Pour se souvenir de Je m’ voyais déjà
Charles Aznavour peut dormir sur ses deux oreilles, le spectacle “Je me voyais déjà” au théâtre du gymnase prouve que ses chansons peuvent résister à un livret indigent et à une absence de mise en scène, pourvu qu’elles soient chantées par des gens de talent, ce qui est le cas ici. Parlons tout d’abord de ce qui fâche, en premier lieu le livret, donc l’argument qui sert à relier les chansons du grand Charles. Procédé qui a fait la fortune des refrains d’Abba formidablement tricotés dans “Mama mia” (je vous recommande chaudement le film, deux heures de bonheur garanti). Malheureusement c’est à Ruquier que l’on a eu la curieuse idée de demander ce travail d’ orfèvre alors qu’il n’est qu’un maladroit forgeron.
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Au sortir d’un casting six élèves qui n’ont pas été retenu pour jouer dans une comédie musicale échangent leurs rancœurs devant le théâtre où ils ne se produiront pas, lorsque sort un membre du jury qui les a évincés, en la personne de Francesca Lavi (Diane Tell) chanteuse ayant connu le succès, aujourd’hui retirée sur son aventin, en l’espèce son loft Montmartrois où elle a tendance à s’imbiber de vin rouge. Le groupe la prend à parti. Emue par ces jeunots elle devient leur pygmalion et les fait répéter un spectacle sur Aznavour dans son appartement avant de réussir à monter le spectacle au Gymnase...
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Comme on le voit Laurent Ruquier n’a pas été chercher bien loin. Il a seulement été regarder d’un peu trop près du coté de “Fame” et de “Chorus Line”. Mais force est de constater que ce n’est pas encore cette fois que Paris concurencera Broadway. On lui pardonnerai volontier sa paresse, s’il ne s’était pas cru obliger d’émailler le spectacle de ses blagues à deux balles qui ne font rire que lui, pour reprendre une phrase de “je m’voyais déjà”. Malheureusement Ruquier, lui a réussi, soyons en sûr, plus grâce à son entregent qu’à son talent, à moins que ce soit grâce à son entrejambe (je me met au niveau du personnage)... On est malheureux pour le rigolo de service, l’excellent St Cyr, qui a bien du mérite à défendre les vannes vaseuses de Ruquier. Il faut tout de même reconnaître au librettiste d’avoir réussi à faire tenir dans son pauvre argument, qu’il ne parvient même pas à tenir jusqu’au bout, presque toutes les grandes chansons d’Aznavour, je regrette tout de même l’absence de ce chef d’oeuvre qu’est “Le bois de trousse chemise”. Néanmoins le spectateur sort du Gymnase avec, dans la tête, le florilège des meilleurs chansons d’Aznavour magnifiquement interprété, je reviendrai sur ce point. En prime il apprendra sans doute qu’Aznavour est aussi l’auteur de nombreuses chansons qui furent interprétées par d’autres comme “J’ai bu” par le trop oublié Georges Ulmer, “Je suis la plus belle pour aller danser” par Sylvie Vartan, “Le méxicain” par Marcel Amont, “Retiens la nuit” par Johnny Halliday... La direction musicale, assurée par Gérard Daguerre, est impeccable, de même que les musiciens que toutefois l’on aurait plus nombreux.
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La mise en scène et le décor sont d’Alain Sachs. Le décor est aussi beau qu’astucieux principalement composé de grands panneaux sur lesquels sont projetées de belles images qui à chaque chanson se modifient pour évoquer le couplet que l’on entend. C’est souvent très bien trouvé et efficace (si l’on excepte l’envol du poulet sur “La marche des anges” grotesque et scandaleux).
La mise en scène est quelconque, j’imagine ce que cela aurait pu être si Révol de l’inoubliable “Cabaret des hommes perdus” s’en était chargé.
Quant à la chorégraphie, Patricia Delon, sans doute “inspirée” par le nom du théâtre confond constamment danse et gymnastique au sol!
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Le casting est la traduction, jusqu’à la caricature du politiquement correcte de Ruquier qui a pourtant le ridicule de se voir en impertinent. Il y a le beur, le blake et le pédé et nouveauté dans le conventionnel, la grosse! On doit seulement à la modestie de la production d’avoir échappé à la trans, au nain et au chinois... Mais disons le tout de suite, ils chantent tous bien, mieux que leur modèle et sont presque tous aussi bon comédien que lui, ce qui n’est pas un mince compliment lorsque l’on se souvient d’Aznavour dans “Le passage du Rhin” ou “Taxi pour Tobrouk”. Un grand coup de chapeau au responsable du casting, Bruno Berberes.
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La très bonne nouvelle que nous apporte “Je m’voyais déjà” est que l’on peut maintenant en France, à l’instar de l’Angleterre et des USA, trouver des jeunes gens qui savent à la fois chanter, danser et jouer la comédie. Ce qui est le plus remarquable c’est peut être l’humilité avec laquelle la troupe aborde le répertoire de Charles Aznavour; se mettant à son service et ne se servant pas. Il ne sont jamais dans l'imitation.
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Jonatan Cerrada s’il chante bien manque de charisme en jeune premier mais les autres sont irréprochables surtout que la direction d’acteur n’est pas des plus subtile. Diane Tell si elle manque un peu d’abattage pour son rôle le défend néanmoins avec beaucoup de conviction. Pablo Villafranca a beaucoup de présence en looser et se tire très bien de son rôle peu gratifiant. Stefi Celma est d’une énergie fantastique avec son grand corp à la souplesse de liane, et surtout sa voix d’or qui doit faire merveille dans le répertoire soul. Et puis bien sûr il y a Arno Diem en gay candide, qui s’il a un physique exceptionnel, aussi bien dans le sens de l’esthétique que du sportif, il bouge très bien, a surtout une voix d’une ampleur et d’une fraicheur qui ravissent.
Pour les chansons de Charles Aznavour et leurs généreux interprètes, il faut aller au gymnase.
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