Le cercle, un film de Stefan Haupt
Le film du suisse Stefan Haupt s'inscrit avec talent dans la continuité des « Invisibles » de Lifshitz. Comme ce dernier le film de Haupt documente la vie gay des années 50 à travers l'histoire de deux hommes Ernst et Robi qui s'aiment depuis 60 ans. Ils ont été intimement liés à une page de l'histoire culturelle de l'homosexualité celle de l'organisation « Le cercle ». C'est aussi l'histoire de ce mouvement, à travers le récit de la vie d'Ernst et Robi, que le film raconte.
L'organisation « Le cercle » fut fondée dans les années 30 à Zurich. Son moyen de communication le plus important fut la revue trilingue baptisée DER KREIS / LE CERCLE / THE CIRCLE
On y trouvait des photographies et des illustrations de George Platt Lynes, Paul Cadmus, Jean Boullet, Sam Steward, Tchelitchew, Serge Lido, Enrique Puelma, Jean Cocteau, George Quaintance et des nouvelles signée James Barr, Michael Kuzmin, von Kleist...
Outre des histoires, des poèmes et des photos, le magazine publiait également des articles sur les activités des groupes homosexuels partout dans le monde. Il contribuait ainsi à l'échange international d'idée. Le nombre d'abonnés a atteint à son apogée en 1959 le chiffre de 2000 dont 700 vivant hors de Suisse. Par sa forme, son fond et son mode de diffusion, on pense beaucoup à la revue française Arcadie, contemporaine du « Cercle ».
Peu de temps après la fin de la guerre, Der Kreis a commencé à aider à former des organisations similaires aux Pays-Bas, en Scandinavie, en Allemagne et en France; il a ouvert des connexions avec organisation américaine nouvellement créée.
Le fondateur du « Cercle » était Rolf, pseudonyme pour l'acteur très connu en Suisse Karl Meier (il est mort à Zurich le 29 Mars 1974). Durant les années 50 « Le cercle » organisait des immenses bals costumés qui pouvaient réunir jusqu'à 800 hommes venus de toute l'Europe. Zurich attirait de nombreux gays Allemands parce que, contrairement à l’Allemagne, l’homosexualité n’y était pas illégale.
Mais à partir de 1959 suite à plusieurs meurtres homophobes la répression s'abat sur l'organisation. Ce film en nous parlant d'hier nous parle d'aujourd'hui, d'une ambiance plus ou moins permissive qui se retrouve progressivement assombrie par la menace d’un retour à l’ordre moral. Cela ne rappelle-il pas la France de 2014? C'est un peu avant, en suivant Ernst, jeune professeur de français dans un lycée de fille, qu'en même temps que le jeune homme nous découvrons le « Cercle ». Nous suivrons les débuts de son histoire d'amour avec Robi un jeune coiffeur qui se produit en chanteur travesti lors des soirées qu'organise le groupe, jusqu'à la dissolution du « Cercle » en 1967.
La vie d'Ernst lorsqu'il découvre le Cercle est très emblématique de ce que pouvait être la vie d'un gay dans les années 50. Pour lui Le Cercle apparait comme un espace de liberté, un véritable bol d’air. Ernst se dissimule sans cesse dans son quotidien, au sein de sa classe, auprès de sa logeuse, derrière ses cravates de jeune professeur ou encore auprès de ses parents. Dans le local du club, il retrouve les siens. Il est beaucoup plus assuré. Il affiche un sourire épanoui et des chemises à motifs.
Si le film est militant dans le bons sens du terme, comme l'est « Les invisibles », il ne cache pas non plus les problèmes qu'engendra la création d'un tel mouvement tout d'abord il fit proliférer la prostitution masculine à Zurich essentiellement du fait de jeunes italiens ainsi qu'un marché de la drogue. Le film montre bien que « Le cercle » était aussi un lieu où différentes générations et milieux sociaux se mélangent.
Le film à la particularité de mêler des scènes jouées par des acteurs, tous excellents en particulier Matthias Hungerbühler et Sven Schelker (très joli dans son genre, ce garçon troublant par son coté d'androgyne) qui interprète Ernst et Robi avec des interviews des protagonistes aujourd'hui et des documents d'archive. Les scènes clés de l'histoire du groupe et de l'amour entre Ernst et Robi sont filmées dans de belles couleurs chaudes, dominantes de bruns et d'orangés. L'image est comme nimbées d'irréalité. A noter que l'on retrouve Marianne Sägebrecht que l'on avait tant aimée jadis dans « Bagdad café » qui est là épatante dans le rôle de la mère compréhensive de Robi.
Comme « Les invisibles » « Le cercle » est un film optimiste. Les seuls films gays optimistes seraient-ils, les film sur les vieux gay? Car il raconte finalement l’histoire non d'une homosexualité scandaleuse mais plutôt de l’intégration progressive de l'amour gay dans la société, intégration validée à la fin du film, par le mariage d' Ernst et de Röbi.
Ce documentaire-fiction a eu sa première mondiale lors de la Berlinale 2014, dans la section Panorama, où il a obtenu le Teddy Award et le prix du public.
Le tour de force du cinéaste, lui-même gay et originaire de Zurich, est d'avoir réussi le mariage improbable entre fiction et documentaire dans ce film très maitrisé à tout point de vue et très émouvant.