L’inclinaison de Corentin Durand
Ce premier roman, paru en septembre 2022, d’un relativement jeune auteur, Corentin Durand, il a vingt cinq ans lorsqu’il l’écrit, à pour héros et narrateur principal, un garçon d’une vingtaine d’années, dont on ne saura jamais le prénom, on comprend que c’est un étudiant en rupture d’université qui est monté à Paris pour étudier et qui en fait vit de petits trafics dans lesquels se mêlent drogue et sexe. Sa grande angoisse est de parvenir à réussir à cacher son homosexualité qu’il refoule en se virilisant par la musculation. Une nuit il se frotte à des casseurs de pédés. Il s’amourache de l’un d’eux, un jeune maghrébin, dit « le bleu », qui pour se venger des sévices que lui a fait endurer son père, un petit trafiquant de drogue, le balance à la police. Pour fuir d’éventuelles représailles, le bleu part dans une station balnéaire espagnole qui a connu des jours meilleurs. Le héros le rejoint. Outre le désir inavoué pour le bleu, ce garçon est habité par deux figures tutélaires: un écrivain oublié et un oncle mort du sida. L’étrange relation entre les deux garçons va bientôt se déliter au fil de rencontres de différentes personnes qui ne leurs veulent pas tous que du bien. La durée de l’action qui se déroule dans un aujourd’hui incertain et est circonscrit en un été.
On ne peut écrire cet approximatif résumé qu’une fois la dernière pages lue. L’intrigue est savamment déconstruite mais ne fait jamais perdre le fil de l’histoire à son lecteur. Même si l’on va d’un narrateur à un autre et si l’on passe fréquemment du je au il et du passé au présent. Si le jeune homo refoulé est la voix principale du roman: <<(…) moi, ai-je dit, je ne crois pas que je suis comme eux, je ne crois pas que je suis attaché par les pieds à leur identité. Pour tout te dire, les hommes, je les désire autant qu'ils me dégoûtent. (...). Je désirais les hommes et je préférais mourir que les embrasser. ». Il partage la narration avec trois autres personnages mais d’une manière très inégale d’abord avec « Le bleu » et plus rarement avec André son oncle, mort le jour de sa naissance et avec Costan dont la lecture du premier livre qui raconte les amours de deux collégiens l’a subjugué lorsqu’il était lui même collégien.
Ce qui d’emblée surprend dans ce récit lorsque l’on connait l’âge de son auteur est de découvrir que pour Corentin Durand dans son roman l’événement matriciel est l’épidémie de sida. Ce qui serait naturel pour un auteur de plus de cinquante ans mais qui étonne chez un jeune homme. « L’inclinaison » nous parle de trois époques, l’avant sida, la période durant laquelle être contaminé équivalait à une condamnation à mort programmée et aujourd’hui sur lequel le roman jette un regard surprenant laissant entendre que d’une part la maladie a disparue et surtout que l’on est revenu à la même frénésie sexuelle d’avant le fléau. L’auteur ne semble pas avoir remarqué le puritanisme chaque jour plus prégnant qui marque notre présent. Peut être est il comme son héros principal, les yeux uniquement tournés vers le passé, nostalgique de façon morbide d’époques qu’il n’a pas vécues. On a du mal à se persuader que le présent d’ « Inclinaison » est le notre et non dans un monde parallèle dans lequel téléphones portables, ordinateurs et autres objet emblématique de notre vingtième siècle. Il est également curieux de voir un personnage espagnole de la Costa de Rada déplorer la bétonnage de son paysages comme ci celui était un fait récent alors qu’il a commencé au début des années 60, soit il y a soixante ans et un autre personnage d’une cinquantaine d’années comme un ancien officier de l’Espagne de la dictature alors que je le rappelle le général Franco est mort en 1975. Ce flou chronologique s’il met un peu à mal la crédibilité de certains chapitres du roman paradoxalement crée aussi une sorte d’envoutement pour cette histoire où les époque s’interpénètre pour se fondre en un temps un peu mystérieux.
Le flou préside également pour les deux figures tutélaires qui habitent le narrateur principal, l’oncle de ce dernier, victime du sida, peine a exister dans l’esprit du lecteur en raison des informations contradictoires que l’on glane péniblement au fil du livre. Il est d’abord présenté comme une sorte de promoteur immobilier nanti et plein d’avenir puis comme le tenancier d’une boutique de photocopies habitant un modeste studio dans un quartier populaire de Paris… Plus intéressant est la figure de l’écrivain auteur du Roman pédérastique qui a enflammé l’imaginaire de notre narrateur alors qu’il était collégien. La encore, les dates posent question; cet homme qui a connu une certaine célébrité semble-t-il à la fin des années 70 et au début de la décennie suivante pourrait être un mélange de Jacques Almira, de Didier Martin ou encore de Christian Giudicelli autant d’écrivain homosexuels qui comme Costan ont été séduit par le charme des grands hôtels fanés; à ceux-ci, on peut même y ajouter le nom d’Yves Navarre; mais en même temps aucun d’eux n’aurait eu l’idée de rédiger un roman sur les amours de collégiens à l’ombre des soutanes comme le firent Roger Peyrefitte et Henry de Montherlant. Il est difficile de ne pas penser à ce dernier en entendant le nom de Costan qui semble une contraction de Beauséant, le double littéraire de Montherlant inventé par Roger Peyrefitte et de Costa le nom du héros des « Jeunes filles ».
Mais le plus étonnant dans ce roman est le style parfois plat mais le plus souvent d’une écriture que l’on pourrait qualifier, à défaut d’autres mots, de baroque. L’extrait qui suit me parait un bon exemple de ce baroquisme: <<La peau, devenue soie céladon sous les reflets pâlissants de l’eau, était torturée de torrents de suif qui s’écoulaient depuis ses aisselles en ondoyantes rivières broussailleuses.>>. En entamant ma lecture j’ai eu la curieuse impression de lire une traduction dans laquelle le traducteur n’aurait certes pas fait de contresens, mais qui, au lieu d’utiliser le mot juste en aurait choisi un synonyme approximatif, pas tout à fait adapté à la situation. Dans les premières pages on peut se dire que c’est un défaut d’un primo-romancier mais une telle obstination dans le mot et l’expression légèrement décalés, au bout de 250 pages devient un style.
En dépit de tous ses défauts ce roman, au titre « L’incinaison » qui m’est resté mystérieux, mais peut être veut il suggérer que quoi que l’on fasse on penche toujours (jusqu’à tomber) du coté de notre nature singulière, est l’oeuvre d’un écrivain titre que beaucoup s’arrogent indument mais pas Corentin Durand.