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Dans les diagonales du temps
19 mars 2020

Un si long orage, Les enfants trahis de Jean-Louis Foncine

    longorage

  

  

Avant que mes rares lecteurs lisent cette recension des souvenirs de Jean-Louis Foncine (1912-2005), il me semble utile de leur raconter quels ont été mes rapports avec le Signe de Piste, collection de romans pour la jeunesse qui est indissociable du nom de Foncine.

Contrairement à nombre d'entre-vous, je n'ai connu les gestes du « Pays perdu » et du « Prince Eric » que tardivement, mes vingt ans révolus, à un âge auquel on n'est plus censé lire ce type d'ouvrages (bien que cette histoire d'âge pour aborder tel ou tel livre me paraît une belle foutaise tant cela est, en définitive, peu dépendant de notre volonté mais doit beaucoup aux hasards, aux rencontres, aux opportunités, au parcours de chacun...). A la fin de l'enfance je ne lisais pas le « Bracelet vermeil » mais dévorais les aventures de Bob Morane. Il y avait pourtant un lien entre la collection Signe de Piste et les romans d'Henri Verne; ces ouvrages avait un illustrateur commun, Pierre Joubert. Mais à l'époque, où l'Ombre jaune me terrifiait, j'ignorais jusqu'au nom de l'artiste. Je prêtais d'ailleurs peu d'attention à ces pourtant belles couvertures.

  

  

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C'est curieusement Maurice Bardèche, alors que j'oeuvrais sporadiquement pour la revue « Défense de l'occident », dont Bardèche était le directeur, qui me fit connaître le Signe de Piste. Un jour, il me proposa d'écrire un article sur cette collection, comme quoi il était fin psychologue. Il fut très surpris quand je lui répondis que je n'en avais jamais entendu parler. Ce qui ne le rebuta pas. Il pris son téléphone et m'organisa un rendez vous avec un responsable de la collection: Jean-Louis Foncine. C'est ainsi que je rencontrais ce personnage. Auparavant comme un bon petit soldat, pour préparer la rencontre, j'avais en quelques jours lu plusieurs romans de la collection et en particulier deux de Jean-Louis Foncine. Me voici donc par un matin d'été au siège des éditions Alsatia, rue de Fleurus. Le décor était cosi avec des bibliothèques vitrées le long des murs de la grande pièce dans laquelle j'avais débouché. A son centre une grande table sur laquelle en piles étaient disposés des romans de la série Signe de Piste. Une femme, très dame patronnesse du VII ème arrondissement, les rangeait. Elle m'indiqua un bureau au fond de la pièce où Jean-Louis Foncine m'attendait en me voyant arriver il se leva de derrière un bureau fort encombré. Je me souviens très bien de ma première impression. Je fus stupéfait par son physique, sans doute d'une manière assez imbécile je m'attendais à voir, certes peu vieilli, un physique à la Joubert et j'avais devant moi une sorte de caricature de paysan matois au visage mangé par un grand nez que valorisaient des oreilles décollée. L'oeil était pétillant de malice, le dos un peu vouté. Je le trouvais très laid. Il se précipita pour me serrer chaleureusement et vigoureusement la main. Puis sans guère de préambule il me débita avec beaucoup d'allant toute l'Histoire du signe de piste. Il m'avait préparé un grand sac qui contenait beaucoup de romans de la collection. En partant, sans oublier d'une manière aussi inattendue qu'incongrue de me préciser qu'il portait à son âge toujours des jeans de taille 14 ans, ce qui me laissa coi, il m'invita chez lui pour un diner pique nique où dit-il, il me présenterai un jeune auteur très prometteur de la collection. C'est ainsi que je connu Dominique Mauries qui me fit ensuite connaitre Michel Gourlier, mais ceci est une autre histoire... qui fut riche de conséquences...

  

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Quelques uns de mes Signe de piste, je précise qu'ils sont sur deux couches et qu'il y en a plein derrière!

 

Jean-Louis Foncine a sous-titré « Un si long orage », Chronique d'une jeunesse. Il y a ramassé ses souvenirs en deux tomes. Dans le premier, « Les enfants trahis » Il va de sa naissance au funeste jour de 1940 où il est fait prisonnier par l'armée allemande. Il commence par y narrer son enfance: Il est le fils unique d'un ingénieur sidérurgiste et d'une mère lorraine, il est né à Homécourt, en Lorraine à quelques kilomètre de la frontière, d'ou son tropisme allemand, avant la Grande guerre. Vient ensuite sa première adolescence, son existence d'étudiant et son entrée dans l'âge adulte. Tout ceci est écrit avec beaucoup de verve et de vivacité, dans une langue extrêmement fluide et agréable à lire. Cette alacrité du style vient probablement qu'il a été toute sa vie à l'école de la littérature pour la jeunesse dans laquelle il faut immédiatement conquérir l'attention du lecteur. Cette contrainte, chez Foncine ne lui fait pas exclure l'emploi de l'imparfait du subjonctif et un vocabulaire choisi, ainsi que des expressions imagées, savoureuses mais qui parfois avouent un millésime près de la date de prescription. « Un si long orage » est écrit à la première personne comme le veut le genre des souvenirs. Cette écriture sans aucun gras nous prive cependant de ces belles échappées romantiques que l'on trouve dans ses autres ouvrages quand il décrit par exemple la forêt ce fait entendre alors une langue semblable à celle d'un Genevoix ou d'un Louis Pergaud.

  

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Pour le lecteur qui n'est pas confit en vénération pour la personne de Jean-Louis Foncine (pour une petite cohorte de laudateurs fanatiques, la mémoire de Foncine, comme celle de Dalens et de Joubert sont intouchables) l'intérêt pour toutes les petites aventures du jeune Pierre, appelons le ainsi (le véritable nom de Jean-Louis Foncine est Pierre Lamoureux, on apprend dans « Les enfants trahis » d'où vient son pseudonyme.), achoppe sur le contentement de soi manifeste de l'auteur; ce qui devient assez vite horripilant. Ce bonheur a être ce qu'il est et la propension à se donner le beau rôle sont aggravés par le fait que l'entourage humain du garçon dans le livre, n'est jamais plus qu'un décor, semble-t-il campé que pour le mettre en valeur. Mais le malheureux auteur est bientôt pris en flagrant délit de vantardise. En voici un exemple parmi bien d'autres. Dans le passage qui suit,  il raconte qu'il est victime des assiduités suspectes d'un de ses camarades: << Ce Robinard, sans doute alléché par mes cheveux blonds, mes longues jambes nues – j'ai porté des culottes courtes jusqu'à ma rhétorique – me poursuivait et me coinçait dans l'angle de la cour le plus éloigné possible de l'oeil du surveillant. Il était terriblement musclé. Quand il m'avait fixé, plié en deux sous son coude droit, il se livrait alors, de la main gauche, à des explorations dont je comprenais mal le but mais qui m'étaient parfaitement odieuses. Son visage alors s'empourprait et il se mettait à saliver comme un goret. Je me tirais finalement de ses prises en m'agitant comme une anguille, couvert de griffures et de bave. Je n'avais pourtant jamais osé engager un combat brutal. >>. Vous m'objecterez avec raison que dans ce texte le narrateur ne fanfaronne pas, et qu'en outre, s'y déploie son talent pour décrire une action que l'on visualise immédiatement dans ses moindres détails. Un dessin de Joubert nous apparaît (j'y reviendrais) et même un de Gourlier, ce dernier étant plus à même d'illustrer ce genre de sensualité trouble. Mais contrairement à ce que le texte suggère, comme je l'ai écrit en préambule Jean-Louis Foncine était fort laid; mais me direz vous, il était peut être mignon vers sa douzième année? Il ne manque pas de jolis agneaux qui se transforment en vilains boucs. Malheureusement pour notre auteur il est démasqué par le cahier de photos que l'éditeur a eu la judicieuse idée de glisser au centre du volume (ce que devrait faire tous les auteurs et éditeurs de journaux intimes, de souvenirs ou de correspondance par exemple un cahier de photo serait le bien venu dans les journaux de Cluny et de Renaud Camus, en outre ce dernier est un excellent photographe. N'oublions pas l'auto-fiction, la collection Quarto des éditions Gallimard a eu la bonne idée d'en mettre un dans les volumme consacrés à Annie Ernaux et Patrick Modiano) . Or donc, on découvre dans ces images, un jeune Foncine un peu rondouillard de visage, tout en nez et en oreilles (déjà!), bien vilain. Le dénommé Robinard avait vraiment des goûts pervers... Ce qui est assez rigolo c'est que le talentueux Joubert a représenté certaines scènes du récit, dont une qui suit immédiatement l'extrait que j'ai cité plus en avant. Ce dessin est particulièrement cruel pour l'auteur lorsqu'on le compare aux photos. Joubert a fait de notre vilain petit galapiat, un Joubert Type: un sémillant blondinet au petit nez retroussé. A propos ces dessins mettent aussi en évidence l'incapacité que Joubert avait graphiquement à sortir de son archétype d'adolescent.

 

  

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On en arrive à la puberté de notre petit fier à bras et là il faut rendre hommage aussi bien au talent de plume qu'a la franchise de Foncine (franchise qui ailleurs ne me paraît pas être toujours le point fort du récit) dans la séquence particulièrement brillante dans laquelle il décrit sa première éjaculation. Dans lequel il s'imagine en prisonnier entravé et c'est justement le fait d'être attaché qui le fait jouir. On comprend avec ce passage les scènes récurrentes de garçons attaché dans l'oeuvre de Foncine dans laquelle le sado-masochisme n'est pas absent (cela est valable pour presque tous les romans du Signe de piste). Le premier sperme est un épisode que chaque jeune mâle a connu et qui pourtant est bien mal documenté par la littérature (Si des lecteurs sur cet épisode peuvent me communiquer les titres d'oeuvres dans lesquels on le retrouve, ils en sont remercier d'avance.).

 

  

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L'âge du héros avançant, bientôt la politique pointe son nez et ces souvenirs sont éminemment politiques. Ils sont dans l'esprit de ceux de Robert Brasillach dans « Notre avant guerre ». Ils décrives la jeunesse d'un fascisme français... si celui-ci avait existé. Une remarque donne une piste pour comprendre pourquoi cet avènement n'a pas vraiment eu lieu: << En ce temps-là l'avantage était à la réaction, dans le monde étudiant. Dans les quartiers populaires et banlieues, il en allait différemment. Cette tactique du « chacun pour soi » permit jusqu'en 1939 à la France du Front populaire de coïncider avec une France patriotarde d'égale importance.>>.

  

  

On peut considérer que l'échec d'un fascisme français dans les années 30, est du à son incapacité à se diffuser dans les couches populaires contrairement à ce qui s'est passé en Italie (lire à ce sujet « Ils y ont cru » de Christopher Duggan). Cette imperméabilité a deux raisons principales d'une part du fait essentiellement de la forte implantation du Parti Communiste dans la classe ouvrière, implantation facilitée par l'encadrement financier et intellectuel de Moscou et d'autre part que la force la mieux organisée de « la réaction » était l'Action Française dont le chef, Charles Maurras n'était en rien un homme d'action. Ces deux réalités ont été grosses de conséquences. On a un équilibre des forces politiques vives. Jamais peut être autant qu'à cette époque on peut constater le divorce entre le pays réel et le pays légal. Cette partition de la France en deux, avec chacun son territoire social est ce que Jean Louis Foncine constate avec pertinence. Ce partage est certes un facteur de relative paix civile du par un processus d'équilibre des forces mais il débouche aussi sur un immobilisme. D'où la conclusion assez décoiffante qu'en tire Foncine: << L'abandon du soutien à l'Espagne républicaine fut le fruit de ce compromis. Mais la débandade de 1940 fut le produit des lâchetés accumulées par les deux tendances.>>.

Je crois qu'il n'est pas abusif de qualifier le jean-Louis Foncine, au moins aux alentours de sa vingtième année, de fasciste (ce n'était pas alors une injure. C'était un espoir pour une phalange très minoritaire de la jeunesse française, comme l'était le communisme pour une partie beaucoup plus importante et le trotskisme pour quelques uns). On retrouve chez Foncine le culte de la jeunesse typiquement fasciste (qui s'est transformé aujourd'hui en occident en un jeunisme mercantiliste pas plus réjouissant), un culte du chef, une constante référence à l'Histoire et à ses mythes et un souci social, autant de composantes du fascisme. Dans cet entracte de l'entre deux guerres, comme le nomme l'auteur, le bolchévisme n'était pas non plus indemne de cette fascination pour les jeunes, curieusement le régime deviendra celui des barbons... Autre caractéristique du fascisme, l'antiparlementarisme que partage largement Foncine, en témoigne cette diatribe contre la troisième république: << Le vieux radicalisme, aidé par une franc-maçonnerie sectaire et rétrograde, tenait le haut du pavée (…) On se gargarisait d'un pacifisme bêlant. On traitait le drapeau, à peine sec du sang des morts, de torche cul. Les professionnels de la politique les plus éteints, et parfois les plus tarés, étaient ceux qui avaient le plus de chance d'accéder à un pouvoir qui n'avait de réel que le nom (…)Jamais régime ne fut plus séparé de sa jeunesse que celui-là.>>.

En lisant ces phrases on ne s'étonnera pas que notre auteur ait adhéré au Mouvement social révolutionnaire parti fondé par Eugène Deloncle, ancien chef de La Cagoule (sur la cagoule je ne saurait trop conseiller de voir le film de Bluwal auquel j'ai consacré un billet:  A propos d'A droite toute de Marcel Bluwal), et Eugène Schueller, propriétaire du groupe L'Oréal, le mouvement regroupait nombre d'anciens cagoulards (Jean FilliolJacques Corrèze, etc.), mais aussi de personnalités venues d'autres horizons, commeJean Fontenoy. Son orientation était d'inspiration fasciste et plutôt collaborationniste que purement vichyste. Bien des années après Foncine restait fidèle à ses idées de jeunesse comme le rapporte Gabriel Matzneff: << Je fais la connaissance de Jean-Louis Foncine, à qui je dis d’emblée mon admiration pour le relais de la Chance au Roy. Nous parlons de cette nostalgie d’une chevalerie adolescente qui joue un si grand rôle dans ses livres. - Je lutte de toutes mes forces contre la termitière, me dit-il, et comme je crois qu’un groupe peut lui résister plus efficacement qu’un homme seul, je cherche à former des groupes, à faire naître des rêves dans l’âme des garçons. C’est pourquoi j’emploie souvent un langage fasciste. Le malheur du fascisme est d’avoir été dans les mains de primaires et de fous qui l’ont discrédité. ».

Dans ces années 30 je trouve qu'il est intéressant de comparer l'itinéraire de Foncine avec celui de Brasillach. Ils sont semblables par leur refus de la III ème république qu'ils honnissent, mais Brasillach est politiquement plus structuré et se tourne en ces années vers le fascisme abandonnant petit à petit l'Action Française, puis vers le nazisme, fasciné qu'il sera par les rites nazis, alors que Foncine entonne un discours populiste qui ferait encore flores aujourd'hui. On songe, en faisant le parallèle avec Brasillach, je le rappelle fusillé en 1945, que peut être ce qui a paradoxalement sauvé Foncine est son attirance pour les « lolitos » (véritable cadavre dans le placard de ces mémoires) alors que Brasillach admirait la classe d'âge supérieure... A ce propos il est bon de se souvenir de ce que Jean-Louis Foncine confiait à Gabriel Matzneff en 1959 et que ce dernier rapporte dans le premier tome de son journal, « Cette camisole de flammes »: << Evidemment, les dessins de Joubert ont un coté sensuel, mais c'est la vie qui est sensuelle. D'un beau gosse de douze-treize ans qui se promène dans la rue, on peut aussi bien dire qu'il est un péché ambulant.>>.

Ce qui est étonnant dans ces mémoires d'un écrivain c'est l'absence de références littéraires (grande différence à ce propos avec Notre avant guerre de Brasillach avec lequel Foncine partage néanmoins l'amour du théâtre) tout du moins avant la page 204. On apprend alors que, sans surprise, l'auteur favori de Jean-Louis Foncine est Alexandre Dumas. Plus inattendu est sa prédilection pour Jean de La Hire qu'il rencontre. Foncine nous met l'eau à la bouche en évoquant cet auteur jadis populaire qui semblait assez extravagant, mais malheureusement encore une fois, il nous laisse sur notre faim. L'auteur nous fait peu entrer dans son atelier littéraire. Seul est évoqué en quelques pages émouvantes les conditions de l'écriture de « La bande des Ayacks ». S'apercevant que la littérature avait bien peu de place dans ses souvenirs, Jean-Louis Foncine a cru bon de rajouter à la fin du livre, en appendice cinq pages sous le pompeux titre « Mes enfances littéraires » qui ne nous en apprennent pas beaucoup plus sinon qu'un de ses auteurs préférés était Drieu La Rochelle. On trouve en effet dans les pages politique de l'ouvrage l'influence de l'auteur de « Gilles ». Mais tout cela est bien pauvre et attendu si on le compare au même exercice auquel s'est livré un autre écrivain, François Rivière qui parle avec un enthousiasme communicatif pour ses lectures d'enfance dans « Un personnage de romans » (Pierre Horay éditeur, 1987). Rivière s'étant arrêté à sa douzième année, cela fait plus de vingt cinq ans que j'attend la suite...

  

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C'est sans doute aussi son intérêt pour les jeunes personnes qui lui ont évité les dérives d'un autre brillant journaliste, Fontenoy, ce presque Tintin... (On peut lire sur Fontenoy  le livre que Guégan lui a consacré)

De même qu'il était intéressant de lire dans la correspondance Morand-Chardonne le point de vue d'un vaincu, il en va de même ici (pas toujours car lors du déclenchement de la guerre d'Espagne Foncine se réjouit que les révolutions ne fussent point l'apanage des partis populaires). on peut dire que Foncine, lui a été en quelque sorte doublement vaincu, politiquement et militairement. C'est ce qu'il ne faut pas oublier lorsqu'on lit les chapitre sur février 34 et la Cagoule. Mais encore une fois on a un témoignage extrêmement superficiel sur ces deux épisodes majeurs de l'avant guerre, si superficiel qu'il en devient suspect. C'est Bibi Fricotin chez les cagoulards! Car le non dit de l'auteur sur ces évènements est patent. Il tient certes à sa légèreté naturelle mais aussi parce que Foncine à postériori, est gêné par ce qu'il pensait alors, par exemple sur le 6 février 34 qui n'était pas différent à ce qu'écrivait Lucien Rebatet quelques années plus tard dans « Je suis partout »: << Au moment de l’action, la foule réapprit les gestes du combat et de la barricade, avec des morceaux de plâtre, des poignées de gravier et quelques lames Gillette fichées au bout d’un bâton. Les chefs, qui les avaient jetés poings nus contre les armes automatiques, s’étaient volatilisés, les uns sans doute par calcul (je pense à l’abject La Rocque), les autres, saisis peut-être de vagues et tardifs remords, n’ayant plus guère qu’un souci : nier la gravité de l’événement qu’ils avaient criminellement engendré. Cette nuit là, j’entendis Maurras dans son auto, parmi les rues désertes, déclarer avec une expression de soulagement : « En somme, Paris est très calme ! » Oui, mais c’était le calme d’une chambre mortuaire. La suite de l’histoire ne faut pas moins déshonorante. Les « chefs » de la droite firent un concert de clameurs. Certes, les « fusilleurs » étaient ignobles. Mais que leur reprochaient les « chefs » des ligues ? Ils leur reprochaient d’avoir triché en faisant tirer. ». Le poulet de Rebatet amène une précision: Rebatet comme Foncine et plus tard la plupart des historiens font une erreur en pensant que de La Rocque ait été fasciste. Son modèle n'était en rien Mussolini mais Salazar faire l'amalgame entre ces deux régime est une grave erreur historique qui fausse bien des jugements (sur de La Rocque il faut lire la somme quasi définitive que lui a consacré Jacques Nobécourt, Le colonel de La Rocque, 1885-1946 ou les pièges du nationalisme chrétien parue aux éditions Fayard).

Contrairement à Brasillach ou à Simone de Beauvoir ou encore à Michel de Saint-Pierre dans « Ce monde ancien! », Jean-Louis Foncine échoue à nous restituer la chair de cette avant-guerre.

S'il est beaucoup question de politique dans ces souvenirs l'autre grand sujet est l'amitié. Mais c'est un grand sujet comme en creux, autour duquel l'auteur tourne pour en définitive mieux l'esquiver. Il s'agit dans ce premier tome plutôt plus des amitiés dans un groupe que des relations entre deux garçons; l'amitié n'est considérée chez Foncine, grand pourfendeur de la mixité, qu'entre garçons. C'est à vrai dire plus la camaraderie qu'il met en scène dans ses livres que des relations personnelles. Celles-ci sont parfois reléguées en note de bas de page, comme la très intrigante de la page 118 où un Louis apparaît brusquement pour mieux disparaître définitivement ensuite: << La correspondance « démentielle » échangée avec Louis, de notre seizième à notre vingt deuxième année a, m'est resté très chère. Une grande amitié dans l'adolescence est un bienfait des dieux.>>. Dans d'autres passage 'est comme subrepticement comme l'évocation de ses occupations estivales: << Au pays perdus m'attendait maintenant chaque été un petit groupe de garçons auquel je consacrais tout le temps dérobé à la littérature, trois jeunes cousins qui venaient de grandir à la bonne taille pour former une patrouille de vacances...>>.

  

  

 

Toutefois ces « relations personnelles » me semble être l'encombrant cadavre dans le placard qui empêche Jean-Louis Foncine de s'étendre plus complètement sur certains épisodes de sa vie qu'il mentionne comme par inadvertance. J'insiste sur le fait qu'il me paraît impossible de dissocier ces deux tomes de mémoires de la collection Signe de Piste, fondée en 1937, dans laquelle La Bande des Ayacks de Jean-Louis Foncine est publié en 1938. Pour information la vente de ce titre du jour de sa parution à aujourd'hui est estimée à 1 000 000 d'exemplaires.Il me parait utile de rappelé au sujet de la collection Signe de Piste la fine analyse que faisait Bertrand Poirot-Delpech le 6 avril 1978 lors du « Magazine » de Pierre Bouteiller, sur France Inter au sujet des racine littéraires de Tony Duvert: << Avez-vous été scout, Pierre ? Alors, en tout cas vous avez sûrement lu les romans de la collection “Signes de piste” […]. Cela fait quarante ans que garçons et filles au bord de la puberté rêvent de ces ancêtres du “Club des cinq“ que sont le Bracelet de vermeil et Prince Éric. Rêve innocent ? Cela est moins sûr. Il y a quelques années, la revue [Recherches] a démontré très finement que les amitiés transies du bel Éric n’étaient qu’un tissu et une mine de fantasmes homosexuels […]. Moi qui ai un peu connu ces gens […] je peux vous dire qu’en effet, le scoutisme mielleux dont sont sorties ces images étaient à l’homosexualité ce que furent à Vichy ses écoles de cadres… Si on en doutait, un auteur de cette tendance mais affiché, lui, le prouve avec fracas depuis quelques livres. Il s’agit de Tony Duvert aux Éditions de Minuit. Profondément, Duvert est un pur produit de “Signes de piste“. Il en a l’innocence perverse, mais non l’hypocrisie. Cela donne la littérature la plus sauvagement érotique qu’on puisse lire depuis longtemps. ». Patrick Buisson écrit dans 1940-1945 Années érotiques (Albin Michel) que la collection “Signes de piste”,offrit non seulement l’esthétique, mais l’éthique de toute une génération embrigadée dans un scoutisme. Où comment l'érotisme s'invitait en contrebande dans le métapolitique...

La faiblesse et la force à la fois d' « Un si long orage » est que l'on a parfois l'impression qu'il n'a pas été écrit dans les années 90 comme le stipule le copyright mais que c'est une retranscription un peu arrangée d'un journal qui aurait été écrit à chaud, au plus près des péripéties qu'il raconte.

Ce sentiment corrobore ce que l'on ressent aujourd'hui à lire la quasi totalité des romans de la collection Signe de Piste: Un refus de voir l'évolution de la société autrement qu'en termes de désordre (la prégnance du modèle fasciste). La série au début des années 60 s'est trouvée confrontée aux prémisses des modifications sociales et culturelles qui conduiront aux bouleversements d'après 1968. On voit bien dans beaucoup des romans parus à l'époque une crispation face aux changements qui se produisent: Emancipation des jeunes, ouverture aux "nouvelles idées", développement de la consommation, relations facilitées entre garçons et filles... Autant de changements et d'attitudes systématiquement condamnés par les ouvrages et reformulés dans une perspective tératologique et bigote: un garçon émancipé devient un jeune livré à lui-même (drogué, voyou, blouson noir); un jeune qui consomme est un poseur, un snob, un idiot; une fille qui fréquente les garçons est une "fille fardée", superficielle, narcissique et, si elle ne rentre pas dans le droit chemin, une fille qui risque d'être perdue (même si cela n'arrive pas dans ces récits, étant donné leur public, le risque est sous-entendu ou métaphorisé). Souvent, la structure même des récits impose de telles idées, sans qu'elles aient à être même explicitement formulées dans le discours (mais elles sont par ailleurs formulées...). Lorsque les Signe de Pistes abordent la société, c'est généralement en opposant des jeunes "livrés à eux-mêmes" (lire: "indifférents aux valeurs chrétiennes") à de vrais scouts (lire: "enracinés dans une lecture morale du monde fondée sur les valeurs christianisme"). Cette incapacité à intégrer les nouvelles idées (en fait à voir les changements qui se produisent après la guerre autrement qu'en termes de désordre) explique l'effondrement des Signe de piste après les années 1970, puisque leur monde était devenu très minoritaire. On peut aussi qualifier les romans du Signe de Piste comme romantiste ou/et vitaliste. Comme Foncine, Larigaudie, Ferney, Leprince peuvent être rangés dans les vitalistes. D’autres sont en revanche totalement romantiques, tel Paul Henrys qui est emblématique de cette tendance et Dalens lui-même la frôle à plusieurs reprises. La plupart mélangent les deux. Mais dans cette production, celle de Foncine faisait entendre une voix autre. Il est évident que l'homme a toujours été en délicatesse avec l'éthique chrétienne et ses valeurs. Sous parfois un vernis catholique, toute l'oeuvre de Foncine fait entendre un chant païen. Ce qui explique que si aux alentours de 1990, son compère Serge Dalens (1910-1998) rejoint le Front National, Jean-Louis Foncine est proche du G.R.E.C.E, qui sous l'égide d'Alain de Benoist sera l'inventeur de la Nouvelle Droite une nébuleuse fortement irriguée par le paganisme. A ceux qui me reprocherait de chercher une couleur politique dans les romans de la collection je leur rétorquerais n'est pas absurde dans la mesure où ces romans se sont explicitement proposés d'offrir un modèle de lecture du monde, et se sont donnés comme un guide pour les lecteurs.

  

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La sociologie ne passe pas pour être une pratique de droite, pourtant Jean-Louis Foncine avec la "Bande des ayacks" puis avec "Le foulard de sang" a probablement été l'un des premiers écrivains à se pencher sur le phénomène des bandes caractéristique de l'adolescence. Mais il est rare encore aujourd'hui de lire un roman ou un récit qui montre le groupe de l'intérieur sans une parole ou un regard d'adulte. Comme le remarque justement Alain Jamot, l'auteur des textes du tome 1 des dessins de Joubert, la culture germanique de Foncine ne fut sans doute pas étrangère à cet intérêt pour les bandes et son idée de créer une chevalerie secète, car l'Allemagne qui est la terre d'élection des sociétés secrètes, regorge de récit et de pratiques dans la jeunesse comme les sociétés d'étudiants avec leurs fameux duels... 

  

 

On se doute qu'avec son parcours chaotique, Jean-Louis Foncine a du rencontrer bien des gens intéressants mais tout occupé de sa personne, il n'en parle guère.

A la fin du livre, l'auteur se fait lyrique lorsqu'il évoque les années à la sortie du service militaire qu'il semble vouer presque exclusivement au scoutisme en compagnonnage avec Pierre Joubert. Mais il faut attendre les deux derniers chapitres pour entrer dans la grande littérature avec l'évocation poignante d'un de ses jeunes protégés massacré par les allemands dans un maquis. Ce tombeau littéraire s'ouvre par ce terrible cri sorti du coeur: << Ils l'ont tué>>. Puis sa narration pleine de vie... et de mort sur sa campagne de France. On quitte le narrateur, prisonnier des allemands en route vers Bastogne... Dans ces deux morceaux de bravoure Foncine montre tout le talent qui était tapi en lui, trop souvent dans ces souvenir, escamoté par une narration certes brillante et fluide mais en pilotage automatique d'un homme qui pour la énième fois récite les hauts faits de sa légende.

J'en arrive à un chapitre qui bien évidemment a retenu mon attention, la pratique de la photographie par Jean-Louis Foncine sur laquelle j'aimerais en savoir et surtout en voir plus. Voilà comment il décrit sa pratique photographique: << A l'époque, je taquinais la photographie comme je taquinais les muses, avec le même éclectisme. Tel Nadar je travaillais avec une énorme chambre à soufflets (…) La mise au point sur verre dépoli pouvait être opérée à la perfection. L'appareil donnait directement sur plaque de verre 18x24 des clichés presque parfaits (…) j'installais mon matériel dans une petite clairière où le jeu des ombres et des lumières me plaisait (…) Vite un pagne de verdure ou de frange de fauteuils, des arcs, des flèches, des sagaies... Et c'était la Malaisie! Aucun instantané mais des poses savamment étudiées pour donner l'illusion de la vie. >> (bien sûr si un lecteur a une photo signée Foncine Lors du diner que j'ai évoqué au début de ce billet, Jean-Louis Foncine m'avait montré quelques une des photos qu'il avait prises jadis, mais à l'époque j'étais peu photographe moi-même et je ne connaissais ni Egermeier, ni Robert Manson, ni Simonet, ni Jos Le Doaré, ni Jacques Simonot et pas plus Dachs (je cherche bien sûr des images de tous ces gens là pour le blog), je n'ai pas donc gouter ces trésors comme ils le méritaient. Néanmoins une image s'est gravée dans ma mémoire, celle d'un jeune garçon, presque nu grimé en peau rouge et attaché à un poteau de torture...

  

Jean-Louis Foncine a été l'instigateur d'un ordre secret celui du foulard de sangun ordre de chevalerie adolescente. On retrouve dans un autre roman du Signe de piste de Pierre Labat, "Le manteau blanc", une société secrète semblable. L'ordre du foulard de sang est l’un des derniers flamboiments du mythe de la chevalerie à la scoute. Je crois que rien résume mieux le crédo de Jean-Louis Foncine que la phrase de Jean-René Huguenin: « pour un homme, aucun acte n’était plus important que la fondation d’un Ordre secret d’adolescents.».

  

Nota:

Ce premier tome des souvenir de Jean-Louis Foncine est paru une première fois sous le titre "Entracte, chronique d'une jeunesse 1918-1940 en 1981 aux éditions épi dans la collection "Ruban noir". Le texte en est assez peu différent de celui paru quatorze ans plus tard qui est le sujet de ce billet. Cependant les dernières lignes de la première édition sont différentes de celles de la seconde. Les voici: << Je crois l'avoir assez fait comprendre: l'humanité, dans son ensemble, n'est susceptible d'aucune amélioration. Elle ne retient rien, n'apprend rien. De nouveaux tyrans sont déjà là qui, s'ils ne sont plus allemands, sont aussi impitoyables, aussi déterminés, aussi inhumains que ceux de 1940. S'il le faut, ils ravageront la boule terrestre pour le triomphe de leurs idéologies. N'en doutez pas! Cette histoire, je ne l'écrirai pas. Des enfants l'écrivent déjà tous les jours, non avec de l'encre, mais avec leur sang! Mais sur leur tombe, comme sur la tombe de Manolo, comme sur la tombe de Furet, fleuriront peut-être des pervenches et des bleuets. Et d'autres enfants - un peu plus tard ou beaucoup plus tard- ayant oublié qu'il s'agit d'un cimetière, joueront aux gendarmes et aux voleurs, riront à perdre haleine, se pourchasseront sur un fragment de planète tout neuf. Le soir, ils se dresseront sur un rocher élevé, face au soleil couchant, tels des dieux invincibles et immortels!>>.

  

  

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Commentaires
L
Merci de ce long et fort intéressant billet qui me donne envie de relire ces 2 ouvrages de Foncine mais me fais également espérer pouvoir lire un jour votre article sur les Signe de Piste que vous mentionnez.<br /> <br /> Et je vais essayez de vous retrouver mes copies de photos prises par Foncine (de mémoire, une partie a été vendue il y a quelques années sur Ebay).
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