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Dans les diagonales du temps
4 juillet 2020

STREET ART, ALECHINSKY RUE DESCARTES

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Paris, aout 2011

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4 juillet 2020

LES GARÇONS DE LUCIAN FREUD

 








 



4 juillet 2020

OLIVIER À LA PORTE DE MA SALLE DE BAIN

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La Varenne, juillet 1983

4 juillet 2020

A propos de LUCIAN FREUD au Centre Pompidou




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1947
 









Je salue avec retard les mânes de Lucian Freud qui a disparu durant une de mes séances de bains de mer. C'est un grand peintre qui disparait même si je préfère sa première manière, plus dessinée que maçonnée comme le furent les toiles de sa dernière période. L'absence des tableaux du début du peintre avait été la cause de ma relative déception en visitant l'exposition que présentait le centre Pompidou, il y a quelques mois qui ne contenait que des tableaux récents contrairement à la grande exposition consacrée à ce peintre il y a quelques année à Paris dont le commissaire était Jean Clair et qui était une véritable rétrospective. 
J'avais donc en mars 2010 consacré un billet à ma visite. Billet qui a été détruit comme le reste dans la rage iconoclaste de mon précédent hébergeur. Le voici ci-dessous ressuscité sans la moindre correction avec en illustration les photos prises en catimini ce jour là:
 

Je crains que l'exposition de Lucian Freud au Centre Pompidou, fasse plus augmenter le malentendu qui existe entre les français, du moins le petit nombre qui s'intéresse à la peinture, et la peinture anglaise, que le réduire. La faute en incombe d'une part au commissaire de l'exposition qui n'a pas voulu ou pas pu organiser une rétrospective de l'artiste, se limitant principalement à ses vingt dernières années de production, alors que Lucian Freud a peint dés les années quarante. Je pense qu'il s'agit plus d'une impossibilité d'organiser une vaste exposition que d'une réelle volonté. Une grande manifestation hommage est prévue en 2012 à la National portrait gallery de Londres, ce qui fera une bonne occasion pour traverser la Manche.

Ce sont certains critiques français, par crasse ignorance, qui renforcent l'incompréhension qu'ont tant de français de la peinture anglaise. Ils veulent faire de Lucian Freud, une sorte d'excentrique de l'art, conforme à l'idée que se fait le continental de la bizarrerie de l'insulaire. C'est une patente contre vérité de présenter Lucian Freud comme un artiste totalement singulier alors qu'il s'inscrit dans toute une lignée de peintres anglais du XX éme siècle et européens mais je l'accorde dans cette filiation on trouvera peu de français à l'exception de Buffet et de Gruber. Reconnaître que l'artiste fait fructifier l'héritage de nombre de ses prédécesseurs ne diminue en rien, ni son mérite, ni sa qualité, bien au contraire.

 

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Par facilité on nous présente donc Lucian Freud comme un peintre isolé, ce qui était recevable pour Bacon, quoique il n'était pas bien difficile pour ce dernier de repérer dans ses premières toiles ce qu'elles devaient à Graham Sutherland dont on attend toujours la première grande rétrospective parisienne après la belle exposition du musée Picasso à Antibes en 1998, est totalement erroné pour Lucian Freud qui s'inscrit, surtout pour la première partie de son oeuvre dans la lignée de peintres anglais comme Stanley Spencer (1891-1959) et Wyndham Lewis (1882-1957), deux peintres majeurs jamais exposés en France. Il ne faut pas non plus oublier l'apport du déjà cité Graham Sutherland (1903-1980) dans les « verdures » qui agrémentent certains des tableaux de Lucian Freud. Mais ce dernier a fait également son miel de la tradition picturale germanique, il ne faut se rappeler qu'il est né à Berlin en 1922. Il n'est arrivé en Angleterre qu' en 1933 avec sa famille chassée d'Allemagne par les nazis. La crudité des nus de Julian Freud doit beaucoup à celle des corps d' Egon Shiele et ses distorsions anatomiques à Otto Dix et à George Grosz. Moins évidente, mais réelle, est la dette pour son oeuvre gravée qu'a Julian Freud envers Giacometti et ce n'est pas un paradoxe que de dire que le peintre de l'horizontale et des chairs flapies a été inspiré par le dessinateur du squelettique vertical.

 

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Autre aberration est de nous montrer Lucian Freud comme un peintre n'ayant jamais changé sa manière et qui appliquerait une recette mise au point une fois pour toute. C'est la théorie qu'avance Philippe Dagen dans son article de compte rendu de l'exposition paru dans Le Monde du 12 mars. A croire que Dagen ne connait que les oeuvres exposées au Centre Georges Pompidou qui peuvent, en effet, à un visiteur distrait, donner ce sentiment. Rien n'est plus faux que de présenter le peintre comme un artiste monolithique. En réalité l'oeuvre de Lucian Freud se divise en deux grandes époques. La première, jusqu'en 1960 dans laquelle il privilégiait le dessin alors qu'ensuite et cela jusqu'à nos jours, il a mis avec ostentation en avant la matière. En ce qui me concerne, je préfère la première manière de l'artiste que malheureusement on ne voit quasiment pas dans cette exposition.

Enfin ce qui n'est absolument pas mentionné au Centre George Pompidou est la posture qu'a pris Freud face à Bacon. Je crois que l'on ne peut pas comprendre le cheminement artistique de Freud si on oublie que ce dernier s'est positionner par rapport à Francis Bacon, qu'il a connu grâce à Graham Sutherland; Bacon étant incontestablement « Le » grand artiste britannique du XX ème siècle.

 

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Il est curieux de constater qu'une grande part des oeuvres des trois plus célèbres peintres anglais, Bacon, Freud et Hockney est largement autobiographique.

L'exposition se déploie dans quatre grandes salles au dernier étage du centre Pompidou. La cinquantaine d'oeuvres, pour la plupart des peintures de grands format, y sont accrochées au large. Ce qui permet une visite confortable malgré l'affluence. Si l'on excepte The painter's room éxécuté en 1944 et qui fait directement référence au surréalisme, présence totalement incongrue dans cet accrochage qui ne peut qu'égarer le visiteur novice, toutes les autres toiles sont postérieures à 1963. Date à laquelle Red haired man on a chair, premier tableau dans lequel Lucian Freud imposait la prédominance de la matière sur le contour, a été peint. Si l' on excepte la demi douzaine de tableaux représentant des vues du jardin du peintre, les extérieurs ont été peints de la fenêtre de l'atelier, toutes les autres toiles ont pour sujet la chair humaine. Ces portraits de nus ont pour cadre les ateliers successifs du peintre.

 

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Même si on peut être lassé par le parti pris de la laideur des modèles, laideur dont la représentation est paradoxalement beaucoup plus gratifiante pour un peintre que celle de figures répondant aux canons de la beauté grecque, ce que sait tout élève des Beaux-Arts, il est difficile de n'être pas emporté par la vitalité de Lucian Freud. Chaque tableau parle du besoin de peindre de l'artiste... mais de quoi d'autre? Et c'est tout le problème de cet artiste. Cette peinture pour la peinture est particulièrement illustrée dans les tableaux dans lesquels Lucian Freud tente d'y faire dialoguer plusieurs personnages sans vraiment y parvenir. C'est pourtant ce que parvenait à faire si bien son compatriote David Hockney dans ses doubles portraits. Il faut dire qu'Hockney ne s'est jamais imposé cette contrainte du décor unique. Les modèles de Lucian Freud sont toujours mis en scène dans une pièce presque nue occupé seulement par quelques objets et meubles récurrents, ostensiblement misérabilistes.

Ce décor inchangé, n'aide pas le spectateur du tableau à imaginer une histoire entre les créatures qu'il y voit; elles semblent s'y être fourvoyées par inadvertance après de longues errances. Elles reposent, fourbues, sur des couches de fortune.

 

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Une toile me paraît bien illustrer l'autisme des modèles de Lucian Freud. On y voit une pièce vide avec pour tout décor au mur une grande toile représentant une plantureuse femme nue et au sol un grabat sur lequel un homme debout nu s'étire, on peut supposer après une nuit passée dans ce misérable pussier. Puis lorsque l'on regarde d'un peu plus près le tableau on voit que dans le lit dort encore un homme dont seule la tête dépasse. Voilà un sujet, deux hommes nus, entre deux âges, dans un lit, qui n'est pas banal et qui pourrait tendre vers l'érotisme, la pornographie, l'illustration de la banalité du quotidien de deux homosexuels ou faire naitre tout autre récit. Chez Lucian Freud rien, aucune histoire est suggérée, sinon la volonté du peintre et d'avoir disposé ainsi ces deux quidams pour le plaisir simple et fini de les transformer en surfaces de peinture.

 

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Le talent de Lucian Freud éclate dans les tableaux où ils n'essayent pas de plaquer une anecdote sur sa formidable dextérité à transformer la chair en peinture et c'est d'abord dans ses autoportraits. Dans ceux-ci la vérité de son être surgit de chaque touche. Lucian Freud est son meilleur modèle.

Toutefois Lucian Freud fait passer l'émotion dans son portrait de Leigh Bowery, nu sous la lucarne de l'atelier, le regard perdu et implorant de celui qui avait voulu faire de sa vie une oeuvre d'art et qui mourra en 1994 peu de temps après que le tableau soit terminé.

« Lucian Freud, L'atelier » est une exposition paresseuse qui n'apprendra rien à ceux qui connaissent l'oeuvre du peintre mais leur apporteront néanmoins le plaisir rare d'admirer en France un peintre qui sait transformer la chair en peinture, le Rubens du XX ème siècle.  

 





 

the painter's room 1944


Two Men 1987-88


portrait of Bacon


Naked Man on Bed 1989


Man Posing 1985


man in a chair 1983-1985


Leigh on a Sofa


John Minton 1952


Interior in Paddington 1951






gaz-1997


miniature with pigeon 2004


portrait of Bacon


Eli and David 2005-06


After Cézanne 1999-





Sunny Morning, Eight Legs, 1997





Naked Man with a Rat





Freddy Standing, 2000-2001





Painter and Model, 1986-87





David et Eli, 2003-04



Bella, 1986-1987





Naked man on a bed, 1987
 
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4 juillet 2020

JEEPERS CREEPERS (JEEPERS CREEPERS, LE CHANT DU DIABLE - 2001)

 

Alors que tous les billets de la rubrique cinéma gay  sont de ma blanche main, celui que vous allez lire ci-dessus est de BBJANE dont les blogs sont indispensables pour tous les amateurs de cinéma bis queer et camp. L'article ci-dessous devant l'incapacité que j'aurais de faire même moitié moins bien est donc tiré de FEARS FOR QUEERS http://fearsforqueers.blogspot.com, qui mérite dès maintenant une visite dont, attention, vous risquez de ne pas sortir... Vous trouverez d'une manière permanente le lien à BBJANE dans les blogs à visiter. Il ne faut pas oublier non plus de visiter son autre blogs, MEIN CAMP.  

 

JEEPERS CREEPERS présente la particularité d'être le premier film fantastique "à succès" dont le caractère homosexuel fut unanimement reconnu, dès sa sortie en salles, par les fans du genre. La raison de cette clairvoyance inaccoutumée peut être trouvée dans le "scandale SALVA", présent dans toutes les mémoires, bien que vieux d'une bonne dizaine d'années quand le film parut sur les écrans. En 1989, le cinéaste purgea quinze mois de prison pour abus sexuels sur la personne de l'un des jeunes comédiens de son premier film : Clownhouse. Gageons que si le public n'avait eu connaissance de ce fait-divers copieusement répercuté par la presse, JEEPERS CREEPERS serait simplement considéré comme un excellent film de trouille, point barre. Un peu plus malsain que les autres, peut-être ? Quant à savoir pourquoi, on s'en branle, les mecs !... L'important, c'est qu'ça foute les j'tons !...



FICHE TECHNIQUE :

Réal : Victor SALVA - Scén : Victor SALVA - Photo : Don E. FauntLeRoy (ben tiens ! le petit Lord...) - Musique : Bennett SALVAY - Montage : Ed MARX.
Avec : Gina PHILIPS, Justin LONG, Jonathan BRECK, Patricia BELCHER, Eileen BRENNAN, Brandon SMITH, Peggy SHEFFIELD.

RESUME :

Trish (Gina PHILIPS) et Darry Denner (Justin LONG), en route vers le domicile parental, sont pris en chasse par une camionnette vétuste, dont le conducteur leur apparaît quelques kilomètres plus loin, à proximité d'une église abandonnée. L'étrange personnage (Jonathan BRECK), tout de noir vêtu, jette d'encombrants paquets de forme humaine dans une sorte de goulot de tôle. Résolu à percer ce mystère, Darry entraîne sa soeur vers l'église, dans le sous-sol de laquelle il découvre un amoncellement de cadavres. Son incursion dans l'antre du meurtrier n'a pas échappé à ce dernier, qui se lance à nouveau à ses trousses...

L'AVIS DE BBJANE :

Comme dans la majorité des films fantastiques à caractère queer, l'homosexualité est ici assimilée à l'élément monstrueux, générateur de peur. Si JEEPERS CREEPERS est aussi efficace sur le plan de l'angoisse qu'il génère (il fut d'emblée salué par le public et la critique comme l'une des oeuvres les plus flippantes du début de la décennie), c'est que son auteur met ouvertement en scène ses propres démons, qui se trouvent relever de l'un des tabous les plus redoutés de notre époque : la tentation pédophile -- ou plus exactement, la pédérastie, dans le cas qui nous occupe.
N'envisageant évidemment pas d'en faire l'apologie, SALVA ne peut néanmoins renoncer à en tenter la justification -- non sans mauvaise conscience, d'où une certaine ambiguïté dans le propos du film, et le déséquilibre qui l'affecte.
La réussite exemplaire des quarante premières minutes tient, d'une part, au fait que SALVA s'abstient de tout effet de terreur surnaturelle, et d'autre part à ce qu'il épouse exclusivement le point de vue des proies du Creeper -- particulièrement de Darry, le seul qui soit véritablement concerné par les visées du monstre. Or, il se trouve que l'adolescent, malgré la terreur que lui inspire son poursuivant, éprouve à son égard une irrésistible attraction, qui le conduit, tout au long du film, à aller à sa rencontre.
Si l'on prend JEEPERS CREEPERS pour ce qu'il est (une allégorie pédérastique), on ne peut qu'être frappé par l'attitude qu'adopte la victime envers son agresseur, et qui témoigne d'autant d'attirance que de répulsion.
Il y a fort à parier qu'un tel propos, énoncé dans un contexte réaliste, et non sous le couvert du "fantastique", aurait de quoi susciter une rude polémique, propre à fermer à son auteur les portes des producteurs (et le soutien des spectateurs) pour nombre d'années, comme le fit son incartade passée.

Pause pipi...

Dès la première scène, la suspicion d'homosexualité pèse sur Darry. Ses efforts pour affirmer sa virilité (vitesse inconsidérée au volant, propos machistes envers sa soeur) sont ruinés par une malencontreuse série d'"actes manqués" (dans le "6A4EVR" d'une plaque minéralogique, il lit "Gay forever", au lieu du plus judicieux "Sexy forever" indiqué par sa soeur ; plus tard, il constate que le linge lavé par sa mère a fâcheusement déteint : "J'ai douze paires de caleçons roses !", lance-t-il à Trish, qui lui réplique ironiquement que "c'est peut-être un signe".)
Après avoir tenté d'effrayer les occupants d'un camping-car en se ruant sur leur véhicule, il est à son tour harcelé de la même manière par la camionnette du Creeper -- qui n'hésite pas, pour sa part, à lui rentrer dans le train (oserais-je parler d'"enculeur enculé" ?... Oui, j'ai osé...) Une conjonction pulsionnelle est ainsi signalée entre le poursuivi et son poursuivant.

Suck my truck !!!
Première indication d'une menace pédérastique : la camionnette de l'agresseur accuse plusieurs kilomètres au compteur ("Une vieille caisse toute pourrie", commente Darry, avant de s'insurger, non sans une pointe d'admiration : "Il a gonflé son moteur, ou quoi ?...")
Ancêtre boosté au Viagra, franc du pare-choc et avide de collision : le truck vétuste du Creeper est une image transparente du "monstre pédéraste". (L'influence du Duel de SPIELBERG, évidente durant le premier tiers du film, et revendiquée par SALVA, me confirme qu'il ne serait pas malvenu d'apporter une lecture queer au chef-d'oeuvre du papa d'E.T.)
Quelques kilomètres plus loin, Darry et Trish découvrent la camionnette à l'arrêt près d'une église abandonnée, et son conducteur occupé à jeter de sinistres paquets dans une sorte de boyau de tôle. Darry ne sera pas long (LONG, vous avez dit Justin ?...) à vouloir retourner sur les lieux, contre l'avis de sa soeur. Il inaugure ainsi la série des "rétrogradations" que j'ai signalées plus haut, témoignant de son empressement à se jeter "dans la gueule du loup". Si la peur lui interdit de répondre spontanément aux avances du monstre, il ne peut néanmoins s'en détourner.
Trish lui reproche sa coupable envie "d'aller voir s'il n'y a pas un truc sordide".
"Dans les films d'horreur, y a toujours un con qui déconne. T'es ce con-là ?" ajoute-t-elle, comme pour anticiper la réaction des spectateurs. Ce réflexe récurrent chez les protagonistes de films fantastiques, qui consiste à se diriger résolument au devant du danger, suscite invariablement les sarcasmes des adversaires du genre. Pour sa défense, les fans ont coutume d'objecter que, sans ce comportement des victimes, il n'y aurait jamais d'affrontement -- et, partant, pas de film... Justification un peu courte, et argument fort pratique pour éluder la question sensible : l'attirance de la future victime pour son futur bourreau (et, dans le cas de films au sous-texte queer, l'irrésolution des héros dans leurs choix sexuels.)
Attiré par "les trucs sordides", Darry ira donc se pencher sur le curieux orifice dans lequel le Creeper balance ses cadavres. Ce conduit menant aux entrailles de l'Enfer, et qui exhale une forte puanteur, n'est autre que l'anus du Mal (qui a dit du Mâle ?... Désolé, on l'a déjà faite, celle-là...), objet de curiosité autant que d'appréhension pour notre hétéro vacillant, et source de révélations prodigieuses.
La scène de la chute de Darry dans Le Trou multiplie les allusions olfacto-scatologiques à tendance homoérotique -- depuis l'insistance de Trish à évoquer l'odeur de chaussettes et de baskets crades de son frère (on sait le fétichisme homo relatif aux "skets et panards" -- et cette référence abonde dans le film...), jusqu'à la dégringolade dans "toute cette merde", en passant par les multiples cadrages accusant l'aspect organique du conduit.

Le trou du cul du Mal.
Forcément, cet oeillet ne sent pas la rose...

Ce que découvrira Darry dans le sous-sol, sera -- selon ses propres termes -- "la Chapelle Sixtine d'un fou" (l'allusion à Michel-Ange, de qui l'on connaît les inclinations sexuelles, n'est certainement pas innocente, dans le contexte.) Les parois de l'antre et sa voûte sont tapissées d'un enchevêtrement de cadavres pourrissants, vision dantesque empruntée au Frayeurs de Lucio FULCI (l'exploration souterraine du cimetière de Dunwich), mais également évocatrice des charniers de la Seconde Guerre Mondiale. SALVA -- comme la plupart des auteurs spécialisés dans le fantastique -- semble suggérer que le retour du refoulé, et son déchaînement, ne peuvent qu'aboutir sur l'horreur du serial killer ou sur celle du nazisme -- encore ne faut-il pas oublier que le refoulé n'existerait pas, et, de fait, n'aurait aucune raison de se déchaîner, sans les contraintes entretenues par la Raison Sociale. Ce sont les garde-fous qui engendrent les fous, ce que le "fantastique", essentiellement réactionnaire et puritain, répugne à considérer.
Darry regagnera l'air libre et la surface terreste dans un état de stupeur identique à celui d'une victime d'un viol. Sa soeur, assez peu soucieuse de sa traumatisante expérience, ne cessera de lui marteler qu'il "sent la merde" -- inévitable conséquence de l'exploration des fondements...
Comme s'il prenait soudain conscience de s'être aventuré (et d'avoir entraîné son public) dans des régions décidément trop obscures et trop intimes, SALVA fait dès lors basculer son film dans le fantastique pur.
Plus question de laisser planer le doute sur l'origine surnaturelle du Creeper ; tout est mis en oeuvre pour que le spectateur renonce à s'interroger plus longuement sur les motivations profondes (trop humaines ?) du monstre. Textuellement, il devient un épouvantail de plus dans la galerie desfamous monsters.
L'accumulation frénétique de détails abracadabrants et d'invraisemblances scénaristiques témoigne de la panique de SALVA, atterré par les implications profondes de son oeuvre, et par le ton de confession qu'il avait jusqu'alors adopté.
Décidé à se ressaisir, le cinéaste fait sombrer son film dans le n'importe quoi : intervention soudaine d'une voyante noire qui connaît tout sur tout et nous assène l'historique complet du monstre en deux coups de boule de cristal ; scène parfaitement superfétatoire de la "Vieille aux Chats", victime du Creeper ; introduction de gimmicks ineptes et jamais justifiés (pourquoi la chanson "Jeepers Creepers" annonce-t-elle inévitablement le surgissement du monstre ?... pourquoi se manifeste-t-il uniquement "tous les 23 printemps pendant 23 jours" ?...)

La Vieille aux Chats 
 
on déplorera que Victor SALVA n'ait rien trouvé de mieux à offrir que ce rôle ridicule à la sublime Eileen BRENNAN.

Jezelle, la voyante black, dans tous ses états
(DIVINE avec du cirage ?... Non : Patricia BELCHER)

Pour excuser ces lacunes, SALVA fait remarquer par sa providentielle voyante black que ses révélations ne sont pas "comme un film... il y manque des bouts, parfois..."
De-ci de-là, cahin-caha, le sous-texte rejaillit pourtant à la faveur d'un plan ou d'une réplique. Ainsi, le Creeper est décrit comme "une créature avide, échappée de la face cachée du Temps" (ou du "placard" de l'Histoire ?...) ; on nous apprend également qu'il est "habillé en homme pour cacher qu'il n'en est pas un", et qu'il "mange des organes qui le renouvellent" (retour au croquemitaine pédéraste, trouvant dans la jeunesse de ses proies matière à tromper son vieillissement).
De même, au plus fort du danger, Darry continue de renâcler lorsqu'il s'agit d'échapper au monstre : "Ralentis ! Tu vas nous tuer !", lance-t-il à sa soeur, qui les exposerait pourtant à une mort plus sûre en roulant plus lentement...
Dans la plus totale confusion scénaristique (ou en raison de cette confusion), SALVA laisse néanmoins certains indices lui échapper. Ainsi, à l'issue de la première confrontation entre le Creeper et "la Vieille aux Chats" : "Qu'est-ce que TU m'as ramené ?", lance cette dernière à Darry, en lui balançant la crosse de son fusil dans les parties. Elle suggère par-là que l'adolescent (non sa soeur) est la proie d'élection du monstre. Ce que nous confirme le finale : ayant reniflé tour à tour Darry et Trish, le Creeper envoie dédaigneusement valdinguer le jeune fille, et prend la poudre d'escampette avec son frère.
Trish a beau prétendre désespérément, pour inciter la créature à la choisir, qu'elle a "la même chose que Darry en elle" ("chose" qui, là encore, n'est jamais explicitée, mais est très clairement un parfum d'homosexualité), rien n'y fera : le croquemitaine n'en pince résolument que pour les garçons...

Encore un bel exemple d'"acte manqué"... 
Comment réparer les outrages homosexuels ? En nouant un slip rose à son pare-choc arrière, bien sûr !...


Le dernier plan du film nous montre le Creeper regardant la caméra à travers les orbites vides d'un Darry fraîchement dépecé. Ces yeux qui nous fixent, brillant de haine -- ou de convoitise -- sont ceux du jeune garçon, que le monstre vient de se greffer. Par cet acte, il consacre l'union avec sa victime -- et par ce regard, il nous rappelle qu'au fond, tous deux ont toujours partagé le même point de vue.

Par le petit bout de la lorgnette : "l'enculeur enculé".

Parce qu'il amena les fantasticophiles à s'interroger (enfin !) sur le sous-texte homosexuel de leur genre favori, JEEPERS CREEPERS peut être regardé, en dépit de ses faiblesses et de ses regrettables ruptures de ton, comme un film-charnière. En ce sens, on peut considérer qu'il y a désormais un avant et un après J.C.

J.C.

N.B. : Sauf erreur de ma part, aucun commentateur n'a signalé l'évidente parenté entre le Creeper et les "Maigres Bêtes de la Nuit" lovecraftiennes -- créatures ailées arrachant leurs proies à la Terre pour les emmener vers un ailleurs de cauchemar, qui hantèrent les nuits du "reclus de Providence", sa vie durant. Hommage conscient, ou similaire sublimation onirique / artistique d'obsessions pédérastiques ?... Je vous laisse en juger...
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3 juillet 2020

Les bergers d'Arcadie de Jean Cocteau

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3 juillet 2020

JOHN GIBSON (1790 – 1866)

 

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Sleeping Shepherd Boy

3 juillet 2020

L'IMAGINAIRE HISTORIQUE DE PIERRE GUYOTAT

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La toile est vraiment un coffre aux trésors, mais parfois difficile à exhumer. J'étais à la recherche d'anciennes émissions de France culture transcrites par écrit pour les découvrir ou les redécouvrir, si vous avez des pistes pour cela n'hésitez pas à me les faire partager, car pour l'instant ma moisson est maigre, je ne serai pas égoiste vous retrouvez certaines de ces anciennes émissions ensuite sur le site, lorsque je tombe sur un site qui se livre à un travail, un peu fou de bénédictin, retranscrire certaines émissions de radio, j'en suis ravi. Son adresse est celle-ci: http://www.fabriquedesens.net

J'ai choisi une émission de la série "La fabrique de l'histoire" qui examinait avec eux l'imaginaire historique de quelques écrivains. Celle avec Pierre Guyotat m'avais beaucoup intéressé. Tombeau pour cinq cent mille soldats m'avait été l'un des chocs de lecture de mon adolescence ensuite je trouvais que ses "exercices vocaux" relevaient plus de la médecine que de la création littéraire. L'année dernière feuilletant, presque par inadvertance à la FNAC, "Formation" j'avais été si touché et capté par ce livre que je l'ai immédiatement acheté. Ce livre m'a fait pensé à ce qu'aurait pu écrire Genet s'il avait écrit sur son enfance. C'est tout simplement très beau... Or donc voilà Guyotat face à Emmanuel Laurentin. Il eut été dommage que ces paroles se perdent, merci à Taos Aït Si Slimane qui les a pieusement recueillies. 

 

 

Pierre Guyotat, va nous parler de ce passé dans lequel en tant « fictionneur », comme il se qualifie, il va chercher personnages et situations. Il va nous parler d’empires et de conquérants, de Michelet et de vies des saints, de la France et de sa langue. Pendant une heure, donc, l’auteur de Tombeau pour cinq cent mille soldats, de Coma et de Vivre, et très récemment de Formation, chez GallimardFormation dans lequel il raconte et tente de restitue le climat dans lequel il a grandi, dans les années 40 et 50, et constitué son savoir historique. Eh bien, Pierre Guyotat va nous raconter pendant une heure son passé, son passé rêvé, ses références en histoire, dans une réalisation de Marie-Christine Clauzet.

Pierre Guyotat : Je dois avoir eu, très tôt, un esprit, comme dirais-je, de « fictionneur », si je puis dire. Donc, l’histoire est très vite, pour moi, mélangée avec ce qui fait la force de la fiction, la fiction dans les grands romans etc. et c’est pour ça que tous les personnages d’histoire m’intéressent, parce que je les vois comme des êtres humains, les personnages de fiction, ce qui fait qu’il y a peu d’individus, de grands personnages historiques, que j’ai abandonnés après. Parce qu’ils m’intéressent toujours, différemment, disons, leurs actions. Lénine, par exemple, c’est évident que c’est l’action, mais le personnage reste de toute façon extrêmement intéressant. On n’en a pas fini avec ce personnage. Le mélange de cette simplicité, quasiment petite bourgeoise, et puis cette énergie, cette conviction, cette énergie ahurissante, c’est tout de même très impressionnant. Et c’est toujours, très habilement, un peu comme Robespierre mais plus que Robespierre encore, il s’est mis toujours en retrait de l’histoire, c’est-à-dire de l’action, du massacre, de l’emprisonnement, de la terreur, de tout ça. « Ne me parlez pas de ce qui se passe », c’est ce qu’il disait, Lénine. Il faut aussi beaucoup d’énergie pour vivre un truc pareil. Oui, il faut essayer de voir les gens par le haut, comme on dit, aujourd’hui. Le bas, oui, bien sûr, mais moi, c’est absolument condamnable, bien entendu, les méthodes sont atroces etc. mais le personnage c’est un être humain. Il reste un être humain.

Emmanuel Laurentin : Cette gourmandise que vous avez, dès votre enfance, Pierre Guyotat, pour l’histoire, pour le passé, pour les personnages qui la peuplent, vous l’exercez au hasard de vos lectures, ou est-ce que qu’il y a quelque chose de systématique ? Vous découvrirez, dites-vous, avec le latin par exemple progressivement l’histoire de l’Empire romain, c’est ce que vous expliquez dans Formation, mais est-ce que vous défrichez un territoire et une fois que vous avez défriché ce territoire historique, ce territoire géographique, ce territoire du passé, vous passez à un autre ? Comment ça se passe ? Ou est-ce que c’est un peu au hasard des lectures ?

Pierre Guyotat : Tout à fait au hasard des lectures. C’est lier à mon travail aussi. Si j’ai besoin de savoir des choses sur la mise en psychose etc., je vais évidemment relire des livres sur l’Inde ou sur…, bien entendu. Quand j’étais adolescent, quand j’ai commencé à aimer la musique, en dehors de ma mère, si je puis dire, je me suis intéressé aux périodes où naissent les musiciens. Pour moi, il n’y a pas l’histoire, si vous voulez. L’histoire est un élément, ou peut-être l’élément qui rassemble le tout, mais c’est l’art, les mœurs, les vêtements, la nourriture, les lieux – très importants les lieux…

Emmanuel Laurentin : Ce qu’on appelle l’histoire totale.

Pierre Guyotat : Oui. C’est absolument lier. Quand je prends un musicien comme Robert Schumann, je prends toute la période et l’Allemagne avec. Il n’est pas isolé, comme on essaye de beaucoup isoler aujourd’hui.

Emmanuel Laurentin : Ce n’est pas le génie qui viendrait comme cela au milieu de nul part qui vous intéresse, c’est effectivement la personne qui grandit dans un milieu et qui raconte aussi l’histoire qui l’a précédée.

Pierre Guyotat : Je ne suis pas non plus marxiste au point de penser qu’untel est le produit de, non. D’abord, untel n’est pas le produit. Moi, j’ai une vision, vous l’avez bien vue, un peu plus, comme dirais-je, métaphysique, mythologique, disons. Cette idée que l’homme est un produit, la production de je ne sais quoi, non. C’est faux. Il faut essayer d’imaginer les choses, je le fais tout le temps, je le fais depuis que je suis enfant, mettre une image sur des mots abstraits. Qu’est-ce que c’est qu’un produit ? Un produit, c’est une production. C’est quelque chose qui sort de quelque chose, peut-être, la terre produit des tas de trucs, ou la production d’une boîte de conserve, ou un appareil, un objet, comme ce lapin mécanique que l’on m’a rapporté de Chine - il n’est pas très mécanique du reste-, voilà un produit. Mais imaginer que l’homme est une de ces images-là c’est impensable, ce n’est pas possible.

Emmanuel Laurentin : Cette histoire que vous racontez dans Formation, que vous dites qu’elle est, par exemple, votre histoire mais il faut s’imaginer l’histoire d’avant soi-même, c’est-à-dire de sa famille, de sa mère, de ceux qui vous ont précédés aussi, et d’une certaine façon s’inscrire dans une lignée et s’imaginer comme un maillon d’une sorte de chaîne qui se poursuivra après vous, d’une certaine façon.

Pierre Guyotat : Oui. Je reste sur cette sensation-là si j’avais moi-même des enfants mais je n’en ai pas, hélas mais c’est comme ça. Oui, j’ai cette sensation-là, bien entendu. Bien sûr que je suis un maillon de la chaîne mais moi, je n’ai jamais voulu tellement me considérer comme un maillon de la chaîne à vrai dire, depuis enfant. Parce que je le dis, là aussi, un maillon de la chaîne c’est quelque chose qui n’est pas très éloigné de l’homme produit de…

Emmanuel Laurentin : Mécanique.

Pierre Guyotat : Non, non, moi, je suis né et j’ai grandit avec cette idée que c’est Dieu qui vous programme - là aussi un mot horrible – et après qui vous suit, en quelque sorte. Après on s’aperçoit que ce n’est pas forcément Dieu, que c’est une conscience très, très forte, très affirmée, une conscience au sens hégélien du terme, qui est là. Cette conscience, c’est vous. Et alors, ça pose la question morale, le sens moral d’où me vient-il ? Parce qu’au fond, les parents ce n’est pas suffisant. C’est très nécessaire, le sens moral. Ce qui est bien, ce qui n’est pas bien, ce qui laid, ce qui est beau, ça aussi c’est important. Dans le sens moral, il y a tout ça. Donc, ça vient. D’où ça vient ?

Emmanuel Laurentin : Justement, cette histoire telle qu’on vous l’a racontée quand vous étiez enfant, Pierre Guyotat, avait aussi pour mission de donner un sens moral aux événements du passé, c’est-à-dire de montrer ce qui était bien, ce qui n’était pas bien, ce qu’il fallait faire, ce qu’il ne fallait pas faire, de servir d’exemple pour certains des personnages du passé, d’autres qui servaient de repoussoir, ça participait à cette création d’un sens moral.

Pierre Guyotat : Moi, j’ai toujours été attiré, même quand j’étais enfant, en bon chrétien, et allais plus facilement vers les réprouvés, si vous voulez, que vers ceux qui étaient parés de toutes les qualités.

Emmanuel Laurentin : Les figures de la sainteté…

Pierre Guyotat : Si, les figures de la sainteté, c’est autre chose. Les figures de la sainteté c’est des gens qui sont au bord, quand même, ils sont entre les deux, il faut grandir beaucoup pour le ressentir. Un martyre, un grand saint, c’est quelqu’un qui est au bord de l’enfer quand même, au bord de l’orgueil d’une certaine façon, au bord de l’orgueil de soi-même. Moi, j’allais beaucoup vers ces gens-là. J’ai assez vite saisi l’ambigüité de la sainteté, le sentiment de sainteté pour le saint. Donc, moi, voilà, le mouvement vers ceux qu’on rejette, par exemple. Richard III, c’est une pièce qui m’a hanté quand j’étais adolescent. Je dois dire que ma sympathie allait plutôt vers Richard III. J’ai horreur de tout ce qui s’apparente à du lynchage.

Emmanuel Laurentin : J’ai apporté avec moi La légende dorée de Jacques De Voragine, avec un extrait du martyre de Sainte Catherine. « Alors un préfet conseilla au roi furieux de faire préparer, dans les trois jours, 4 roues entourées de scies de fer et de clous très pointus, en sorte que ce terrible supplice découpe la vierge et que l’exemple de cette mort atroce effraye les autres chrétiens. » Dans ces lectures d’enfance ou d’adolescence, Pierre Guyotat, il y a aussi cette vision de la sainteté, du martyre qui vous poursuit dans votre œuvre, qui est toujours présente dans votre œuvre. Ce martyre par le sang, par le massacre, ces massacres organisés, pourrait-on dire, et qui sont légitimés par cette histoire sainte parce que tout compte fait on voit des horreurs parce que justement ces saints ont péris sous le glaive des empereurs en particulier.

Pierre Guyotat : Oui, mais je ne suis plus très sensible à cette question des martyres.

Emmanuel Laurentin : Mais, vous l’avez été, sensible à la question des martyres ?

Pierre Guyotat : Oui, beaucoup, énormément, bien sûr. Tout enfant normalement constitué à l’époque, vivant dans un pensionnat religieux avec des prêtres ( ?) bien, n’avait qu’une envie, c’était de mourir martyre, parce qu’un enfant n’a pas le sens de la mort. Il peut avoir le sens de la douleur mais le fait d’être martyre dans l’arène, par exemple, l’éclat, c’est tellement plus fort pour un enfant que la souffrance, que les crocs des lions. Le fait d’être là désigné comme témoins d’une foi c’est absolument extraordinaire. Le récit des martyres, c’était dans les textes aussi. C’était dans les textes à traduire. Non seulement on lisait mais on traduisait le texte qui racontait l’horreur, qui racontait le supplice ou le massacre, etc. La traduction joue un rôle considérable, pour ceux qui ont fait du latin et du grec. Évidemment.

Emmanuel Laurentin : Sans compter, Pierre Guyotat, qu’il y a chez vous cette particularité de grandir dans une famille dont la plupart des membres ont participé, sinon la totalité des membres, à la Résistance, pendant la Seconde Guerre mondiale : Un de vos oncles est mort aux camps, une de vos tantes est revenue extrêmement affaiblie par son séjour en camp, et que le jeune enfant que vous êtes, vous avez 4 ou 5 ans à la fin de la Seconde Guerre mondiale, à la sortie de la guerre peut faire la relation entre ses lectures et mélange parfois d’ailleurs ses lectures et ses références historiques avec le véritable martyre qu’ont vécu certains de votre famille à un certain moment j’imagine.

Pierre Guyotat : Tout à fait. Il faut dire une chose sur la Résistance qui est un petit peu oubliée. Enfin, ce n’est pas la Résistance qui est oubliée, c’est ça qui est oublié, c’est-à-dire qu’à cette époque où il faut tout mettre sous les projecteurs : les individualités, pour ce qu’ils ont fait, ce qu’untel a fait, ce qu’untel n’a pas fait mais voudra faire, etc. On oubli une chose c’est que les Résistants se sont engagés non pas seulement comme on le croit pour qu’on puisse dire après, c’est un peu nos chers intellectuels qui disaient ça : « prendre date », moi aussi j’étais comme ça, pour qu’on puisse après dire : « il a signé ça, il n’a pas signé ça ». Ce n’était pas du tout ça, eux., ils voulaient tout simplement chasser l’Allemand, chasser le nazi. Ils s’inscrivaient dans une logique militaire de Résistance. Ce n’était pas pour témoigner. Ils ne savaient pas du tout ce que le monde serait après. C’était un engagement individuel pour une action collective. Qu’est-ce qu’on est naïfs aujourd’hui à penser… Alors évidemment il y a l’exemple de de Gaulle, l’homme qui dit non tout seul, nous dit-on. Attention, il n’était évidemment pas tout seul, l’homme qui dit « Non », toutes ces fadaises, etc. On ne se pose même pas la question de savoir si par exemple il n’était pas possible que de Gaulle aille ailleurs qu’à Londres. Il y avait des endroits du territoire français qui étaient encore libres. On pouvait aussi s’installer sur une montagne ou sur un pic, je ne sais pas, pourquoi pas dans des grottes, dans les Pyrénées. Il faut se poser toutes ces questions-là aussi, ne pas accepter, même si c’est magnifique bien sûr de Gaulle, ce n’est pas moi qui avait mettre en question quoi ce soit, mais il faut se poser des questions et surtout cette idée que la Résistance c’est vraiment pour aider les autres, aider les alliés, s’aider soi-même à chasser les gens qui sont là. C’est très simple.

Emmanuel Laurentin : Cette expérience que vous avez du retour des camps de votre tante, du combat de la Résistance, du fait que votre oncle meurt dans un des ces camps, vous conduit à penser, Pierre Guyotat, comme vous l’écrivez dansFormation, que l’histoire est comme une alternance d’asservissement et de délivrance, c’est-à-dire une sorte de respiration qui passe de l’un à l’autre, un moment de délivrance, puis une nouvelle alternance provoquera un nouvel asservissement.

Pierre Guyotat : On le sent bien quand on est enfant, ça. On a des moments d’extraordinaire libération, de délivrance et des moments d’extraordinaire assujettissement, et au fond c’est ça qu’on vit toute la vie.

Emmanuel Laurentin : Il y a un personnage dont on n’a pas parlé encore, qui est un personnage fondamental dans votre formation intellectuelle, et qui revient tout le temps, c’est un mot, un mot de France. La France, comme personnage, comme figure, comme chez Michelet, par exemple. La France, comme personne ?

Pierre Guyotat : Oui, la France est importante pour moi, bien sûr. Parce que je trouve que c’est une histoire politique absolument extraordinaire. Peut de pays de cet âge-là, qui aient une histoire pareille, qui soit d’une richesse pareille. Quand on connaît l’histoire des autres pays, c’est évident.

Emmanuel Laurentin : Vous avez grandi en lisant l’histoire de France…

Pierre Guyotat : C’est évident, je ne vais tout de même pas renier ce pays, qui est le pays qui a secrété, si je puis dire, petit à petit, cette langue dont je me sers, dont nous nous servons tous. C’est tout de même étrange de la part d’écrivains d’un certain intérêt aujourd’hui, ce rejet de la France. La langue a été secrétée par les Français, des Français de toutes classes, toutes classes confondues. Donc, il faut quand même y penser à ça.

Emmanuel Laurentin : Et cette France dont vous parlez, vous en avait toujours parlée, selon les mêmes termes ? Lorsque vous étiez enfant, adolescent, jeune adulte, maintenant, c’est la même France que vous portez à chaque fois avec vous ? Ou, est-ce qu’elle a subi, sous les aléas de l’histoire, la Guerre d’Algérie que vous avez vécue, ou d’autres moments comme cela, des altérations, des disparitions comme un astre qui subirait une éclipse ?

Pierre Guyotat : Bien sûr. Oui, bien sûr. J’ai eu un moment très long qui correspondait au moment où j’étais en Algérie, pendant la Guerre d’Algérie, on ne pouvait que détester son pays. Je l’ai expliqué dans d’autres textes, le dégoût de la langue. La langue que j’avais entendue, ça fait un drôle d’effet quand vous entendez votre langue maternelle utilisée à des fins, même d’ordre déjà. Quand vous entrez à l’armée et qu’on vous donne des ordres dans cette langue, c’est très extraordinaire. Cette langue qui n’est pas du tout faite, assez peu faite, pour ce genre d’injonctions. C’est important la langue qu’on entend. Ce n’est pas un dévoiement, c’est cette langue-là, et quand la langue est criée et qu’elle est déformée, comme elle l’était autant par les appelés que par les officiers, qu’elle devenait en quelque sorte utilitaire, utilitaire guerrière, c’est horrible.

Emmanuel Laurentin : Mais il y a d’autres exemples, qui sont antérieurs, pendant lesquels cette langue a été utilitaire, c’est l’esclavage par exemple…

Pierre Guyotat : Je ne la connais pas cette langue puisqu’il n’y avait pas d’enregistrements. On peut l’imaginer. C’est vrai qu’il faut imaginer la parole, l’accent des gens de l’époque, l’accent de Louis XIV, par exemple, l’accent de Bossuet, prononçant ses…, l’accent de Louis XVI prononçant son discours à l’Hôtel de Ville en 89, je crois, le premier discours non préparé, ou d’autres.

Emmanuel Laurentin : Il faut imaginer Simon Montfort à Béziers devant l’armée…

Pierre Guyotat : Comment, par exemple, cette fameuse phrase de l’évêque, Foulques, dans le Nord, je crois, « Tuez-les tous, dieux reconnaîtra les siens ». A l’époque il faut déjà rétablir le très ancien français, imaginer l’accent… justement en Algérie, j’avais ça.

Emmanuel Laurentin : En direct.

Pierre Guyotat : Oui, j’avais ça en direct. J’avais l’accent, le ton de Galliffet, par exemple, le général Galliffet commandant les massacreurs des Communards, par exemple.

Emmanuel Laurentin : Ou de Saint Arnaud…

Pierre Guyotat : Ou de Saint Arnaud, par exemple, en Algérie, voilà. Mais ce n’est pas beau. La langue est très laide quand elle est utilisée pour un ordre militaire. L’histoire ça s’imagine beaucoup plus que ça ne se lit. Il faut imaginer que jusqu’à l’électricité, tout se fait aux chandelles. Et avant le gaz même, tout se fait aux chandelles, au flambeau, à la bougie. Tous les grands textes s’écrivent à la bougie. Les peintres peut être non, ils travaillent le jour mais peut-être que Rembrandt le soir… Vous imaginez ça. Les traités, toutes ces choses qu’on imagine en pleine lumière dans la nuit des temps, comme on dit, c’est vraiment dans la nuit avec très peu d’éclairage. Il y avait très, très peu d’éclairage quand même. Il faut penser au très peu d’éclairage qu’il y avait dans les fermes. Il faut imaginer les odeurs aussi. L’odeur, ce n’est pas des périodes où l’on se lavait beaucoup quand même. Il y avait beaucoup de parfums, beaucoup d’ingrédients. C’est un monde qui sentait beaucoup plus fort que maintenant, à tout point de vue, pas seulement les gens…

Emmanuel Laurentin : Les fumées des viandes…

Pierre Guyotat : Il faut imaginer le XVIe siècle, un siècle de violence, d’extrême violence et d’extrême grandeur littéraire, artistique, musicale phénoménale. La deuxième moitié du XVIe siècle, c’est un moment terrible, vous imaginez ces gens se battant sans arrêt, suant, puant. On le sait pour Henri IV, mais il faut l’imaginer pour tout le monde. Donc, il y avait le peu de lumière, pas forcément la puanteur mais la senteur, les champs sentent beaucoup plus, les villes sentent beaucoup plus, les appartements sentent beaucoup plus. Il y a beaucoup plus de bois. Ça sent beaucoup. C’est ça l’histoire, il faut imaginer ça, comme ça.

Emmanuel Laurentin : On a l’impression qu’il y a une véritable gourmandise dans ce voyage dans le temps que vous faites. Un voyage qui mélange d’ailleurs l’espace et le temps parce que, comme toujours en France, on ne sépare pas l’histoire de la géographie…

Pierre Guyotat : Heureusement. Parce que ça va de soi. Oui, Montesquieu etc. Renardez 40, 1940, la débâcle française s’explique beaucoup par toutes sortes de choses, l’impéritie de l’État-major etc. mais il y a aussi le fait que l’Angleterre est séparée du continent. Ça compte énormément encore à l’époque. Ça compte toujours du reste. Et ça comptera toujours. Il y a des obstacles naturels qui comptent toujours.

Emmanuel Laurentin : C’est Hannibal passant les Alpes ?

Pierre Guyotat : Une grande partie de l’histoire, l’histoire militaire en tous les cas, et même tout simplement de l’histoire, c’est non seulement le climat mais la géographie, bien entendu. Ce qui fait que l’on peut quand même émettre quelques doutes sur la capacité par exemple des Etats-Unis à mettre l’Iran au pas. C’est très loin quand même. Ça reste très loin.

Emmanuel Laurentin : Vous êtes un enfant de cette fusion de l’espace et du temps qui est issue justement de cette vision historique qui fait que Michelet fait un tableau de la France, en même temps qu’il fait l’histoire de France, et l’ouverture de la grande Histoire de France de Lavisse, c’est Vidal de la Blache, avec le tableau de la France de Vidal de la Blache, donc c’est ce mélange de…

Pierre Guyotat : Mais Michelet avait un très grand sens de la géographie. On le voit dans ce tableau de la France, admirable texte du début mais en même temps dans toute l’œuvre.

Emmanuel Laurentin : Je vous lis un extrait justement de ce tableau de la France de Michelet : « Les fils d’Eléonore, - Aliénor, donc - Henri, Richard-Cœur –de-Lion et Jean ne surent jamais s’ils étaient Poitevins ou Anglais, Angevins ou Normands. Cette lutte intérieure de deux natures contradictoires se représenta dans leur vie mobile et orageuse. Henri III, fils de Jean, fit gouverner par les Poitevins ; on sait quelles guerres civiles il en coûta à l’Angleterre. Une fois réuni à la monarchie, le Poitou du marais et de la plaine se laissa aller au mouvement général de la France. Fontenai fournit de grandes listes, les Tiraqueau, les Besly, les Brissons. La noblesse du Poitou donna forces courtisans habiles (Thouars, Mortemar, Meilleraie, Mauléon). Le plus grand politique et l’écrivain le plus populaire de France, appartiennent au Poitou oriental : Richelieu et Voltaire ; ce dernier, né à Paris, était d’une famille de Parthenai. ».

Pierre Guyotat : Oui, c’est un passage célèbre. Il va peut-être un peu loin. On est souvent tenté, bien sûr. Il y a presque un côté journaliste dans cette chose-là…

Emmanuel Laurentin : Ramasser comme cela dans un grand espace, les grands hommes pour pouvoir…

Pierre Guyotat : Vous savez, Michelet a beaucoup voyagé. Du reste, la vie de Michelet est extraordinaire. Non seulement l’œuvre est magnifique mais l’homme est extraordinaire. Il était un peu barbant, je crois, d’après ce qu’on sait des réceptions, des dîners qu’il donnait chez lui, qui étaient d’un ennuie terrible paraît-il, mais bon, je ne sais pas. Mais c’est un homme qui voyageait tout le temps, qui a passé les frontières, qui a escaladé des montagnes, qui a passé des fleuves et tout, tout le temps, en diligence, en calèche, avec tout le monde, en bateau, en coche d’eau et puis en train. Il a pris le train. On revient dans le journal, c’est formidable. Il voyage sans arrêt, sans arrêt, sans arrêt. Il va dans les lieux, non seulement pour voir les lieux mais pour voir les archives du lieu.

Emmanuel Laurentin : On l’impression que vous, vous voyagez dans l’espace mais que vous voyagez beaucoup dans le temps, que ça vous sert aussi de véhicule justement que de repartir dans le passé, d’en revenir, d’en ramener quelque chose.

Pierre Guyotat : Pour moi, c’est une habitude. C’est peut-être pour ça que j’ai aimé l’histoire très tôt. C’est une habitude de romancier, j’ai horreur du terme, disons d’un « fictionneur ». Un « fictionneur » est obligé de tenir compte, pour faire avancer l’action, de tout : d’où on vient, où on va, qu’est-ce qu’il y a à droite, à gauche, devant, au-dessus, dessous, qu’est-ce que ça sent, quelle lumière etc. Donc, l’imagination de l’histoire est tout à fait logique. C’est pour ça que tous les personnages de l’histoire me sont proches, pour les personnages de l’histoire. Certains sont trop monstrueux, toute une vie d’homme ne suffirait pas pour essayer de comprendre le pourquoi. Vous voyez ce que je veux dire.

Emmanuel Laurentin : Lesquels, par exemple ?

Pierre Guyotat : Staline, Hitler, il faut plus qu’une vie pour saisir le pourquoi et le comment. Ce qui est phénoménal, quand même, c’est la capacité… alors on dit que c’est le manque de scrupule, l’absence de morale mais c’est un mot faible. Comment quelqu’un peut-il tenir autant de temps, avec autant d’énergie ? Alors, évidemment avec Hitler on sait que les moments terrifiants, les moments de terreur, de dégoût etc. mais ce n’est pas forcément de dégoût de lui-même. On ne le sait pas ça aussi. Comment un cerveau humain peut-il tenir un pareil déchet moral ? C’est extraordinaire. Staline, c’est pareil.

Emmanuel Laurentin : Et vous n’avez pas trouvé la solution, encore ?

Pierre Guyotat : Moi, si vous voulez, étant donné que je fais de la fiction, depuis très longtemps quand même, depuis maintenant bientôt 50 ans, rien ne m’étonne si vous voulez. Mais ce que je n’arrive pas à saisir, c’est que le fameux réflexe moral, dont je vous parlais au début, là, ne joue pas. C’est un mystère.

Emmanuel Laurentin : Ce n’est pas le seul cas.

Pierre Guyotat : Ce n’est pas le seul cas, bien sûr. Mao Tse Tung, c’est quand même pas mal non plus, et tant d’autres !

Emmanuel Laurentin : Oui, parce que vous prenez des exemples du XXe siècle mais on pourrait prendre des exemples dans les siècles passés, j’imagine ?

Pierre Guyotat : Oui, oui. Sauf que dans les siècles passés, il y avait moins de monde si je puis dire, moins de possibilités de massacrer beaucoup de monde, il y en avait beaucoup hein, ou alors c’était les Mongols dont la rapidité permettait les massacres en longueur et en largeur, si je puis dire. Et puis, chez eux, c’était une nature, ils expliquaient ça. Les Empereurs romains, les Empereurs hindous, indiens qui sont des terreurs, les Empereurs musulmans et persiques qui terrorisent des États entiers pendant des dizaines et des dizaines d’années, sur quoi du reste les musulmans devraient du reste se tourner. Il faut se retourner enfin vers leurs propres turpitudes. Des turpitudes commises au nom de leur religion, ça serait salutaire.

Emmanuel Laurentin : Dans votre travail, vous avez longtemps considéré qu’une des choses les plus abominables que l’humanité ait pu créer, c’est la question de l’esclavage. Bien évidemment l’esclavage aussi bien sous l’Empire romain, l’esclavage tel qu’il s’est développé avec la traite atlantique, par exemple, mais cette question de l’esclavage qui redevient d’actualité aujourd’hui, qui se réchauffe alors qu’en pensait qu’elle était derrière nous, historiquement parlant, n’empêcherait pas , selon vous, les peuples d’Afrique, ou les peuples musulmans qui ont pratiqué aussi l’esclavage d’y réfléchir aussi. C’est-à-dire de ne pas toujours renvoyer à l’Europe occidentale la responsabilité.

Pierre Guyotat : Moi, depuis longtemps, je pense qu’il faut même que les jeunes ici, issus, comme on dit, de l’immigration etc. se tournent, s’ils veulent se tourner, s’ils veulent se trouver, comme on dit maintenant, des racines ou des appuis, ils devraient se tourner maintenant, si je puis dire, d’une façon plus héroïque au fond sur leur passée. C’est ce que j’ai écrit et toujours dit, à savoir que les peuples colonisés ont résisté d’abord. Ils ont résisté très fortement. L’Algérie, c’est quelque chose d’incroyable quand même. Ça a duré très longtemps. Et aussi les peuples noirs. Au Dahomey, tout ça, moi, j’ai appris ça. A l’école on apprenait la résistance de Béhanzin, par exemple.

Emmanuel Laurentin : Ou à Madagascar.

Pierre Guyotat : A Madagascar… mais ça je le savais depuis très longtemps. Aujourd’hui on fait comme si on ne savait pas. La torture en Algérie, on ne savait pas… Il y a des gens qui ont perdu leur travail à l’époque, il y a des journaux qui étaient caviardés sans arrêt parce qu’il faisait état de la torture, à l’époque où ça se faisait. Je pense que ce n’est pas spécifiquement français, mais c’est insupportable pour quelqu’un qui a vécu un certain nombre d’années perpétuellement dans le discours : « c’est la première fois », « il aura fallu attendre 60 ans », « il aura fallu attendre 100 ans », « il aura fallu attendre 200 ans », comme si cela n’avait pas été déjà fait par les générations antérieures dont certains éléments l’ont oublié, moi je n’oublie pas. Donc, cette question-là, tous ces jeunes il faut que tous ces jeunes se retournent vers un passé plutôt glorieux et aussi un passé moins glorieux.

Emmanuel Laurentin : Et l’assumer.

Pierre Guyotat : Et l’assumer. Il faut que ça finisse par s’équilibrer, si vous voulez. Que la connaissance de leur passé propre, à savoir la résistance des acteurs et aussi les turpitudes, la complexité dans l’esclavage, complicité incluant des masses, l’Est africain c’est effarant et c’est resté très longtemps et ça reste d’une certaine façon. Donc, il faudrait peut-être un petit peu en rabattre là-dessus aussi. L’Est est très coupable aussi, très coupable. De l’autre côté c’est monstrueux parce que l’enseignement chrétien interdit absolument, totalement ce genre de pratiques. Non seulement ce genre de pratiques mais ce n’est même pas envisageable. L’être humain est un être humain absolument irremplaçable, on ne le vend pas. De l’autre côté, ce n’est pas aussi net. Enfin, le registre scandale pour nous est plus fort mais il ne faut pas non plus que par orgueil encore on revendique la part la plus maudite en occident.

Emmanuel Laurentin : Parce que vous sentez une sorte d’orgueil dans cette façon de se battre la coulpe ?

Pierre Guyotat : Je n’ai pas fini, tout à l’heure, quand je parlais de l’Algérie, la langue etc. Là, j’ai détesté la France vraiment pendant des années, des années et des années. Mais c’était la période où on était presque tous tiers-mondistes, où il n’y avait pas de pays, plus de pays, plus de patrie. Il y avait un vaste univers, c’était une vie universelle dont il faut regretter qu’elle n’existe vraiment plus, parce qu’effectivement c’était possible encore à l’époque, le monde qui est maintenant solide sur ses pieds, la Chine, l’Inde, le Brésil et même les pays arabes sortaient de la colonisation, étaient fragilisés, l’occidentale avait encore la main sur l’épaule du tiers-mondisé. Là, c’est fini. On ne peut plus. Le monde est fragmenté parce qu’il y a des puissances.

Emmanuel Laurentin : Ce qui est étonnant, quand on vous lit, quand on lit votre œuvre avec un peu de précision, c’est que la Chine ne vous est pas étrangère, l’Inde ne vous est pas étrangère, l’histoire de l’Afrique-du-sud, de la guerre des grands bourgs non plus, des grands empires africains non plus, peut-être, je ne sais pas, l’Amérique des Incas ou des Aztèques, il y a toujours quelque chose à prendre dans cet espace géographique infinie qu’est le monde et dans cette profondeur historique de cet espace géographique pour vous, Pierre Guyotat.

Pierre Guyotat : Oui, avec une constante que j’ajoute, qui est très importante quand même, chez moi, c’est la constante animale. Pour moi, l’animal, c’est l’être témoin aussi. C’est une possibilité de mesurer aussi, de mesurer l’histoire, de mesurer l’homme, aussi. L’animal même le plus petit, le plus microscopique, vous savez le papillon, les mouches, les cancrelats, les capricornes…

Emmanuel Laurentin : Et de ces migrations animales qui accompagnent l’homme, du rat qui conquière petit à petit la planète, des souris, des musaraignes et de tout cela.

Pierre Guyotat : Puis, il y a aussi le végétal. Les arbres, par exemple, les arbres témoins. Nous, on faisait, pendant les vacances, toujours une promenade à l’arbre d’Henri IV qui était dans la montagne, dans un petit village, très joli, qui s’appelle Burdigne. Un petit peu à l’écart du village, près d’un lavoir, il y avait un chêne, complètement biscornu, assez malade, et c’est un chêne qui datait d’Henri IV. Ce qui ne voulait pas dire qu’il ne datait pas d’avant. C’était très important, pour un enfant, pour mesurer l’histoire. On tournait autour de cet arbre et évidemment on ne découpait pas son écorce comme on découpait celle des autres, plus jeunes, pour faire des bateaux qui naviguaient sur des mers etc. Là, c’est un arbre qu’on respectait. On tournait autour, peut-être même avec l’idée d’entendre quelque chose, comme une conque, se mettre dans l’arbre, parce que c’est un arbre creux, pour entendre quelque chose de l’histoire, comme on met une conque à son oreille.

Emmanuel Laurentin : On parlait de la France toute à l’heure, Pierre Guyotat. Vous dites dans Formation, cette phrase très courte mais très belle : « La France, c’est d’abord le mot France, une lumière, un lien, ceux qui n’ont rien en ce monde, ni bien, ni passé archivé, ni considération publique, ont ce bien là, commun aux obscures comme aux illustres. » Là, vous vous mettez dans la lignée de Michelet, d’une certaine façon.

Pierre Guyotat : Je ne sais, mais en tout cas c’est vrai. C’est vrai, parce que je l’ai constaté.

Emmanuel Laurentin : Le mot France suffit ?

Pierre Guyotat : Le mot France, l’appartenance, le mot France suffit, oui. Regardez les gens, on a même l’impression aujourd’hui que ce sont les français les plus modestes qui rappellent aux politiques que la France existe, ou qu’elle a existé en tout cas, qu’elle existe.

Emmanuel Laurentin : Et qu’elle est porteuse d’une histoire.

Pierre Guyotat : Beaucoup plus que ce qu’on appelle l’élite qui est beaucoup plus occupée à l’anéantir d’une certaine façon, soit pour de bonnes raisons soit pour de très mauvaises. Vous savez, c’est une figure, c’est même une rhétorique, c’est un genre littéraire depuis, je pense, Montesquieu. Depuis que Montesquieu a fait son éloge de l’Angleterre, une Angleterre très imaginaire elle aussi, c’est fini, toute l’intellectualité française, sauf au XIXe où curieusement avec Hugo, Michelet et quelques autres peut-être dans l’élan encore napoléonien, on cesse ce dénigrement, mais ça n’a pas cessé tout le long du XVIIIe, et ça a beaucoup repris ces dernières années. Ça a repris beaucoup avant la guerre. L’extrême droite était absolument occupée à ça, à dénigrer ce pays qu’elle voulait par ailleurs mettre en péril. On a vu le peu de courage qu’elle a quand il était attaqué par la monstruosité en plus.

Emmanuel Laurentin : Ce qui est intéressant, c’est que c’est le même Pierre Guyotat qui, dans les années 60 justement critique cette même France pour ce qu’elle dit, déteste cette France et qui aujourd’hui dit que la France est une lumière…

Pierre Guyotat : Non, non, attention, je ne le dis pas. Là, c’est l’enfant qui le dit. Je l’ai bien expliqué au départ. Alors si l’enfant a duré, je n’en sais rien.

Emmanuel Laurentin : Mais est-ce qu’il a duré justement ?

Pierre Guyotat : C’est possible, oui. C’est vague, une lumière, mais c’est une chose indéniable. J’en ai simplement après ceux qui font comme si ce pays avait existé de tout temps, comme si c’était une marque de fabrique. Moi, j’ai conscience que c’est une longue, très longue histoire impliquant des gens très modestes et pas seulement les rois. Les rois ce sont appuyés sur quoi ? Les rois, surtout au Moyen-âge se sont beaucoup plus appuyés qu’on ne le croit sur le peuple, beaucoup plus appuyés que dans la République qui elle plutôt les a convaincus qu’il fallait aller se battre en 14-18, par exemple. Extraordinaire scandale 14-18 quand même. Une République qui décrète la mobilisation. Décrète, qui a décrété la mobilisation générale ? Est-ce que le peuple a été appelé à donner son avis ? Est-ce qu’il y a eu des élections ? Rien, rien du tout. Ça a été décidé et on a envoyé des gens se faire tuer, pendant 4 ans quand même, dans des conditions atroces, épouvantables. Si les gens résistaient, ils étaient fusillés quand même. Il ne faut pas l’oublier. La conscription, moi, j’ai connu cela en Algérie. C’était très violent aussi. Si vous ne rejoignez pas votre corps, vous étiez pourchassé, poursuivi. C’est une chose qui est oubliée dans tout le discours lignifiant sur la Guerre d’Algérie aujourd’hui. On était considéré comme déserteur et tout à fait tuable. C’est un problème tout de même. Et on se posera de plus en plus cette question-là.

Emmanuel Laurentin : La question de la Première guerre mondiale ?

Pierre Guyotat : Bien sûr. Tant qu’on découvre des corps, et on en découvre sans arrêt dans l’Est et dans le Nord, en Argonne et partout. J’ai été, il n’y a pas très longtemps, l’année dernière, avec mon frère, c’est très bouleversant, les gens découvrent toujours des corps. Il y a, si je puis dire, des archéologues amateurs qui découvrent tous les jours des corps, plusieurs corps et qui sont identifiables par une médaille, par quelque chose. Tant qu’on découvrira des corps, ça ne sera pas fini et on réfléchira sur l’horreur de cette guerre. Mais on ne réfléchi pas assez sur la justification de cette guerre, d’une part et d’autre part sur ce que je viens de vous dire, à savoir que la République, qui est le gouvernement de tous, de tous en principe, là ça devient quoi ? Qu’est-ce que c’est ? C’est une élite politico-militaire qui décide, et on décide la guerre avec un vieux parlement, je crois, si ma mémoire est bonne. On appelle, les gens, aux armes mais on ne les a pas appelés aux urnes auparavant.

Emmanuel Laurentin : Et il n’y a que quelques êtres particuliers qui sont retenus dans l’histoire et qui sont, entre guillemets, ces héros, je citerai un extrait de Formation où vous dites, à propos de votre famille justement de cette famille de résistants, de déportés : « Des héros, ceux qui ont payé le prix fort et qui savent dans leur chaire d’esprit, ce que l’on court à résister, regardent avec une indulgence fraternelle le peuple laborieux dont ils ont sauvé l’honneur. »

Pierre Guyotat : Je dis bien laborieux, qui a continué de travailler, qui n’a pas été très héroïque. C’est aussi une chose dont j’aimerais parler, ça.

Emmanuel Laurentin : C’est ça qui fait une société ?

Pierre Guyotat : Non, je ne porte pas de jugement là-dessus. Mais, j’ai remarqué que c’était les gens qui avaient le plus souffert qui étaient les plus indulgents envers ceux qui avaient un peu attendu et pas seulement collaboré. Aujourd’hui, il y a une ignorance quand même de ce qu’on appelait autrefois l’exil intérieur, la résistance intérieure, ça compte dans l’histoire humaine. Puis il y a un moment donné où ça éclate physiquement. Tout ne peut pas être physique du premier coup. C’est une illusion et c’est une façon dangereuse parce que ça fait apparaître ceux qui énoncent ce genre de sottises, ou qui ignorent ce que je dis de la résistance intérieure, dans une situation de ridicule totale.

Emmanuel Laurentin : Ça veut dire qu’il n’y a pas de jugement de valeurs entre ce peuple laborieux que vous décrivez, Pierre Guyotat, et ces héros. Ils se complètent, d’une certaine façon. Ils font la France en même temps.

Pierre Guyotat : C’est la réalité de l’histoire. C’est comme ça. Vous savez, pour condamner une peuple, le peuple français bien entendu c’est beaucoup d’ignorants qui se livrent à ce genre de rhétorique, c’est un genre littéraire en France même, ce sont des gens qui ont un amour-propre, un certain sens de l’humour, pour dire des choses de ce genre. Pour accuser un peuple de lâcheté, il faut avoir une certaine morale soi-même. La morale existe aussi dans le jugement historique, dans le jugement intellectuel. On peut parler bien entendu, on peut parler, il faut toujours parler à partir de soi : « Qu’est-ce que je fais, moi ? », « Qu’est-ce que j’aurais fait ? » et aussi se mettre dans les conditions historiques. La guerre de 14 a été une chose effarante pour tous les peuples, les belges, les anglais, les allemands etc. et pour la France, ça a été particulièrement effroyable car c’est en grande partie sur son territoire que s’est fait cette guerre. Il faudrait emmener, les remmener là-bas à Argonne à Douaumont, etc. jusque dans le Nord, leur faire voir les destructions etc.

Emmanuel Laurentin : Une des particularités de l’histoire, Pierre Guyotat, c’est de savoir si elle nous offre des leçons ou si au contraire elle nous prévient que l’avenir est imprévisible. Si on regardant le passé, on s’aperçoit tout compte fait que l’on ne peut rien prévoir et qu’au bout du compte, ce qui nous arrive est l’imprévu et qu’il faut s’attendre à cet imprévu ? Quand on va sur le côté de ce qui est devenue la Cité nationale de l’immigration, mais qui était à l’époque, en 1931, le Palais des Colonie, il y a cette plus grande France, que vous avez connue, puisque c’était dans cette plus grande France que vous avez grandi, avant que les décolonisations n’interviennent, et il y a la liste de ceux qui ont forgé la plus grande France. Une liste qui s’arrête à mi hauteur d’une colonne, gravée dans la pierre et avec d’autres colonnes qui sont laissées en blanc parce qu’on s’imagine que cela ne va pas s’arrêter là. C’est cela aussi l’histoire. Ça nous dit que celui qui vivait l’exposition coloniale de 1931 ne pouvait pas s’imaginer que cette expansion coloniale s’interrompit, que ça s’arrête.

Pierre Guyotat : Oui, je trouve du reste qu’on peut imaginer, tout le monde peut le faire, le monde futur, le monde immédiatement futur ou lointainement futur, et c’est toujours les mêmes qui à mon avis qui se tromperont, ce sont les prévisionnistes, ceux qui calculent : « nous avons tant maintenant, dans 50 ans… », vous avez des gens qui sont des chefs là-dessus, qui passent à la télévision, qui sont d’un comique extraordinaire. Ceux-là se trompent toujours de toute façon, parce que pour eux il n’y a pas de guerres, pas de catastrophes, il n’y a pas de changements même inopinés, il n’y a pas de religion, pas de fanatisme, il n’y a rien. C’est des purs, si vous voulez. Ce sont des clowns, des comiques. Il en faut. Par contre toutes sortes de gens, de gens très modestes peuvent imaginer tout à fait la suite des choses. C’est un peu difficile à imaginer aujourd’hui parce que maintenant enfin le monde commence un peu à s’équilibrer car nous, on vit une chose que j’aurais pu pouvoir commencer à imaginer quand j’étais seulement adolescent, car j’ai vécu dans la plus grande France, l’installation –même un peu contestée- mais l’installation quand même relativement solide tout de même. J’avais 14 ans en 54, quand vraiment ça craquer beaucoup. Or, c’est le moment où l’on rêve le plus, entre un an et 9 ans. On vous dit, la plus grande France, vous imaginez la puissance absolument aux pieds de silex. Il faut vivre, dans une vie, ce rétablissement-là. Ce n’est pas mal non plus toutes ces générations-là qui ont commencé dans la plus grande France ne soient pas toutes passées au FN, par exemple. Elles arrivent à 60 à 70 ans et elles sont relativement générales. La société française, elle est quoi ? On dit qu’elle est raciste, qu’est-ce que s’est toutes ces histoires-là ? Elle est grosso modo devant le fait accompli. Tout le monde est là, le monde entier est là, on se mélange et pis voilà, ce n’est pas une catastrophe. En général, la grande majorité des gens, si vous évitez de les blesser en les traitant de racistes tout de suite, si vous creusez un petit peu, vous trouvez de l’acceptation, de l’acceptation du fait accompli. Fait accompli qui est un fait mondial de toute façon. Et puis une certaine fierté aussi que le monde entier se retrouve chez nous, entre guillemets. On fait très peu de cas de l’effort des gens au cours des siècles. Moi, c’est cet effort magnifique, formidable, formidable vivacité, que je ne veux pas voir disparaître.

Emmanuel Laurentin : Pas oublier.

Pierre Guyotat : Ne pas avoir oublier, même disparaître, parce que là c’est la barbarie…

Emmanuel Laurentin : L’effort pour vivre ensemble, c’est ça que vous voulez dire.

Pierre Guyotat : Aussi, vivre en semble, oui.

Emmanuel Laurentin : Pour fabriquer quelque chose ensemble.

Pierre Guyotat : Produire, absolument. Échanger, faire du commerce, se battre même, tout. Produire, cultiver, créer, construire, c’est formidable, le patrimoine de ce pays.

 

3 juillet 2020

OLIVIER SOUS LA DOUCHE

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La Varenne, juillet 1983

3 juillet 2020

MICHEL CORNEILLE (1601-1664)

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Esaü vendant son droit d’aînesse à Jacob

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Dans les diagonales du temps
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