Sébastien LifshitzThe Invisibles |
Les chauves-souris dans l'art
Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants de Kenzaburô Oé
Avec « Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants » nous sommes dans le Japon de 1945 que l'aviation américaine écrase de bombes mais la guerre restera hors champs du roman pourtant l'auteur fait la constatation que rien ne peut échapper à la guerre: << Tel un interminable déluge, la guerre inondait les plis des sentiments humains, les moindres recoins des corps, les forêts, les rues, le ciel, d'une folie collective. >>. Pour qu'ils échappent à l'anéantissement les autorités décident d'évacuer une maison de correction. Nous suivons un groupe d'une quinzaine de garçons âgés de dix à quatorze ans dans cet exode. Ces épreuves sont vues par un garçon d'une quinzaine d'années, le narrateur, flanqué de son jeune frère. Il est ami avec un jeune prostitué de son âge, Minami. Ces trois garçons seront les seuls de la bande avec qui on fera vraiment connaissance. On les conduit après une marche harassante dans un village perdu dans la montagne, habité par une population hostile, où on les assigne bientôt à une sinistre besogne, enterrer les animaux qui dans ce lieu sont frappés d'une maladie inconnue et foudroyante. Le village est isolé dans la montagne, cerné par les falaises et les ravins. Cette isolation, peu vraisemblable tire le récit vers la fable. Pour échapper à l'épidémie, les villageois, une nuit, ont fui leur maison, laissant le hameau abandonné aux enfants. En outre ils ont barré l'unique issu permettant de quitter les lieux. Les proscrits sont comme des naufragés sur une ile déserte. Le petit groupe s'organise pour survivre. A ce stade du récit, il est difficile de ne pas penser à « Sa majesté des mouches » de Golding qui a été écrit quatre ans avant le roman de Oé qui date de 1958, son auteur a alors vingt trois ans. Les enfants tentent d'organiser leur survie. Le narrateur est un peu le Ralph de cette histoire, mais en beaucoup moins solaire que le héros de Golding tandis que Mitani qui avant son incarcération se prostituait auprès des homosexuels en serait le Jack. Son ancienne activité lui avait laissé des séquelles: << Quand à Mitani, afin de soulager son petit anus, qui souffrait d'une inflammation chronique, résultat de ses amours sacrificielles, il demandait à son docile acolyte d'y appliquer avec un doigt le peu de pommade qui restait...>>. A noter que le narrateur n'est pas insensible à la beauté masculine puisqu'il compare un fugitif adulte, qui partage leurs enfermement en ces termes: << Il n'avait pas la splendeur des cadets. Il n'avait ni leurs petites fesses fermes moulées dans l'uniforme qui éveillaient le désir, ni leur menton légèrement bleui, rasé de près.>>. Mais la robinsonade tourne court lorsque les villageois reviennent et s'aperçoivent furieux que les garçon ont mis à mal leurs provisions.
On retrouve l'atmosphère glauque du manga Rainbow qui traitent de cette époque et qui met en scène également des mineurs délinquants. Mais alors que dans Raimbow, les prisonniers font preuve de solidarité ce n'est pas du tout le cas ici.
Le livre comme le fait un autre manga consacré à cette époque, « Gen d'Iroshima » de Nakasawa met à mal la fameuse solidarité entre japonais tellement vantée récemment, comme le montre ces extraits: << Les voleurs, les incendiaires et les excités seront battus à mort par les gens du village. Gardez toujours bien en tête que vous n'êtes que des bouches inutiles et indésirées. >> et << Écoute, un gars comme toi, il vaut mieux l'étrangler quand il n'est encore qu'un enfant. Les minables, il vaut mieux les égorger au berceau. On est des paysans, nous : on arrache les mauvais bourgeons dès le début. >> .
Est-ce un problème de traduction, due à Ryoji Nakamura et René de Ceccaty, ce que je suppute, mais ce livre n'est pas très bien écrit. En effet, il n'est guère élégant de faire commencer ses phrases par « et », ce qui n'empêche pas en outre de retrouver la conjonction de coordination, parfois plusieurs fois dans le corps de la même phrase. Il n'est pas plus léger de multiplier les « que » et les « qui » et donc les proposition subordonnées alors que celles-ci pourraient être remplacées par des propositions indépendantes par exemple ou plus simplement par une division de la phrase. Autre gêne à la lecture les très fréquentes répétitions, je subodore que dans le texte original l'auteur cherchait des effets d'assonance entre des mots voisinant dans le récit, effets qui bien sûr se perdent totalement à la traduction...
Le roman est cruel et oppressant d'une lecture éprouvante jusqu'à la dernière ligne dans une fin qui si, elle n'est pas complètement fermée laisse peu d'espoir. Pourtant on ne peut le quitter car on a envie de savoir ce que vont devenir ses enfants livrés a eux même.