Timour de Sirius, Le gladiateur masqué
Avant de chroniquer plus particulièrement l'album le Gladiateur masqué, il me paraît utile de présenter la série des Timour qui est hélas, je le crains, ignorée des plus jeunes. Pourtant elle bénéficie d'une belle réédition par « Le coffre à B.D. » à un prix honnête, 20 € chaque album (http://www.coffre-a-bd.com/). La série des Timour est une des plus chère « madeleine » de mon enfance. Elle a été créée en 1953 par Sirius (1911-1997) dans le n° 813 du journal Spirou. Certes le dessin en est un peu "rugueux" et les scénarios bien moralistes. L'Antiquité et le Moyen-âge que nous présentent Sirius et Xavier Snoeck, le scénariste des premiers récits, n'obéissent pas à une esthétique chatoyante. Les auteurs dédaignent d'ailleurs les grands moments de l'histoire pour s'intéresser à des périodes moins connues. Ils racontent volontiers la vie des petites gens, chose assez rare dans la bande dessinée historique. La modestie de leurs récits ne les empêche pas d'être souvent imprégnés d'un délicieux romantisme(1).
Le héros de la série change à chaque épisode puisqu'à chaque fois c'est un Timour d'une époque différente. Tous ont une apparence physique proche, ce qui simplifie les choses. L'ensemble de la série ne constitue pas un feuilleton. Chaque histoire se suffit à elle-même et le héros de l'album n'accumule pas les aventures improbables. Le Timour concerné change d'ailleurs à chaque album; Sirius raconte finalement qu'un court moment de sa vie. Cette absence de surenchère donne du réalisme aux situations qui sont montrées (même si elles ne le sont pas). J'ai l'impression que les auteurs sont souvent très proches de la vérité du temps. La plupart de ces aventures tournent autour d'un voyage, et le Gladiateur Masqué n'échappe pas à la règle.
Silhouettes athlétiques, sourires éclatants et chevelures rouges vifs, la similitude des Timour n'est pas seulement décelable de par leur aspect physique. Ils entretiennent la même philanthropie et partagent une notion identique de certaines valeurs humaines (le courage, l'honneur, la sincérité, la fraternité). Timour est l'archétypedu héros intègre. La similitude des différents avatars des Timour peut faire penser que c'est une même figure de justicier qui parcourt le temps, un voyageur spatio-temporel. La permanence du physique et surtout des qualités humaines peuvent trouber, mais il aurait été difficile de construire une personnalité unique à chacun des différents Timour. Sirius aurait sans doute rencontré beaucoup de difficulté à développer individuellement le tempérament de ses personnages, et dérouté ses lecteurs à défaut de continuité.
Transmis de père en fils, chaque Timour possède le talisman familial. Une mystérieuse relique sur laquelle leur ancêtre commun avait gravé des motifs prônant un message universel. Au fil des épisodes, les héritiers recherchent leurs significations tombées dans l'oubli. Mais avant d'aboutir à une interprétation personnelle, les Timour sont témoins et acteurs d'événements riches en enseignement. En effet, au delà d'une série contant les aventures de ces guerriers-nés, Sirius utilise ses personnages tel des figurants pour jouer les professeurs d'Histoire. On est pas loin parfois du genre "Histoire de l'oncle Paul" qui voisinait avec la saga des Timour dans les pages du journal de Spirou.
Les intrigues dans lesquelles sont plongés les Timours varient très peu dans le fond. Durant leurs périples, ils rencontreront toujours des âmes charitables qui leurs viendront en aide et sauront les conseiller pour éviter de recourir systématiquement à la force. En contre-partie, les grands gaillards roux devront affronter la colère et la jalousie d'esprits corrompus. Traversant les batailles et complots malfaisants, défiant les lois de la nature, ils rencontrent de grandes figures emblématiques (Alexandre de Macédoine, César, Attila...).
Il est courant que le dessin soit complété par un encadré résumant une action qui aurait dû être développée en plusieurs vignettes. L'auteur ayant préféré réserver cet espace pour y ajouter des références historiques importantes au risque sinon de se retrouver avec des albums de 100 pages. Sa recherche de documentation pour donner un aperçu exact de la période retranscrite est facilement discernable. C'est sans doute dans ce dernier point que réside principalement l'intérêt et l'originalité des Timour. Chaque situation dans lequel se trouve le héros est propice pour Sirius à nous instruire sur l'époque dans laquelle Timour évolue. Sirius n'hésite pas à faire un petit aparté d'une case de temps à autre dans laquelle il donne au lecteur un complément d'information sur ce qu'il vient de lire.
Le Gladiateur Masqué a été publié en 1957 dans le journal de Spirou du n° 1001 au n° 1023. L'aventure se situe aux 2ème siècle après JC, lors des premières persécutions des chrétiens exactement en 176. Elle donne une vision intéressante de la vie quotidienne au temps des romains. On y voit intervenir l'évêque Potin (2), seul personnage "historique" du récit. L'album raconte en quelque sorte les "années d'apprentissage" du jeune Timour qui à 18 ans. Il est étudiant en droit à Rome. Mais notre jeune homme est plus intéressé par les combats de gladiateurs que par ses livres. Pour le dresser, son père le confit à son oncle, un stoicien pur et dur, qui vient d'être nommé par l'empereur Marc Aurèle, légat à Lyon. Il emmène son neveu en Gaule en tant que secrétaire. Mais le jeune homme cause catastrophes sur catastrophes. Son oncle le chasse. Timour décide de retrouver son père à Rome. Il prend la route mais celle-ci est périlleuse. Après bien des déboires, alors qu'il est mal en point, il rencontre un groupe de chrétiens qui l'aide... La fin est belle comme l'antique bien qu'un peu trop saint-sulpicienne à mon gout. A noter que le titre est assez mensongé, la gladiature ne tenant pas une grande place dans le scénario.
En relisant ce Timour, j'ai pensé au roman pour adolescent de Pierre Debresse, La ville aux sept collines, paru en 1970 qui a quelques points communs avec Le gladiateur masqué. Peut-être que Pierre Debresse en écrivant son roman s'est souvenu de la lecture de ce Timour?
Même si les décors et le ton restent modestes, le récit fourmille de petits détails justes et il est plein de vie. On peut dire que la représentation du monde romain par Sirius est tout le contraire de celle de Jacques Martin. Les décor de Sirius sont assez justes mais ils sont dessinés de façon sommaire. Il n'y a pas un seul plan général de Rome dans tout l'album. Seulement une toute petite vue très géométrisée de Lyon. En dehors de cela, il ne dessine que des maisons toutes simples ou des rues dénudées, mais Sirius sait créer une ambiance et le lecteur se sent tout de même transporté dans le monde romain. L'intérêt historique reste entier malgré cette étonnante économie de moyens.
1- Liste des aventure des Timour
Le premier album de la série sort en 1955 aux éditions Dupuis.
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1955 La tribu de l'homme rouge (1)
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1956 La colonne ardente (2), Le talisman de Timour (3).
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1957 Le glaive de bronze (4), Le captif de Carthage (5)
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1959 Le fils du centurion (6), Le gladiateur masqué (7))
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1960 Timour contre Attila (8), Le cachot sous la Seine (9).
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1961 Le cavalier sans visage (10), La francisque et le cimeterre (11)
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1962 Timour d'Armor (12), Mission à Byzance (13)
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1963 Le drakkar rouge (14)
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1964 Alerte sur le fleuve (15), Le serment d'Hastings (16)
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1965 L'ombre du Cid (17), La galère pirate (18)
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1966 Le fils du croisé (19), L'oiseau flamboyant (20)
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1967 Le sceau du templier (21), La gondole noire (22)
Après une longue interruption, la série reprend sa publication avec
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1986 L'Or du gouffre (23)
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1987 Terre sauvage (24), La nuit rouge (25)
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1988 Terre des fleuves (26)
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1989 Au fil du temps (27)
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1990 Requiem pour un pirate (28)
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1991 Aux temps d'avant (29)
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1992 Les traîneurs de sabre (30)
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1993 Le fouet d'Arafurat (31)
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1994 La fin des temps (32)
2- Notule historique sur Pothin
On ne connaît que les conditions de son arrestation et de sa mort grâce à une lettre devenue célèbre, adressée peu après par l'Église de Lyon à celle d'Asie et reproduite par Eusèbe de Césarée dans son Histoire ecclésiastique. Il fut arrêté en 177 sous le règne de Marc Aurèle en même temps que Blandine et qu'un groupe de chrétiens qui forment les premiers martyrs de Lyon. Âgé alors de plus de quatre-vingt-dix ans et infirme, Pothin meurt en prison vraisemblablement le 2 juin à la suite des mauvais traitements infligés par ses bourreaux. Cependant, l'âge de sa mort (plus de 90 ans), à une époque ou l'espérance de vie était limitée est discuté. Mais les historiens modernes n'ont pas d'informations, mais dans tous les cas, Pothin était âgé de plus de 70 ans.
Son nom simple et d'origine grecque semble indiquer une provenance orientale et qu'il n'a pas le statut de citoyen romain. Toutefois la signification de son nom – Pothin signifie en grec « Désiré » – peut également être un surnom indiquant qu'il a été attendu par la communauté chrétienne de Lyon. On ne sait pas quand il arrive à Lyon, ni quand il a été élu à l'épiscopat, ni l'étendue de son ministère. On estime qu'il a pu être élu évêque au milieu du IIe siècle. Il est à cette époque le seul évêque des Gaules et la lettre relatant sa mort semble indiquer qu'il a sous son magistère les communautés de Lyon et de Vienne.
Il est l'un des patrons du diocèse de Lyon, il est fêté le 2 juin, en même temps que sainte Blandine (à Lyon, Ste Blandine est fêtée séparément le 9 août) et leurs compagnons martyrs.
Il existe sur le site de l'Antiquaille, dans l'ancien couvent des Visitandines, une salle souterraine présentée comme le cachot de saint Pothin à côté d'une crypte dédiée aux martyrs de Lyon. Cette identification ne date que du XVIIe siècle et ne repose sur aucune source fiable.
Saint Irénée lui succède comme évêque de Lyon.