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Dans les diagonales du temps
6 mars 2020

Murena de Philippe Delaby et Claude Dufaux

Murena de Philippe Delaby et Claude Dufaux
Murena de Philippe Delaby et Claude Dufaux

Grâce à la récente parution du « Artbook » de Murena, la série reviens dans l'actualité. A cette occasion je me propose de me pencher sur cette série phare de la bande dessinée historique. Il n'est pas mauvais, il me semble de porter un jugement sur une oeuvre quelques temps après sa sortie surtout, lorsque comme Murena, celle-ci a provoqué un sentiment de nouveauté dans son domaine, soit la bande dessinée historique. Son cas est en outre un peu particulier car si la saga n'est pas officiellement close, elle se trouve en suspend du fait de la mort soudaine et prématurée de Philippe Delaby, son dessinateur.  C'est Theo, celui du "Pape terrible" qui en reprendrais le dessin. La sortie du tome 10 est prévue fin 2017.

Murena de Philippe Delaby et Claude Dufaux

Peu après la mort de Delaby, le scénariste, Dufaux avait déclaré que la série continuerai avec un nouveau dessinateur. Précédemment, lors d'une interview il avait confié qu'il y avait quatorze albums de prévus. Neuf sont déjà disponible, à quoi on peut ajouter l'album « artbook ».

Le premier album de la série est parue en 1997. Il provoqua des critiques presque unanimement louangeuses. Dix huit ans après, il ne me paraît pas inutile de réévaluer Murena. Si sa nouveauté et son incontestable effet d'entrainement, il est loin d'être certain que sans Murena, Alix senator ait vu le jour, la création de Delaby et Dufaux, aujourd'hui pâti justement de la comparaison, qu'il est difficile de ne pas faire, avec la séquelle des aventures du héros inventé par Jacques Martin. Le point faible de Murena est plus le scénario que le dessin. Il y a bien peu d'invention scénaristique dans cette série tout du moins au début. Le récit est un habile collage post-moderne de nombreuses sources. L'érudition de Dufaux n'est certainement pas à mettre en cause mais il brode sur l'Histoire alors que Jacques Martin a inventé un monde. Il est temps de faire un subtil distinguo entre roman historique et Histoire romancée. Il me semble que ce sont deux genres différents que l'on a trop tendance à confondre. Chacun des deux ayant ses chef d'oeuvres. On peut parler d'Histoire romancée lorsque l'auteur n'invente pas véritablement de personnages mais raconte l'Histoire à travers des figures ayant réellement vécues. Alors que le roman Historique met en scène principalement un personnage de fiction, qui peut certes rencontrer des figures historique, mais il vit des aventures sur un fond d'Histoire dont les évènements interfèrent plus ou moins sur sa fictive existence. Si l'on prend comme exemple l'oeuvre de la grande Marguerite Yourcenar, « Les mémoires d'Hadrien » sont clairement de l'Histoire romancée, alors que « L'oeuvre au noir » est un roman historique; son protagoniste principal, Zénon, étant une invention de l'écrivain. Pour la période qui nous intéresse, les romans d'Histoire romancée sont beaucoup plus nombreux que les romans historiques. Dans la première catégorie on peut ranger « Moi Claude empereur de Robert Graves, Les louves du Palatin de Jean Pierre Néraudau alors que Neropolis d'Hubert Monteilhet relève du second genre. En bande dessinée les albums d'Alix sont des romans historiques alors que Borgia de Jodorowsky et Manara relève de l'Histoire (très) romancée. Il y a quelques oeuvres qui se situent entre les deux comme « Cesare » de Fuyumi Soryo dans lequel le personnage principale est Cesare Borgia mais sa geste est le plus souvent vue à travers les yeux d'un être de fiction. Le cas de Murena est proche de celui de « Cesare ». L'oeuvre de Delany et Dufaux est transversale aux genres que j'ai définis. Le premier volet est de l'Histoire romancée, les personnages de fiction n'étant guère plus que des figurants, puis au fil des albums leur place ne fait que grandir pour devenir prépondérante à partir du « Sang des bêtes », le sixième chapitre.

 

 

Murena de Philippe Delaby et Claude Dufaux

Il reste que la bande dessinée, comme le roman est finalement moins au service de l’Histoire que l’Histoire au service de la bande dessinée ou du roman. Ainsi le souci de véracité, même lorsqu’il existe, ne peut-il supplanter l’importance de la narration et l’efficacité du dessin. Dans bien des albums étudiés, l’Histoire est un objet d’inspiration plutôt qu’un but à atteindre, et les sources de l’historien ne sont utilisées que pour mieux faire apparaître les vides dans lesquels peut se glisser la fiction.

Dans ces interstices de l'Histoire c'est même la bande dessinée qui « raconte » l’Histoire en comblant par le biais de la représentation fictionnelle les lacunes de notre connaissance de tel ou tel événement, de l’habillement d’une époque précise, ou de l’allure de villes antiques parfois très mal connues. Certains ouvrages ont même été l’occasion d’une collaboration entre écrivains et scientifiques, que ce soit pour produire des bandes dessinées ou des ouvrages de vulgarisation tels Les Voyages d’Alix. De manière moins quantifiable, les évolutions historiographiques semblent pouvoir être mises en parallèle avec les changements observables dans la bande dessinée : l’intérêt croissant pour des personnages, des aires géographiques ou des périodes qui s’éloignent de l’Antiquité dite « classique » – le Haut-Empire romain et la Grèce du Vème siècle – pourrait ainsi être l’illustration du passage d’une histoire événementielle à une histoire plus culturelle, et de l’intérêt croissant pour ce qui constituait jusqu’alors les marges géographiques et chronologiques de l’Histoire antique. Une évolution vers des tentatives de plus en plus minutieuses de s’approcher du vraisemblable historique est par ailleurs notée, s’expliquant à la fois par un rapprochement entre historiens ou archéologues et auteurs de bande-dessinée, certains possédant même les deux casquettes, et par le goût d’un public semble-t-il de plus en plus connaisseur et exigeant, qui n’accepte plus de toujours retrouver les mêmes poncifs sur des périodes historiques pourtant bien connues. 

Murena de Philippe Delaby et Claude Dufaux

Notons que Murena n'est pas la première incursion de Dufaux dans l'antiquité romaine, avec la complicité du dessinateur Xavier Musquera, il a précédemment donné le jour à un « Sourire de la Murène » (éd. des Archers, 1986) dont le héros était déjà Lucius Murena, et dont l'action se déroulait en 65. Une suite annoncée, L'homme au masque d'or, ne parut pas.

Le premier album de Murena n'est que la mise en image assez paresseuse de la fin du « Moi Claude empereur » de Robert Graves. La seule différence notable entre le roman et la bande dessinée est, dans cette dernière, le traitement de la figure de Néron, qui y apparaît plus faible que pervers, contrairement à celle décrite chez Robert Graves et surtout dans l'adaptation télévisuelle du roman. Mais soyons juste dés le deuxième chapitre, chaque chapitre coïncide avec un album, le scénariste prend du champ par rapport à ses sources et un bonheur ne venant jamais seul, le dessin lui aussi s'améliore et les couleurs s'éclaircissent par rapport au premier tome. D'ailleurs lors de la réédition de celui-ci, les couleurs seront refaites par un autre coloriste.

 

Murena de Philippe Delaby et Claude Dufaux

Les couleurs semblent être un problème constant dans cette série. Les coloristes se succédant, il n'y a pas de continuité dans ce domaine. Le hiatus le plus grand est entre l'épisode 4, qui clos le premier cycle de la saga « la mère », et le 5; autant dans le volume 4, les couleurs sont claires, autant dans le 5, elles sont l'oeuvre de Jérémy Petiqueux, elles sont sombres et puisent dans une palette limitée dans laquelle les bruns dominent. Les couleurs s'éclairciront petit à petit et dans le chapitre 7 seront plus contrastées.

Pour en rester momentanément sur le dessin disons tout de suite qu'il est remarquable et qu'il ne fera que s'améliorer au fil des albums en particulier en ce qui concerne le découpage. La géographie des pages des premiers albums ne dérogent pas d'un gaufrier classique d'une huitaine de cases. Delaby toutefois a plusieurs répartitions des cases ce qui évite la fatigue de lecture. D'album en album le nombre de cases par page à tendance à diminuer jusqu'à atteindre quelques fois une case en pleine page dans les derniers opus dessinés par Delaby.

Dans le premier chapitre les personnages de fiction apparaissent qu'à peine. Ils ne jouent aucun rôle dans le déroulement du récit. « Moi claude empereur » se terminant avec la mort de Claude, Dufaux est contraint de changer de guide; ainsi les épisodes suivants regardent beaucoup du coté de Quo Vadis. Ce qui ne veut pas dire que Jean Dufaux ne puise pas dans les auteurs antiques. Par exemple certains détails de l'assassina de Lollia viennent tout droit de Dion Cassius.

 

Murena de Philippe Delaby et Claude Dufaux

Le personnage de Lollia est un bon exemple de la méthode de Dufaux pour tordre l'Histoire du coté de la fiction. Si dans Murena, Lollia est la mère du héros, elle n'est pas pour autant un personnage imaginaire. Voyons ce que nous apprend les sources antiques (Tacite, Suetone, Dion Cassius) à son sujet: Lollia Paulina est la petite-fille de Marcus Lollius Paulinus, qui avait été consul en -21. Son père était Marcus Lollius Paulinus, un ancien consul et sa mère Volusia Saturnina, sœur du sénateur et consul Lucius Volusius Saturninus. Sa grand-mère maternelle était lointainement apparentée à l'empereur Tibère. L'oncle maternel de son père était le sénateur et consul Marcus Aurelius Cotta Maximus Messalinus. Une sœur cadette de Paulina était Lollia Saturnina qui épousa le consul Decimus Valerius Asiaticus à qui elle donna un fils. Paulina devint très riche après avoir hérité de biens appartenant à des membres de sa famille. Quand après la mort de Messaline en 48, l'empereur Claude pense à se remarier, ses conseillers lui parlent également de Lollia. L'affranchi Calliste la voit d'un bon œil, parce qu'elle n'a pas d'enfants, qui auraient pu être en concurrence avec Britannicus, le fils de Claude. Quand, au bout du compte, Claude choisit sa nièce Agrippine, celle-ci accuse Lollia d'avoir eu recours à la magie noire pour gagner le cœur de Claude. Lollia n'a même pas le droit de se faire entendre : elle est bannie et ses biens sont confisqués. Dans l'exil, elle est contrainte au suicide. Dion Cassius, historien grec du II ème siècle, précise qu'Agrippine, mère de Néron, fut l'instigatrice du suicide forcé, et demanda qu'on lui apporte la tête de Lollia, qu'elle ne reconnut pas dans un premier temps : elle examina alors les dents de la défunte qui, ajoute Dion, "possédaient quelques particularités" Dufaux fait de Lollia un personnage attachant, en cela il s'éloigne pour une fois de Graves qui la décrit << aussi stupide et têtue qu'une mule et n'aimant que les bijoux.>>. L'écrivain anglais avait puisé ce dernier détail chez Pline qui nous apprend que Lollia portait sur elle pour 40 millions de sesterces en bijoux. 

Murena de Philippe Delaby et Claude Dufaux

Le Murena de Philippe Delaby et Jean Dufaux donnent une image vivante de l'antiquité qui de façon graphique et narrative renouvelle le genre tout en s'inscrivant dans la tradition franco-belge, très éloigné à cet égard des outrances et invraisemblances de fictions influencées par l'héroic-fantasy américaine sans cependant complètement en rejeter les influences graphiques. Influences dont le traitement récent de l'antiquité romaine n'est pas épargné, voir à ce propos la série Spartacus à la télévision. Dans certaines scènes de violence Murena n'est pas si loin de cette dernière.

Dans Murena le caractère très méticuleux de la série, comme dans celles des Alix confère au sujet une similitude avec le réel, gage d'une certaine forme de vérité pour le lecteur.

La période choisie par les auteurs n'est pas innocente. Celle des empereurs Julio-claudiens est celle réputée pour ses débauches. Elle autorise des développements érotiques et même pornographiques voir par exemple les fantasmes homosexuels développés par le dessinateur britannique Zack dans ses petits opuscules ayant pour cadre la Rome impériale. Toujours pour appâter le chaland le fait de mettre un personnage de gladiateur dans un rôle important n'est pas non plus une mauvaise idée. Le gladiateur étant toujours un personnage fort gouté du public, voir la série télévisée Spartacus, déjà citée plus haut. Et cet engouement ne date pas d'hier dans la B.D, que l'on se souvienne, dans les années 50, de Rock l'invincible paru dans « Hurrah! » et du petit format « Olac le gladiateur » (Marco en Espagne).

 

Murena de Philippe Delaby et Claude Dufaux

Alors que l'antiquité n'a été guère présente sur le grand écran ces dernières années, le plus grand succès du genre dans la période récente a été Gladiator, sorti en 2000, film dans lequel, comme son titre l'indique, les combats dans l'arène ont une grande importance. Le film trouve des échos jusque dans des détail comme cette curieuse arme à cinq pointes que gladiateur de la planche 25 de l'opus 4 (Ceux qui vont mourir) portant le plastron et le casque des provocatores, manie bizarrement.

Lorsque l'on voit tous ces gladiateurs qui fourmillent dans les oeuvres de fiction, on peut se demander s'ils avaient une telle place dans le monde romain et surtout s'ils avaient l'aspect qu'on leur imagine c'est à dire le plus souvent des colosses bodybuldés! On peut douter qu'ils furent ainsi, mais lorsque l'on voit en réelle des performances de gens qui tentent de reproduire le plus exactement possible des combats de gladiateurs avec armes et accoutrement similaires à ceux de l'antiquité, les tenants de l'archéologie expérimentale, comme le fait Brice Lopez, professeur d’arts martiaux, et directeur d’Acta-Expérimentation (2), on se dit que nos gladiateurs ne devaient pas être chétifs. On a une petite idée de leur morphologie et de leur régime alimentaire suite à la découverte de 70 squelettes de gladiateurs à Ephèse. D'après ces restes les chercheurs en ont déduit qu'ils se nourrissaient principalement d’orge et de féculents. Et donc qu’ils devaient être assez… enveloppés. Jean-Léon Gérôme, peintre d’une fameuse Aue Caesar, morituri te salutant, ignorait les hypothèses des anthropologues autrichiens Karl Grossschmidt [médecin-légiste, Institut autrichien d'archéologie] et Fabian Kanz (Institut de chimie analytique de l'Université de Vienne), 
mais dans son œuvre la plus célèbre, 
Pollice uerso, il a montré un mirmillon (armatura de fantaisie, mais à l’époque… ) nettement bedonnant : c’est-à-dire le triomphe du combattant expérimenté, sur un jeune rétiaire encore inexpérimenté…

 
Murena de Philippe Delaby et Claude Dufaux

Éric Teyssier, dans une excellente communication dédiée à « soixante ans de gladiature en BD », dégage quatre grandes périodes, fortement influencées par la peinture puis le cinéma : après une première période marquée par l’influence des œuvres de Gérôme (qui perdure jusqu’à aujourd’hui) et des découvertes faites à Pompéi, c’est le Spartacus de Stanley Kubrick en 1960 qui semble inspirer les représentations que l’on trouve dans Astérix gladiateur (1962) ou dans Alix – Les Légions Perdues(1965). Ces représentations fantaisistes sont remises au goût du jour, et rénovées, à partir des années 2000 et de la sortie du film Gladiator de Ridley Scott (2000), comme en témoignent les tomes de Murena sortis après cette date, et il faut attendre la fin des années 2000 pour qu’une nouvelle génération d’auteurs, derrière Enrico Marini (Les Aigles de Rome, 1er tome publié en 2007) ou Laurent Sieurac et Alain Genot (Arelate, 1er tome paru en 2009) tentent des représentations bien plus réalistes, délaissant la mise à mort automatique et autres poncifs comme le « pollice verso » ou le fameux « Ave Caesar, morituri te salutant » imposés par Gérôme.

Murena de Philippe Delaby et Claude Dufaux

L'incipit de l'album (écrivant cela, je m'aperçois que je dois faire oeuvre de novateur car je n'ai encore jamais vu ce terme appliqué à la bande-dessinée.) ou plutôt les incipits, l'un pour le texte, l'autre pour le dessin, situent d'emblée le projet narratif. Dans le temps d'abord pour le texte: << Rome. Mai 54. Il est midi. L'empereur Claude assiste aux combats.>>. L'image sous le phylactère montre l'empereur et son entourage dans la loge impériale du Colisée (Tout du moins c'est ce que l'on imagine, mais alors il serait fâcheux pour une série historique de commencer par un anachronisme car la construction du Colisée a commencé entre 70 et 72 ap. J.-C., sous l'empereur Vespasien, et s'est achevée en 80 sous Titus.). La deuxième montre des gladiateurs nus en train de s'étriper. On comprend tout de suite que nous seront dans un registre moins puritain que celui des aventures d'Alix. Dans le troisième bandeau de cette première page on découvre un jeune spectateur de la boucherie. Il ne nous est pas présenté mais l'habitué de B.D. peut supputer raisonnablement qu'il sera le héros de l'album. Dans les pages qui suivent apparaissent sans tarder Britannicus et Néron et un personnage, un nubien dont là encore on devine qu'il tiendra un rôle important dans le déroulement du récit. La mise en avant au début du premier épisode de grandes figures historiques fait supposer au lecteur que ces dernières dans le déroulement de la saga prendrons le pas sur les personnages inventés par le scénariste, et il aura raison. C'est la grande originalité du scénario et aussi sa faiblesse de faire que les personnages fictifs soient plus des faire-valoir des figures historiques que les moteurs de l'aventure, comme c'est le cas dans Alix (il est difficile je le répète de ne pas faire la comparaison entre les deux grandes séries qui illustrent l'antiquité romaine d'autant que le graphisme d'Alix senator, bien que son dessinateur s'en défende est proche de celui de Murena) en fait, c'est donc surtout avec Alix senator qu'il est judicieux de faire la comparaison.

 

 
Murena de Philippe Delaby et Claude Dufaux

Dans les séquences suivantes nous découvrons deux femmes, d'abord Agrippine, la femme de Claude et mère de Néron en conversation avec son affranchi Pallas qui espionne pour elle et dans la suivante Lollia qui se révèle être la maitresse de Claude, l'empereur, et la mère du joli garçon que nous avons aperçu à la première page. Les personnages ne sont pas annoncés d'emblée; le lecteur apprend petit à petit qui ils sont et quels sont les liens qui les unissent.

Arrêtons nous sur la figure de l'empereur Claude, figure sur laquelle Delany a malheureusement dérogé au principe de reconnaissance dont je parlais plus haut et qui est cher au lecteur un tant soit peu féru d'Histoire. Il me semble qu'il aurait été judicieux de prendre pour modèle pour la représentation de l'empereur l'acteur Derek Jacobi (d'autant que Delaby prend souvent comme modèle pour ses personnages des acteurs de cinéma), formidable interprète de Claude dans la superbe série « Moi Claude empereur », adaptation télévisée du non moins superbe roman éponyme de Robert Graves. Certes Delany représente le maitre de Rome avec un visage assez ingrat mais doté d'un corps musculeux, ce qui est assez improbable, puisque les sources historiques le décrivent comme boiteux (un pied bot?) et bossu. Ce choix me paraît assez incompréhensible, tant la scène entre Agrippine et Pallas est dans la droite ligne du roman et de son adaptation télévisuelle ce qui fait supposer que les auteurs connaissaient ces oeuvres. Dans une interview Delany a déclaré avoir vu tous les péplums, mais il se vantait peut être un peu. Pour rester dans l'aspect physique des protagoniste de notre histoire, c'est l'actrice Carole Bouquet qui, ici, aurait inspiré celui d'Agrippine. On peut aussi pour le druide-guerrier de l'opus 6, Cervarix, lui trouver de grandes ressemblances avec Saroumane-Christopher Lee, dans Le Seigneur des Anneaux...

Murena de Philippe Delaby et Claude Dufaux

En parcourant les albums, on est frappé par les références cinématographiques, particulièrement au Ben Hur de Wyler, la course de chars dans Murena est un décalque de celle du film (à son propos il est aussi fort probable que Delany se soit inspiré des dessins de Peter Connolly sur le sujet). Et cela jusque dans les détails comme l'harnachement des chevaux, et les curieuses figures de colosses assis dans la BD, mais qui sont accroupis dans le film de Wyler, qui lui-même les avait repris de la précédente version MGM, celle de Fred Niblo (1925). Tout droit aussi sorti de Quo Vadis cette scène où Néron s'extasie sur la maquette de la Rome à venir. On retrouve également beaucoup du Spartacus de Kubrick dont l'atmosphère imprègne largement toutes les images gladiatoriennes, depuis les coiffures - la fameuse «boucle du gladiateur» - jusqu'aux images de leur caserne, avec ses hautes grilles, son arène privée, ses mannequins d'entraînement et même, dans l'opus 3, le maillage de la manica de Balba !

Il arrive aussi des glissement d'un modèle l'autre pour certains personnages ainsi gageons que la figure de Juba/Djimon Honsou injecta une seconde vie au personnage de ce gladiateur à peau d'ébène, d'abord «nubien», puis «numide», déjà présent, de dos, à l'extrême-droite de la seconde vignette de la première planche du premier album - mais qui ne sera nommé «Balba», pour la première fois, qu'à l'avant-dernière planche de l'opus 3 (2001); dès lors, sa personnalité et sa physionomie glissent du Draba/Woody Stroode du Spartacus de Kubrick vers le Juba/Djimon Honsou de Gladiator, sorti en juin de l'année précédente, comme l'attestera le superbe portrait aquarellé en frontispice de ce même album. Gageons encore que cette première planche de gladiateurs combattant complètement nus, à la vive surprise du Professeur Jean-Paul Thuillier, devait beaucoup à une lecture trop consciencieuse du roman d'Howard Fast (l'auteur du roman d'Histoire romancée dont s'est inspiré le film de Kubrick)... qui, on l'oublie, n'était pas pour rien aussi un auteur de Science-Fiction !

 

 

Murena de Philippe Delaby et Claude Dufaux

Pour en revenir à Claude est-il agréable pour un dessinateur visiblement aussi amoureux des corps, tant féminins que masculins, d'être contraint de représenter durant tout un album, une mocheté. Non bien sûr, Il ne faut peut être pas chercher plus loin la raison du corps body-buldé de Claude dans Murena.

Lorsqu'un dessinateur représente un personnage historique il est néanmoins forcé, pour obtenir l'adhésion de son lecteur, de se conformer si possible à ce que ce dernier pourrait connaître du physique de ce personnage. Examinons la représentation de Néron dans Murena. Les latinistes auront en mémoire la description qu'en donne Suétone (mais il n'est pas inutile de rappeler que l'auteur des Douze Césars » est né deux ans après la mort de Néron! Et qu'il n'était guère admiratif de ce dernier, c'est un euphémisme...): << sa taille approchait la moyenne; son corps était couvert de taches malodorantes; sa chevelure tirait sur le blond; son visage avait de la beauté plutôt que de la grâce; ses yeux étaient bleuâtre et faibles, son cou épais, son ventre proéminent, ses jambes très grêles, sa santé robuste.>>. Première remarque on ne sait pas à quel âge de la vie de Néron s'applique cette description. Lorsque nous le rencontrons dans Murena il a 17 ans quand à Claude et Agrippine ils sont alors âgés respectivement de 64 et de 39 ans. Le Néron que nous découvrons au début de Murena est assez joli garçon et doté d'un corps bien dessiné. Pour le visage de Néron adolescent tel qu'on le découvre dès la page 5 du premier album, On peut penser que Delany s'est inspiré du buste de Néron, datant de 54, qui se trouve au musée du Vatican où le jeune empereur présente des traits fins pas encore empâtés.

 

 

Murena de Philippe Delaby et Claude Dufaux

Il est temps maintenant de parler de Murena, le personnage éponyme de la série, avec qui nous avons fait connaissance physique dés la deuxième case du premier album de la série, sans savoir véritablement qui il était, car si on se réfère à la tradition de la bande dessinée, la série portant son nom, il n'en peut être que le héros. En réalité on s'aperçois assez vite qu'il n'en est rien. Murena est un héros discret qui subit les événements. En fait c'est une sorte d'antihéros dont la quête pour venger sa mère n'est qu'une façon habile de raconter par le menu les cinq premières années du règne de Néron, période qui se termine avec la mort d'Agrippine. Dans cette période, disons du premier Néron, le jeune homme est encore sous l'influence de Sénèque son précepteur ainsi que de celle de Burrus dont on apprend la mort au début du cinquième album. Après les quatre premiers chapitre qui compose le cycle de la mère, la tonalité de la saga change. Elle devient encore plus noire. Murena passe au premier plan, à égalité avec Néron. Néron et même Rome sont devenus ses ennemis...

Par rapport à la tradition de la représentation de l'empereur Dufaux a opéré un glissement; ce n'est plus Néron qui est le monstre mais Agrippine. Contrairement par exemple à la plupart des historiens antiques et modernes, le scénariste n'attribue pas la mort de Britannicus au jeune empereur mais à sa mère tout en laissant une ambiguité car on peut aussi penser que britannicus a succombé suite à une crise d'épilepsie, mal dont il souffrait.

 

 

Murena de Philippe Delaby et Claude Dufaux

Murena propose des interprétations originales de personnages par ailleurs bien connus, comme Néron et Poppée. Au point de parfois renverser notre perception héritée des sources antiques pour des figures majeures comme l’empereur Néron qui, depuis Suétone, était devenu une figure d’empereur fou voire, à partir du Moyen-âge, d’Antéchrist. Ce glissement dans la bande-dessinée semble là encore correspondre à un renouvellement historiographique qui s’attache à relire les sources antiques pour expliquer en termes politiques plus complexes les mauvais rapports entre Néron et la classe dirigeante dont sont issus les grands historiens romains. Les auteurs de bande dessinée s’emparent donc de l’Histoire pour écrire leurs histoires, dans un processus de réécriture finalement propre à la création artistique.

La vision de Néron par Dufaux correspond aux travaux menés par les historiens et les latinistes comme  Eugen Cizek, Jean-Michel Croisille, Pierre Grimal, Claude Aziza qui ont ces dernières années réévalué le règne et la politique de l'empereur. Par exemple pour Claude Aziza << Néron est resté un enfant naïf qui croit aux fariboles des astrologues et aux contes de fées, au point, nous dit Suétone, de compter, pour renflouer sa cassette, sur le trésor mythique de la reine Didon de Carthage! (…) Décidément Néron n'était pas fait pour être empereur. Cruel par nécessité, dispendieux par insouciance, mal aimé, mal conseillé, mal marié, histrion par nature, fou par démesure. >>.

 

Murena de Philippe Delaby et Claude Dufaux

L'ambiguité règne en maitre dans le scénario ainsi Murena croit être l'ami de Néron alors qu'il n'en est rien. Ses yeux se décilleront ensuite, mais il est vrai que Néron aura changé. Un des atouts majeurs de cette série est de dépeindre l'évolution psychologique d'un homme, en l'occurrence celle de Néron, mais aussi celle de Murena (je reviendrai sur cette gémellité), chose extrêmement rare en B.D. Notre héros prend de l'épaisseur, lorsqu'il cesse d'être gentil et se rend compte que l'empereur n'est pas son ami mais son ennemi. C'est l'éloignement par Néron de sa maitresse Actée qui était l'ancienne maitresse de l'empereur qui lui ouvre les yeux.

Dans la saga, l’empereur Néron a du sang sur les mains sans être l’archétype du tyran sanguinaire et dépravé. Dépeint au contraire comme un jeune homme de bon sens, Néron est déchiré entre la raison, la passion et ses responsabilités politiques. Un homme dont la cruauté obligatoire, compte tenu du contexte de l’époque, le dispute à la bonté sincère. Selon les ressorts de la tragédie antique, le jeune empereur, manipulé par un entourage vil et sournois, sombre peu à peu dans la folie : à l’origine de la mort de ceux qu’il aimait (Britannicus), ayant ordonné la mort de sa mère qui sapait son autorité, le voila désormais poussé, sous la pression populaire, à signer l’arrêt de mort des Chrétiens et de Saint Pierre qu’il aime profondément. Comment ne pas penser, dans un cadre historique plus large, à l’indécision du préfet Pilate qui fut contraint pour maintenir l’ordre public de tuer un fameux Nazaréen, 60 ans auparavant ?

 

Murena de Philippe Delaby et Claude Dufaux

Il est regrettable que Dufaux n'ait pas su éviter le coté saint sulpicien et de nous imposer la figure de saint Pierre qui n'a pas grand chose à voir dans cette histoire. Il faut rappeler qu'à l'époque Néronienne les chrétiens ne sont qu'une minuscule secte juive. Il est amusant de noter que dans Murena nous rencontrons pour la première fois Saint Pierre (dans le tome 5) dans une sorte de bar gay qui me paraît assez anachronique dans l'esprit sinon dans les pratiques. Nous retrouvons Pierre dans le chapitre 7, ce qui nous vaut une scène entre lui et Néron d'un pénible saint-sulpicianisme... A partir du tome 8 l'influence de l'esprit bondieusard de Ben Hur, plus d'ailleurs celui du film de Wyler que du livre du général Wallace. Murena a la même trajectoire mentale que Ben Hur au début il est l'ami de Néron comme Ben Hur l'était de Messala puis cette amitié se transforme en désir de vengeance. La haine et devient le seul moteur de la vie de Murena comme elle l'est de celle de Ben Hur, lui permettant de survivre à l'épreuve des galère puis vient le temps de la rédemption si Ben Hur sous le regard de Jésus << vois le glaive de la haine qu'il tenait en main tomber à terre. >>, c'est la rencontre de Pierre pour Murena qui le conduit à la rédemption... Il est à craindre que le dernier cycle de Murena tombe dans le sirop sulpicien!

Il me semble qu'il n'est pas outré de parler de misogynie à propos du scénario de Dufaux. On y voit Néron successivement victime de deux femmes fatale d'abord sa mère Agrippine puis de l'intrigante Popée n'est-il à la merci de cette dernière grâce à un filtre d'amour qu'elle lui aurait fait boire ce qui exonère l'empereur de toute responsabilité. On a là une sorte de réhabilitation de Néron assez proche des thèses que développe Claude Aziza dans son « Néron Le mal aimé de l'Histoire » (éditions Découverte Gallimard). Si la plupart des sources et des historiens considèrent que Néron a empoisonné Britaniccus alors que Dufaux fait d'Agrippine la coupable, Claude Aziza avance une autre théorie: que c'est Agrippine en se rapprochant de Britannicus pour le jouer contre son fils qui aurait condamné le fils de Claude.

 

Murena de Philippe Delaby et Claude Dufaux

On s'est beaucoup gaussé de l'histrionisme de Néron qui n'hésitait pas à chanter en public s'accompagnant à la lyre, mais on ne replace jamais ces épisode dans les moeurs de l'époque et le regard qu'on y portait sur l'empereur. On a retrouvé dans les ruines d’une petite ville d’Asie-Mineure un décret du peuple de ce pays en l’honneur d’ambassadeurs étrangers qui avaient chanté en public en s’accompagnant de la cithare. Ce qu’on louait chez les ambassadeurs ne pouvait pas beaucoup choquer chez le prince.

Au long des six premiers albums, Néron n'arrêtera pas d'éprouver de la fascination d'abord pour la lumière, puis pour le feu, pour finalement apprécier l'odeur de la chair calcinée (celle du giton de Proctus - opus 5). Par petites touches, Dufaux et Delaby guident leur anti-héros Néron de la raison à la folie. La dernière page de l'opus 3 ne laisse planer aucun doute dans notre esprit : le lecteur est assuré de, bientôt, voir Néron organiser l'incendie de Rome, en vertu d'une loi qui veut que la légende soit préférable à la terne réalité et en dépit de l'opinion générale des historiens contemporains. Mais le lecteur devrait se méfier des évidences...

Murena de Philippe Delaby et Claude Dufaux

 

Si d'après les interviews on peut penser que la trame générale de la saga était déjà posée avant le premier coup de crayon de Delany, on peut s'étonner en vieux routier de la B.D. Que Dufaux se prive de personnages prometteurs en les faisant s'estourbir prématurément ou nous sorte inopinément de son chapeau des premier rôle comme la mystérieuse aurige dans le tome 5. J'ai d'abord pensée que ce « Michel Vaillant » du cirque maximus n'était autre qu'Octavie, la sœur de Britannicus et l'épouse répudiée de Néron. N'aurait-ce pas là été deux excellents motifs de vengeance ? (Sa mutilation du visage étant, dans ce cas, liée aux circonstances de sa «mort», certaines sources historiques mentionnent qu'elle aurait été ébouillantée dans une étuve...

Mais à propos du personnage d'Octavie, on voit un autre phénomène fréquent dans les fictions historiques, l'élidation d'un être qui a réellement existé mais dont le présence ralentirait l'action. C'est ainsi, que de son propre aveu, Dufaut à fait passer la soeur de Britannicus à la trappe! 

A propos de personnages l'un des plus intrigants et des plus intéressants de ceux que nous croisons dans Murena est Pétrone. Ce dernier est une figure idéale pour un romancier ou un scénariste. Il est à la fois célèbre, il passe pour être l'auteur de plus célèbre roman de la Rome antique, « Le satyricon » et nous ne savons à peu près rien de lui, ce qui n'est pas contraignant pour qui veut le faire apparaître dans un roman. Le public cultivé ne le connait guère que par le portrait qu'en a fait Sienkiewicz dans son célèbre Quo Vadis. Mais l'écrivain polonais n'a fait que broder sur le portrait qu'en fait Tacite qui nous le décrit comme un homme efféminé préoccupé uniquement de son plaisir. Tacite l'a surtout immortalisé par le récit de sa mort, en 65, il est condamné par Néron à se suicider, une des plus belles de l'antiquité et la seule véritablement épicurienne de l'Histoire. Ce qui valut à Pétrone l'admiration pâmée de tous les épicuriens du XVIII ème siècle. Voilà, ce qu'en écrit Saint-Evremont: « Ou je me trompe, ou c’est la plus belle mort de l’antiquité. Dans celle de Caton, je trouve du chagrin et même de la colère. Le désespoir des affaires de la république, la perte de la liberté, la haine de César, aidèrent beaucoup à sa résolution, et je ne sais si son naturel farouche n’alla point jusqu’à la fureur quand il déchira ses entrailles. Socrate est mort véritablement en homme sage et avec assez d’indifférence ; cependant il cherchait à s’assurer de sa condition en l’autre vie, et ne s’en assurait pas ; il en raisonnait sans cesse dans la prison avec ses amis, assez faiblement, et, pour tout dire, la mort lui fut un objet considérable. Pétrone seul a fait venir la mollesse et la nonchalance dans la sienne. Nulle action, nulle parole, nulle circonstance qui marque l’embarras d’un mourant : c’est pour lui proprement que mourir est cesser de vivre. ».Tacite nous apprend qu'avant ce trépas sublime il fut << Proconsul en Bithynie et ensuite consul, on le vit faire preuve de vigueur, et il fut à la hauteur de toutes les affaires.  Après cet effort, il était revenu volontairement à sa vie oisive et voluptueuse.>>. Cette carrière officielle avant les plaisirs ne cadre pas complètement avec le Pétrone de Murena qui paraît seulement qu'un peu plus vieux que son ami Murena dont il désire le corps...

Murena est une série essentiellement urbaine. La ville de Rome en est un personnage à part entière. Dans un exposé l'universitaire Michel Thiébault remarque judicieusement que cette série répugne à sortir de l'urbs alors que l'économie de l'époque néronienne était fondamentalement agricole. Il voit dans la prédominance des zones urbaines dans la Murena la difficulté qu'ont nos société urbaines et industrialisées à se projeter dans un monde rural. Ce centrage sur la ville et même sur la cour impériale à le grave défaut de faire passer à la trappe la dimension monde de l'empire, non seulement on ne voit pas « les provinces » mais elles sont à peine évoquées sinon comme lieu de bannissement. A contrario la vaste étendue de l'empire est très bien rendu dans les deux sagas alixiennes et « Les bouclier de Mars » de Chaillet. Si bien qu'on se dit que ces intrigues sanglantes de palais pourraient se passer dans celui d'une minuscule principauté. Il faut attendre l'épisode 6 pour l'action s'aère avec la chevauchée de Murena dans la Gaule enneigée.

La représentation de Rome par Delaby doit beaucoup à la grande maquette de l'architecte Gismondi (1) qui restitue la Rome du IV ème siècle, maquette que Gilles Chaillet a magnifiquement transposée en Dessin dans son magnifique album « Dans la Rome des Césars » (les auteurs de Murena en fin d'un des chapitre rendent élégamment hommage à Gilles Chaillet). La principale difficulté de Delaby pour son décor romain a été de l'adapter au 1 er siècle. On remarquera que l'action de Murena se focalise surtout sur le secteur du théâtre de Marcellus. Il reste que la représentation de la ville par le dessinateur reste surdéterminé par son modèle. Les dessins de Philippe Delaby concourent à magnifier la capitale de l'empire. Cette représentation d'une ville bien ordonnée, jusque dans ces quartiers populaire (beaucoup plus par exemple dans celle qu'on voit dans la série télévisé Roma) conforte le lecteur un peu cultivé, le lecteur de Quo Vadis par exemple, dans ses connaissances, ce qui est toujours bon dans le succès d'une oeuvre. On sait bien que plus que connaître, l'homme préfère reconnaître...

Si Murena sort peu de l'urbs et est chiche en vues panoramiques sur la ville (3). En revanche quelques cases s'attardent sur la vie quotidienne des romains. Ces courtes incises sont parfaitement intégrées dans le déroulement du récit, par exemple la scène bien documentée des latrines au début du chapitre 5. On imagine mal un panoramique sur des latrines publiques dans Alix senator et c'est à mon avis dommage... Au sujet des latrine, Jacques Martin c'est d'ailleurs, si je puis dire, exprimé: << A La Roque d'Antheron, l'on m'a demandé pourquoi je ne représentais pas les choses comme elles étaient, des patriciens discutant en faisant leurs besoins dans les latrines publiques, etc. Vous imaginez ça, dans le journal Tintin ? (…) Aussi, je choquerais beaucoup de gens si dans mes histoires, je décrivais de façon réaliste les véritables mœurs romaines. Bon gré mal gré, je dois observer une certaine prudence dans le choix des situations que j'illustre : par exemple, je n'ai jamais voulu représenter les latrines publiques ni les Thermes. Si je le faisais, on ne manquerait pas de m'accuser de provocation, et la provocation est tout à fait étrangère à mes desseins.>>. Certes, certes mais le journal Tintin à disparu et Alix senator me paraît destiné à un autre public que celui de la série mère.

La série nous renseigne sur « les classes sociales » à Rome et les distinctions qu'il faut faire entre citoyen romains, affranchis et esclaves. Et bien avoir à l'esprit que si certaine pratique sont répréhensible pour une certaine population, elle ne l'est pas forcément pour une autre. Par exemple quand Pétrone explique à Acté que la prostitution à laquelle elle s'était autrefois livrée n'avait rien de répréhensible, c'est qu'elle n'était pas une citoyenne mais une esclave (album 5)Or, si le commerce était en principe interdit aux nobles romains, il n'était ni illicite ni honteux de tirer de substantiels revenus d'entreprises même les plus viles, lorsqu'elles étaient gérées par des intermédiaires! Les affranchis servaient entre autres à cela. C'est le cas de Pallas qui sert de proxénète à Acté. Faisons maintenant un peu de vocabulaire latin, ce qui est fort éclairant sur les mentalités de l'époque: Les termes lanista (maître de gladiateurs) et leno (proxénète) étaient d'ailleurs connexes et sémantiquement liés au trafic de la viande. En l'occurrence, la chair humaine. Pallas, donc, l'affranchi de Claude, comme affranchi d'origine grecque était loin d'être un citoyen respectable. Si riche était-il, il n'était qu'un homme de rien. Que, dans la BD du moins, il prostitue des filles, n'aurait rien eu de surprenant. Il faut savoir que même affranchi l'esclave demeure une créature de son patron; et c'est ce qui permet à Néron de contraindre Acté à épouser l'homme qu'il lui a choisi, le vieux centurion Sardius Agricola (opus 5).

On peut multiplier les exemples. Ainsi Massam peut bien, sans complexe, faire brûler vif le giton de Proctus car le dit giton ne peut être qu'un esclave. Un citoyens romain ne peut pas être passif (en théorie bien sûr) : il ne risque pas grand chose, juridiquement parlant. Quoique ce fût précisément sous Néron que furent promulguées des lois visant à protéger la population servile contre la cruauté des maîtres. Ainsi abolit-on, notamment, celle qui vouait à la mort toutes la maisonnée d'un maître qui aurait été assassiné par un de ses esclaves. Il arriva que des centaines d'esclaves périssent de la sorte, expiant la faute d'un seul 

Si vous êtes un habitué de ce blog, vous savez que la chasse aux anachronismes est un de mes sports préférés. Je n'en ai guère trouvé dans Murena (à part l'incipit déjà décrypté), cependant des le début du premier tome j'ai été choqué par une case dans laquelle on voit Néron lire un livre dans le jardin de sa tante. Le livre n'est pas un rouleau mais un livre semblable à ceux d'aujourd'hui, un codex. Cette image m'a paru parfaitement anachronique. Après renseignement auprès de wikipédia et de quelques autres sources, celles-ci convergent et disent que le codex aurait été inventé à Rome deux siècles avant J.C. Mais commencé à être d'un usage courant seulement à la fin du premier siècle de notre ère. Il est donc pas impossible de voir Néron un codex dans les mains en 54. Mais il me semble qu'en l'espèce les créateurs de Murena ont enfreint une règle qui est de ne jamais mettre dans une fiction historique un élément par trop étrange pour l'époque traitée, même si sa présence est possible. Delaby n'a d'ailleurs pas persisté dans cette représentation de livre antique; quand Murena se rend chez ce libraire romain Chlirfus (en qui tous les bruxellois amateurs de BD auront reconnu le libraire Schlirf) , page 16 de l'album 6, on voit dans son échoppe des rouleaux et des sortes de dossiers mais plus de codex.

C'est dans cette librairie que Murena commettant un crime quasiment gratuit bascule dans le coté obscur. Voilà une des grandes nouveautés de cette bande dessinée faire que son héros évolue vers le mal! L'album 6 marque un tournant dans la série et un net durcissement du récit non seulement Murena devient meurtrier mais Balba «tue» Massam en le frappant dans le dos. Pour parvenir à ses fins, Evix n'hésite pas à poignarder la sentinelle romaine tout en conversant paisiblement avec lui. Cet album a été publié en 2006. Faut-il y voir une influence de Rome (HBO, 2005) où l'on voyait le jeune Octave, encore ado, torturer personnellement le beau-frère de Vorenus... seulement coupable d'adultère. 

Contrairement à la série Alix mais tout comme Alix senator Murena bénéficie d'une chronologie rigoureuse: 

LE CYCLE DE LA MÈRE
1. La pourpre et l'or (1997)
    De mai à octobre 54 : six mois
    La fin du règne de Claude
2. De sable et de sang (1999)
    Du 13 octobre 54 à quelques jours après le 13 février 55 : 4 mois
    La mort de Britannicus (41-54)
3. La meilleure des mères (2001)
    Mi-février 55 à, plus ou moins, 58 (?)
    Rivalité d'Agrippine et Domitia Lepida
4. Ceux qui vont mourir (2002)
    Courant 58 à mars 59
    Débuts de la liaison Néron-Poppée. Mars 59 : assassinat d'Agrippine
    (Près de trois ans se sont écoulés entre les opus 3 et 4)

LE CYCLE DE L'ÉPOUSE
5. La déesse noire (2005)
    Printemps 62...
    Néron épouse Poppée enceinte de ses œuvres. L'apôtre Pierre est à Rome
6. Le sang des bêtes (2006)
    ... à hiver 62
    Néron forme des projets urbanistiques pour Rome. L'apôtre Pierre est toujours à Rome
7. Vie des feux (2009)

L'été 63

8.

L'été 63

L'incendie de Rome

9.

L'automne 63

Le déblaiement de Rome, la crucifixion de Pierre.

L'ennui avec Murena, comme avec toutes les séries historiques récentes, et pas seulement celles sur l'antiquité, c'est qu'elle charge la barque plus que de raison en atrocités. Serait-ce pour faire paraître notre époque plus douce en comparaison, pourtant elle ne manque pas non plus de massacres gratuits et sanglants. Ainsi était-il nécessaire de faire occire l'empoisonneuse Locuste par Agrippine alors qu'en réalité elle fut exécutée quelques années plus tard sous le règne de Galba...

S'il est amusant de débusquer les clin d'oeil cinématographiques, qui ne manquent pas dans la série, il l'est tout autant de chercher dans la statuaire antique, les pièces qui ont inspiré certaines cases. Ainsi quand les prétoriens de l'empereur Claude escortent le jeune Néron dans, La pourpre et l'or. Philippe Delaby s'est inspiré du fameux haut relief du Musée du Louvre. A l'origine, ce relief en marbre semble avoir fait partie d'un arc célébrant le triomphe de Claude sur la Bretagne, mais les spécialistes discutent encore pour savoir s'il faut bien voir ici des prétoriens, ou peut-être tout simplement un quarteron d'officiers supérieurs. A noter les luxueux casques de type attique très différents de ceux portés, à la même époque, par la troupe des légionnaires. Avec leur cimier de plumes non pas raides mais ondoyantes, ils vont inspirer ceux à plumes d'autruche que l'on verra dans de nombreux péplums hollywoodiens, notamment le consul Quintus Arrius/Jack Hawkins, lors de son triomphe, dans Ben Hur, 1959.

Nos auteurs font feu de tout bois pour leur inspiration. Ils puisent aussi dans la mythologie gréco-romaine. Par exemple à la planche 6 de l'opus 1Néron a la vision d'un dieu de lumière, qui lui promet l'Empire pour peu qu'il sache s'en emparer. La scène n'est pas sans rappeler Mercure (chapeau ailé, caducée) apparaissant à Jason, dans Jason et les Argonautes et le coachant vers l'Olympe où, contre l'avis de son époux Zeus, Héra le prend sous sa protection, sauf que Mercure est, ici, nu. Et que les ailes à son front sont en fait fixées à un casque, non au chapeau de voyageur qui est normalement l'attribut de Mercure. En fait, ce dieu de lumière que Dufaux ne nomme jamais mais qui apparaît dans la saga de manière récurrente, tantôt comme une vision parlante, tantôt comme une statue dans le décors, témoin muet tantôt de Néron, tantôt de Murena, avec son casque ailé, serait plutôt le héros Persée, le vainqueur de la Gorgone Méduse, à qui Hermès-Mercure transmit ces symboles : les ailes sur le casque, et peut-être le caducée, toujours bien en évidence dans les vignettes; et dont les deux serpents affrontés et toujours prêts à se mordre anticipent le drame qui va opposer la mère et le fils. Quand à Méduse, mi-Gorgone mi-Furie, son masque tout aussi récurrent dans la saga est l'image subliminale de l'empoisonneuse Locuste, la sorcière attachée à Agrippine.

Etant moins intéressé probablement par le corps des dames que les auteurs, je n'ai pas encore abordé le volet sexuel de l'oeuvre. Dans Murena le sexe est essentiellement hétérosexuel. Si l'on excepte quelques regards appuyés entre jeunes gens ou moins jeunes... et le chaste baiser de Pétrone à Murena, même si la case suivante peut faire penser qu'ils ont consommé, le sexe entre mâle est bien peu présent. En revanche le lecteur a droit à chaque album à une femme nue alanguie que n'aurait pas reniée je crois Frazetta... Ces pulpeuses nudités ont posé des problèmes pour l'édition de la série dans certains pays, il suffit de faire comme la fait judicieusement Isabelle Schmitt-Pitiot la comparaison entre les versions française et américaine de Murena pour proposer une réflexion sur la censure et le degré de tolérance de la société américaine sur la nudité d’une part, les personnages sont régulièrement « rhabillés »,et la violence de l’autre, les scènes même les plus crues ne sont absolument pas retouchées... 

 

 

1- Cette maquette a été construite en 1937 pour être présentée au Musée de la Civilisation Romaine (où elle est toujours, elle était fort empoussiérée lorsque je l'ai vue en 1978, espérons qu'elle a été nettoyée depuis. Si un lecteur a des informations sur ce sujet qu'il nous en fasse profiter...). La maquette a été construite à l'instigation du Duce. Il ne faudrait donc pas mésestimer la charge politique que contient cette vision de Rome même si cette réalisation s'inspire d'une maquette plus ancienne construite par l'architecte Paul Bigot en 1911, dont un exemplaire est toujours visible au Musée d'Art royaux de Bruxelles. Un exemplaire qui se trouvait à l'Ecole des Beaux Arts de Paris a été détruite en 1968 en un acte de vandalisme qui exprimait de façon symbolique (et imbécile) le rejet de l'esthétisme classique.

2- http://www.acta-archeo.com/ )

3- Le dessinateur a néanmoins eu la bonne idée de ressuscité une pratique que l'on trouvait dans les albums du début des années 50, Les aventures de Corentin, Le secret de l'espadon, celle de la case en pleine page ce qui nous vaut quelques belles vues de Rome. 

 

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6 mars 2020

La cathédrale, une aventure de Jhen dessinées par Jean Pleyers sur un scénario de Jacques Martin

La cathédrale, une aventure de Jhen dessinées par Jean Pleyers sur un scénario de Jacques Martin

Une double expérience récente, d'abord la découverte de la cathédrale de Strasbourg, puis la visite d'une exposition autour de l'oeuvre de Jacques Martin dans une galerie parisienne m'a fait explorer ma bibliothèque pour en exhumer un album de bandes dessinée intitulé La cathédrale. Il est dessiné par Jean Pleyers sur un scénario de Jacques Martin. Cette aventure de Jhen se passe principalement dans et aux alentours de la cathédrale de Strasbourg. 

Pour ceux qui ne connaitraient pas Jhen, un petit rappel: Jhen" (appelé "Xan" dans les deux premiers volumes de la saga qui lui est cosacrée), est un jeune architecte italien (selon Jean Players, il a 25 ans en 1431 lorsque Jeanne meurt sur le bucher). Il vit donc en plein  Moyen Age européen. La série déjà plus d'une quinzaine d'albums, avec une majorité dessinée par Pleyers.

Aventures de Jhen (scénario Jacques Martin et dessin Jean Pleyers, jusqu’au N° 9)

1. L'Or de la Mort (1984) 
2. Jehanne de France (1985) 
3. Barbe bleue (1984) 
4. Les écorcheurs (1984) 
5. La cathédrale (1985) 
6. Le lys et l'ogre (1986) 
7. L'Alchimiste (1989) 
8. Le secret des Templiers (1990) 
9. L'archange (2000) 
10. Les sorcières (dessins Thierry Cayman, scénario Hugues Payen d'après un synopsis de J. Martin) (2008) 
11. La sérénissime (dessin Pleyers, scénario Payen, d'après un synopsis de J. Martin) (2009)
12. Le Grand Duc d’Occident (dessin Cayman, scénario Payen) (2011)
13. L’ombre des Cathares (dessin Pleyers, scénario Payen) (février 2012)
14. Draculea (dessin Pleyers, scénario Cornette et Frissen) (octobre 2013)

15. Les Portes de Fer, scénario Cornette et Frissen. dessin Paul Teng (2015)

3. Voyages de Jhen

1. Les Baux de Provence (Yves Plateau et Benoît Fauviaux) (2005) 
2. Paris - Notre-Dame (Yves Plateau) (2006) 
3. Carcassonne (Nicolas Van De Walle) (2006) 
4. Le Haut-Koenigsbourg (Yves Plateau) (2006) 
5. Venise (Enrico Sallustio) (2007) 
6. Strasbourg (texte Jacques Martin et Roland Oberlé, dessin Muriel Chacon) (2008) 
7. Les Templiers (Marco Venanzi) (2008) 
8. Gilles de Rais (Jean Pleyers) (2008) 
9. Paris, ville fortifiée (volume 2) (Yves Plateau) (2009)
10. L'abbaye de Villers-la-Ville (Yves Plateau) (2010)
11. Bruxelles (Nicolas Van de Walle) (janvier 2011)
12. Bruges (Ferry) (mai 2011)
13. Le Mont-Saint-Michel (Yves Plateau) (mars 2012)

En outre Jacques Martin au cours de différentes interview a évoqué les scénarios suivants:

- « Le Boyard Fou » : une poursuite de Moscou à Venise
- « Le Diable Baron » : un tournant dans les relations qu’entretiennent Jhen et Gilles de Rais (de plus en plus soumis à des influences démoniaques)
- « Le Campeador » : les horreurs des guerres religieuses dans le sud de l’Espagne
- « le Condotierre » : intrigues au Vatican

 

La cathédrale de Strasbourg
 

Si la cathédrale joue un rôle important. Elle représente surtout un somptueux décor. Malheureusement le livre ne s'intéresse pas trop à sa construction même si Jhen y travaille comme architecte. Pleyers ne la dessine d'ailleurs pas en entier et préfère nous montrer sa façade ou sa pointe inachevée, en utilisant souvent des plans dynamiques (plongées acrobatiques, contre plongées vertigineuses etc ...) 

 

 

 

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Le véritable sujet du livre, ce sont les deux châteaux d'Ottrot, près du Mont Sainte Odile. Le récit se passe en fait près d'Obernai et Jacques Martin s'intéresse à l'histoire des lieux de son enfance. Deux familles rivales vivent dans des châteaux voisins, séparés par environ 500 mètres et l'intrigue se concentre sur l'amour impossible de deux adolescents issus des clans ennemis (un remake de Roméo et Juliette). Il nous raconte aussi les manoeuvres louches de l'évêque de Strasbourg qui essaie de vendre ces forteresses à l'Empire Romain Germanique.

 







 

L'intrigue n'est pas réellement passionnante. Le début de l'histoire expose un mystère que Jhen arrivera facilement à résoudre et on n'y trouve pas cette tension qui existe dans les autres albums. Gilles de Rais est absent et il cela modifie l'ambiance de la série. L'album est assez contemplatif mais on a du plaisir à découvrir ce monde médiéval. Pleyers dessine avec finesse les rues de Strasbourg ou l'intérieur de la cathédrale.





Dans une interview, Jacques Martin avoue qu'il avait eu surtout du plaisir à reconstituer la ville de Strasbourg telle qu'elle était au Moyen Age. Ce gros travail n'apparait toutefois que dans quelques cases disséminées et il n'y a pas de case qui nous montre l'ensemble de la ville. Il y a seulement quelques illustrations comme celle immédiatement ci-dessous.





Par certains côtés, on peut rapprocher cet album de "L'arme absolue". il y a dans les deux cas un aller-retour entre le château (Chillon ou Otrott) et la ville (Strasbourg ou Sion). Il y a aussi cet intérêt pour une histoire bien enracinée dans une région (l'Alsace, le Valais) et richement documentée en faits authentiques. Les villes et les châteaux de l'époque sont magnifiquement dessinés. Jacques Martin se promène sur les lieux de son enfance et imagine une histoire, mais le charme de la reconstitution est plus important que le suspense du récit. Ce voyage dans le passé fait aussi un peu penser à l'histoire des "Sorcières". C'est un album un peu à part dans l'oeuvre de Jacques Martin c'est un de ceux où l'on trouve le plus de sensibilité avec cette histoire d'amour impossible rappelant Roméo et Juliette.

Il faut remarquer qu'il y a pas mal de scènes assez lestes dans les histoires de Jhen (voir la séquence immédiatement ci-dessous). Est-ce que cela tient à la personnalité de Pleyers? Car Jacques Martin introduit peu ce genre de scène dans ses autres séries.



 

Mais il ne faut pas oublier que Jacques Martin fut obligé pendant la plus grande partie de sa carrière de subir une censure implacable sur le sujet (presse enfantine oblige).
Jhen est né bien après la révolution des moeurs 
Jacques Martin à évoqué ce sujet et a expliqué sa position, notamment à propos de Malua dans "Les proies du volcan", où il avait du tricher tout au long de l'album pour masquer la nudité naturelle de la jeune sauvageonne, et l'astuce qu'il a prise pour sortir les dernières planches de cet album, faites telles qu'il les voulaient .

 

5 mars 2020

case en exergue: Hal Foster

case en exergue: Hal Foster
5 mars 2020

La dernière conquête, une aventure d'Alix de Ranouil et Jailloux

La dernière conquête, une aventure d'Alix

Voyons d'abord le scénario de "La dernière conquête: Alix et Enak sont aux abords d’Ariminium (actuelle Rimini), sur la côte Est italienne, où un inconnu leur a donné un mystérieux rendez-vous à l’aube. Après qu’ils aient montré patte blanche, un légionnaire conduit Alix dans une grotte, où le gaulois retrouve… Jules César ! Celui qui n’est pas encore l’empereur de Rome, mais déjà le glorieux conquérant de la Gaule, confie une mission secrète à Alix, qu’il considère comme son protégé. César ambitionne en effet de conquérir l’Orient et dans cet objectif, il veut avoir le soutien des dieux. Il demande donc à Alix de lui rapporter la bague d’Alexandre le Grand, jadis Empereur d’un gigantesque territoire allant de la Méditerranée jusqu’à l’Indus. Sur son lit de mort, Alexandre avait en effet dédié cet anneau, sur lequel se trouvait son sceau, au potentiel chef qui voudrait s’en montrer digne. Or 300 ans plus tard, nul ne sait ce qu’est devenue la dépouille d’Alexandre. Car le jour de sa mort, ses compagnons d’armes se disputaient et délitaient aussitôt son empire. Pour cette quête César possède un atout : un prisonnier appelé Asham, qui a été trouvé en possession de pièces d’or issues du trésor d’Alexandre. De fait, Asham doit forcément savoir où se trouve la tombe d’Alexandre, quelque part en Bactriane (au nord de l’actuel Iran). Malgré l’évidente mauvaise volonté du jeune homme, Alix décide de lui faire confiance. Il est aussi très intrigué par son attitude : Asham semble avoir plus d’importance qu’il ne veut bien le montrer. Leur première étape passe par la riche Byblos, ancienne ville phénicienne, puis ils se rendent vers la Perse. Ils découvrent peu à peu qui est Asham...

 

 

Avec "La dernière conquête" Alix pour la première fois était confié aux bons soins de Marc Jailloux qui se présenta sans vergogne lors de la parution de cet opus, non comme le énième héritier de Jacques Martin, mais comme le seul. Les fanfaronnades du monsieur m'avaient tant agacé que je n'avais pas acheté l'album dès sa sortie; ce que je fais habituellement pour tous les Alix. Certes Jailloux n'était pas un inconnu dans l'univers martinien, celui-ci a en effet déjà réalisé un Orion (le tome 4 de la série) et il faut reconnaître que son travail graphique sur le personnage d'Alix est très respectueux des codes du maître Martin, Marc Jailloux même s'il doit encore s'améliorer notamment au niveau des têtes des personnages que je trouve trop allongées néanmoins les visages des deux héros principaux sont très semblable avec ceux dessiné par Martin dans la période des "Légions perdues".

A chaque reprise des aventures d'Alix, je me demande toujours pourquoi de ses deux assistants principaux au moment où, en raison des trouble de la vue à la fin des années 90, il fut contraint d'abandonner le dessin, il a choisi, le moins attiré par le monde antique pour reprendre Alix: Rafael Morales. Epaulé par un autre assistant, cette équipe réalise, de O Alexandrie à Roma Roma des album qui, quant au dessin sont les plus médiocres de la série, le style graphique se dégradant à mesure que le temps passe. C'est d'autant plus dommage que le scénario de Roma Roma est l'un des meilleurs de la série. Lorsqu’on lit L'Odyssée d'Alix 2 dont les dessins sont assumés par Christophe Simon, et notamment une courte bande onirique, on se demande pourquoi l’éditeur n’a pas pu (ou su) convaincre Maître Martin de confier Alix à ce dessinateur. Ce qui est amusant, après avoir fait une très intéressante série antique sur Sparte, est que Christophe Simon reprend Corentin de Cuvelier qui était un des meilleurs amis de Jacques Martin...
Je suis donc toujours un peu dans le regret du dessin de Christophe Simon et bien sûr dans celui de Jacques Martin. Dans "La dernière conquête celui de Marc Jailloux n'est pas indigne mais pas aussi bon qu'il le proclame, depuis avec les deux albums qui ont suivi celui-ci, il faut reconnaitre qu'il a fait de notables progrès.
Le principal défaut de cet album réside dans la pauvreté des décors qui ne sont pas assez travaillés par rapport à ce que proposait Jacques Martin, surtout si, encore une fois, on se réfère à la période des "Légions perdues, période qui est considérée comme l’âge d’or de la série. Marc Jailloux semble s'intéresser moins que Jacques Martin aux reconstitutions archéologiques des lieux traversés. Par exemple les personnages passent par Byblos, puis Suze, mais ces lieux sont évoqués de manière très rapide. Les images et les commentaires se concentrent sur l'action et sur les personnages, plutôt que sur les décors. On rêve aux panoramiques que n'aurait pas manqués de dessiner le Maitre.

Parfois la fidélité frôle le pastiche comme par exemple, dans la séquence du cauchemar p16, on pense immédiatement à la scène qui se trouve page 10 dans "Le dernier spartiate" où Alix est confronté dans son rêve à une déesse au visage de félin. 

 

 

Néanmoins, pour une première, c’est plutôt convaincant. Le récit démarre par ailleurs très bien, et ceci dès la première image, avec un beau paysage et une ambiance poétique. Marc Jailloux semble aimer dessiner ce genre de paysage. Jailloux ponctue son album de nombreux hommages aux cases jadis dessinées par Jacques Martin piochées dans de précédents albums; cet imaginaire fera écho chez nombre de « vieux » lecteurs. En revanche la scénariste Géraldine Ranouil a eu plus de mal à s’affranchir des rigueurs narratives imposées. La problématique et l’intrigue globale ne manquent pourtant pas d’intérêt : à la demande de Jules César, Alix se met en quête du trésor d’Alexandre le Grand. Curieusement en 31 albums, il n’avait jamais été proposé pareille quête à Alix! Chronologiquement parlant, l’épisode est proche d’Alix l'intrépide, le premier album de la saga. Il est même possible de le dater précisément, puisqu’on voit ici César franchir le Rubicon, un épisode si célèbre, qu'il est devenu une expression passé dans le langage courant. Ce franchissement marque le début de la guerre entre César et Pompée. Nous sommes donc le 11 janvier en 49 avant JC.

 
Malgré les réticences que j'avais en lisant les déclarations de Marc Jailloux cet album m'a convaincu que l'on pouvait espérer que la série était cette fois entre de bonnes mains, si des progrès étaient effectués. Les albums suivants ont montré qu'il en fut ainsi. Reste à régler le problème de la pagination qui est toujours insuffisante pour développer une intrigue d'une manière satisfaisante.
 
La dernière conquête, une aventure d'Alix

J'ai récupéré cette intéressante interview de Marc Jailloux sur la toile. Elle devrait éclairer mes propos...

 

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Marc Jailloux. Photo Sophie Hervier

 

Reprendre un héros qui a marqué l’histoire de la BD n’est pas chose facile, pas plus que redonner vie à une époque lointaine quand le père du personnage d’origine l’a tellement marqué que sa vision est devenue canonique. Marc Jailloux en est à son troisième Alix. Avec Mathieu Breda au scénario, il a redonné souffle et vigueur à une série qui menaçait ruine. Il a dû actualiser la vision de l’antiquité à l’aune des recherches récentes tout en gardant la ligne sans tenir compte des nouvelles séries sur le monde romain. Ancien assistant de Gilles Chaillet, Marc Jailloux est entré dans l’univers Martin par la reprise d’Orion.

Ce nouvel Alix est plus dense, psychologiquement que les autres, on ferme l’album avec plus de questions que de réponses.

Tant mieux, c’est un peu ce que je recherche. C’est vraiment le but d’une œuvre d’art, en ressortir avec plus de questions que de réponses. C’était notre objectif d’amener le lecteur à se poser des questions par rapport à Alix comme nous-même nous nous en posons. En l’occurrence, au travers de la quête identitaire d’Héraklion, on sent qu’il s’agit aussi de celle d’Alix, c’est quelque chose qui le touche de près, qui l’affecte particulièrement. On peut se demander si retrouver Astianax en Afrique n’est pas justifié par le fait que ce soit lui qui ait découvert la cité des derniers spartiates. C’est cette découverte qui entraine la fin de la rébellion grecque et l’orphelinat d’Heraklion. Alix a envie d’aider cet enfant mais il peut aussi culpabiliser et essayer de réparer. Je trouve ça justement très intéressant en bande dessinée de raconter ce qui passe entre les cases et entre les aventures, entre ce qui est raconté. Alix a vécu beaucoup de choses, plein d’aventures mais ce n’est pas pour cela qu’il ne se questionne pas.

 

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Est ce que cela va à l’encontre de l’image qu’on a d’Alix. Malgré tout ce qu’il lui est déjà arrivé, il ne se pose pas trop de questions, il n’a pas de failles ?

Il y avait quand même dans les derniers Alix de Jacques Martin, des questionnements similaires. Dans Vercingétorix, il y a l’histoire de l’enfant abandonné, le père doit quand même retrouver son trésor et combattre César au même moment. Dans Le Cheval de Troie, Martin installe cette espèce d’ambiance familiale un peu dramatique. On sent qu’Horatius, le père adoptif d’Héraklion ne va pas bien, il est victime d’un jeu de dupe qui le conduit à s’immoler avec sa famille. On sent que la dimension est forte dans les Alix. Dans Par-delà le Styx elle est plus traitée, plus présente, plus dans l’air du temps. Après j’ai toujours dit que je ne voulais pas figer Alix dans le passé. Martin, si il était encore en activité, aurait fait évoluer le dessin et l’histoire, comme il l’a toujours fait. L’air du temps est beaucoup à la noirceur des héros. On ne peut pas mettre en scène des personnages qui ne ses posent pas de questions, on n’accepte plus l’histoire comme ça. Les médias, la science, tout ça évolue et on ne prend plus les récits pour argent comptant.

Les fans d’Alix vont quand même s’y retrouver, il y a tous les fondamentaux : une quête, une guerre, de l’action, des Romains, des ennemis de Rome…

(Rire) Oui, oui. Bon, Alix n’est pas dans un lit ou sur un canapé dans une thérapie avec un psy. C’est aussi, pour moi, une envie personnelle, ne pas se contenter d’une simple aventure. J’ai toujours envie de dessiner le Alix que j’aimerais lire. Il y a toujours un voyage. On part de Rome, et j’ai enfin pu dessiner Rome avec le temple de Vénus Genitrix en construction (voir Images changeantes de la Ville éternelle). On part de là pour aller vers l’Afrique, c’est un grand voyage et on a toujours un background historique majeur avec la guerre entre César et Pompée, surtout la bataille de Thapsus. C’est le dernier affrontement entre les forces de Pompée et César qui entraine le suicide de Caton. Dans la bataille, on trouve Metellus Scipion, Juba Ier. J’ai mis aussi un mercenaire, celui qui a un casque à tête de serpent, Citius, qui a vraiment existé. On passe de l’histoire personnelle d’Alix, d’Heraklion à la grande Histoire.

Ce sont des sujets et des personnages rarement abordés dans les autres albums sur l’Antiquité. Comment travaillez-vous quand arrive ce genre de sujet et qu’on a les contraintes liées à Alix ?

En fait, je ne les vois pas comme des contraintes. Les copains dessinateurs me demandent souvent «oh là là comment tu fais, moi je ne sais pas comment je m’en sortirais…». Pour moi, ce n’est pas du tout ça. Au contraire, c’est une richesse. J’ai toujours aimé Hergé, Jacobs, Martin, des auteurs qui bossaient avec de la documentation. C’est plutôt une alliée et une partie du boulot qui me plait beaucoup. Après il faut finir les albums donc il faut savoir arrêter les recherches pour avancer. C’est ce que j’aime. Imaginer des évènements peu ou pas représentés, reconstituer des villes, des ambiances. Pour La Dernière conquête, je me suis documenté sur les tribus d’Afghanistan. PourBritannia, idem, on a peu de documents. Depuis le temps, je vais plus vite, je baigne un peu dans ce monde. J’aime bien aussi jouer avec ce que tout le monde connait : des films, des bouquins d’archéologie, des photos de reconstitution. Le temps passe et je deviens moi-même source de documentation. C’est-à-dire que je me souviens très bien de mon premier Orion qui se passait au Necromanteion. Il n’y avait pas grand chose dessus à l’époque. J’ai vu depuis que des albums étaient sortis et que les dessinateurs avaient vu mon travail. Pour ma part, j’essaie vraiment de montrer des trucs que je n’ai jamais vus. C’est exaltant, ça surprend toujours le lecteur et la réalité, même antique, est plus forte que la fiction.

 

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C’est un travail de tous les jours.

Exactement, tout peut nourrir les albums. Des expositions de peinture, des documentaires, des films… Après je fais un tri pour m’en emparer. Par exemple, pour la Grèce, ça a été très long. J’avais beaucoup de mal à me l’imaginer. Rome était au-dessus dans mon imaginaire, la Grèce de Périclès pour Orion m’était vraiment étrangère jusqu’au jour où la lecture du livre de Robert Flacelière La vie quotidienne en Grèce au siècle de Périclès m’a transporté au Ve siècle av. JC. Je me suis baladé dans l’Athènes de l’époque, c’était bon. Après il faut s’intéresser aux pays actuels, car certaines coutumes ou des pratiques n’ont pas vraiment changé. Par exemple, un puits. Il suffit d’aller voir comment sont faits les puits en Afrique du nord pour savoir comment ils sont construits, comment sont les poulies… Pour les dessiner, il faut saisir la logique des monuments ou des choses, surtout quand elles sont anciennes ou qu’elles ont disparu.

 

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Comment ces recherches servent-elles la narration ? C’est plus simple, plus fluide ?

Non, je ne pense pas. Ce n’est pas ce qui assoit le propos, c’est juste le background. C’est un écran sur lequel je projette les personnages. Avant ça c’est le récit, il prime sur tout.

Est ce qu’il y a une différence entre votre Antiquité et celle de Jacques Martin ?

Il y en a forcément une, comme il y en a une entre l’Antiquité du Martin des débuts et celle de la fin. En fait, la documentation est de plus en plus impressionnante. Par exemple, dans Par-delà le Styx, à un moment donné, on montre une charge de la garde noire, de dos, dans la citadelle et en face on voit les légionnaires romains se battre contre des hoplites grecs. Ce qui m’amuse c’est que j’ai gardé les costumes grecs du Dernier Spartiate mais je n’ai pu dessiner les soldats romains comme Martin l’aurait fait à l’époque. Je les ai faits comme les décrivent les historiens actuels. Martin, lui même, rectifie son dessin quand il dessine Vercingétorix, car une trentaine d’années sépare les deux albums et la documentation a évolué. Il n’y a plus qu’Astérix qui continue à être dessiné avec des Romains verts avec la cuirasse de lames métalliques. Mais on ne l’attend pas sur ce détails. Après j’ai le choix, il faut être équilibré car on ne peut pas dérouter le lecteur. Quelquefois, un soucis extrême d’exactitude peut perdre le lecteur, le désorienter ou rendre la lecture plus tendue. Par exemple dans Britannia, on sait que les costumes des Gaulois et des Romains se ressemblaient beaucoup. J’ai dû codifier : mettre les Romains tous bien en rouge et les Gaulois, très différents.

 

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Quelles différences voyez-vous entre votre Antiquité et celle de Murena par exemple ?

(Rires) Déjà, on ne dessine pas la même époque… C’est aussi une époque très documentée. On connait bien les costumes par exemple mais aussi l’architecture. Quand Martin commence, il dessine des soldats romains comme ceux qui sont sur la colonne trajane. C’est très tardif par rapport à l’époque d’Alix. On sait maintenant que les costumes, les plastrons, les casques étaient plus simples, moins impressionnants que pour les débuts de la période impériale. Après je prends quelques petites libertés en dessinant des casques différents pour marquer un grade, un statut et créer un peu de variété. Cette sophistication différente rend l’époque différente. L’autre différence, c’est que Murena fait clairement référence au cinéma récent. On pense à Gladiator par exemple.

Pendant très longtemps Alix a été la seule BD sur l’Antiquité, à côté des grand péplums de l’Histoire du cinéma. On a un peu l’impression que ce cinéma à grand spectacle a influencé Jacques Martin.

Ce qui a fait le succès d’Alix à l’époque, et Alix commence en 1948, est le fait qu’Alix est la première BD historique à faire un gros effort de documentation. C’est-à-dire qu’il y avait un vrai désir d’aller au-delà de l’histoire. Contrairement aux autres dessinateurs, Martin essayait de ne pas être schématique. Il ne mettait pas un Romain vaguement cuirassé avec un Gaulois coiffé de son casque à ailes ou à cornes avec un vague temple derrière. Martin a amené beaucoup de rigueur, bien sûr par rapport à la documentation de l’époque. Après, Martin était plus intéressé et influencé qu’on ne croit et qu’il l’a dit lui-même. Par exemple la course de char du Tombeau étrusque c’est celle de Ben Hur, puis celle de Murena. Tous ces créateurs finalement montrent une époque de telle manière qu’elle corresponde à ce que les gens, les lecteurs ou les spectateurs en attendent. Chaque nouvelle série semble plus réaliste que les précédentes. Gladiator ne l’est pas plus qu’Alix, qui ne l’est pas plus que Ben Hur. A partir de la documentation, on produit des esthétiques différentes. Pour Alix, je suis entre les deux. Donner à voir ce qui a dû être, le plus fidèlement possible, et s’insérer dans une série qui a des codes et un esprit romanesque fort. Il faut que le lecteur s’enrichisse, qu’il apprenne quelque chose sans qu’il s’en rende compte. C’est pour cela que j’ai dessiné trois lieux très différents, des événements différents. Dans le dernier Alix, nous avons mis un village de nomades, des mercenaires, des éléphants avec des cornacs. On avait eu ça dans un Voyage d’Alix mais ici, c’est une aventure.

L’apport pédagogique se fait aussi par le scénario.

Oui, par exemple notre bataille de Thapsus est très différente de celle dessinée dans Astérix légionnaire… (Rires)

 

5 mars 2020

Hommage à René Haussman

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Le dessinateur belge René Hausman s’est éteint le 28 avril à l’âge de 81 ans.

René Hausman, né à Verviers en Belgique en 1936, démarre dans le journal Spirou en 1958. Poussé par Raymond Macherot (auteur de Sybilline et Chlorophylle), il publie des illustrations animalières (Le Bestiaire), puis une bande dessinée intitulée Saki et Zunie. Mais ce sont bien ses dessins d’animaux qui assoient sa notoriété.

Puis viennent les collaborations fructueuses avecPierre Dubois (Laïyna, Capitaine Trèfle), Yann (Les Trois cheveux blancs, Le Prince des écureuls) ouMichel Rodrigue (Le Chat qui courait sur les toits). Et son coup de pinceau chaleureux, détaillé, empathique illustreront nombre de textes classiques, comme lesFables de La Fontaine, les Contes de Perrault ou Le Roman de Renart, et des bandes dessinées en solo chez Aire Libre (Les Chasseurs de l’Aube, Le Camp-volant). Il préparait depuis quelques mois un nouvel album chez le même éditeur, sur un scénario de son épouse Nathalie Troquette et de Robert Reuchamps.

 

 

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René Hausman avait publié récemment, au Lombard, un hommage au personnage de Macherot : Chrlorophylle et le monstre des trois sources, sur un scénario de Jean-Luc Cornette. Ses nombreux livres illustrés et bandes dessinées laissent un héritage visuel au graphisme traditionnel léché et à l’univers, entre nature et féérie, tout à fait singulier, immédiatement reconnaissable.

 

 

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Pour moi René Hausman restera surtout l'auteur de Saki et Zunie que j'aimais tant retrouver enfant dans mon Spirou que je lis encore chaque semaine près de 60 ans plus tard.

 

 

René Haussman est mort
René Haussman est mort
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5 mars 2020

Taniguchi, L'homme qui rêve à l'espace Richaud, Versailles

Taniguchi, L'homme qui rêve à l'espace Richaud, Versailles
Taniguchi, L'homme qui rêve à l'espace Richaud, Versailles

L’exposition « Jirô Taniguchi, l’homme qui rêve », dans le cadre magnifique de l'espace Richaud (un ancien hôpital royal du XVIIIe siècle situé dans le centre-ville de Versailles, récemment réhabilité), encore une fois lors d'une exposition n'oubliez pas de lever la tête et de regarder par les fenêtres, est la même, adaptée à son nouveau cadre, que celle que l'on pouvait voir au Festival de bandes dessinées d’Angoulême en 2015. C'est une large rétrospective faite d'originaux et de reproductions qui devrait surprendre même ceux qui connaissent bien l'oeuvre du mangaka car de nombreuses oeuvres sont inédites en France soit que le manga n'ait pas encore été traduit, soit que ces planches ait été réservées à l'édition japonaise. On découvre aussi sont travail d'illustrateur, à peu près inconnu ici. Néanmoins les familiers du dessinateur auront un grand plaisir à voir des originaux de leurs albums préférés comme ceux de L'homme qui marche, Au temps de Botchan, Quartiers lointains, Les années douce... Cette belle exposition est surtout l’occasion d’apprécier la régularité de la production de l’auteur depuis 40 ans, son goût pour la bande dessinée européenne, et son talent pour se glisser dans différents genres de mangas, thriller, aventure, introspection, historique, animalier... Si le lieu est somptueux, la plupart des oeuvres sont exposées dans l'ancienne chapelle de l'hôpital, qui reprend le plan du panthéon de Rome, il n'est pas toujours bien adapté à la présentation d'oeuvre sous verre d'où les nombreux reflets dans mes photos. 

 

Taniguchi, L'homme qui rêve à l'espace Richaud, Versailles
Taniguchi, L'homme qui rêve à l'espace Richaud, Versailles
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« Quartier lointain » © 1998 Jirô Taniguchi, édition française Casterman 2002-2003

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« Le journal de mon père » © 1994 Jirô Taniguchi, édition française Casterman 2000-2007

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« Kami no inu/Blanco 3 et 4 » © Jiro Taniguchi 1996-2009, édition française Casterman 2010

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« Furari » © Jiro Taniguchi 2011, édition française Casterman 2012

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« Chichi no koyomi – Le journal de mon père » © Jiro Taniguchi 1994, édition française Casterman 1999, 2000, 2004

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« La Montagne Magique » © 2005 Jirô Taniguchi, édition française Casterman 2007

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« Sky Hawk » © Jiro Taniguchi 2002, édition française Casterman 2009

Taniguchi, L'homme qui rêve à l'espace Richaud, Versailles
Taniguchi, L'homme qui rêve à l'espace Richaud, Versailles
Taniguchi, L'homme qui rêve à l'espace Richaud, Versailles
Taniguchi, L'homme qui rêve à l'espace Richaud, Versailles
Taniguchi, L'homme qui rêve à l'espace Richaud, Versailles
Taniguchi, L'homme qui rêve à l'espace Richaud, Versailles
Taniguchi, L'homme qui rêve à l'espace Richaud, Versailles
Taniguchi, L'homme qui rêve à l'espace Richaud, Versailles
Taniguchi, L'homme qui rêve à l'espace Richaud, Versailles
Taniguchi, L'homme qui rêve à l'espace Richaud, Versailles
Taniguchi, L'homme qui rêve à l'espace Richaud, Versailles
Taniguchi, L'homme qui rêve à l'espace Richaud, Versailles
Taniguchi, L'homme qui rêve à l'espace Richaud, Versailles
Versailles, mars 2016

Versailles, mars 2016

 

5 mars 2020

case en exergue, Jean-Michel Arroyo

case en exergue, Jean-Michel Arroyo

5 mars 2020

Dent d’ours T4 : Amerika Bomber par Alain Henriet et Yann

 Dent d’ours T4 : Amerika Bomber par Alain Henriet et Yann
 Dent d’ours T4 : Amerika Bomber par Alain Henriet et Yann

Avant de parler de ce quatrième tome qui est en fait le premier tome d'une nouvelle trilogie qui prend une direction assez différente de la première, faisons le points sur cette série (on peut aller voir les billets que j'ai consacré aux premiers albums: Dent d'ours, Max de Yann & HenrietDent d'ours, Hanna de Yann & Henriet ). L'histoire débute en Haute silésie dans les années 30. Trois enfant deux garçons, Werner et Max et une fille Hanna rêvent de devenir aviateur. Ils sont inséparables. Bientôt Hanna et Werner intègre une école de pilotage dirigée par des nazi. Max qui est juif ne peut s'y inscrire... C'est la fin de l'innocence.

La saga Dents d'ours a débuté en 2013. Elle est éditée par Dupuis. Alors que les trois premiers volumes s'éloignaient assez peu de l'Histoire, le quatrième fait la part belle au fantasme nazi de l'arme secrète. il donne corps et crédit à la fantasmagorie de "L'amerika Bomber" un bombardier à très longue portée menaçant New-York d'une bombe atomique. Il est tout de même bon de rappeler que d'une part les nazis n'ont jamais possédé l'arme nucléaire et que le fameux bombardier à très longue portée n'a jamais quitté... les table à dessins... Parfois en regard du nombre impressionnant d'albums de bandes dessinées qui mettent en scène la victoire des nazi en 1945, je me demande si la profession de dessinateur de bandes-dessinées n'est pas celle qui compte le plus de révisionnistes...  

 

Annonce de la prépublication du tome 1 en Une de Spirou n°3903 (30 janvier 2013)

L'envol d'une amitié (extrait de Dents d'ours t.1, p.12 - Dupuis 2013)

 

Yann est un scénariste prolifique. La Seconde Guerre mondiale l'inspire particulièrement. Sur cette période, outre Dent d'ours, on lui doit déjà: « Pin Up » avec Philippe Berthet ; « Le Groom vert-de-gris » avec Olivier Schwartz. L’aviation est un autre de ses tropisme. Sur ce thème il a déjà scénarisé: « Le Grand Duc » et « Angel Wings » avec Romain Hugault ; « Mezek » avec André Juillard. Dans une saga d’aventure il mèle ses deux passion. La première trilogie a été brillamment menée. Il a su ne pas retomber dans l’académisme de séries plus anciennes; le titre fait par exemple songer au totem de « La Patrouille des Castors. En dépassant désormais – avec l’accord de l’éditeur, avec beaucoup d'audace, le carcan moraliste jadis imposé par la prépublication dans Spirou, Yann et Henriet peuvent ainsi montrer sans détours la violence nazie (mais aussi celle des résistant polonais), les conflits psychologiques ou la sexualité de leurs protagonistes… Max et Werner sont tous les deux amoureux d'Anna. Mais c'est avec beaucoup de tact que le scénario traite de ces sujet. Ce parfait dosage, en accord avec le trait réaliste magnifique d’Henriet (« Golden Cup »), explique du reste la très bonne réception de la série, saluée successivement en 2013 et 2014 par le Prix Saint Michel du meilleur scénario et le Prix des Collégiens d’Angoulême.

 

Couvertures des trois premiers tomes (Dupuis 2013 - 2015)

Berlin en 1945

 

Comme le suggèrent les visuels de couvertures des trois premiers titres de la série, « Dents d’ours » se fonde sur le destin de trois enfants émerveillés par les prouesses de l’aviation. Jouant avec des maquettes en bois, ils idéalisent le simple fait de pouvoir voler. Mais les nouvelles directives du parti nazi imposent aux pilotes d’adhérer aux thèses du national-socialisme. Pour Hanna Reitsch et Werner Zweiköpfiger, l’affaire n’est qu’un détail : il en va tout autrement pour Max, qui est issu d’une famille juive polonaise, et dont le destin tragique est irrémédiablement scellé. Comme on le comprend avec la couverture de « Dents d’ours T1 : Max » (prépublié dans Spirou n°3903 à partir du 30 janvier 2013 ; l'album est paru en mai 2013), le récit fait un lien temporel entre deux époques : les années 1930, où l’émerveillement est encore possible au sein d’un paysage idyllique, et la chute du Reich en 1944-1945, dans la mesure où le ciel semble ici déjà contrôlé par les Corsairs américains. Ces avions, ayant principalement servis durant les campagnes du Pacifique pour y affronter l’armée impériale japonaise, font aussi un lien avec la séquence d’ouverture du tome 1, où surgissent les pilotes kamikazes. En couverture du tome 2, « Hanna » (prépublication dès le 2 avril 2014 dans Spirou n°3964 ; album paru en mai 2014), la vision est symétriquement inversée : une fille remplace le garçon, le regard et la silhouette tournés vers la gauche suggèrent le blocage et les difficultés sous-jacentes, tandis que le paysage ruiné souligne l’agonie du troisième Reich. L’ultime parade contre les Alliés semble être le recours aux « Wunderwaffen » (armes miracles) de tous modèles, dont les Triebflügels (avions à rotor tripale et à décollage vertical, conçus par la société Focke-Wulf), mais qui ne furent en réalité jamais achevés.

 

Des armes nouvelles ! (Spirou n°3964, 2 avril 2014)

Un trio amoureux (extrait de Dents d'ours t.3, p.43 - Dupuis 2015)

Poster offert dans Spirou n°4021 (6 mai 2015)

 

Pour le tome 3, « Werner » (prépublié à partir de Spirou n°4014 le 18 mars 2015, album paru en mai 2015), la vision est amplement plus désenchantée : de dos, perdu dans les ruines berlinoises à proximité de la Porte de Brandebourg, le principal protagoniste ne lève plus les yeux vers le ciel. On imaginera sans peine son rêve brisé – voir le symbole de la maquette d’avion en bois, partiellement cassée – et l’échappatoire suggérée par l’envol d’un unique appareil (un Fieselier Fi 156 Storch, avion de reconnaissance allemand). Pour les connaisseurs de la période, ces éléments font référence à un évènement authentique de la fin de la guerre, repris en ouverture de ce troisième tome : le Generaloberst Robert Ritter von Greim, blessé aux commandes d’un Storch le 26 avril 1945 par la DCA soviétique, dut son salut à sa passagère, le pilote d’essai Hanna Reitsch (c'est Hanna Reitch qui sert de modèle pour la Hanna de "Dent d'ours" qui pour le récit est plus jeune de quelques années que la véritable aviatrice). Celle-ci prit les commandes par dessus les épaules du blessé et posa l’appareil près de la porte de Brandebourg à Berlin. Isolé dans son bunker, Hitler nommera Greim commandant en chef d’une Luftwaffe quasi-inexistante ! La véritable Hanna Reitsch, qui avait testé une version pilotée de la fusée V1 et tenté vainement d’évacuer Hitler en 1945 (comme dans le tome 3 de la saga), prendra conscience in fine de la terrible réalité des chambres à gaz et se liera d’amitié en 1948 avec une résistante et déportée française (Yvonne Pagniez) tout en reniant pas complètement son passé de nazi convaincu. Hanna volera jusqu’à la fin de sa vie… en 1979.

 

Démarrage de la prépublication du tome 3 dans Spirou n°4014 (18 mars 2015)

Des enjeux explicites (extrait de Dents d'ours t.2, p.44 - Dupuis 2014)

La série prend un assez malin plaisir à se jouer des clichés et des conventions du genre : des héros-enfants innocents liés par un serment scellé dans une grotte par une nuit d’orage (chacun adoptant dès lors comme porte-bonheur une authentique dent d’ours) ; deux adolescents pouvant changer d’identité (Max et Werner) ; le fanatisme froid d’une belle jeune femme insaisissable, qui aimera ses deux amis l’un autant que l’autre ; les missions-suicides confiées par les services secrets US (l’OSS, Office of Strategic Service alors dirigé par le major-général Donovan); les rebondissements à répétition causés par l’amour-haine que se portent les personnages. Yann réussit à doser ce périlleux cocktail. Il est dommage qu'au dessin Henriet se laisse aller parfois à la caricature, ainsi les méchant nazis ont des gueules ideuses qui tranchent avec le réalisme des physionomies des héros ou des personnages dans le bon camp. On se croirait revenu au temps de Batler Britton!

 

 

Spirou 4070 (13 Avril 2016)

Vivre et laisser mourir : amour et guerre froide ! Un trio amoureux (extrait de Dents d'ours t.4, p.13 - Dupuis 2016)

 

Dans ce premier tome de la deuxième trilogie de la saga la guerre est virtuellement terminée, puisque Adolf Hitler s'est donné la mort. Les alliés organisent méthodiquement des attaques sur les dernières poches de résistance, dont la base où Werner et Hanna sont réfugiés. Désormais convaincue que ce n'est pas Max qu'elle a en face d'elle, la pilote d'élite allemande lui explique que le projet « Amerika Bomber » n'est pas mort et qu'elle compte bien défendre jusqu'au bout la dignité de son pays et honorer son engagement. Lui-même avoue qu'il est là pour la tuer, sur ordre des forces alliées et notamment de l'Office of Strategic Services du général Donovan. Sans pouvoir pour autant cacher ses sentiments pour celle dont il est amoureux depuis l'enfance. Si bien que lorsqu'elle le convoque pour l'accompagner dans une mission dont elle ne dévoilera pas le but, Werner est tiraillé entre la volonté d'épargner peut-être le bombardement de New York, et la vie de la jeune femme. A bord d'un avion léger et vers une destination inconnue, il essaye de raisonner la pilote obnubilée par sa mission de mort. Mais lorsqu'un chasseur allié les prend en ligne de mire, il ne peut s'empêcher de tenter de la défendre. Il ignore encore que la détermination d'Hanna repose sur un secret militaire très bien gardé.

 

 

La première planche d'« Amerika Bomber » a été prépubliée dans Spirou n°4070 le 13 avril 2016. Dans ce deuxième cycle les Russes (et Staline) aurait aussi leur mot à dire? En couverture, le jeu entretenu entre réalité historique et fiction uchronique prend une nouvelle envergure, avec l’image d’une New-York totalement dévastée et dévorée par les flammes, survolée par une escadrille d’ailes volantes nazies sous les yeux d’une Hanna (adulte) arborant fièrement sa tenue de pilote militaire. Parmi celles-ci figure le Horten XVIII, un projet de bombardier transcontinental réellement développé dès 1942 dans l’optique d’aller détruire l’Amérique mais jamais finalisé. L’album évoque également le Silbervogel « Oiseau d’argent », projet de bombardier sub-orbital propulsé par un moteur-fusée, conçu par Eugen Sänger et Irene Sänger-Bredt dès les années 1930. Lui aussi resté dans les limbes de l'industrie aéronautique nazie. Il n'est pas bien difficile de s'apercevoir que P. E Jacob s'est inspiré de ce projet pour imaginer  L’Espadon des aventures de Blake et Mortimer. Ces appareils et avancées scientifiques, une fois récupérées grâce à l’opération Paperclip, donneront comme on le sait une sérieuse avance aux Américains dans la conquête de l’espace, lors des années 1950-1960. Russes anglais et Français hériteront aussi de certaines technologies: avions à réactions et essais sur le décollage vertical.

 

 

 

Vues conceptuelles du Silbervogel sur son rail de lancement

 

Crayonnés par Henriet

Visuel pour le coffret BDfugue des tomes 1 à 3 (2015)

 

Même si ce quatrième tome est très estimable et que l'on désire en connaitre la suite, d'autant qu'il se termine d'un manière abrupte inattendue sur un suspense intriguant.

Si la fin de l'album est surprenante, le début l'est encore plus. Alors que l'on avait laissé les protagonistes à la fin du troisième tome, on les retrouve dans les premières pages du quatrième à... New-York dans une séquence qui permet certes à Henriet de nous offrir un bien beau dessin mais qui est parfaitement inutile pour le développement de l'intrigue, séquence qui se termine par quelques cases ridicules... Dans une interview, Henriet donne la raison de ces cases malencontreuses: << Je suis fan de "The walking Dead". Pour me faire plaisir, Yann a ajouté ce prologue!>>. Voilà comment on abime une oeuvre. Un scénariste ne doit pas faire plaisir à son dessinateur mais on contraire lui rappeler qu'il est au service du scénario.

 

 Dent d’ours T4 : Amerika Bomber par Alain Henriet et Yann
 Dent d’ours T4 : Amerika Bomber par Alain Henriet et Yann

Il reste que je pense que cette suite n'était pas indispensable tant les trois premiers tomes constituent un chef d'oeuvre qui se suffisait à lui même. 

 

Couverture de l'intégrale (tomes 1 à 3) Khani éditions. Tirage limité de 200 exemplaires numérotés et signés par Henriet.

 
 Dent d’ours T4 : Amerika Bomber par Alain Henriet et Yann

 

5 mars 2020

Corentin, Les trois perles de Sa-Skya de Simon et Van Hamme

 

Corentin, Les trois perles de Sa-Skya de Simon et Van Hamme


 

Le Corentin de Simon et Van Hamme était, cette année la bande dessinée que j'attendais le plus non que je sois féru des anniversaires, le personnage a été créé par Cuvelier, il y a juste 70 ans, ni que je pense que le prolifique Van Hamme soit le plus grand scénariste actuel de la bande dessinée franco-belge mais parce que je pense que Christophe est un des plus grands dessinateurs de cette même bande-dessinée, voir pat exemple sa reprise d'Alix dans "Le Démon du Pharos" où il montre toute la variété de ses talents. En outre, il est peut être le seul à l'instar jadis d'un David ou d'un Girodet sache dessiner l'anatomie humaine.

C'était aussi avec quelques inquiétude, comme à chaque reprise sur l'utilité de ressuciter un personnage, en l'occurrence, le petit Corentin Feldoé qui parcourt le monde au milieu du XVIII ème siècle accompagné de son ami Kim, d'un gorille, Belzebuth, et d'un tigre, Moloch. Vous conviendrez que tout cela n'est pas facile à caser dans une histoire. Quelle est-elle cette fameuse histoire (je rappellerais que l'on attend la suite des aventures du garçon depuis 1974!): 

Accusé à tort du vol de trois perles d’une valeur inestimable, Corentin est menacé de bannissement par le Maharadjah de Sompur. Il ne pourra compter que sur l’aide de ses derniers amis – Kim, Moloch et Belzebuth – pour sauver son honneur et démasquer le vrai coupable.

 

 

(c) Le Lombard - Christophe Simon/Van Hamme/Carpentier
(c) Christophe Simon

(c) Christophe Simon

 

Les lecteurs cacochymes comme moi gardent des souvenirs émus des aventure (et de la plastique du jeune breton pour vous rafraichir la mémoire sachez que Corentin un personnage emblématique du journal Tintin créé par ce formidable conteur de Paul Cuvelier avant de bénéficier un peu plus tard de l’expertise de Jacques Van Melkebeke (que le Lombard n'a jamais crédité au scénario pour des raisons très extra-artistiques). Il reste que Corentin est né du seul fait de Paul Cuvelier car Corentin a fait ses premiers pas dans un livre de contes illustrés par Paul Cuvelier réservé à l'usage familial et en particulier à ses frères.
(c) Le Lombard - Christophe Simon/Van Hamme/Carpentier
(c) Le Lombard – Christophe Simon/Van Hamme/Carpentier
Le plus troublant lorsqu'on ouvre ce magnifique album que l'on pourrait attribué à Cuvelier, tant Simon est au niveau de ce maitre du dessin qu'était Cuvelier c'est que cet album aurait pu paraitre dans les années 50. Aussi bien pour le scénario (j'y reviendrait) que pour le dessin, car l'érotisme des personnages était déjà présent dans la première aventure de Corentin dessinée par Cuvelier et l'érotisme est présent à chaque album de Christophe Simon qui pour correspondre aux canons de cette reprise c'est tout de même assagi sur ce sujet par rapport à sa série Sparte, que pour le scénario.
Cette reprise est différente de toutes les autres dans la mesure où Van Hamme a été scénariste de Paul Cuvelier, mais que Christophe Simon a longuement étudié le dessin de Cuvelier dont il possède des originaux.
 
Les lecteurs les plus assidus connaissent l’histoire des Trois Perles de Sa-Skya, puisqu’elle fut déjà éditée en juillet 1973 comme nouvelle dans le trimestriel Tintin Sélection (ce petit format m'avait échappé à l'époque je ne connaissait pas cette histoire). Christophe Simon a eu la bénédiction de Van Hamme pour l’adapter à sa guise.
Certes le scénario dans lequel Simon a pris également une grande part, dans un presque huis-clos au cœur du palais du Maharadjah, Christophe Simon réussit à tenir le lecteur en haleine, de rebondissement en rebondissement, et offre un dénouement imprévu. Il reste qu'autant de grands sentiments, de personnages tout d'une pièce paraissent aujourd'hui quelque peu anachroniques. Par exemple les repreneurs d'Alix, personnage auquel on ne peut ne pas penser lorsqu'on lit un Corentin, ont su complexifier la psychologie du jeune gaulois, mais il est vrai que Jacques Martin l'avait fait lui même. Je suis partagé devant la grandeur d'âme cornélienne des personnages des "Trois perles de Sa-Skya. En même temps elle est rafraichissante mais je me demande quel est le public visé. Les nostalgiques de Corentin seront comblés mais quand sera-t-il du jeune public (et moins jeune puisque le dernier album de Cuvelier est paru en 1974) qui va découvrir aujourd'hui le jeune breton?
Si le dessin est très fidèle à celui de Cuvelier, au sujet de la  fidélité, du respect d'un créateur, il y a tout de même quelque chose de gênant dans cet album. Il faut se souvenir que si c'est sous la forme d'une nouvelle qu'est parue l'histoire des Trois perles de Sa-Skia c'est parce que Cuvelier avait refusé de la dessiner parce qu'il trouvait que ce scénario était incompatible avec des éléments fixés de longue date.
En effet en 1949, en guise d'introduction aux aventures de Corentin chez les Peaux-Rouges avait entrevu et déterminé le detin de son héros: << Revenu à Minpore où l'attendait le sultan et la princesse Sa-Skyia, Corentin a connu, dans cette cour charmante où il n'était entouré que d'amis de longues années de bonheur (...) C'est en 1785 que furent solennellement célébrées les épousailles du jeune français avec la jeune princesse héritière....>>. Voilà qui est bien différent de ce qu'on peut lire dans le dernier album. Cuvelier voyait Corentin devenir ministre du frère du Rajah de Sompur après la mort de ce dernier, avoir un fils, lui aussi prénommé aussi Corentin (est-ce l'influence de la série des Timour?). Mais malheureusement peu après la naissance de Corentin junior  Sa-Skyia meurt d'un mal mystérieux. Accompagné de son jeune fils Corentin s'embarquait pour sa Bretagne natale...
Cuvelier avait même imaginé le destin de Corentin junior qui fait comme lieutenant les campagnes napoléoniennes (un dessin de 1949 le représente en cavalier chargeant à la bataille de Wagram) avant de trouver une mort glorieuse dans le désert algérien sous les balles des guerriers d'Abd el Kader. 
Mais comme le savent les lecteurs attentifs de la série, il y a un troisième du nom, petit fils du premier celui qui vivra de mémorables aventures chez les indiens d'où le préambule de Cuvelier cité plus haut.
 
(c) Christophe Simon

(c) Christophe Simon

 

Corentin renaît comme il a été, dans un classicisme de toutes beauté et splendeur. Il faut y regarder de plus près pour voir que c’est bien Simon qui dessine et non Cuvelier. Mais alors que l'on aurait pu penser que Christophe Simon s'inspirerait du dernier Corentin dessiné par Cuvelier, celui du royaume des eaux noirs et de L'ogre rouge (L'ogre rouge, scénario de Jacques Martin est l'album que Cuvelier n'a jamais terminé. On peut en voir les première page en appendice du bel essai que Philippe Goddin a consacré à Cuvelier, "Corentin et les chemin du merveilleux", éditions du Lombard (1984). Corentin apparait dans ces deux dernières histoire plus longiligne, un garçon à la fin de son adolescence), Christophe Simon a choisi de faire grandir un peu le Corentin du "Royaume des sables", déjà un scénario de van Hamme. Il est vrai que ce Corentin là, plus fessu, est plus proche des garçons de Simon que l'on voit dans sa trilogie spartiate.
(c) Le Lombard - Christophe Simon/Van Hamme/Carpentier

(c) Le Lombard – Christophe Simon/Van Hamme/Carpentier

 
(c) Christophe Simon

(c) Christophe Simon

 
Le compagnon de Christophe Simon, Alexandre Carpentier signe des couleurs remarquables. Carpentier crée des couleurs subtiles légèrement éteintes, sourdes et denses. La couleur est pensée pour chaque case, pour chaque séquence tout en ayant soin de donner une dominante à chaque double page. Elles nous renvoient aux fantastiques ambiances qui envoûtaient certaines des bandes dessinées des années 50. Pour l'épisode nocturne de Corentin s'introduisant dans la chambre du Rajah on pense beaucoup à celui d'Olrik pénétrant dans la chambre de Mortimer dans la "Marque jaune". 






Le principal attrait de ce livre est bien le dessin somptueux de Christophe Simon. Que ce soient la représentation des personnages, les détails du décor, ou les scènes d'action, chaque case est illustrée avec minutie, à la manière d'un petit tableau. Le monde hindou est en fait dessiné avec un mélange de réalisme et de poésie, et les scènes de foule sont particulièrement réussies.

Une des particularités de cet album est que les récitatifs, dans des phylactères rectangulaires, sont plus nombreux que les dialogues qui sont, eux dans des phylactères ovoides. Le texte comporte souvent des notations typiques du style de narration et de dialogues qui ont donné leur ton jadis à cet univers lui apportant ainsi une saveur si particulière et unique dans l'histoire de la bande dessinée.

Le gaufrier est classique beaucoup plus que dans la trilogie spartiate. La page est découpée en trois bandes horizontales qui comportent au maximum trois cases chacune. Le rythme de ce sage découpage est perturbé par quelques pleines pages, là encore un clin d'oeil à l'esthétique des albums du début des années 50.





L'album contient par ailleurs un cahier consacré au "making-of", avec crayonnés et dessins de recherche, en regard de ces merveilles on l'aurait aimé plus fourni; peut-être pour une prochaine édition? On rêve d'une exposition Cuvelier-Simon autour de cet album. Ce cahier nous apprend que Christophe Simon a voyagé aux Indes pour en ramener des images à la fois précises et esthétiques. Cela nous permet de comprendre le caractère véridique et enchanteur des décors.

Au dela de son contenu qui suffirait à lui seul, bien sûr, son achat, je voudrais aussi mettre l'accent sur le contenant. Voilà un album d'une parfaite élégance, remarquablement présenté et imprimé. Le dessin du quatrième de couverture est splendide, je ne l'ai pas reproduit pour vous laisser le plaisir de la découverte. 



 





 











 



 

 

Corentin, Les trois perles de Sa-Skya de Simon et Van Hamme
Corentin, Les trois perles de Sa-Skya de Simon et Van Hamme

Ci dessous une petite bio de Christophe Simon et une interview trouvées sur la toile

 

Né à Namur en Belgique dans la ville de Félicien Rops, le 16 août 1974,Christophe Simon n’est pas issus d’une famille d’artistes : ses parents sont comptables. Mais son grand-père, fils d’un menuisier-ébéniste, a un bon coup de crayon, même si, lui aussi, travaille comme comptable au ministère des affaires économiques à Bruxelles. "Quand je suis enfant, je le vois dessiner plein de choses de façon réaliste. Si je voulais un soldat pour ma chambre, il me le dessinait. Mes grands-parents habitaient à cinquante mètres de la maison familiale, c’étaient des gens assez bohêmes adorant les animaux, au milieu de la nature. Je les voyais plusieurs fois par jour. Je cherchais à l’imiter, je me suis mis à dessiner."

Son grand-père décède alors que le jeune Christophe a onze ans, mais il a le temps de poser cet acte fondateur : il lui offre un album de Corentin de Paul Cuvelier, point de départ de sa vocation de dessinateur. Mais pour l’heure, ses parents, rationnels et bienveillants, n’imaginent pas qu’il puisse faire son métier de la bande dessinée : ils lui concèdent des cours du soir de dessin, "à la condition qu’il travaille bien à l’école".

 

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Corentin - Les Trois perles de Sa-Skya
© Lombard

Là, il apprend les rudiments du métier auprès de Vittorio Léonardo qui enseigne dans un atelier à Châtelet. Le coloriste carolorégien assure à ce moment la photogravure de Jacques Martin, le dessinateur d’Alix. Le contact est pris : Christophe Simon devient rapidement l’un des assistants de celui qui forgea le concept d’École de Bruxelles. Il travailla successivement sur les séries Orion, Alix, Lefranc, Loïs et assure également des Voyages d’Alix (Casterman) pour un vieux lion fatigué qui perd peu à peu la vue et qui le prend quelquefois comme son confident.

 

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La planche d’essai, que Christophe Simon a réalisée pour convaincre l’éditeur et les ayants droits.
Photo : Charles-Louis Detournay
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Christophe Simon est également peintre. 
Photo : Charles-Louis Detournay
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L’album comporte trois superbes hors-textes, dont cette scène qui profite directement du répérage photographique réalisé en Inde.
Photo : Charles-Louis Detournay

Jean Van Hamme ayant validé votre storyboard, vous vous êtes donc envolés, votre compagnon et vous, pour l’Inde ?

Christophe Simon : Cuvelier n’était jamais allé en Inde, mais nous nous sommes directement retrouvés dans les ambiances du Signe du Cobra. Alexandre a pris 7800 photographies. Une partie a été réutilisée pour Les Trois Perles de Sa-Skya. Je suis par exemple reparti de l’architecture mongole du XVIIe du Palais d’Orchhâ pour imaginer le Palais de Sompur. Je suis bien entendu reparti de quelques scènes que Cuvelier avait dessinées, entre autres dans Le Signe du Cobra, mais ce n’était pas suffisant pour reconstituer toutes les décors de ce récit qui se déroule principalement dans et autour du Palais. En revanche, la salle du trône est bien entendu restée à l’identique des dessins de Cuvelier.

 

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Superbe attitude de la princesse Sa-Skya
Photo : Charles-Louis Detou
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La dernière séquence de l’album culmine dans l’émotion. Une réussite graphique.
Photo : Charles-Louis Detournay
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Le scan des planches a été réalisée à l’ancienne, à l’aide d’un film noir et blanc sur un bleu (ou un gris) pour la trichromie. Mais contrairement aux bleus de l’époque, la planche est ici imprimée 1/1, ce qui permet de peaufiner une mise en couleurs assurée par Alexandre Carpentier.
Photo : Charles-Louis Detournay

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Au-delà de l’album, Christophe Simon continue de travailler les personnages pour mieux se les accaparer. Des recherches que l’on retrouve dans le cahier graphique en fin d’album.
Photo : Charles-Louis Detournay
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Christophe Simon et Alexandre Carpentier, dans leur demeure richement décorée de peintures et de sculptures.
Photo : Charles-Louis Detournay
Corentin, Les trois perles de Sa-Skya de Simon et Van Hamme
Corentin, Les trois perles de Sa-Skya de Simon et Van Hamme
Corentin, Les trois perles de Sa-Skya de Simon et Van Hamme
Corentin, Les trois perles de Sa-Skya de Simon et Van Hamme
Corentin, Les trois perles de Sa-Skya de Simon et Van Hamme
Corentin, Les trois perles de Sa-Skya de Simon et Van Hamme
Corentin, Les trois perles de Sa-Skya de Simon et Van Hamme
Corentin, Les trois perles de Sa-Skya de Simon et Van Hamme
5 mars 2020

case en exergue, Mitacq

La Patrouile des Castors, Le Ker-disparu de l'Aven (1957)

La Patrouile des Castors, Le Ker-disparu de l'Aven (1957)

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