dix ans à Gleeson pour réaliser son rêve, d’autant qu’il souhaitait que le film soit tourné entièrement à Limerick, ce qui n’avait jamais été fait. Grâce entre autre à une coproduction allemande qui a vu l’universalisme de cette histoire, pourtant fortement ancrée en Irlande, le cinéaste a eu les moyens de sa modeste ambition. Il a soigné sa réalisation, la dotant d’une charte esthétique forte et précise : « Les couleurs de Cowboys & Angels sont le bleu acier des clubs branchés, le noir velouté des nuits obscures et le rouge écarlate d’un premier baiser. La lumière, les décors et les costumes sont le reflet de cet univers à la séduction venimeuse. Un monde où les personnages essaient de s’infiltrer et d’exister sans perdre leur intégrité. »

 

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C’est au cinéma de Mike Leight que ce film fait penser : même fluidité du montage, même évidence des acteurs, tous remarquables, même justesse des dialogues.
Au début de leur cohabitation, Shane dit à Vincent : « Tu as de la chance d’être gay, vous avez un milieu... » Cette remarque m’a remis en mémoire certains garçons, moins rares qu’on pourrait croire, qui affichent leur homosexualité avec ostentation et qui finalement, pratiquent assez peu. Comme si être gay leur permettait surtout d’avoir un milieu, une famille de substitution, une appartenance et aussi de vivre plus facilement en « adulescent », de fuir les responsabilités familiales ; un peu comme certains cadets de famille au XVIIIe siècle qui rentraient dans les ordres non par foi, mais pour trouver un refuge et une raison sociale.
Ce qui nous surprend surtout pour un film irlandais, c’est son  optimisme et sa confiance dans les possibilités humaines. On a peur que Shane soit trop timoré pour saisir cette chance qu’est sa rencontre avec Vincent. On ne voudrait surtout pas qu’il termine comme Jerry, le vieux collègue qui est passé à côté de sa vie...

 

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Si nous sommes surpris qu’un tel film nous vienne d’Irlande, c’est d’abord à cause de la profonde méconnaissance que la plupart des français ont de l’Europe, les récents développements politiques sur le sujet n’arrangeant pas les choses, et en particulier de son cinéma. Pour la quasi totalité des spectateurs, un film ne peut être que français ou américain. Il suffit de consulter les chiffres des entrées dans la revue Le film français pour constater que la part du « reste du monde » ne fait que diminuer. Et pourtant, les grands festivals couronnent presque exclusivement ces films du « reste du monde ». Cannes 2006 n’a-t-il pas décerné sa palme d’or au film britannique Le Vent se lève, qui comme Cowboys & Angels, est interprété par des acteurs irlandais, tout comme le beau et gay Breakfast on pluto, autant de films où ils montrent leur excellence. Le grand combat cinéphilique d’ici et maintenant est de promouvoir les films d’ailleurs pour ne pas se laisser phagocyté par les manières de voir américaine et française. Le plaisir du cinéma est au bout de ce combat qu’il ne faudrait pas considérer comme superfétatoire.
Il y a beaucoup de tendresse et d’émotion dans Cowboys & Angels, une histoire d’aujourd’hui, dans une Europe d’aujourd’hui. On ne vous en voudra pas, si vous verser une larme, à la fin, dans votre pinte de guiness.

 

 

Cowboys and Angels, 4
 

Cowboys and Angels, 6
 

Cowboys and Angels, 2
 

Cowboys and Angels 5
 

Cowboys and Angels, 3
 
 
Cowboys and Angels 1
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