Quelques Joubert (11)
“Plaidoyer pour les jeunes”, Serge Dalens, illustré par Pierre Joubert.
POUR SE SOUVENIR DE MOEBIUS TRANSE FORME À LA FONDATION CARTIER
Je suis allé voir l'exposition Moebius à l'espace Cartier un peu en trainant les pieds, non que je ne reconnaisse pas le grand talent du dessinateur que cette visite n'a fait que confirmer mais ses postures très immodestes et quelque peu chalatanesques m'ont toujours agacé ( à comparer avec la talentueuse modestie d'un Mézière, autre grand inventeur d'improbables créatures). J'étais pourtant très admiratif lorsqu'est apparu Arzac dans Métal hurlant, très regretté magazine dont je garde précieusement les deux premiers recueils reliés, mais je me suis vite lassé de l'absence d'un véritable scénario sur lequel aurait du s'appuyer l'envoutant dessin de cette série. Toute l'exposition, là encore, n'a fait que renforcer ce que j'ai toujours pensé: que Moebius est plus un illustrateur qu'un véritable auteur de bande-dessinée. Il est capable de livrer son univers en une planche, un tableau ce qui est une grande force et un scénario l'encombre plus qu'autre chose. Vous me direz qu'il y a aussi Giraud l'auteur de Blueberry dont malheureusement je trouve le trait assez vulgaire, avec cette mauvaise idée de donner aux personnages de cette série les têtes des vedettes du cinéma français du moment, en comparaison avec celui de Jijé et de son Jerry Spring. Est exposée, la première planche datant de 1962 du premier tome de la série, scénarisée par Charlier, "Fort Navajo".
L’exposition " Transe-Forme " s’organise autour du thème de la métamorphose. Elle explore toutes les facettes du travail de Moebius-Giraud, d'où le titre. Elle est clairement scindée en deux parties, au rez de chaussée, pour faire simple nous est présenté toute l'oeuvre destinée aux supports papiers, et plus particulièrement à ce que l'on a découvert au fil des années dans les albums et les magazines tels Pilote ou Métal hurlant.
Le sous-sol est lui dévolu a des oeuvres plus confidentielles, du fait que beaucoup ne sont pas des multiples. On retiendra la belle série de tableaux de chevalet qui à mon sens est ce qu'il y a de le plus intéressant dans cette rétrospective. Dans ces toiles on sent l'artiste à la fois libéré des contraintes commerciales et d'un discours assez fumeux hérité en partie de celui de Jodorowsky.
En entrant dans le vaste espace vitré de la fondation qui se révèle une fois de plus bien peu pratique pour les manifestations qui s'y déroulent on voit une grande spirale de vitrines (l'anneau de Moebius?!) dans lesquelles sont disposés un grand nombre d'originaux. En regardant ces multiples dessins on s'aperçoit de la proximité de Moebius avec certains. Il faut se souvenir de ses collaborations avec quelques grands créateurs japonais du monde du manga( il a partagé une rétrospective avec Miyazaki, mais également collaboré avec Otomo et Taniguchi).
La courbe des vitrines forme un parcours divisé en plusieurs sections, les autoportraits, la figure d'Arzach, le lieutenant Blueberry, le Major Grubert et le monde qu’il a créé “Le Garage hermétique”; à noter la présentation d’un carnet inédit du Major, qui coincé dans un bunker du Désert B, répond aux questions métaphysiques de ses visiteurs, suivent l’incal et son héros John Difool, collaboration entre Mœbius et Alexandre Jodorowsky, le dernier espace nous fait pénétrer dans “Le monde d’Edena” à travers les aventures de “Stel et Atan”, créatures qui possèdent les deux sexes,( on pense au titre de l'exposition). C'est le plus beau chapitre de cet étage, d'où est tiré le film "La planète Encore”, diffusé en exclusivité à La Fondation Cartier.
Des petits hauts parleurs sont suspendus au quatre coins de ce chemin visuel ; ils diffusent la douce voix de Moebius qui nous explique certaines facettes de sa carrière.
En passant au sous-sol, toujours aussi moche, ce n'est qu'une grande cave, que les oeuvres de Moebius réussissent, et ce n'est pas un mince hommage à leur rendre ainsi qu'au commissaire de l'exposition, à égayer et meubler. L’un des murs du sous-sol est totalement recouvert par d’immenses reproductions de planches en noir et blanc.
Mais c'est un autre mur qui a retenu le plus mon attention, sur lequel sont accrochés, assez mal, des toiles peintes par l'artiste. Elles relèvent d'un surréalisme très original dans lequel la présence du désert est récurrente. Leur qualité aurait mérité d'autres encadrements et une présentation plus respectueuse de leur importance, curieusement les organisateurs de la manifestation ne semblent pas avoir perçu l'intérêt de ces tableaux .
Un autre mur nous montre les nombreuses toiles et études que Moebius a réalisé pour des films comme le 5ème élément ou encore Abyss.
On voit également dans cet espace un certain nombre de dessins dont quelques uns sont particulièrement réjouissants avec des bestioles inquiétantes et parfois sympathiques.
Autre constante chez Moebius les créatures mi animal, mi robot qui sont elles, beaucoup plus inquiétantes. Mais pas toutes, voir le superbe oiseau d'Arzach que j'aimerais bien voir traverser mon ciel.
Autre grand point fort de cette rétrospective un autre carnet, inédit celui-ci, nommé “La faune de mars”, sorte de carnet de voyage dans lequel dans un délire chimérique Moebius crée une palanquée de bestioles plus délirantes les unes que les autres, espérons qu'il sera bientôt publié.
Si cette rétrospective n'a pas fait disparaitre toutes mes réticences, elle m'a rappelé que Moebius est un créateur à ne pas négliger.
Nota: J'ai écrit le texte ci-dessus en sortant, le 4 décembre 2010 de l'exposition donc bien avant l'avalanche de louanges qui a enseveli le malheureux Moebius dés l'annonce de sa mort. Je n'y ai rien changé.