126401876

 

 

France, 55 mn, 1982

  

Réalisation: Lionel Soukaz

  

avec: Didier Hercend, Luc Bernard, Marie Thonon, Copi, Jean-Louis Jacopin, Sabine Morellet, Emmanuel Schaeffer

  

«Une mère qui avait peur qu'il fasse du cinéma, une mère malade. Le film que nous allons voir est le récit, fortement autobiographique, de la fin d'une adolescence dans le Paris du début des années 1980. Le jeune personnage principal (qui s'appellera L. Qu'il n'est pas nommé dans le film) vit un quotidien difficile entre une mère atteinte d'un cancer et un père alcoolique. Dans l’appartement familial, on étouffe. L. regarde au chevet de sa mère, s'affaiblissant. Le père est dans une chambre à côté, boit, refuse de voir l'annonce d'une mort imminente. Ce père de famille à côté de l'assiette, fuyant ses responsabilités par désespoir fait l'objet d'un commentaire en voix off. Le réalisateur s'excuse auprès de sa mère en lui montrant la robe de chambre : « Que tu ne me pardonne pas. Papa n'était pas ça. OK maman, mais tu sais, c'est du cinéma. » Il a également mentionné un médecin qui a déclaré que le patient avait un ulcère. Les premières minutes sont rudes, tristes, ça sent la catharsis. Le simple générique d'ouverture laisse présager un film ultra sensible et personnel, sombre lui aussi. Le lien avec la mère est très beau, très fort, et offre à ce moyen-métrage intense des scènes très marquantes. Un véritable cri d'amour à une mère disparue. On pourrait dire que le film fonctionne en deux temps, avec d'un côté la vie au chevet des mourants et de l'autre la soif de vivre de L., qui veut vivre et aimer. Malheureusement, les deux se terminent par le malheur et la souffrance. De quoi donner lieu à une œuvre vivante, qui bouleverse et terrasse, qui ravive les blessures les plus intimes, qui rappelle des choses difficiles comme la perte d'un être cher ou son innocence.   

Il faut tout d’abord dire que ce film est clairement autobiographique, ce qui est posé dès le générique de début puisque celui-ci apparait au coté de photos du cinéaste enfant avec sa mère, et qu’il fut pour Lionel Soukaz un exorcisme d’une culpabilité supposée qui se voudrait être une catharsis. Un film qui parle d’amour et de mort, la mort de cette mère qui s’en est allée alors que Lionel avait tout juste vingt ans, l’envie de découvrir la planète, une maman qui ne saura jamais l’avenir de son fils... C’est l’histoire d’un début dans la vie sous des couleurs résolument tragiques. Angoisse et déchirement qu’éprouve un adolescent à quitter le havre familial pour voler de ses propres ailes. Non point que le cocon soit douillet, le ménage de ses parents est à la dérive: mère mourante du cancer, père alcoolique (joué par Copi) qui refuse d’admettre l’état de sa femme. Le père et la mère étouffent chacun dans une pièce. Il se créé une complicité secrète entre la malade et le garçon, mais la souffrance sépare de plus en plus la mère du fils. D’un coté la chaleur morbide de la chambre de la mère, que l’on devine dans une HLM de banlieue, de l’autre les séductions irrésistibles de la capitale dévorante, ses bars gay peuplés de garçons au visages d’ange et le poison de ses drogues, mais à l’extérieur il n’y a pas la tendresse de la mère qui pourtant bouffe complètement le fils et bientôt il s’aperçoit que ce monde extérieur est aussi fermé, aussi étouffant que l’appartement familial.

Maman que man” est un curieux mélange de dureté, de cynisme, de désespérance et d’errance, de générosité et de douceur, d’amour désabusé et d’illusions, de violence et de tendresse. L’amant d’une nuit a beau être une canaille en quête d’arnaque (mais l’est-il vraiment: qui est encore responsable, maître de ses actes dans ce film, chacun subit, suit son sort), quand il propose de partir au Brésil, d’y faire des films, tous deux y croient alors... C’est fait à grands coups de carrés bleus et rouge, d’images glauques, épaisses et fragiles comme des vitres des images nocturnes, sombres et somnambuliques que déchirent les éclairs des néons, comme des flashes de réalité, de brutaux éclats de rappel à l’ordre. C’est oppressant, sans air, sans lumière naturelle, comme si la cité l’avait absorbée, sinon celle qui tombe encore sur le lit de supplice de la mère.

Il est important de replacer le film dans son contexte historique, Lionel Soukaz était dans le petit milieu gay parisien du début des années 80 un de ces cinéastes que l’on adulait ou que l’on rejetait, sans demi-mesure, parce qu’il dit des choses que l’on a pas toujours envie d’entendre, parce qu’il gueule sa révolte, son homosexualité, son mal de vivre dans la société toute pavée de tabous.

Si l'on a connu un peu Lionel Soukaz on ne peut que reconnaître la justesse de ce qu'écrivait Michel Perez dans le matin en octobre 1982: << Pour Lionel Soukaz, vivre signifie se jeter au brasier et tâcher de se consumer le plus vite que l’on peut. Si l’on veut prendre l’étrange calembour de son titre à l’espagnol, on obtient: Maman, ils brulent.>>

Il serait intéressant de faire une lecture parallèle de ”Maman que man” et de ”L’arrière pays” de Nolot, lecture parallèle à la fois sociologique et émotionnelle de ces deux films et l’on s’apercevra combien ”Maman que man” est plus ”chaud” aussi bien sensuellement que sentimentalement que ”L’arrière pays” plus maitrisé techniquement mais plus à distance de son sujet.”Maman que man” pourrait s’appeler: Mort d’une mère, Soukaz peut se rassurer il a fait de son film un des plus bel hommage à l’amour maternel qui soit. Ce cri étouffe d’amour remue le spectateur jusqu’au plus profond de son être.

  

  

<<Maman j’ai peurTu ne voulais pas que je fasse du cinéma. Tu disais que ce n’était pas un monde pour moi, le cinéma. Un truc de fils de riches, un rêve d’enfant. Tu était dans la couture au début, n’est ce pas, tu faisais tes propres robes avec tes patrons et tes craies. Et bien tu sais, le cinéma, c’est une craie sur un clap et des coutures sur le film à la machine. Tu en as passé du temps en blanc sur un lit et papa tout nu qui pleurait dans sa douche. Un jour ils t’ont mise dans un fauteuil en skai, près de la fenêtre et ils m’ont demandé de prendre une photo de toi. Pour dire la vérité tu étais toute pâle et tu avais de grands yeux, avec de petites pupilles, longtemps après j’ai osé porter la pellicule au laboratoire. ET bien c’était tout noir. Rien, il n’y avait rien. Alors j’ai vêcu avec tout ce noir là dans ma tête.>>

Lionel Soukaz

  

P. S.- J'ai été le glorieux éditeur de ce film en VHS, il n'est jamais inutile de rappeler ses glorieux faits d'armes. Et dans le cas présent en regard des péripéties diverses pour arriver au résultat le terme glorieux ne me parait pas usurpé.